đâđš Monsieur le Haut-Commissaire : contribuez Ă libĂ©rer Assange
Nâest-il pas temps que ce bureau fasse entendre, au-delĂ des compromis & des intĂ©rĂȘts qui Ă©touffent la vie, une voix libre appelant, sans pudeur, Ă la libertĂ© de M. Assange pour le salut de la nĂŽtre ?
đâđš Monsieur le Haut-Commissaire : contribuez Ă libĂ©rer Assange
Par Christophe Peschoux, le 9 février 2024
Monsieur le Haut Commissaire,
Les 20-21 février prochains, une Haute Cour à Londres décidera du sort de Julian Assange : la liberté ou la mort. Deux juges trancheront si le fondateur de Wikileaks pourra encore interjeter un ultime appel, ou terminera ses jours dans une geÎle américaine.
M. Assange nâa commis aucun crime. Son seul forfait est dâavoir dĂ©voilĂ© quelques-uns des crimes des puissants de ce temps. LĂšse majestĂ©.
Les guerres amĂ©ricaines en Irak, en Afghanistan et ailleurs, ont dĂ©truit des millions de vies et ruinĂ© ces pays pour plusieurs gĂ©nĂ©rations. Personne nâa Ă©tĂ© poursuivi. Au contraire ces crimes sont ouvertement couverts en toute impunitĂ© aux Etats-Unis, alors que M. Assange est puni pour avoir publiĂ© des preuves de certains dâentre eux. Justice politique.
Il est inculpĂ© en vertu dâune loi sur la trahison datant de 1917. Peut-on trahir les lois dâun pays qui nâest pas le nĂŽtre ? La loi amĂ©ricaine serait-elle universelle ? Lâaccepter ouvrirait dangereusement la porte Ă lâarbitraire que donne le pouvoir sans contrĂŽle : demain, un autre Etat puissant pourrait sâarroger le droit, en vertu de la loi du plus fort, de poursuivre un journaliste, un chercheur ou un militant des droits Ă©trangers, accusĂ©s dâavoir enfreint sa loi.
Priver quelquâun de sa libertĂ© est en droit international une dĂ©cision exceptionnelle, qui doit ĂȘtre dĂ»ment motivĂ©e pour garantir une justice Ă©quitable. Or M. Assange est emprisonnĂ© sans procĂšs depuis prĂšs de cinq ans comme un dangereux criminel dans une prison de haute sĂ©curitĂ© prĂšs de Londres. Alors quâil pourrait ĂȘtre libĂ©rĂ© sous caution et placĂ© sous contrĂŽle judiciaire, en attendant lâissue dâune procĂ©dure qui de tout Ă©vidence traĂźne les pieds et prend ses aises avec le temps â le temps bref de la vie dâun homme.
Pourquoi le maintenir en prison ? Pour lâempĂȘcher dâĂ©chapper Ă une justice dâĂ©vidence politique. Les juges anglais qui ont prĂȘtĂ© leur nom Ă cette parodie de justice et lâont jetĂ© en prison, comme un ennemi public, se demandent-ils pourquoi leurs dĂ©cisions sont frappĂ©es de soupçon ? PrĂ©somption dâinnocence ? Certes, mais il doit dâabord ĂȘtre puni.
Aux Etats Unis il est inculpĂ© de 18 chefs dâaccusation passibles de 175 ans de prison. ExtradĂ©, il aura peu de chances dâavoir un procĂšs Ă©quitable. Le tribunal qui le jugera est situĂ© Ă deux pas de la CIA, dans un Etat peuplĂ© par les employĂ©s de ces âservicesâ dont Wikileaks a rĂ©vĂ©lĂ© certaines des pratiques criminelles. Lors de la procĂ©dure dâexception qui lui sera impose, son droit Ă la dĂ©fense sera compromis.
Ceux qui depuis 14 ans le trainent dans la boue et le pourchassent, grĂące aux puissants relais dâune presse serviles, nâont aucun intĂ©rĂȘt Ă un procĂšs public qui ouvrirait la boĂźte Ă Pandore des innombrables crimes de lâAmĂ©rique. Ils lâont accusĂ© de viols et dâavoir mis en danger des vies amĂ©ricaines. Ces deux charges nâont pas rĂ©sistĂ© Ă lâĂ©preuve des faits.
