đâđš ModĂ©rer la portĂ©e du pacte de sĂ©curitĂ© amĂ©ricano-saoudien
Feu MikhaĂŻl Gorbatchev a vĂ©cu dans le regret de ne pas avoir exigĂ© de âpapier en bonne & due formeâ sur l'expansion de l'OTAN. Le prince hĂ©ritier Mohammed bin Salman ferait bien de s'en inspirer.
đâđš ModĂ©rer la portĂ©e du pacte de sĂ©curitĂ© amĂ©ricano-saoudien
Par MK Bhadrakumar, le 7 mai 2024
S'attendre Ă un rĂ©sultat âmitigĂ©â de tout pacte de sĂ©curitĂ© amĂ©ricano-saoudien Ă venir. La guerre d'IsraĂ«l contre Gaza a entravĂ© les projets de Washington de normalisation avec Tel-Aviv et d'Ă©loignement de Riyad de la sphĂšre d'influence de la Russie et de la Chine.
Un pacte de sĂ©curitĂ© historique est peut-ĂȘtre en cours d'Ă©laboration entre les Ătats-Unis et l'Arabie saoudite, qui pourrait ouvrir la voie Ă une normalisation du royaume avec IsraĂ«l. Les deux parties sont impatientes de conclure un accord qui remplacera le cĂ©lĂšbre marchĂ© âpĂ©trole contre sĂ©curitĂ©â conclu en 1945.
Une mise en garde s'impose toutefois. Cet accord vieux de 80 ans entre le président Franklin Roosevelt et le roi Abdulaziz Al-Saud a été mis à l'épreuve ces derniÚres années, car l'équilibre mondial des pouvoirs a évolué et érodé une partie de leur confiance mutuelle.
Avec les soulĂšvements arabes de la derniĂšre dĂ©cennie, les voies de communication entre Riyad et Washington, autrefois fiables, ont Ă©tĂ© mises Ă rude Ă©preuve et les possibilitĂ©s de rĂ©troaction se sont rarĂ©fiĂ©es. Les problĂšmes de fiabilitĂ©, dus Ă un manque de confiance et Ă la baisse d'influence des Ătats-Unis, ont commencĂ© Ă peser sur l'alliance autrefois solide. Trois Ă©vĂ©nements particuliers ont mis en Ă©vidence la fragilitĂ© croissante des bases de la relation entre les Ătats-Unis et l'Arabie saoudite :
PremiÚrement, la création de l'OPEP+, fruit du travail du président russe Vladimir Poutine et du prince héritier saoudien Mohammed bin Salman (MbS), ouvrant une Úre de politique de production plus indépendante
DeuxiÚmement, la décision de Riyad de rejoindre les BRICS multipolaires et l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), et
TroisiÚmement, la décision saoudienne de normaliser les relations avec l'Iran, un engagement formalisé dans un accord de paix négocié par la Chine en mars 2023.
La raison d'ĂȘtre d'un partenariat renouvelĂ© entre AmĂ©ricains et Saoudiens ne fait aucun doute. Les Ă©vĂ©nements dramatiques du 7 octobre 2023 dans la bande de Gaza ont fait voler en Ă©clats la conviction de l'administration Biden que le problĂšme palestinien âse rĂ©soudrait de lui-mĂȘmeâ et qu'il ne manquerait plus qu'une normalisation saoudo-israĂ©lienne en bonne et due forme.
Or, la question palestinienne est revenue sur le devant de la scĂšne de la sĂ©curitĂ© en Asie occidentale, ne laissant plus aucune marge de manĆuvre pour duper la rĂ©gion, simuler de l'empathie pour la cause palestinienne ou se pavaner en bon samaritain dans la rue arabe.
De mĂȘme, l'Iran a jouĂ© efficacement ses cartes pour amener l'axe de la rĂ©sistance sur le devant de la scĂšne, Ă©branlant ainsi les rĂ©gimes arabes du Golfe, ce qui, Ă son tour, a offert Ă l'administration Biden une fenĂȘtre d'opportunitĂ© pour renouer le dialogue avec ses anciens alliĂ©s.
