đâđš Moldavie, une Ă©lection de plus manipulĂ©e par lâUE
Les Ă©lections en Moldavie ont suivi un scĂ©nario similaire Ă celui de la Roumanie oĂč le spectre de âl'ingĂ©rence russeâ a servi Ă justifier l'implication massive de l'UE et de l'OTAN dans ces Ă©lections.
đâđš Moldavie, une Ă©lection de plus manipulĂ©e par lâUE
Par Thomas Fazi, le 1er octobre 2025
Les Ă©lections lĂ©gislatives de dimanche en Moldavie ont Ă©tĂ© marquĂ©es par une victoire dĂ©cisive de la prĂ©sidente Maia Sandu et de son parti pro-UE, le Parti dâaction et de solidaritĂ© (PAS), qui a obtenu 50,2 % des voix, contre 24,2 % pour le Bloc Ă©lectoral patriotique (BEP), pro-russe.
Ce scrutin a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme lâun des plus importants de lâhistoire moderne du pays, un choix radical entre lâalignement sur lâOccident et la perspective dâun retour sous lâinfluence de Moscou, entre la dĂ©mocratie et la prospĂ©ritĂ© dâune part, et lâautocratie et la rĂ©pression dâautre part.
La prĂ©sidente elle-mĂȘme a qualifiĂ© ce scrutin de âplus dĂ©cisifâ depuis lâindĂ©pendance, affirmant quâil marquerait le destin de la Moldavie : soit le pays se consoliderait en tant que dĂ©mocratie stable, soit il retomberait sous lâinfluence russe. Elle a fait valoir que lâadhĂ©sion Ă lâUE protĂ©gera le pays âde la plus grande menace Ă laquelle nous sommes confrontĂ©s : la Russieâ.
Quelques jours avant le scrutin, Sandu est apparue Ă la tĂ©lĂ©vision nationale pour lancer son avertissement le plus virulent Ă ce jour : la souverainetĂ© de la Moldavie, a-t-elle dĂ©clarĂ©, est confrontĂ©e Ă un âdanger grave et immĂ©diatâ. Le mĂȘme jour, la police a arrĂȘtĂ© 74 personnes et menĂ© prĂšs de 250 perquisitions, affirmant que les suspects agissaient en coordination avec Moscou pour provoquer des troubles avant le scrutin. Sandu les a dĂ©noncĂ©s comme Ă©tant les âcomplices nationauxâ du Kremlin et a exhortĂ© les citoyens Ă rĂ©sister Ă la manipulation.
Le jour du scrutin, elle a adoptĂ© un ton encore plus dramatique : âNotre chĂšre patrie est en danger. Demain, il sera peut-ĂȘtre trop tardâ.
Les dirigeants de lâUE et une grande partie de la presse europĂ©enne ont amplifiĂ© ce discours, prĂ©sentant lâĂ©lection comme une bataille entre âle bien et le malâ. Dans ce contexte, la victoire de Sandu a Ă©tĂ© largement prĂ©sentĂ©e comme un triomphe de la dĂ©mocratie contre lâingĂ©rence extĂ©rieure. âLes pro-EuropĂ©ens ont gagnĂ© malgrĂ© toutes ces ingĂ©rencesâ, sâest fĂ©licitĂ© Siegfried MureÈan, le dĂ©putĂ© europĂ©en roumain qui prĂ©side la dĂ©lĂ©gation du Parlement europĂ©en en Moldavie.
Des élections ni libres, ni équitables
Ă y regarder de plus prĂšs, les Ă©lections moldaves sont loin dâĂȘtre une victoire pour la dĂ©mocratie. Pendant des mois, le gouvernement a mis en garde contre un complot russe prĂ©tendument destinĂ© Ă manipuler les rĂ©sultats par le biais dâune campagne de dĂ©sinformation, une affirmation largement relayĂ©e par les politiciens et les mĂ©dias europĂ©ens. Ce discours a ensuite servi Ă justifier une rĂ©pression massive des voix de lâopposition.
Quelques jours avant le scrutin, la Commission Ă©lectorale centrale (CEC) a interdit Ă deux partis pro-russes, CĆur de Moldavie et Grande Moldavie, de se prĂ©senter, en invoquant des allĂ©gations de financement illicite, de corruption dâĂ©lecteurs et de fonds Ă©trangers non dĂ©clarĂ©s. Ces deux partis avaient fait campagne en faveur dâun renforcement des liens avec Moscou et contestaient directement le gouvernement pro-occidental. La CEC a Ă©galement exclu tous les candidats du Bloc Ă©lectoral patriotique, principal rival du PAS, du parti Action et solidaritĂ© (PAS), lui laissant seulement 24 heures pour reconfigurer ses listes de candidats.
