👁🗨 Musk & le mythe de l'USAID
Le personnel de l'USAID en poste après la purge sera celui dédié à l'aide humanitaire. Curieux, non ? C'est toujours comme ça avec Trump. On ne sait jamais ce qu'il essaie de faire ni pourquoi.
👁🗨 Musk & le mythe de l'USAID
Par Patrick Lawrence pour Consortium News, le 13 février 2025
Qu'est-ce que le mouvement MAGA a accompli ? Je doute que le pire ennemi de Donald Trump ait jamais imaginé qu'il irait aussi loin dans son deuxième mandat, que ce soit en prenant des mesures dangereuses, stupides voire les deux.
En clair, l'attaque frontale de Trump contre l'État profond et les autoritaristes libéraux qui ont collaboré au sabotage de ses quatre premières années à la Maison Blanche est tout à fait justifiée.
Notamment, purger le ministère de la Justice et le FBI tout en exerçant un certain contrôle des civils sur l'appareil du renseignement ne sont pas seulement des entreprises justifiées : elles sont nécessaires si l'on veut restaurer les fondations de la république décadente après l'abus délibéré de ces institutions pendant les années Biden.
Mais soyons clairs sur tous les plans : une grande partie de ce que Trump est en train de faire mérite une objection de principe au nom du bon sens, de la décence, de la démocratie et d'un véritable ordre mondial - mais pas, j'ajoute immédiatement, au nom de la défense de l'idéologie libérale et (de son proche cousin) d'un imperium qui mène ses affaires d'une manière esthétiquement plus acceptable.
S'emparer de la bande de Gaza ? Prendre le contrôle du canal de Panama à la République souveraine du Panama ? J'ai lu vendredi dernier que Trump a émis un autre décret, celui-ci pour mettre fin à l'aide à l'Afrique du Sud et offrir aux fermiers afrikaners du pays, notoirement racistes, le statut de réfugiés en tant que victimes d'une “VIOLATION massive des droits de l'homme”, comme il l'a écrit dans un message sur les réseaux sociaux, ajoutant qu'il les considérait comme des “propriétaires fonciers défavorisés sur le plan racial”.
Et à peine pense-t-on avoir tout entendu que Donald Trump en remet une couche. Comme chaque jour à ce stade du processus.
Lundi, Trump a déclaré dans une interview accordée à Fox News que les Palestiniens vivant dans la bande de Gaza n'auraient pas le droit de rentrer chez eux après sa métamorphose en une sorte de version ouest-asiatique bling-bling de Palm Beach. “Je parle de leur construire un foyer permanent”, a-t-il déclaré à Bret Baier de Fox.
“Un foyer permanent” : Trump vient de confirmer qu'il est prêt à procéder au nettoyage ethnique de Gaza qu'il a déjà évoqué, mais sans le nommer. Les moyens nécessaires pour y parvenir et le rôle direct qu'il compte jouer dans l'exécution du projet feront du président des États-Unis un criminel, selon toutes les définitions internationalement reconnues, de crimes contre l'humanité et très probablement de crimes de guerre.
Comme Joe Lauria, rédacteur en chef de Consortium News, l'a astucieusement souligné lors d'une récente conversation, pendant le premier mandat de Trump, les plus avisés de nos médias indépendants étaient tellement occupés à le défendre contre les affabulations antidémocratiques du canular du Russiagate qu'on ne pouvait ni prendre le temps ni consacrer du papier à tout ce qui était répréhensible ou condamnable chez le Trump de 2017 à 2021.
Larmes et grincements de dents
Maintenant que Trump et ses troupes s'attaquent avec virulence aux autoritaristes libéraux et à leurs nombreux symboles, icônes et programmes de promotion des vertus, on peut faire le tri. Rien n'est plus révélateur que la bataille en cours à Washington pour la survie ou l'extinction de l'Agence des États-Unis pour le développement international.
Le cas de l'USAID mérite réflexion. On y retrouve [...] le franc-parler de Trump et de Musk, et l'aveuglement des libéraux.
Le sort de l'USAID est une cause célèbre depuis qu'Elon Musk, qui dirige le programme d'Efficacité gouvernementale de Trump, a déclaré publiquement au début du mois qu'il avait l'accord du président pour dire que “nous devrions la fermer”. Depuis, ce ne sont que larmes et grincements de dents.
Musk, que je considère comme le personnage le plus dangereusement antidémocrate de la cabale que Trump a réunie autour de lui, a dépêché une équipe de subordonnés de son ministère de l'efficacité gouvernementale dans le bâtiment de l'USAID, à quelques pâtés de maisons de la Maison Blanche, peu après avoir déclaré que le président avait donné son accord pour la fermeture de l'agence.
Les employés se sont vus refuser l'accès à leurs bureaux et à leurs comptes de messagerie et ont reçu l'ordre de rester chez eux, les sites web de l'USAID ont été bloqués ou supprimés. Tous les employés à temps plein de l'USAID ont été mis en congé et des ordres ont été donnés pour rappeler les milliers de personnes que l'USAID a sur le terrain dans le monde entier. Le New York Times a rapporté jeudi dernier que l'intention de la Maison Blanche est de réduire le personnel de l'USAID de plus de 10 000 à moins de 300 personnes.