Le lien entre les exigences régionales de cessez-le-feu, la crise humanitaire à Gaza et les appels à la libération des prisonniers israéliens détenus par le Hamas a permis à Washington de reprendre pied en tant qu'interlocuteur clé sur la voie diplomatique.
Il n'en reste pas moins que les Etats-Unis sont sur la corde raide pour redevenir le principal acteur de la région. Trop de choses ont changé en Asie occidentale et dans le monde entre-temps.
La stratĂ©gie poursuivie par l'Ă©quipe Biden consiste Ă nourrir le nouvel Ă©cosystĂšme autour des accords d'Abraham brevetĂ©s par Donald Trump en envisageant un accord israĂ©lo-saoudien comme pilier d'un accord politique plus large. La Maison Blanche imagine que cela ouvrirait la voie Ă la reconstruction de Gaza et Ă la crĂ©ation d'un Ătat palestinien qui aiderait grandement Ă intĂ©grer IsraĂ«l dans son voisinage arabe, tout en permettant Ă Washington de se tourner vers l'Asie-Pacifique et l'Eurasie pour entraver la montĂ©e en puissance de la Chine et Ă©roder la capacitĂ© de Moscou Ă fournir un espace stratĂ©gique Ă la Chine sur la scĂšne mondiale.
PlutĂŽt qu'une stratĂ©gie solide, cette idĂ©e est une chimĂšre incroyablement ambitieuse compte tenu de la liste croissante des dĂ©fis existentiels de Washington : une Ă©conomie sous le poids d'une dette sans prĂ©cĂ©dent, les contre-stratĂ©gies de l'axe Russie-Iran-Chine, et la menace de la âdĂ©dollarisationâ qui gagne du terrain dans l'Ă©conomie mondiale Ă mesure que de plus en plus de pays du Sud expĂ©rimentent des monnaies alternatives dans leur rĂšglement international.
En thĂ©orie, l'une des principales considĂ©rations de cet esprit amĂ©ricain fĂ©brile est d'amener l'Arabie saoudite et les Ămirats arabes unis Ă se dissocier d'un assaut coordonnĂ© contre le pĂ©trodollar lors du prochain sommet des BRICS qui se tiendra Ă Kazan, en Russie, du 22 au 24 octobre - une rĂ©union qui devrait changer la donne dans le processus de âdĂ©dollarisationâ.
Le prochain sommet qui se tiendra à Pékin ce mois-ci entre le président Xi Jinping et le président russe Vladimir Poutine devrait donner la priorité à la restructuration de l'ordre financier international. Les derniÚres données publiées par le Trésor américain le 17 avril montrent que les avoirs de la Chine en bons du Trésor américain sont tombés à 775 milliards de dollars en février, soit une baisse de 22,7 milliards de dollars par rapport au mois précédent. Selon le Global Times,
âCette baisse marque un ajustement structurel des rĂ©serves de change de la Chine, sous l'effet de facteurs tels que la balance des paiements extĂ©rieurs du pays et les bĂ©nĂ©fices rĂ©alisĂ©s sur les bons du TrĂ©sor amĂ©ricainâ.