Irina Vlah, prĂ©sidente de Heart of Moldova et ancienne gouverneure de la Gagauzie, une rĂ©gion autonome oĂč Sandu est peu populaire, a dĂ©noncĂ© ce quâelle considĂšre comme une âguerre juridiqueâ visant Ă bĂąillonner les opposants politiques. Ces interdictions font suite Ă une sĂ©rie de lois adoptĂ©es Ă la hĂąte par le Parlement cet Ă©tĂ©, permettant au gouvernement de bloquer les âpartis successeursâ de groupes prĂ©cĂ©demment interdits, et dâinterdire Ă leurs membres dâexercer des fonctions publiques pendant cinq ans.
La surveillance des Ă©lections a Ă©galement Ă©tĂ© entravĂ©e. La Commission Ă©lectorale centrale (CEC) a refusĂ© lâaccrĂ©ditation Ă tous les observateurs russes qui devaient participer Ă la mission dâobservation de lâOSCE pour les Ă©lections lĂ©gislatives. Le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres a justifiĂ© cette dĂ©cision en affirmant quâelle est conforme Ă la lĂ©gislation moldave, mais les partis dâopposition lâont accusĂ© dâavoir dĂ©libĂ©rĂ©ment orchestrĂ© un âblack-out des observateursâ.
Dâautres restrictions ont Ă©galement Ă©tĂ© mises en place pour limiter lâaccĂšs au scrutin. En 2021, plus de 40 bureaux de vote ont Ă©tĂ© ouverts pour les habitants de la Transnistrie, une rĂ©gion sĂ©paratiste situĂ©e Ă lâest du Dniestr et dont la population est composĂ©e dâenviron 300 000 Moldaves. Cette annĂ©e, le nombre de bureaux a Ă©tĂ© rĂ©duit Ă seulement 12, tous situĂ©s sur des terres contrĂŽlĂ©es par le gouvernement, souvent loin de la ligne de dĂ©marcation. Quelques jours avant le scrutin, la Commission Ă©lectorale centrale (CEC) a mĂȘme dĂ©placĂ© quatre de ces sites plus Ă lâintĂ©rieur des terres, invoquant des menaces pour la sĂ©curitĂ©. Le principal pont reliant la Transnistrie Ă la Moldavie a Ă©galement Ă©tĂ© temporairement fermĂ© en raison de prĂ©tendues alertes Ă la bombe. Les autoritĂ©s transnistriennes ont accusĂ© ChiÈinÄu de rĂ©duire dĂ©libĂ©rĂ©ment la participation Ă©lectorale dans une rĂ©gion qui penche fortement en faveur des partis dâopposition.
Le vote de la diaspora a montrĂ© des disparitĂ©s similaires. Seuls deux bureaux de vote ont Ă©tĂ© ouverts en Russie, oĂč vivent pourtant plus de 300 000 citoyens moldaves. En revanche, plus de 300 bureaux de vote ont Ă©tĂ© ouverts ailleurs dans le monde, dont 73 en Italie, qui accueille une diaspora plus rĂ©duite. Les dĂ©tracteurs affirment que ce dĂ©sĂ©quilibre a Ă©tĂ© conçu pour favoriser la diaspora basĂ©e dans lâUE, qui soutient massivement le PAS, et marginaliser les Moldaves basĂ©s en Russie, qui penchent davantage vers les forces dâopposition.
Ce scĂ©nario rappelle lâĂ©lection prĂ©sidentielle de lâannĂ©e derniĂšre et le rĂ©fĂ©rendum sur lâUE qui sâest tenu simultanĂ©ment, tous deux remportĂ©s de justesse par la prĂ©sidente Maia Sandu, assurant ainsi sa réélection. Dans les deux cas, le facteur dĂ©cisif a Ă©tĂ© le vote des centaines de milliers de Moldaves vivant Ă lâĂ©tranger, notamment dans les pays de lâUE. En revanche, seuls quelques bureaux de vote ont Ă©tĂ© ouverts en Russie.
Le rĂ©gime de Sandu, de plus en plus autoritaire, â avec le soutien de lâUE.
Cette Ă©lection sâinscrit dans une tendance plus large de rĂ©pression systĂ©matique de lâopposition mise en Ćuvre par le gouvernement Sandu ces derniĂšres annĂ©es. En 2022, Igor Dodon, prĂ©sident de la Moldavie de 2016 Ă 2020 et lâun des dĂ©tracteurs les plus virulents de Sandu, a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© pour corruption, financement illĂ©gal dâun parti politique par une organisation criminelle, enrichissement illicite, voire haute trahison. Dodon affirme que ces accusations ont Ă©tĂ© fabriquĂ©es de toutes piĂšces.
En juin 2023, le parti ÈOR, dirigĂ© par lâhomme dâaffaires Ilan Shor, aujourdâhui en exil en Russie, a Ă©tĂ© dissous par la Cour constitutionnelle pour corruption et âmenace Ă la souverainetĂ© de la Moldavieâ. La prĂ©sidente Sandu a saluĂ© cette interdiction comme une victoire contre âun parti créé par la corruption et pour la corruptionâ, mais les dirigeants de lâopposition lâont dĂ©noncĂ©e comme la mort du pluralisme. Deux mois plus tard, en aoĂ»t, une formation clone, le parti Chance, a Ă©galement Ă©tĂ© interdit.