Dâautres avant lui jugĂ©s gĂȘnants, comme Jeffrey Epstein ou son complice en France, ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s âsuicidĂ©sâ dans leur cellule dans des circonstances douteuses. Il sera facile de mettre sa mort sur le compte de lâĂ©puisement et du dĂ©sespoir dâune vie amputĂ©e, privĂ©e de sens et de libertĂ©. Et quand bien mĂȘme il mettrait fin Ă ses jours, ou que son cĆur sâarrĂȘte, il sâagira encore dâune mort programmĂ©e.
Aucun des Etats europĂ©ens qui prĂŽnent lâEtat de droit, la dĂ©mocratie et les droits de lâhomme, alors quâils les piĂ©tinent tous les jours, nâa offert lâasile politique Ă M. Assange. Laisser sans mot dire ces Etats extrader cet homme, au nom dâune justice qui nâest pas la nĂŽtre, mais la robe noire du pouvoir, câest consentir Ă sâen faire complice.
Pourquoi cet acharnement de la part de lâensemble des Etats occidentaux Ă violer toutes les normes nationales et internationales des droits de lâhomme ? Est-ce pour faire un exemple pour dissuader quiconque serait tentĂ© de divulguer les crimes de certains Etats ?
Monsieur le Haut commissaire,
M. Assange est un dĂ©fenseur des droits de lâhomme ; un journaliste et un Ă©diteur crĂ©atif innovant ; et lâun des nĂŽtres. Il devrait ĂȘtre parmi nous dans le feu de lâaction. Nâest-il pas persĂ©cutĂ© pour avoir fait ce que doit faire tout journaliste dâinvestigation, tout enquĂȘteur des droits de lâhomme, tout ce que nous faisons, nous, au quotidien dans ce bureau : documenter les crimes des Ătats et promouvoir la vĂ©ritĂ©, la responsabilitĂ© et la justice ?
La lutte pour sa libertĂ© nâest pas seulement une bataille pour la libĂ©ration dâun homme, indĂ»ment clouĂ© au pilori public par nos inquisitions modernes. Elle est une des batailles emblĂ©matiques de notre Ă©poque : celle du droit contre la raison dâĂtat ; de la vĂ©ritĂ© contre le mensonge ; dâune information libre et vĂ©rifiĂ©e sans laquelle il ne saurait y avoir de citoyennetĂ©, contre le devoir de transparence qui incombe Ă tout gouvernement dĂ©mocratique. Elle est aussi emblĂ©matique de cette fracture qui creuse sa bĂ©ance au cĆur de nos sociĂ©tĂ©s, et prĂ©pare les tyrannies qui viennent et les rĂ©voltes qui grondent.
Câest lâaffrontement de ânous, les peuplesâ (comme commence la Charte de lâONU) contre la violence et lâarrogance des « élites » de ce monde, de plus en plus dissociĂ©es de la sociĂ©tĂ© et pour qui les droits de lâhomme sont devenus un embarras âhas beenâ. De cette lutte sont nĂ©s les droits de lâhomme.
Tous les groupes de dĂ©fense de la libertĂ© de presse et des droits de lâhomme considĂšrent lâinculpation de M. Assange comme la menace la plus grave pour la libertĂ© de la presse aux Etats-Unis et ailleurs. Notre bureau, lui, est restĂ© silencieux. Comment se fait-il que les deux derniers hauts commissaires aient bottĂ© en touche et nâaient osĂ© dire un mot pour le dĂ©fendre ?
Monsieur le Haut-commissaire,
Je nâai pas attendu de partir Ă la retraite pour informer le bureau sur les menaces que sa persĂ©cution faisait poser sur nos droits et nos libertĂ©s. Jâai tenu au courant lâĂ©quipe dirigeante sur la base dâinformations vĂ©rifiĂ©es. Jâai beaucoup travaillĂ©, sur mon temps libre, et avec plusieurs Rapporteurs spĂ©ciaux pour que lâONU prenne la parole et dise le droit. Mes mĂ©mos successifs restant sans rĂ©ponse, jâai composĂ© et envoyĂ© Ă Madame Bachelet, puis Ă vousâmĂȘme, le poĂšme en annexe Ă cette lettre : âUn quart dâheure avant minuitâ. A votre silence a rĂ©pondu celui de la plupart de mes collĂšgues. Il rĂšgne ? Mr High Commissionner, la peur et la lĂąchetĂ© au bureau des droits de lâhomme.Â
Je sais bien que votre poste est lâun des plus difficiles au sein de ces nations dĂ©sunies, chacune tirant Ă soi la feuille de vigne des droits de lâhomme pour cacher ses pudeurs.
