👁🗨 Netanyahu piège Trump dans un joli bourbier
Netanyahu va pouvoir prétendre, une fois rentré à Tel-Aviv, que Trump assure ses arrières, s’offrant une seconde jeunesse dans les eaux infestées de requins de la politique israélienne.
![](https://substackcdn.com/image/fetch/w_1456,c_limit,f_auto,q_auto:good,fl_progressive:steep/https%3A%2F%2Fsubstack-post-media.s3.amazonaws.com%2Fpublic%2Fimages%2Fc8d7423a-510c-4e77-ae0d-075ebae85699_1788x1304.heic)
👁🗨 Netanyahu piège Trump dans un joli bourbier
Par M.K. Bhadrakumar*, le 5 février 2025
Les États-Unis, sans passé de création de nation, se lancent dans une entreprise impossible à Gaza.
On a rarement, voire jamais, l'occasion de reprendre le fil de ce que l'on avait écrit trois jour auparavant à titre de conjecture. Mais mon pronostic selon lequel “la vue sur mer” de Gaza hypnotise le président Donald Trump et son envoyé spécial pour le Moyen-Orient Steve Witkoff, deux grands promoteurs immobiliers des temps modernes, se vérifie au pied de la lettre.
Ce qui s'est passé lors des entretiens de Benjamin Netanyahu avec Trump dans le bureau ovale mardi ne fait aucun doute. Le Premier ministre israélien en visite a réussi de loin le plus grand coup de maître de ses 17 années tumultueuses au pouvoir en tant que Premier ministre le plus longtemps en exercice de son pays en émettant la proposition audacieuse qu'une solution à long terme pour la bande de Gaza résiderait dans la prise de contrôle de toute cette zone par les États-Unis et sa transformation en “Riviera du Moyen-Orient” ( pour reprendre les termes de Trump).
D'après ce qui est ressorti de la conférence de presse de la Maison Blanche mardi, les États-Unis, qui n'ont aucun antécédent en matière d'édification de nations, se lancent dans une entreprise qui est non seulement d’une ampleur redoutable, mais impossible à réaliser. Qu'à cela ne tienne, Netanyahu, avec son air triomphant aux côtés de Trump, dégageait la certitude d'avoir conclu un accord avec ce dernier.
L'accord implique l'idée controversée de nettoyer la bande de Gaza de sa population et de réinstaller les 1,8 million d'habitants palestiniens dans certains pays non spécifiés, ainsi que la reconstruction des terres inoccupées, qui représentent à peu près la même superficie que Las Vegas ou deux fois la taille de Washington, D.C. Le littoral de Gaza est long de 40 km et Trump espère le transformer en centre balnéaire pour personnes riches et célèbres, avec à terme de nombreux emplois subalternes dans le secteur des services pour les Palestiniens.
![](https://substackcdn.com/image/fetch/w_1456,c_limit,f_auto,q_auto:good,fl_progressive:steep/https%3A%2F%2Fsubstack-post-media.s3.amazonaws.com%2Fpublic%2Fimages%2F685d6b8f-8d14-48a1-adb9-18da93bd9e88_2000x1333.heic)
Trump a utilisé l'expression “prendre le contrôle” de la bande de Gaza. Il n'a pas donné plus de détails. Trump et Witkoff sont deux constructeurs de génie et ils visualisent un potentiel illimité en réalisant plusieurs objectifs d'un coup :
D'abord et avant tout - renforcer la sécurité d'Israël par le nettoyage ethnique et la colonisation de Gaza.
Deuxièmement, restaurer la domination régionale d'Israël dans la région dans une perspective à moyen et long terme.
Troisièmement, résoudre un problème palestinien insoluble.
Quatrièmement, rendre obsolètes plusieurs idées farfelues telles que la “solution à deux États”.
Cinquièmement, enterrer la notion même d'État palestinien.
Sixièmement, réaliser l'intégration régionale d'Israël par le biais des accords d'Abraham.
Et, septièmement, par-dessus le marché, créer des retombées commerciales massives pour les entreprises américaines pendant des décennies grâce au développement de la “Riviera du Moyen-Orient”.
