đâđš RĂ©volte europĂ©enne vs ordre oppressif
La âclasse dirigeanteâ pourrait-elle chercher Ă intĂ©grer & dissimuler les horreurs de cette lutte ouest-asiatique dans une guerre gĂ©ostratĂ©gique plus vaste, (Ă©clipsant ainsi l'horreur rĂ©gionale ?
đâđš RĂ©volte europĂ©enne vs ordre oppressif
Par Alastair Crooke, le 14 juin 2024
La rĂ©volte a Ă©clatĂ©, car de nombreux Occidentaux voient clairement que la structure dirigeante occidentale nâest quâun âsystĂšme de contrĂŽleâ mĂ©canique oppressif.
VoilĂ quelque temps dĂ©jĂ que je dis et redis que l'Europe (et les Ătats-Unis) traverse une alternance de bouleversements et de guerres civiles. L'histoire nous met en garde contre la tendance de ces conflits Ă perdurer, avec des Ă©pisodes majeurs de rĂ©voltes Ă caractĂšre rĂ©volutionnaire, mais qui, en rĂ©alitĂ©, ne sont que des modes alternatifs du mĂȘme phĂ©nomĂšne - un âva-et-vientâ entre des Ă©lans rĂ©volutionnaires et le cheminement laborieux d'une intense guerre culturelle.
Nous traversons, me semble-t-il, une telle époque.
J'ai également suggéré qu'une contre-révolution naissante se mettait lentement en place - une contre-révolution qui refuse catégoriquement d'abjurer les valeurs morales traditionalistes et refuse la soumission à un ordre international oppressif et autocratique se prétendant ouvert.
Mais je ne m'attendais pas Ă ce que le premier choc se produise en Europe, Ă ce que la France rompe la premiĂšre avec ce moule autocratique. (J'aurais plutĂŽt cru que les Ătats-Unis seraient les premiers).
Les scores des Ă©lections europĂ©ennes pourraient ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme la âpremiĂšre hirondelleâ annonçant un changement significatif du temps. Des Ă©lections anticipĂ©es sont annoncĂ©es en Grande-Bretagne et en France, et l'Allemagne (ainsi qu'une grande partie de l'Europe) connaĂźt un profond dĂ©sarroi politique.
Mais ne vous faites pas d'illusions ! La dure rĂ©alitĂ© veut que les âstructures de pouvoirâ occidentales dĂ©tiennent les richesses, les institutions clĂ©s de la sociĂ©tĂ© et les leviers d'application de la loi. En clair, elles dĂ©tiennent le âcommandementâ. Comment vont-elles gĂ©rer un Occident proche de l'effondrement moral, politique et probablement financier ? Vraisemblablement en redoublant d'efforts, et sans le moindre compromis.
Et cette âradicalisationâ prĂ©visible ne se limitera pas nĂ©cessairement aux combats dans l'arĂšne du âColisĂ©eâ. Elle aura Ă coup sĂ»r des rĂ©percussions sur la gĂ©opolitique Ă haut risque.
Il ne fait aucun doute que les âstructuresâ amĂ©ricaines auront Ă©tĂ© profondĂ©ment troublĂ©es par les Ă©lections europĂ©ennes. Qu'implique la mutinerie europĂ©enne anti-establishment pour les structures dirigeantes de Washington, en particulier au moment oĂč le monde entier observe un Joe Biden manifestement vacillant ?
Comment vont-ils nous faire oublier cette premiÚre lézarde dans leur édifice structurel international ?
Les Ătats-Unis se livrent dĂ©jĂ Ă une escalade militaire, soi-disant liĂ©e Ă l'Ukraine, mais dont l'objectif est clairement de provoquer des reprĂ©sailles de la part de la Russie. En intensifiant progressivement les violations de l'OTAN des âlignes rougesâ stratĂ©giques de la Russie, on dirait bien que les faucons amĂ©ricains cherchent Ă prendre l'avantage sur Moscou en matiĂšre d'escalade, laissant Moscou face au dilemme de dĂ©terminer le degrĂ© de reprĂ©sailles Ă mettre en Ćuvre. Les Ă©lites occidentales ne prennent pas totalement au sĂ©rieux les avertissements de Moscou.