Je sais aussi que le financement de ce bureau est politique et que ce sont les Etats les plus riches qui tiennent les cordons de nos bourses. Mais si ce bureau manque des ressources Ă la mesure des dĂ©fis qui sont les siens â le droit est partout sur la dĂ©fensive â compromettre son indĂ©pendance et son impartialitĂ© pour quelques dollars est un calcul douteux. Ne vaut-il pas mieux un petit bateau navigant vaillamment sur les crĂȘtes des normes internationales, quâun grand paquebot sans Ăąme ? Plus que dâargent, le monde aujourdâhui, a besoin dâautoritĂ© morale, pour redresser la barre et Ă©viter le pire - autoritĂ© qui ne sâacquiert que par lâintĂ©gritĂ©, le courage et lâexemple.
Vous nâavez que quatre ans, Monsieur le Haut-commissaire pour âfaire la diffĂ©renceâ dans le monde rĂ©el. Quoi que vous fassiez, Ă lâissue de votre mandat, les pouvoirs qui vous ont choisis vous cracheront comme un noyau de cerise. NâĂ©changez pas ce qui reste dâĂąme Ă ce bureau, dont le monde a besoin, pour un mirages 2.0.
DĂ©noncer le vrai ne doit pas devenir un crime.
Nâest-il pas grand temps que ce bureau fasse entendre, au-dessus des compromis et des intĂ©rĂȘts Ă court terme qui Ă©touffent la vie, une voix libre qui demande, sans pudeur, la libertĂ© de M. Assange pour le salut de la nĂŽtre ? Il est dĂ©jĂ trĂšs tard, Monsieur le Haut-commissaire, minuit moins le quart passĂ©sâŠ
Minuit moins le quartâŠ
Il est grand temps mes amis
De réaliser
Que la persécution
De Julian est la nĂŽtre
Quâil est notre frĂšre
Dâarme et de parole
Et lâun des Ă©claireurs
Des crimes de ce temps
Commis en notre nomâŠ
Prisonnier dâopinion
Au cĆur dĂ©voyĂ©Â
De nos démocraties
Qui montrent par son supplice
Ce quâelles sont sous leur masqueâŠ
Sa persécution
Est une attaque frontale
Portée à la racine
De nos régimes
Et de nos droits :
Notre droit Ă penser
A réfléchir
A nous informer
A Ă©changer, partager
Et Ă construire ensemble
De nos mains, de nos cĆurs
Et de nos esprits libres
Le monde dans lequel
Nous voulons vivre et aimerâŠ
Je dis le monde dans lequel
Nous voulons vivre
Et pas seulement rĂȘver et passerâŠ
Quâest-ce quâil a dĂ©fendu ?
O presque rien !
La libertĂ© dâexpression
Dâinformation dâune presse
Qui est encore
Libre et indĂ©pendanteâŠ
Le droit des citoyens
A la vérité
Notre devoir de savoir
Ce que les gouvernants
Que nous Ă©lisons
Font en notre nom
Surtout lorsque dans lâombre
Dont ils ont tant besoin
Ils commettent leurs crimesâŠ
Le droit des journalistes
Celui de tout chercheur
DâenquĂȘter librement
Sur toute question
DâintĂ©rĂȘt public
Et de protéger
Soigneusement leurs sourcesâŠ
Le droit des lanceurs dâalerte
De divulguer des faits
Qui heurtent leur conscience
Sans peur de représailles
Et le devoir de les protéger
Par le droit, la justice
Sâils sont attaquĂ©sâŠ
La protection
De notre vie privée
Indispensable Ă lâĂ©closion
De notre ĂȘtre humainâŠ
Le droit Ă un procĂšs
Juste et Ă©quitable
Et Ă ne pas ĂȘtre privĂ©
De sa liberté
ArbitrairementâŠ
Le droit de ne pas ĂȘtre
Soumis au supplice
Pour avoir agi
En son Ăąme et conscienceâŠ
Et le droit au respect
Et Ă la protectionÂ
Par le droit, la justice
Pour avoir osé dire
La vĂ©ritĂ©âŠ
Nâest-ce pas ce que nous
« Aux droits de lâhomme »
Des Nations sans amour
Faisons tous les jours ?