La rĂ©pression sâest Ă©galement Ă©tendue aux Ă©lus. Au dĂ©but de lâannĂ©e, Evgenia GuÈu, gouverneure de la rĂ©gion autonome de Gagaouzie et successeure dâIrina Vlah, a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă sept ans de prison pour avoir prĂ©tendument acheminĂ© des fonds russes vers le parti ÈOR. Elle a qualifiĂ© cette affaire de politiquement motivĂ©e et emblĂ©matique des abus du systĂšme judiciaire par le gouvernement. Dâautres personnalitĂ©s de lâopposition, dont certaines ont fui Ă Moscou en invoquant des persĂ©cutions, sont Ă©galement poursuivies. Ă ces prĂ©occupations sâajoute le recours croissant du gouvernement Ă des sanctions contre ses propres citoyens soupçonnĂ©s dâavoir des liens avec des figures de lâopposition, dont certaines sont en exil â une mesure critiquĂ©e mĂȘme par la Commission de Venise du Conseil de lâEurope.
Si on ne peut porter de jugement sur la culpabilitĂ© ou lâinnocence des personnes accusĂ©es, le fait que les procureurs ne semblent dĂ©couvrir la corruption que du cĂŽtĂ© de lâopposition soulĂšve de sĂ©rieux soupçons de guerre juridique. Comme lâa observĂ© le journaliste moldave Vitalie SprĂźnceanÄ :
âLa police ne poursuit et ne persĂ©cute que les opposants au PAS, et le parquet anticorruption ne dĂ©tecte la corruption que chez les opposants au PAS (alors que des preuves Ă©videntes de conflits dâintĂ©rĂȘts et de blanchiment dâargent existent dans des projets mis en Ćuvre par le parti au pouvoir, comme la route Leova-BumbÄta)â.
Lâinterdiction des figures de lâopposition nâest pas le seul stratagĂšme utilisĂ© par le gouvernement Sandu pour bafouer la dĂ©mocratie. Depuis 2022, le PAS gouverne en Ă©tat dâurgence permanent, justifiĂ© par la guerre en Ukraine. Ces pouvoirs ont Ă©tĂ© exercĂ©s de maniĂšre extensive : six chaĂźnes de tĂ©lĂ©vision ont Ă©tĂ© interdites dâĂ©mettre pour avoir prĂ©tendument diffusĂ© de la propagande russe, sans souvent respecter les procĂ©dures lĂ©gales minimales ni garantir le droit Ă un procĂšs Ă©quitable, et parfois pour des motifs douteux. Les journalistes russes se sont vu refuser lâentrĂ©e sur le territoire, tandis que le Parlement a adoptĂ© Ă la hĂąte plusieurs lois renforçant le contrĂŽle des partis politiques et des candidats.
Les observateurs internationaux ont tirĂ© la sonnette dâalarme Ă plusieurs reprises. Reporters sans frontiĂšres, Justice for Journalists et la Commission de Venise ont notamment mis en garde contre les restrictions croissantes de la libertĂ© des mĂ©dias, lâapplication sĂ©lective de la loi et les attaques contre les journalistes.
En mai 2024, les lĂ©gislateurs du PAS ont modifiĂ© le code pĂ©nal en Ă©largissant la dĂ©finition de la « haute trahison » pour y inclure les actions commises en temps de paix ainsi que les « campagnes de dĂ©sinformation », et ce, mĂȘme en lâabsence de preuve de prĂ©judice. SignĂ©e par Sandu le 10 juin, cette mesure prĂ©voit des peines pouvant aller jusquâĂ 20 ans de prison. Amnesty International a condamnĂ© cette loi, la qualifiant de « vague et propice aux abus », et a averti quâelle constitue une grave menace pour la libertĂ© dâexpression. La mĂȘme annĂ©e, les services du renseignement et de la sĂ©curitĂ© moldaves (SIS) ont bloquĂ© sept mĂ©dias en ligne pour leur contenu liĂ© Ă la Russie, sans contrĂŽle judiciaire, suscitant de nouvelles inquiĂ©tudes quant Ă la censure.
Plus inquiĂ©tant encore, le gouvernement du PAS nâa pas hĂ©sitĂ© Ă annuler des Ă©lections lorsque les rĂ©sultats lui Ă©taient dĂ©favorables. En dĂ©cembre 2021, lors des Ă©lections locales Ă BÄlÈi, un candidat de premier plan a Ă©tĂ© exclu trois jours avant le scrutin, et lâensemble des Ă©lections a Ă©tĂ© annulĂ© une demi-heure avant lâouverture des bureaux de vote.
Cette dĂ©rive autoritaire intervient avec lâapprobation tacite, voire le soutien actif, de lâUnion europĂ©enne, qui considĂšre lâalignement de la Moldavie sur lâOccident comme un contrepoids stratĂ©gique Ă lâinfluence russe dans la rĂ©gion. Loin de freiner les abus du gouvernement Sandu, la dĂ©lĂ©gation de lâUE Ă ChiÈinÄu et les institutions europĂ©ennes en gĂ©nĂ©ral les ont encouragĂ©s en intensifiant leur soutien politique et financier. Elles ont parfois formulĂ© des protestations symboliques, mais ont en fin de compte encouragĂ© le recul dĂ©mocratique gĂ©nĂ©ralisĂ©.