Ce stratagĂšme de provocation pourrait offrir une image artificielle de la âvictoireâ des Ătats-Unis (âregarder Poutine en faceâ) ou, Ă l'inverse, servir de prĂ©texte pour reporter les Ă©lections prĂ©sidentielles amĂ©ricaines (alors que les tensions mondiales augmentent), laissant Ă l'Ătat permanent le temps d'aligner ses âbillesâ pour gĂ©rer une succession anticipĂ©e de Biden.
Ce calcul dépend toutefois de l'imminence de l'implosion de l'Ukraine, que ce soit sur le plan militaire ou politique.
Une implosion plus prompte que prĂ©vue de l'Ukraine pourrait servir de tremplin Ă une rĂ©orientation des Ătats-Unis vers le âfrontâ de TaĂŻwan - une Ă©ventualitĂ© dĂ©jĂ en prĂ©paration.
Pourquoi l'Europe se révolte-t-elle ?
La rĂ©volte vient de ce que de nombreux Occidentaux ne voient que trop clairement que la structure dirigeante occidentale n'est pas un projet ouvert en soi, mais plutĂŽt un âsystĂšme de contrĂŽleâ mĂ©canique manifestement oppressif (technocratie managĂ©riale), qui se fait frauduleusement passer pour du libĂ©ralisme.
En Europe, nombreux sont les citoyens aliĂ©nĂ©s par l'establishment. Les causes peuvent ĂȘtre multiples - Ukraine, immigration ou baisse du niveau de vie - mais tous les EuropĂ©ens baignent dans le rĂ©cit selon lequel l'histoire s'est pliĂ©e aux exigences du libĂ©ralisme (dans la pĂ©riode de l'aprĂšs-guerre froide).
Pourtant, cette vision s'est avérée illusoire. La réalité, c'est le contrÎle, la surveillance, la censure, la technocratie, le verrouillage et l'urgence climatique. En clair, l'oppression, voire le quasi-totalitarisme. ( Mme von der Leyen est allée récemment plus loin en affirmant que
âsi l'on voit la manipulation de l'information comme Ă un virus, il vaut bien mieux, au lieu de traiter l'infection une fois qu'elle s'est installĂ©e, vacciner pour que le corps soit inoculĂ©â)
Alors, quand donc le libéralisme traditionnel (dans sa définition la plus large) est-il devenu autoritaire ?
La âbasculeâ s'est produite dans les annĂ©es 1970.
En 1970, Zbig Brzezinski (qui allait devenir conseiller Ă la SĂ©curitĂ© nationale du prĂ©sident Carter) a publiĂ© un livre intitulĂ© : âBetween Two Ages : America's Role in the Technetronic Eraâ [Entre deux Ăšres : le rĂŽle de l'AmĂ©rique dans l'Ăšre technologique]. Dans cet ouvrage, Brzezinski affirme que
âL'Ăšre technologique implique l'apparition progressive d'une sociĂ©tĂ© plus contrĂŽlĂ©e. Une telle sociĂ©tĂ©... dominĂ©e par une Ă©lite, libĂ©rĂ©e des valeurs traditionnelles... [et pratiquant] une surveillance constante de chaque citoyen... [ainsi que] la manipulation du comportement et du fonctionnement intellectuel de tous... [deviendrait la nouvelle norme]â.
Par ailleurs, il affirme que
âl'Ătat-nation, en tant que composante fondamentale de la vie humaine organisĂ©e, a cessĂ© d'ĂȘtre la principale puissance crĂ©atrice : les banques et les sociĂ©tĂ©s multinationales opĂšrent et planifient en des termes qui dĂ©passent de loin les concepts politiques de l'Ătat-nationâ, (c'est-Ă -dire le cosmopolitisme commercial en tant qu'avenir).
David Rockefeller et ses relais de pouvoir, ainsi que le groupe Bilderberg, se sont emparĂ©s de l'idĂ©e de Brzezinski pour en faire le troisiĂšme pilier d'un XXIe siĂšcle qui serait effectivement le âsiĂšcle amĂ©ricainâ. Les deux autres piliers Ă©tant le contrĂŽle des ressources pĂ©troliĂšres et l'hĂ©gĂ©monie du dollar.
Un rapport clĂ©, Les limites de la croissance (1971, Cercle de Rome, lĂ encore une crĂ©ation de Rockefeller), a ensuite fourni Ă Brzezinski un fondement âscientifiqueâ profondĂ©ment erronĂ© : il prĂ©disait la fin de la civilisation, en raison de la croissance dĂ©mographique, combinĂ©e Ă l'Ă©puisement des ressources (y compris, et surtout, l'Ă©puisement des ressources Ă©nergĂ©tiques).