Documenter les crimes
Des Etats et des autres
Exposer leurs mensonges
Promouvoir la justice ?
Nâest-ce pas la vocation
De cette institution
Et la raison dâĂȘtre
De notre engagement
Pour un peu plus dâĂȘtre
Et monde moins sombre ?
A travers la persécution
De Julian Assange
Ce sont nos libertés
Qui sont menacées
Les fondements mĂȘmes
De cette démocratie
Qui reste le moins pire
Espace de liberté
Malgré ses souillures
Ses perversions, ses vices
Et ses caricatures
Ses crimes innombrables
Epouvantables
Commis en notre nomâŠ
Combien de pays
Ont été dévastés
De peuples martyrisés
Depuis trop de siĂšcles
Par ce monde chrétien
Qui se prétend libre ?
Ce sont ces fondements
Moraux de notre vie
Qui sont visés au nom
De la raison dâEtat
De la sécurité nationale
DĂ©sormais en sursis
Pour combien de temps encore ?
Il est minuit moins le quart...
Par solidarité
Avec celui qui paye
De sa vie, de sa liberté
Depuis dix ans dĂ©jĂ
Le crime dâavoir dit
Quelques vérités crues
Et dâavoir mis Ă nu
Certains de nos pouvoirs
Nous avons le devoir
De nous opposer
A son extradition
Qui signera, honteusement
Sa sentence de mort
Dans les caveaux du droit
De qui est le plus fortâŠÂ
Les voyous qui le réclament
De procédure en procédure
Au nom dâune justice
Qui nâest pas la nĂŽtre
Le garderont Ă vue
Le reste de sa vieâŠ
Sâil ne meurt pas avant
DâĂ©puisement
Et de désespoir
Pour avoir trop cru
A la lumiĂšre
Au pouvoir du droit
De la vérité
Et de la justice
Que nos institutions
Sont censĂ©es protĂ©gerâŠ
Sâil ne met pas lui-mĂȘme
Fin Ă cette non-vie
Quâest devenue la sienne
Ayant perdu espoir
De revoir le soleil
Et le bonheur de vivre
Enfin avec les siensâŠ
Il est fort Ă craindre
Quâil soit aussi
Retrouvé un matin
Sans vie dans sa cellule
« Suicidé » comme dâautres
Devenus trop embarrassantsâŠ
Ceux qui le réclament
Pour avoir mis Ă nu
Certains de leurs secrets
Nâont pas intĂ©rĂȘt
A ce que son procĂšs
Ouvre la boite
A Pandore de leurs crimesâŠ
Nâajoutons pas Ă son supplice
Le poids de notre indifférence...
Il sera vain ensuite
De pleurer sur ses pas
De demander pardon
De ne pas lui avoir
Tendu la main Ă tempsâŠ
Julian nâa nul besoin
De larmes de crocodiles...
Ce dont il a besoin
Câest de notre fraternitĂ©
De notre solidarité
Consciente et active
Et désormais urgente
Chaque minute compte
Il est dĂ©jĂ
Minuit moins le quartâŠ
   Â
Ce poĂšme vous invite
A vous joindre en chĆur
A cette supplique
Adressée aux iniques
Qui tiennent en leurs serres
La vie de Julian
Pour exiger sa liberté
Et Ă travers la sienne
DĂ©fendre la nĂŽtreâŠ
Cela nous le devons
Non seulement Ă Julian
Mais aussi Ă ces valeurs
Précieuses, universelles
Auxquelles nous croyons
Et sommes attachés
Et qui donnent sens
Et beautĂ© Ă nos viesâŠ
â Christophe Peschoux
(Avril 2022, mis à jour février 2024)
Lâauteur de cette lettre a Ă©tĂ© lâun des enquĂȘteurs les plus expĂ©rimentĂ©s du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de lâHomme (HCDH). Il est lâauteur de deux livres et de plusieurs articles sur lâhistoire moderne des Khmer rouges. Il a pris sa retraite en octobre dernier.
https://consortiumnews.com/2024/02/09/dear-mr-high-commissioner-help-free-assange/