L'affaire USAID semble maintenant prendre le chemin des tribunaux. Un juge fédéral, Carl Nichols, de la Cour de district de Washington, a émis une ordonnance restrictive à la fin de la semaine dernière, bloquant temporairement certaines parties du plan Trump-Musk. Cette décision fait suite à une action en justice intentée par deux syndicats, l'un représentant les employés fédéraux et l'autre les fonctionnaires des Affaires étrangères.
Mais un détail révélateur, à ne pas manquer, mérite d'être souligné : le week-end dernier, plusieurs grands médias (NBC News, The New York Times, etc.) ont publié la photo d'un agent d'entretien du gouvernement fédéral perché en haut d'une échelle, en train de gratter le nom de l'USAID au-dessus de l'entrée de son bâtiment, au 1300 Pennsylvania Avenue.
C'est du délire. Je ne pense pas que le premier pourvoyeur d'aide étrangère et d'assistance humanitaire des États-Unis puisse survivre au coup de balai des troupes d'assaut d'Elon Musk, au vu de la réputation de l'agence.
Et quelle est la réputation de l'USAID ? C'est la question qui nous intéresse. C'est ce qui mérite que l'on s'y attarde.
Une idée de Kennedy
C'est John F. Kennedy qui a créé l'Agence pour le développement international en 1961, au cours de sa première année à la Maison Blanche. Il en a confié la responsabilité au Département d'État, a doté l'USAID d'un budget généreux et l'a déployée dans le monde pour s'attaquer aux innombrables problèmes des autres que nous pouvons classer dans la catégorie “sous-développement”.
Kennedy n'était pas hostile aux intérêts personnels, mais ce projet, comme le Peace Corps, était dans une certaine mesure l'expression de l'altruisme dont témoignent nombre de ses discours et de ses décisions politiques.
(L'intérêt personnel et l'altruisme peuvent-ils coexister dans le même esprit, le même cœur, la même institution ? Cela semble contradictoire, l'altruisme étant défini comme le souci désintéressé des autres, mais je laisse à Kennedy le soin de répondre à la question :
L'évolution de sa vision et de sa compréhension au cours de ses mille jours allait résolument dans le sens d'une Amérique capable de rejeter enfin ses prétentions impériales. Il a payé cette évolution de sa vie, rappelons-le.
Des programmes de développement social et économique, de santé et de lutte contre la malnutrition, des projets d'irrigation et de drainage, des programmes d'éradication des maladies, des solutions environnementales : Kennedy voulait que l'USAID améliore la vie des autres de toutes ces manières et bien d'autres encore. Mais attention : parmi ses missions figurait celle de la promotion de la démocratie.
C'est cette dernière mission qui a fait de l'USAID un bien piètre exemple. Au moment où l'agence a contribué à la création de la National Endowment for Democracy, pendant le premier mandat de Ronald Reagan, l’“altruisme” n'était qu'un voeu pieux pour désigner une grande partie des activités de l'USAID.

Les programmes de secours et d'aide humanitaire sont toujours en place et des millions de personnes défavorisées dans plus de 100 pays en dépendent. Mais l'USAID ne sert désormais plus que les intérêts américains, devenant un outil de politique étrangère de l'empire, et ce sans l'ombre d'une exception.
Avec la National Endowment for Democracy, elle a repris le rôle de la CIA en matière de coups d'État, dans la mesure du possible, ce qui lui a valu une très sombre réputation.
Promouvoir la gouvernance démocratique, lutter contre la corruption, aider les médias écrits et audiovisuels à faire du bon travail, financer toutes sortes de groupes de la “société civile” ? Comment ça, pas altruiste ?
Il y a des cas peu glorieux. Les “révolutions colorées” dans les anciennes républiques soviétiques, au Venezuela, en Ukraine pendant de nombreuses années avant (et depuis, en fait) le coup d'État fomenté par les États-Unis en 2014 : l'USAID s'est montrée à la hauteur en toutes circonstances, si je peux m'exprimer ainsi.
La Russie a été un cas d'école. L'administration américaine ayant déploré que Vladimir Poutine ne se soit pas montré plus docile lorsqu'il a succédé à Boris Eltsine, ivre de pouvoir, en 2000, l'USAID s'est tellement égarée dans les années suivantes que Poutine a expulsé tous ses collaborateurs en 2012.

La Géorgie aussi, tout récemment. L'USAID a poussé des hauts cris en août dernier, lorsque le Parlement de Tbilissi a adopté une loi obligeant les ONG recevant un cinquième ou plus de leur financement de l'étranger à s'enregistrer en tant qu'agents étrangers. Quelque 95 millions de dollars de financement américain, dont une bonne partie est destinée à des “activités de la société civile” par l'intermédiaire de l'USAID, ont depuis été suspendus.