Cette sombre prĂ©diction a Ă©tĂ© attribuĂ©e au fait que seuls les experts Ă©conomiques, les experts en technologie, les dirigeants de multinationales et les banques dĂ©tenaient la clairvoyance et la comprĂ©hension technologique nĂ©cessaires pour gĂ©rer la sociĂ©tĂ© - sous rĂ©serve de la complexitĂ© de la thĂ©orie des âLimites de la croissanceâ.
âLes limites la croissanceâ Ă©tait une erreur. Elle Ă©tait certes erronĂ©e, mais c'Ă©tait sans importance : Tim Wirth, conseiller du prĂ©sident Clinton Ă la confĂ©rence des Nations unies de Rio, a admis l'erreur, tout en ajoutant allĂšgrement :
âNous devons nous attaquer au problĂšme du rĂ©chauffement de la planĂšte. MĂȘme si la thĂ©orie est fausse, nous ferons ce qu'il faut en termes de politique Ă©conomiqueâ.
La proposition était erronée, mais la politique était juste ! Cette politique économique a été remise en question par une analyse erronée.
Le âparrainâ du nouveau glissement vers le totalitarisme (outre David Rockefeller) fut son protĂ©gĂ© (et plus tard le âconseiller incontournableâ de Klaus Schwab), Maurice Strong. William Engdahl a dĂ©crit comment
âles cercles directement liĂ©s Ă David Rockefeller et Ă Strong dans les annĂ©es 1970 ont donnĂ© naissance Ă un rĂ©seau impressionnant d'organisations et de groupes de rĂ©flexion de l'Ă©lite (sur invitation privĂ©e)â.
âIl s'agit notamment du Club de Rome nĂ©o-malthusien, de l'Ă©tude rĂ©digĂ©e par le MIT : [Massachusetts Institute of Technology] âLes limites de la croissanceâ, et la Commission trilatĂ©raleâ.
La Commission trilatérale constituait toutefois le noyau occulte de la matrice.
âLorsque Carter a pris ses fonctions en janvier 1976, son gouvernement Ă©tait presque entiĂšrement issu des rangs de la Commission trilatĂ©rale de Rockefeller - Ă un degrĂ© si stupĂ©fiant que certains initiĂ©s de Washington l'ont appelĂ© la âPrĂ©sidence Rockefellerââ, Ă©crit Engdahl.
Craig Karpel, en 1977, a également noté que
âLa prĂ©sidence des Ătats-Unis et les principaux ministĂšres du gouvernement fĂ©dĂ©ral ont Ă©tĂ© confiĂ©s Ă une organisation privĂ©e dĂ©diĂ©e au rattachement des intĂ©rĂȘts nationaux des Ătats-Unis aux intĂ©rĂȘts internationaux des banques et des entreprises multinationales. Il serait injuste de dire que la Commission trilatĂ©rale domine l'administration Carter. La Commission trilatĂ©rale
est
l'administration Carterâ.
âTous les postes clĂ©s du gouvernement amĂ©ricain en matiĂšre de politique Ă©trangĂšre et Ă©conomique, depuis Carter, ont Ă©tĂ© confiĂ©s Ă une TrilatĂ©raleâ,
Ă©crit Engdahl. Et ainsi de suite - une matrice de superposition de membres peu dĂ©celable pour le public, dont on peut dire, de façon trĂšs large, qu'elle a constituĂ© l'âĂtat permanentâ.
A-t-il existé en Europe ? Absolument, avec des ramifications dans toute l'Europe.
VoilĂ le fondement de la ârĂ©volteâ europĂ©enne du week-end dernier : de nombreux EuropĂ©ens refusent le concept d'un univers contrĂŽlĂ©. Nombreux sont ceux qui, par dĂ©fi, refusent de renoncer Ă leur mode de vie traditionnel ou Ă leurs allĂ©geances nationales.
Le contrat faustien de Rockefeller des annĂ©es 1970 a permis Ă une petite partie des dirigeants amĂ©ricains de faire sĂ©cession de la nation amĂ©ricaine pour investir une rĂ©alitĂ© distincte, en dĂ©mantelant l'Ă©conomie naturelle au profit de l'oligarchie, la âcompensationâ ne venant que de leur adhĂ©sion Ă la politique identitaire et de la âjusteâ transition d'une certaine diversitĂ© vers les postes de direction des entreprises.
