👁🗨 Netanyahu n'est pas le seul à vouloir prolonger la guerre
Une large coalition de forces politiques, de l'extrême droite israélienne à la gauche sioniste, a des motivations différentes pour faire de la guerre la nouvelle normalité.
👁🗨 Netanyahu n'est pas le seul à vouloir prolonger la guerre
Par Menachem Klein, le 9 avril 2024
Pour la plupart des Israéliens, la guerre est devenue routinière. Ils ont appris à vivre avec. C'est inconfortable, pensent-ils, mais il n'y a pas d'autre choix.
Bien sûr, tout le monde ne partage pas ce sentiment de complaisance - les personnes endeuillées, les survivants, les blessés, les personnes évacuées et les familles de ceux qui sont toujours retenus en otage à Gaza. Et, bien sûr, les citoyens palestiniens d'Israël, dont beaucoup ont perdu des amis ou des parents dans la bande de Gaza assiégée et ont vu avec horreur leurs voisins et collègues juifs justifier l'assaut brutal d'Israël. Ces victimes de la guerre luttent contre la nouvelle normalité, mais leur succès est limité.
Les manifestations hebdomadaires pour la libération des otages encore détenus sont peut-être passées à la vitesse supérieure au cours des deux dernières semaines, avec une explosion de rage à l'égard du Premier ministre Benjamin Netanyahu pour sa lenteur apparente dans les négociations en vue d'un cessez-le-feu et d'un accord sur l'échange d'otages. Mais ces protestations restent dérisoires par rapport aux manifestations de l'année dernière contre la réforme judiciaire du gouvernement de droite, à celles de 2020 contre Netanyahou et à celles de 2011 contre l'augmentation du coût de la vie. Pendant ce temps, Israël semble poursuivre son offensive à Gaza - sans tenir compte de la Cour internationale de justice ou du Conseil de sécurité de l'ONU - et peut-être même chercher une escalade régionale plus large, au moins sur le front nord avec le Hezbollah, après son attaque contre l'ambassade iranienne à Damas au début du mois.
Cette nouvelle normalité, qui semble pour l'instant irréversible, n'est pas sortie de nulle part. Au contraire, elle est activement produite, chaque jour, par ceux qui ont intérêt à la maintenir - une large coalition d'individus et de groupes ayant chacun des motivations distinctes.
Commençons par le ministre de la défense, Yoav Gallant, et les hauts responsables militaires. Ils savent pertinemment que les unités de réserve ne peuvent pas être mobilisées indéfiniment et sont conscients du coup porté au prestige soigneusement préservé d'Israël au sein de la communauté internationale en raison de la manière dont le pays mène la guerre. Mais ils comprennent également que tant que la guerre se poursuivra, aucune pression publique ne s'exercera sur eux pour les contraindre à assumer la responsabilité des graves échecs qui ont débouché sur le 7 octobre. S'ils peuvent remporter quelques victoires dans la guerre, peut-être, espèrent-ils, n'entreront-ils pas dans l'histoire comme les pires dirigeants qu'Israël ait jamais eus. Ils parlent donc d'une guerre qui va durer des années.
Il est bien connu que Netanyahou est motivé par une logique similaire. Tant que le pays sera en guerre, il restera à la barre et pourra retarder, voire annuler, son procès pour corruption tant attendu - alors pourquoi vouloir y mettre fin ?
Pour ses partenaires de la coalition, cette nouvelle normalité est une bénédiction. Le Parti sioniste religieux (extrême droite) et Otzma Yehudit (Pouvoir juif), dirigés respectivement par Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, conçoivent la guerre comme un mode de vie et une application de leurs principes politiques fondamentaux : l'expansion de la suprématie juive et la liquidation du mouvement national palestinien. Les ultra-orthodoxes, quant à eux, s'associent à l'euphorie messianique des partis d'extrême droite à travers la notion religieuse du “peuple élu”. Mais ils ont également une motivation financière à poursuivre leur soutien à la guerre : Smotrich, en sa qualité de ministre des Finances, a récemment alloué un important budget gouvernemental aux partis ultra-orthodoxes afin d'acheter leur loyauté.