Bruxelles a systĂ©matiquement imposĂ© des sanctions aux opposants politiques du PAS, alors que chacun sait que des membres du parti au pouvoir sont eux-mĂȘmes impliquĂ©s dans des affaires de dĂ©tournement de fonds europĂ©ens. LâUE a simultanĂ©ment fait preuve dâune gĂ©nĂ©rositĂ© exceptionnelle envers le gouvernement Sandu. Depuis 2021, elle a notamment pris en charge une partie des factures dâĂ©lectricitĂ© et de gaz des citoyens moldaves afin dâattĂ©nuer lâimpact de la flambĂ©e des prix de lâĂ©nergie, tout en accordant plus de 1,2 milliard dâeuros de subventions non remboursables. En 2025 seulement, la Moldavie a reçu 270 millions dâeuros de prĂ©financement, suivis de 18,9 millions dâeuros supplĂ©mentaires en septembre. Bruxelles sâest engagĂ©e Ă verser jusquâĂ 1,9 milliard dâeuros de subventions et de prĂȘts dans le cadre de sa nouvelle enveloppe pour la pĂ©riode 2025-2027 â une somme colossale pour une Ă©conomie aussi modeste dont le PIB dĂ©passe Ă peine les 15 milliards dâeuros.
Aucune de ces aides financiĂšres nâĂ©tait toutefois liĂ©e aux performances dĂ©mocratiques ou subordonnĂ©e au respect de lâĂtat de droit. VersĂ©es sans condition, ces aides ont incitĂ© le parti au pouvoir Ă concentrer davantage le pouvoir plutĂŽt quâĂ encourager le PAS Ă gouverner de maniĂšre responsable. En 2025, ce soutien matĂ©riel sâest transformĂ© en un soutien politique explicite, la prĂ©sidente de la Commission europĂ©enne, Ursula von der Leyen, vantant la âlutte pour la dĂ©mocratieâ de Sandu lors dâune confĂ©rence de presse conjointe, alors que les preuves dâune Ă©rosion dĂ©mocratique sous son rĂšgne ne cessaient de sâaccumuler.
Comme lâa fait remarquer SprĂźnceanÄ,
âle processus dâintĂ©gration europĂ©enne a paradoxalement contribuĂ© Ă lâĂ©tablissement dâun rĂ©gime plus autoritaire sur les plans Ă©conomique, politique et culturel, ce qui pourrait servir les intĂ©rĂȘts de lâUE Ă court terme (en offrant aux dirigeants europĂ©ens une rĂ©ussite Ă prĂ©senter Ă leurs Ă©lecteurs), mais qui sera trĂšs probablement prĂ©judiciable Ă long termeâ.
Une telle dynamique rĂ©vĂšle lâhypocrisie flagrante du discours âdĂ©mocratie contre autocratieâ invoquĂ© pour encadrer les Ă©lections en Moldavie.
Ingérence russe, ou occidentale ?
Un peu comme en Roumanie, la justification fourre-tout de ces mesures est « lâingĂ©rence russe » et « les prĂ©occupations en matiĂšre de sĂ©curitĂ© ». Ce discours gĂ©nĂ©ral a servi Ă lĂ©gitimer des actions de plus en plus extrĂȘmes, notamment lors des rĂ©centes Ă©lections.
Pourtant, les preuves Ă©tayant ces allĂ©gations sont souvent minces. Les rapports gouvernementaux, ainsi que ceux produits par des ONG et des mĂ©dias financĂ©s par lâOccident, dĂ©signent gĂ©nĂ©ralement TikTok et dâautres campagnes sur les rĂ©seaux sociaux critiquant Sandu ou se moquant dâelle par le biais de vidĂ©os deepfake grossiĂšres. Cependant, dans ces rĂ©cits, la frontiĂšre entre la « dĂ©sinformation » vĂ©ritable â les mensonges dĂ©libĂ©rĂ©s â et la simple critique de Sandu ou de lâUE est toujours floue. Cela renvoie Ă un problĂšme plus large liĂ© Ă la croisade occidentale contre la « dĂ©sinformation » : les campagnes politiques ont toujours reposĂ© sur des stratĂ©gies de relations publiques, des excĂšs et des attaques contre les adversaires. Les politiciens traditionnels eux-mĂȘmes manipulent rĂ©guliĂšrement la vĂ©ritĂ©, notamment lorsquâils Ă©voquent « lâingĂ©rence russe », comme lâa dĂ©montrĂ© lâaffaire du Russiagate aux Ătats-Unis.