Pardon ? Nous sommes là pour manipuler votre processus politique afin de faire basculer la Géorgie vers l'Occident, et vous, le gouvernement élu à Tbilissi, vous y opposez ? Comme c'est antidémocratique ! Comme c'est autoritaire ! Comme c'est... comme c'est “pro-russe”, surtout. En résumé, telle est la position de l'USAID sur la question.
Préserver l'image
On peut mentionner d'autres aspects des activités de l'USAID. Son budget depuis le début de ce siècle s'est élevé en moyenne à un peu plus de 20 milliards de dollars. Le Washington Post a rapporté la semaine dernière qu'en 2020 (derniers chiffres disponibles, vraisemblablement), 2,1 milliards de dollars de ce budget ont été consacrés à des entreprises agricoles.
L'USAID envoie de l'aide alimentaire aux pays pauvres. L'USAID subventionne ce que nous appelons la Grande Agriculture. Ces deux affirmations sont vraies. C'est, disons, de l'altruisme à l'américaine.
Les protestations de ceux qui défendent aujourd'hui l'USAID sont édifiantes. Ils insistent sur le bilan positif de l'agence à travers ses opérations internationales, et cette réalité doit être honorée. Il ne fait aucun doute que d'innombrables personnes en Afrique, en Asie et en Amérique latine vont souffrir si Trump et Musk ferment cette institution.
On peut également s'intéresser à d'autres faits. On peut notamment voir en haut d'un article du Times intitulé “Les mensonges alimentent la croisade de l'aile droite contre l'USAID”. On y voit un groupe de personnes qui manifestent contre Trump au Capitole la semaine dernière.
Les manifestants brandissent toute une série de pancartes. L'une d'elles, tenue par un jeune garçon, porte l'inscription suivante : “Mes deux parents ont perdu leur emploi à cause du président Musk”. OK, l'égoïsme a la vie dure à Washington. Une autre pancarte, au-dessus de la première, indique : “USAID : un investissement pour la Sécurité nationale”. Cette pancarte a au moins le mérite d'être franche, mais l'altruisme américain a connu des jours meilleurs.
Je regarde les gens sur la photo : leurs vêtements, leur attitude. Ils me semblent incarner une réunion de contre-culture des temps modernes, déterminés à faire le bien et à garder les mains propres. Il est bon de savoir que de telles personnes sont encore parmi nous.
Mais soit elles sont perdues, soit elles mentent. Dans le premier cas, elles font référence à une agence d'aide qui a succombé depuis longtemps à l'idéologie et à la corruption. Leur USAID est un mythe à ce stade, une pièce de musée.
Pour résumer, ils ne prennent pas la mesure de ce que l'USAID est devenue depuis, à en juger par son déclin, les années Reagan et la naissance de la NED, une organisation carrément pernicieuse, une opération de la CIA déguisée en organisation humanitaire. C'est dire qu'ils ne semblent pas prendre la mesure de ce que l'Amérique est devenue depuis l'époque altruiste des Kennedy.
Et y faire face, faire face à tout cela, est l'une des responsabilités de ma génération et de toutes les suivantes.
Les médias dominants et toutes sortes de personnalités politiques et publiques se sont empressés d'apporter leur soutien aux manifestants du Capitole la semaine dernière. C'est un spectacle plutôt cocasse, cette volonté de préserver l'ancienne imagerie de l'USAID et de prétendre, comme le fait le Times dans l'article dont le lien figure ci-dessus, que tous les discours sur les promotions peu démocratiques de l'USAID à l'étranger sont des théories du complot et – que ferions-nous sans cela ? – de désinformation russe.
C'est pathétique. Mais le fait est que toute cette agitation initiée par Trump et Musk a pris l'USAID au dépourvu.
Il est difficile de prédire l'issue de la croisade menée par Trump et Musk contre l'USAID. On ne sait même pas quelles sont leurs motivations, ce qu'ils recherchent vraiment. Elle s'apparente plus à une vendetta dans son intensité que relevant de l'efficacité basique.
Trump et Musk choisiront-ils de renoncer à tous les expédients extérieurs qui leur permettent de projeter la puissance américaine à travers la pléthore de programmes pernicieux de l'agence ? J'en doute, mais sans grand fondement.
L'intention est-elle en quelque sorte de s'attaquer à Samantha Power, directrice démissionnaire de l'USAID et agent de l'État profond s'il en est ? J'en doute également, même si le doute subsiste.
Je reste sceptique quant à la sincérité des raisons qui ont poussé Trump et Musk à lancer leur campagne contre l'USAID, quelles qu'elles soient.
J'ai lu que le personnel de l'USAID encore en poste après la purge sera celui dédié à l'aide humanitaire. Curieux, non ?
Mais c'est toujours comme ça avec Trump. On se demande toujours ce qu'il essaie de faire ni pourquoi.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son nouveau livre, Journalists and Their Shadows, est maintenant disponible chez Clarity Press. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son compte Patreon.
https://consortiumnews.com/2025/02/12/patrick-lawrence-musk-the-myth-of-usaid/