L'article conclut Ă©galement ce qui suit :
âAlors que la tendance mondiale Ă la dĂ©dollarisation a commencĂ©, de nombreux pays ont accĂ©lĂ©rĂ© la diversification de leurs rĂ©serves en augmentant leurs avoirs en or et en utilisant des monnaies locales pour les paiements internationaux. Fin mars, les rĂ©serves d'or de la Chine atteignaient 72,74 millions d'onces, soit une augmentation mensuelle de 160 000 onces, marquant ainsi le 17e mois consĂ©cutif d'augmentation des rĂ©serves d'or du pays.â
Les chiffres parlent d'eux-mĂȘmes. Comme le souligne un rĂ©cent commentaire perspicace des mĂ©dias amĂ©ricains :
âAucun plan concret n'a Ă©tĂ© engagĂ© ou prĂ©sentĂ© [par les BRICS], mais le simple fait de verbaliser l'idĂ©e sur la scĂšne internationale modifie la fenĂȘtre d'Overton de ce qu'il est acceptable de discuter publiquement lorsqu'il s'agit de contrer la domination du dollar amĂ©ricain dans les Ă©changes commerciaux. Bien qu'aucune monnaie des BRICS ne soit sur le point de voir le jour, l'idĂ©e est lĂ et il ne s'agit plus d'un concept farfelu et marginal.â
Les nĂ©gociations amĂ©ricano-saoudiennes en vue d'un pacte de sĂ©curitĂ© sont aujourd'hui soit prĂȘtes Ă aboutir Ă une conclusion passionnante selon les termes de Riyad, soit susceptibles de se perdre, sans ancrage, au moins jusqu'aux Ă©lections amĂ©ricaines de novembre (33 siĂšges du SĂ©nat et les 435 siĂšges de la Chambre des reprĂ©sentants sont Ă©galement soumis Ă Ă©lection le 5 novembre).
Un commentateur saoudien compétent a noté que
âl'ensemble de la rĂ©gion est sur le point de mettre la âtouche finaleâ en pleine guerre contre la bande de Gaza. Cela pourrait dĂ©boucher sur un accord qui en ferait tomber certains de leurs grands chevaux ou les pousserait au bord de l'abĂźme. Dans les deux cas, ils en paieront le prix fortâ.
Un article rĂ©vĂ©lateur publiĂ© cette semaine dans le Guardian indique que, bien que les projets d'accords amĂ©ricano-saoudiens sur la sĂ©curitĂ© et le partage des technologies soient dĂ©jĂ prĂȘts, l'incertitude rĂšgne, car ces accords devaient ĂȘtre liĂ©s Ă un arrangement plus large concernant l'Asie occidentale et impliquant IsraĂ«l et les Palestiniens. En d'autres termes, le Premier ministre Benjamin Netanyahu doit ĂȘtre ralliĂ© Ă la cause sur des sujets Ă©pineux tels qu'un cessez-le-feu permanent Ă Gaza et la crĂ©ation d'un Ătat palestinien. Et tout est perdu s'il lance son offensive sur Rafah.
Il n'est donc pas surprenant que les Saoudiens fassent dĂ©sormais âpression en faveur d'un plan B plus modeste, qui exclue les IsraĂ©liensâ, Ă©crit le Guardian. D'un point de vue gĂ©opolitique, un plan B Ă©dulcorĂ© pourrait encore ĂȘtre jugĂ© attrayant par les diplomates de Joe Biden, car il âscellerait un partenariat stratĂ©gique avec l'Arabie saoudite qui tiendrait Ă distance l'influence chinoise et russeâ. [Mais il est loin d'ĂȘtre Ă©vident que l'administration - et encore moins le CongrĂšs - accepte un tel rĂ©sultat.
Netanyahou est pratiquement certain qu'un accord de normalisation avec les Saoudiens est, à ce stade, un champ de mines impraticable en raison du coût politique qu'il impliquerait.
Une chanson satirique écrite en 1931 par le compositeur soviétique Vasily Lebedev-Kumach comporte un passage célÚbre dont la traduction est la suivante :
âLes papiers, c'est ce qu'il y a de plus important dans la vie / Conservez-les prĂ©cieusement tant que vous ĂȘtes en vie / Car sans les bons papiers, vous ne seriez qu'un pauvre insecteâ.
Feu MikhaĂŻl Gorbatchev a vĂ©cu dans le regret de ne pas avoir exigĂ© de âpapier en bonne et due formeâ sur l'expansion de l'OTAN. Le prince hĂ©ritier saoudien Mohammed bin Salman ferait bien de s'inspirer des regrets de Gorbatchev.
https://thecradle.co/articles/dialing-down-expectations-on-a-us-saudi-security-pact