Sandu et ses alliĂ©s ne font pas exception. Pendant la campagne, des personnalitĂ©s du PAS ont averti que, si lâopposition est Ă©lue, les Moldaves de lâĂ©tranger âne pourront plus rentrer chez euxâ et ont affirmĂ© que le pays allait suivre la mĂȘme voie que la GĂ©orgie, qui, selon eux, aurait sacrifiĂ© sa prospĂ©ritĂ© en devenant une âcolonie de la Russieâ, alors que le taux de croissance de la GĂ©orgie est bien supĂ©rieur Ă celui de la Moldavie et que la GĂ©orgie et la Russie nâentretiennent aucune relation diplomatique officielle.
Il est donc clair que le discours âanti-dĂ©sinformationâ, lorsquâil est appliquĂ© de maniĂšre sĂ©lective aux voix anti-establishment, ne cherche pas Ă dĂ©fendre la vĂ©ritĂ©, mais constitue un outil de censure, lâĂ©quivalent informationnel de la âguerre juridiqueâ. Plus important encore, aucune enquĂȘte nâa rĂ©vĂ©lĂ© lâimplication directe du Kremlin dans les campagnes prĂ©sumĂ©es, pour autant que je sache. Les seuls liens avĂ©rĂ©s pointent plutĂŽt vers Ilan Shor, oligarque en exil et prĂ©sident du parti interdit ÈOR, qui a fui la Moldavie aprĂšs avoir Ă©tĂ© poursuivi pour fraude, blanchiment dâargent et dĂ©tournement de fonds, avant de sâinstaller finalement en Russie.
Pour ĂȘtre clair, il est tout Ă fait possible, voire probable, quâIlan Shor reçoive des financements du Kremlin ou que Moscou ait jouĂ© un rĂŽle dans certaines des campagnes sur les rĂ©seaux sociaux mentionnĂ©es prĂ©cĂ©demment. La Russie a clairement un intĂ©rĂȘt dans cette affaire : la Moldavie est une ancienne rĂ©publique soviĂ©tique qui compte une importante diaspora en Russie, et lâUnion europĂ©enne exige quâelle rompe ses liens avec son principal partenaire historique. Mais quelle que soit lâimplication de Moscou, celle-ci est insignifiante par rapport Ă lâampleur de lâingĂ©rence occidentale en Moldavie. Outre le soutien financier massif de lâUE, Sandu a bĂ©nĂ©ficiĂ© du soutien politique sans Ă©quivoque des principaux dirigeants europĂ©ens.
La prĂ©sidente de la Commission europĂ©enne, Ursula von der Leyen, a saluĂ© Ă plusieurs reprises le âcombat pour la dĂ©mocratieâ menĂ© par Sandu. Dâautres dirigeants de lâUE sont allĂ©s encore plus loin, se rendant Ă ChiÈinÄu pour faire campagne en faveur du PAS et prĂ©senter lâĂ©lection comme une bataille aux enjeux gĂ©opolitiques considĂ©rables.
âLa Russie nâa cessĂ© de tenter de saper la libertĂ©, la prospĂ©ritĂ© et la paix en RĂ©publique de Moldavieâ,
a dĂ©clarĂ© le chancelier allemand Friedrich Merz lors dâune visite juste avant le dĂ©but de la campagne, avertissant que Vladimir Poutine chercher Ă ramener le pays dans la âsphĂšre dâinfluenceâ de Moscou. Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a Ă©tĂ© tout aussi direct :
âIl nây aura pas dâEurope sĂ»re sans une Moldavie indĂ©pendante et sĂ©curisĂ©eâ.
Bruxelles a par ailleurs ouvertement applaudi le dĂ©ploiement dâune Ă©quipe dâintervention rapide hybride pour aider la Moldavie Ă lutter contre « lâingĂ©rence Ă©trangĂšre ». En pratique, cela signifie que lâUE sâimmisce ouvertement dans le processus politique, sans semble-t-il prendre conscience de lâironie (et de lâhypocrisie) de cette ingĂ©rence Ă©trangĂšre censĂ©e lutter contre lâingĂ©rence Ă©trangĂšre.
Mais ce nâest pas tout. Pavel Durov, le fondateur de Telegram, arrĂȘtĂ© Ă Paris en aoĂ»t 2024 et libĂ©rĂ© en mars 2025 lorsquâil sâest rendu Ă DubaĂŻ, a explicitement Ă©crit que le gouvernement dâEmmanuel Macron a exercĂ© des pressions sur lui pour quâil supprime les chaĂźnes quâil considĂ©rait comme des sources potentielles de « dĂ©sinformation ». Autrement dit, des chaĂźnes susceptibles de nuire aux chances de la prĂ©sidente pro-europĂ©enne Maia Sandu de rester au pouvoir avec son parti, avec lequel elle a Ă©tĂ© réélue de justesse en octobre dernier.
Câest prĂ©cisĂ©ment pendant cette pĂ©riode que Paris aurait exercĂ© des pressions sur lâentrepreneur, placĂ© en garde Ă vue Ă Paris pour nĂ©gligence prĂ©sumĂ©e dans la prĂ©vention dâactivitĂ©s criminelles sur Telegram. Durov Ă©crit que, pendant sa dĂ©tention,
âles services du renseignement français mâont contactĂ© par lâintermĂ©diaire dâun tiers pour me demander dâaider le gouvernement moldave Ă censurer certaines chaĂźnes Telegram avant les Ă©lections prĂ©sidentielles en Moldavieâ.