Vu sous cet angle, le contrat Rockefeller peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un Ă©quivalent de l'âarrangementâ sud-africain qui a mis fin Ă l'apartheid : les Anglo-Ă©lites ont conservĂ© la mainmise sur les ressources Ă©conomiques et le pouvoir, tandis que l'ANC, Ă l'autre extrĂ©mitĂ© de l'Ă©quation, s'est dotĂ©e d'une âfaçade Potemkineâ pour accĂ©der au pouvoir politique.
Pour les EuropĂ©ens, cet âarrangementâ faustien rĂ©duit les humains Ă l'Ă©tat d'unitĂ©s identitaires occupant l'espace inter-marchĂ©s, plutĂŽt que d'ĂȘtre les auxiliaires d'une Ă©conomie organique centrĂ©e sur l'homme, comme l'Ă©crivait Karl Polanyi il y a 80 ans dans âLa Grande Transformationâ.
Il attribuait les troubles de son Ă©poque Ă une unique cause : la croyance que la sociĂ©tĂ© peut, et doit, ĂȘtre organisĂ©e par des marchĂ©s autorĂ©gulĂ©s. Pour lui, cela ne reprĂ©sentait rien de moins qu'une rupture ontologique avec la majeure partie de l'histoire de l'humanitĂ©. Avant le XIXe siĂšcle, soulignait-il, l'Ă©conomie humaine a toujours Ă©tĂ© âenracinĂ©eâ dans la sociĂ©tĂ© : elle Ă©tait subordonnĂ©e Ă la politique locale, aux coutumes, Ă la religion et aux relations sociales.
L'inverse (le paradigme technocratique autoritaire et identitaire à la Rockefeller) ne mÚne plus qu'au délitement des liens sociaux, à l'atomisation de la communauté, à l'absence de tout contenu métaphysique et donc à l'absence d'objectif et de finalité existentiels.
L'illibĂ©ralisme est source de frustration. Il signifie que âvous ne comptez pas.â Vous n'ĂȘtes pas concernĂ©. De nombreux EuropĂ©ens l'ont manifestement compris.
Ce qui nous ramÚne à la question de savoir comment les classes occidentales vont réagir à la révolte naissante contre l'ordre international qui se propage de par le monde - et fait maintenant irruption en Europe, bien qu'avec des colorations diverses et un certain bagage idéologique.
Il est peu probable - pour l'instant - que la classe dirigeante soit encline aux compromis. Ceux qui dominent ont tendance Ă Ă©prouver une peur existentielle : soit ils maintiennent leur domination, soit ils perdent tout. Ils n'y voient qu'un jeu Ă valeur nulle. Le prestige de chaque protagoniste se fige. De plus en plus, les individus ne s'affrontent qu'en tant qu'âadversairesâ. Les concitoyens reprĂ©sentent une menace redoutable Ă laquelle il convient de s'opposer.
Prenons l'exemple de la guerre d'Israël contre les Palestiniens. Les dirigeants de la classe dirigeante américaine comptent de nombreux partisans fanatiques d'un Israël sioniste. Alors que l'ordre international commence à se lézarder, ce pan du pouvoir structurel américain risque lui aussi de se montrer intraitable, par crainte d'un résultat à somme nulle.
Il y a un rĂ©cit israĂ©lien de la guerre et la version du âreste du mondeâ - qui ne se rejoignent pas franchement. Comment rĂ©soudre ce problĂšme ? Pour l'instant, l'effet bĂ©nĂ©fique d'une vision diffĂ©rente des âautresâ - IsraĂ©liens et Palestiniens - n'est pas Ă l'ordre du jour.
Ce conflit pourrait potentiellement s'aggraver - et durer encore longtemps.
La âclasse dirigeanteâ, dĂ©sespĂ©rĂ©ment en quĂȘte de rĂ©sultats, pourrait-elle chercher Ă intĂ©grer (et tenter de dissimuler) les horreurs de cette lutte ouest-asiatique dans une guerre gĂ©ostratĂ©gique plus vaste ? Une guerre qui entraĂźnerait le dĂ©placement d'un plus grand nombre de personnes (Ă©clipsant ainsi l'horreur rĂ©gionale) ?
https://strategic-culture.su/news/2024/06/14/european-mutiny-at-the-illiberal-order/