Même l'administration Biden normalise la guerre. M. Biden refuse d'insister sur un cessez-le-feu permanent ou de faire pression sur Israël pour qu'il mette fin à ses opérations dans la bande de Gaza. L'abstention américaine lors de l'adoption de la récente résolution du Conseil de sécurité appelant à un cessez-le-feu immédiat n'était pas une approbation totale de la proposition, d'autant que l'ambassadeur des États-Unis à l'ONU a immédiatement cherché à la rejeter. M. Biden a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude quant à l'absence de plans israéliens destinés à protéger les civils palestiniens et les travailleurs humanitaires - notamment en cas d'invasion de Rafah - et a insisté auprès d'Israël sur sa vision du “jour d'après”, mais il refuse de dire que trop, c'est trop.
En outre, M. Biden a instauré une véritable division du travail entre lui et M. Netanyahu : les États-Unis atténuent quelque peu la détresse des civils de Gaza en leur envoyant de l'aide, tandis qu'Israël les attaque et continue de les affamer. M. Biden n'a pas non plus présenté sa propre solution pour le “jour d'après”, se contentant d'évoquer un processus vague au terme duquel, d'une manière ou d'une autre, une solution à deux États pourrait être trouvée. Netanyahou se réjouit de l'imprécision de la suggestion en soulignant son infaisabilité.
Le centre israélien et la gauche sioniste se tiennent maladroitement à l'écart. Ils ont toujours été des ambassadeurs du militarisme israélien, voire les chefs de file de l'armée. Ils sont donc incapables de s'opposer à ce militarisme, surtout en temps de guerre, malgré leur inquiétude face à la mainmise des religieux-sionistes sur les forces de sécurité israéliennes.
Avant la guerre, peu d'entre eux se préoccupaient du sort des Palestiniens assiégés dans la bande de Gaza, ni ne préconisaient de négociations en vue d'accords politiques avec l'Autorité palestinienne (AP). La grande majorité d'entre eux approuvait pleinement la politique de “gestion du conflit” de M. Netanyahou et ignorait également la volonté du Hamas d'évoluer vers un front uni avec l'AP, comme en témoignent ses “principes généraux et politiques” de 2017, qui reconnaissent effectivement les accords d'Oslo comme un fait établi, et son accord de 2021 avec le président de l'AP, Mahmoud Abbas, sur l'organisation d'élections générales. Depuis le 7 octobre, le peu d'enthousiasme manifesté par la gauche et le centre sionistes à l'égard d'un accord politique avec les Palestiniens a été entièrement réduit à néant.
Dans le style typiquement israélien des gouvernements de centre-gauche des années 1950 à 1980, en particulier celui de la moralisatrice Golda Meir, ils se disent navrés des souffrances des Palestiniens, “mais nous n'avons pas le choix”. Ils mentionnent à peine les brutalités de l'armée et des colons et le nettoyage ethnique des Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem. Et, bien sûr, ils s'opposent fermement aux procès intentés contre Israël à La Haye. Le résultat est une version actualisée de la “gestion des conflits” qui, malgré d'autres divergences, réunit pratiquement tous les courants de la politique israélienne.
Qu'est-ce qui pourrait bouleverser cette réalité de la guerre routinière, pour le meilleur ou pour le pire ? Je vois trois possibilités, qui ne s'excluent pas mutuellement.
La première est une action israélienne radicale au Liban ou une invasion de Rafah, qui pourrait résulter d'une escalade locale incontrôlable ou d'une erreur de calcul israélienne.
La deuxième possibilité est une décision américaine d'exiger un cessez-le-feu permanent, ainsi qu'une coalition militaire internationale qui remplacerait la présence militaire israélienne dans la bande de Gaza.
La troisième possibilité serait une prise de conscience du secteur industriel et commercial israélien, pour qui la guerre n'est pas une affaire de routine, mais plutôt une grave perturbation du cours normal des affaires. Politiquement et socialement, ce secteur se situe à la fois à la droite et au centre de l'échiquier politique. Il a alimenté le mouvement de protestation contre la réforme judiciaire et, si on le pousse à agir, il pourrait provoquer un nouveau cycle d'élections et, par conséquent, un changement dans le déroulement de la guerre.
Une version de cet article a d'abord été publiée en hébreu sur Local Call.