Selon le fondateur de VK et de Telegram, le responsable des services du renseignement français lui aurait mĂȘme promis dâintervenir en sa faveur devant les tribunaux, en Ă©change de sa coopĂ©ration.
Durov a ordonnĂ© une enquĂȘte interne chez Telegram, qui a permis dâidentifier une poignĂ©e de chaĂźnes problĂ©matiques, rapidement supprimĂ©es. Cependant, il a refusĂ© dâagir sur une deuxiĂšme liste comprenant des chaĂźnes qui, selon Durov,
âsont lĂ©gitimes et pleinement conformes Ă nos rĂšgles. Leur seul point commun a Ă©tĂ© dâexprimer des positions politiques dĂ©favorables aux gouvernements français et moldaveâ.
Rappelons que Macron est un fervent partisan de la prĂ©sidente Sandu, considĂ©rĂ©e comme lâincarnation de lâeuropĂ©isme Ă ChiÈinÄu. âNous ferons tout sur le terrain pour que le prochain prĂ©sident roumain soit pro-europĂ©enâ, a dĂ©clarĂ© ValĂ©rie Hayer, la plus proche alliĂ©e de Macron et membre clĂ© de son parti, sur France Info le 10 mai 2025.
Pourquoi la Moldavie suscite-t-elle autant dâintĂ©rĂȘt ? Est-ce un nouveau front dans le bras de fer entre lâUE/OTAN et la Russie ?
Mais pourquoi lâUE sâinvestit-elle autant dans un petit pays comme la Moldavie ? Depuis quâelle a obtenu son indĂ©pendance de lâUnion soviĂ©tique en 1991, la Moldavie a soigneusement prĂ©servĂ© sa neutralitĂ© constitutionnelle, cherchant Ă renforcer ses liens avec lâOccident tout en maintenant ses relations historiques avec la Russie, Ă lâinstar de lâUkraine avant le coup dâĂtat soutenu par lâOccident en 2014. Pour lâOTAN, la Moldavie revĂȘt toutefois une importance stratĂ©gique indĂ©niable : câest un Ătat tampon coincĂ© entre la Roumanie, membre de lâOTAN, et lâUkraine, son mandataire de facto.
Il nâest un secret pour personne que les Ătats-Unis et lâUE ont utilisĂ© leur vaste arsenal de soft power â des ONG et des groupes de la sociĂ©tĂ© civile aux agences telles que lâUSAID et aux rĂ©seaux financĂ©s par les Open Society Foundations â pour orienter le processus politique et Ă©lectoral moldave en faveur dâune adhĂ©sion Ă lâUE et Ă lâOTAN. Depuis le dĂ©but de la guerre en Ukraine, cette stratĂ©gie sâest accompagnĂ©e dâune militarisation de la Moldavie. Pour un pays de seulement 2,5 millions dâhabitants, bordĂ© uniquement par la Roumanie et lâUkraine, deux pays dotĂ©s dâune capacitĂ© militaire bien supĂ©rieure, cette militarisation ne poursuit aucun objectif dĂ©fensif en soi. Elle compromet plutĂŽt la neutralitĂ© de la Moldavie et lâintĂšgre au rĂ©seau logistique de lâOTAN.
Lâancien prĂ©sident Igor Dodon a mĂȘme affirmĂ© quâune partie des armes fournies par lâOTAN Ă lâUkraine en provenance de Roumanie transite par le territoire moldave. Depuis 2022, la Moldavie accueille des dizaines dâexercices militaires conjoints avec les forces de lâOTAN. Cette tendance est admise ouvertement. En mars 2024, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral adjoint de lâOTAN, Mircea GeoanÄ, a rencontrĂ© le ministre moldave des Affaires Ă©trangĂšres, Mihai PopÈoi, au siĂšge de lâOTAN pour discuter du ârenforcement des forces armĂ©es moldavesâ. Cette situation rappelle fortement la conjoncture qui a prĂ©cĂ©dĂ© la guerre en Ukraine.
La Roumanie joue un rĂŽle clĂ© Ă cet Ă©gard. La Moldavie et la Roumanie partagent en effet une langue, une culture et une grande partie de leur histoire. Le territoire de la Moldavie actuelle, la Bessarabie historique, faisait partie de la Roumanie entre 1918 et 1940, avant dâĂȘtre annexĂ© par lâUnion soviĂ©tique. Depuis lâindĂ©pendance de la Moldavie en 1991, lâidĂ©e dâune rĂ©unification avec la Roumanie refait rĂ©guliĂšrement surface sur le plan politique. Ses partisans y voient un âretourâ Ă lâunitĂ© historique et un moyen rapide dâadhĂ©rer Ă lâUE et Ă lâOTAN. Les opposants soulignent toutefois lâidentitĂ© distincte de la Moldavie, son caractĂšre multiethnique, ainsi que les risques dâaggraver les divisions internes ou de provoquer un conflit avec la Russie. Lâopinion publique est gĂ©nĂ©ralement divisĂ©e : une minoritĂ© est systĂ©matiquement favorable Ă la rĂ©unification, tandis quâune grande partie de la population prĂ©fĂšre lâindĂ©pendance, avec des liens Ă©troits avec la Roumanie.
Ces derniĂšres annĂ©es, la Roumanie a nĂ©anmoins Ă©tendu son influence en Moldavie grĂące Ă une combinaison dâalignement politique, dâinfiltration du territoire et dâintĂ©gration culturelle et linguistique. Au plus haut niveau de lâĂtat, de nombreux dirigeants moldaves clĂ©s, dont la prĂ©sidente Maia Sandu, le prĂ©sident du Parlement, le Premier ministre et le ministre des Affaires Ă©trangĂšres, sont de nationalitĂ© roumaine, ce qui les lie effectivement Ă Bucarest. Ce double rattachement va au-delĂ dâune simple double identitĂ© symbolique et soulĂšve des questions quant Ă la loyautĂ©, dâautant que la Roumanie est Ă la fois membre de lâUE et de lâOTAN.
Cette influence sâĂ©tend Ă©galement Ă lâappareil sĂ©curitaire. Le directeur des services du renseignement et de sĂ©curitĂ© moldaves est non seulement de nationalitĂ© roumaine, mais il a Ă©galement travaillĂ© pour la Fondation Soros, preuve dâun alignement clair avec les ONG soutenues par lâOccident et les prioritĂ©s transatlantiques dans lâespace post-soviĂ©tique. En tant que ressortissant roumain, sa fidĂ©litĂ© Ă la Roumanie souligne encore davantage lâimbrication de la politique de sĂ©curitĂ© moldave avec les intĂ©rĂȘts de lâOTAN.
Les Ă©volutions culturelles et constitutionnelles renforcent cette tendance. La Constitution moldave de 1994 a dĂ©signĂ© le âmoldaveâ comme langue officielle, mais en 2013, la Cour constitutionnelle du pays, composĂ©e en grande partie de citoyens ayant la double nationalitĂ© roumaine, a statuĂ© que la DĂ©claration dâindĂ©pendance de 1991, qui fait du roumain la langue officielle, prĂ©valait en cas de conflit avec la Constitution. En 2023, le Parlement a confirmĂ© cette dĂ©cision en adoptant une loi dĂ©clarant le roumain langue officielle de lâĂtat. Cette mesure a ancrĂ© de maniĂšre symbolique et lĂ©gale la primautĂ© culturelle de la Roumanie en Moldavie, affaiblissant encore davantage la notion dâidentitĂ© moldave spĂ©cifique.
Dans lâensemble, ces dĂ©veloppements illustrent le renforcement de lâinfluence de la Roumanie sous la prĂ©sidence de Maia Sandu, qui sâest traduit par lâintĂ©gration de citoyens roumains dans les structures politiques et sĂ©curitaires moldaves, la redĂ©finition de la langue et de lâidentitĂ© culturelle de lâĂtat Ă lâimage de la Roumanie, ainsi que lâalignement de la Moldavie sur lâagenda gĂ©opolitique de lâUE et de lâOTAN.
Dans ce nouveau âjeu dâinfluenceâ, la Transnistrie, un territoire sĂ©paratiste de Moldavie comptant environ 450 000 habitants, joue un rĂŽle central. Sa population est multiethnique : environ un tiers des habitants possĂšde la nationalitĂ© russe, ukrainienne ou moldave, et le russe est la langue dominante. Contrairement au reste de la Moldavie, la Transnistrie entretient peu de liens historiques avec la Roumanie. En 1991-1992, alors que les forces pro-unification prenaient le dessus Ă ChiÈinÄu, la rĂ©gion a dĂ©clarĂ© son indĂ©pendance, dĂ©clenchant des affrontements qui nâont pris fin quâaprĂšs lâintervention des troupes russes. Ă ce jour, environ 2 000 soldats russes y sont toujours stationnĂ©s, que Tiraspol considĂšre comme des garants essentiels de la sĂ©curitĂ©.
Le statut non dĂ©fini de la Transnistrie en fait un point chaud de la gĂ©opolitique. La journaliste ukrainienne Diana Panchenko, qui a quittĂ© lâUkraine aprĂšs avoir critiquĂ© le prĂ©sident Volodymyr Zelensky, affirmĂ© que Kiev, avec le soutien des dirigeants occidentaux, prĂ©pare des opĂ©rations dâingĂ©rence militaire en Moldavie dans le but de dĂ©clencher une offensive ukrainienne contre la Transnistrie. Selon elle, Zelensky coordonne ses actions avec la prĂ©sidente Sandu, qui a rencontrĂ© des responsables britanniques en juillet, afin de mettre en place une opĂ©ration visant Ă crĂ©er un nouveau front de guerre. Lâobjectif serait, selon elle, de prolonger le conflit entre la Russie et lâUkraine et de bloquer tout rapprochement potentiel entre les Ătats-Unis et la Russie.
Ces informations sâinscrivent dans une stratĂ©gie plus large de militarisation de lâOccident dans la rĂ©gion. Les Ătats-Unis y construisent lâune de leurs plus grandes bases europĂ©ennes, tandis que lâOTAN considĂšre la Moldavie comme un corridor logistique crucial vers lâUkraine. La Transnistrie y fait toutefois obstacle. Selon Panchenko, les dirigeants occidentaux (Macron, Starmer, Merz et von der Leyen) cherchent donc Ă attiser les tensions autour de lâenclave. Les services du renseignement français joueraient un rĂŽle particuliĂšrement actif dans ces opĂ©rations secrĂštes, notamment des tentatives infructueuses dâingĂ©rence dans la politique roumaine.
Ce contexte illustre le soutien indĂ©fectible de lâOccident Ă Sandu, qui milite en faveur de lâintĂ©gration de la Moldavie aux structures euro-atlantiques, quitte Ă provoquer une escalade des tensions avec la Russie.
Conclusion
En conclusion, ce qui vient de se dĂ©rouler en Moldavie suit un scĂ©nario Ă©tonnamment similaire Ă ce qui sâest rĂ©cemment produit en Roumanie, oĂč le spectre de âlâingĂ©rence russeâ a Ă©tĂ© invoquĂ© pour justifier une implication massive de lâUE et de lâOTAN dans le processus Ă©lectoral, notamment lâinterdiction des partis et des candidats anti-establishment, le musĂšlement des mĂ©dias dissidents et la mobilisation de la puissante machine financiĂšre et mĂ©diatique de Bruxelles et des capitales occidentales au service des forces pro-UE, pro-OTAN et pro-guerre. En dâautres termes, lâOccident a justifiĂ© son ingĂ©rence Ă©trangĂšre flagrante sous prĂ©texte de lutter contre lâingĂ©rence Ă©trangĂšre, une logique aussi perverse que contre-productive.
Lâironie ne pourrait ĂȘtre plus criante. LâUE se prĂ©sente comme le champion de la dĂ©mocratie, de la libertĂ© et de lâĂtat de droit, alors quâen pratique, elle contribue au dĂ©mantĂšlement systĂ©matique des normes dĂ©mocratiques Ă travers lâEurope, en particulier dans les Ătats post-soviĂ©tiques de premiĂšre ligne. Les partis dâopposition sont interdits, les voix indĂ©pendantes rĂ©duites au silence et les institutions juridiques transformĂ©es en outils de guerre politique, le tout au nom de la âsĂ©curitĂ©â. Les mĂȘmes violations de la souverainetĂ© et du pluralisme politique que les dirigeants occidentaux condamnent haut et fort lorsquâelles sont attribuĂ©es Ă Moscou sont discrĂštement validĂ©es lorsquâelles servent les objectifs gĂ©opolitiques de lâOccident.
La Russie est-elle elle-mĂȘme coupable dâingĂ©rence en Moldavie ? Probablement, mĂȘme si lâampleur de son influence est minime comparĂ©e Ă celle de Bruxelles, de Washington ou du siĂšge de lâOTAN. Mais plus important encore, câest lâOccident qui porte la lourde responsabilitĂ© dâavoir contraint des pays comme la Moldavie, la Roumanie et, auparavant, lâUkraine Ă faire un choix radical et binaire : lâEst ou lâOuest, la Russie ou lâEurope. Ces sociĂ©tĂ©s multiethniques et historiquement divisĂ©es sont en train dâĂȘtre transformĂ©es en champs de bataille non pas pour leurs propres intĂ©rĂȘts nationaux, mais pour une lutte gĂ©opolitique plus large.
Les consĂ©quences sont dĂ©jĂ perceptibles. En Ukraine, cette dynamique a abouti Ă une catastrophe : aprĂšs lâĂ©rosion de sa neutralitĂ©, lâintĂ©gration de facto Ă lâOTAN et un fossĂ© grandissant entre lâest et lâouest du pays, le pays est finalement embourbĂ© dans une guerre. La Moldavie risque aujourdâhui de suivre la mĂȘme trajectoire, lâOccident redoublant dâefforts pour instrumentaliser la âdĂ©mocratie contrĂŽlĂ©eâ Ă des fins de politique dâinfluence.
En bref, les dirigeants europĂ©ens adoptent exactement le comportement quâils prĂ©tendent combattre : ils sacrifient les institutions dĂ©mocratiques et la volontĂ© populaire sur lâautel des impĂ©ratifs gĂ©opolitiques. Au lieu de dĂ©fendre la dĂ©mocratie contre lâautoritarisme, ils la vident de sa substance en interne â et entraĂźnent ainsi des nations entiĂšres dans des conflits dont Bruxelles et Washington sont les principaux bĂ©nĂ©ficiaires.
Traduit par Spirit of Free Speech