La stratégie des États-Unis est essentiellement le prolongement de ce que Trump a poursuivi au cours de son premier mandat, avec un engagement concret dans la région d'Asie occidentale et la réactivation de son influence de médiateur, qui a culminé avec la signature des accords d'Abraham entre Israël et une poignée d'oligarchies arabes.
![](https://substackcdn.com/image/fetch/w_1456,c_limit,f_auto,q_auto:good,fl_progressive:steep/https%3A%2F%2Fsubstack-post-media.s3.amazonaws.com%2Fpublic%2Fimages%2F52eb7124-b222-42ba-8a37-a35b99724ecd_2048x1365.heic)
Trump a tenu des propos très durs vis-à-vis de l'Iran et a laissé entendre qu'il est prêt à recourir à la force militaire, si nécessaire, pour s'assurer que Téhéran ne développera pas d'armes nucléaires, quelles que soient les circonstances. Trump a redoublé d'efforts dans sa stratégie de “pression maximale” pour réduire à zéro les exportations de pétrole de l'Iran. D'un autre côté, il a laissé la porte ouverte aux négociations, à condition que l'Iran accepte les conditions imposées par les États-Unis.
La pensée de Trump se fonde sur la conviction que les opérations militaires israéliennes contre le Hamas et le Hezbollah et le changement de régime en Syrie ont considérablement affaibli la capacité de l'Iran à déployer sa puissance.
Trump a salué le rôle positif de l'Arabie saoudite et a anticipé sa reconnaissance d'Israël comme une éventualité concrète. Trump a affirmé que plusieurs États régionaux sont également prêts à adhérer aux accords d'Abraham.
Il est évident qu'il n'en est qu'à ses débuts. Netanyahu a révélé que Trump consulterait ses collaborateurs sur la manière de développer le concept. Entre-temps, il a vaguement signalé qu'il pourrait ne pas compromettre le plan en trois étapes pour le cessez-le-feu à Gaza, même si le démantèlement du Hamas demeurera d'actualité.
Le Hamas ne manquera pas de rejeter catégoriquement le plan américano-israélien. Une délégation du Hamas dirigée par le vice-président du politburo, Mousa Abu Marzook, s'est rendue à Moscou au cours du week-end.
Le ministère russe des Affaires étrangères a déclaré lundi que l'envoyé spécial du président pour le Moyen-Orient et l'Afrique, le vice-ministre des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov, a reçu la délégation du Hamas et que les deux parties
“ont souligné l'importance de poursuivre systématiquement leurs efforts pour parvenir à l'unité inter-palestinienne dès que possible, en se basant sur le cadre politique de l'Organisation de libération de la Palestine, qui prévoit la création d'un État palestinien indépendant dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale”.
De toute évidence, les Russes n'avaient aucune idée de l'annonce imminente de Trump. M. Bogdanov a également reçu l'ambassadrice israélienne Simona Halperin plus tard dans la journée de lundi.
Le ministère des Affaires étrangères a déclaré
qu'“une attention particulière a été accordée à la mise en œuvre de l'accord entre Israël et le mouvement du Hamas sur un cessez-le-feu dans la bande de Gaza et l'échange d'otages. La partie russe a confirmé son engagement à poursuivre des efforts soutenus afin d'obtenir la libération rapide des personnes détenues dans l'enclave”.
L'Arabie saoudite a vivement réagi, affirmant qu'elle n'établira aucun rapprochement avec Israël sans la création d'un État palestinien, et que sa position sur cette question est “ferme, non négociable et inébranlable”.
Le communiqué saoudien précise que le prince héritier Mohammed ben Salmane a insisté sur la position du royaume d'une
“manière claire et explicite qui ne permet aucune interprétation, quelles que soient les circonstances”.
![](https://substackcdn.com/image/fetch/w_1456,c_limit,f_auto,q_auto:good,fl_progressive:steep/https%3A%2F%2Fsubstack-post-media.s3.amazonaws.com%2Fpublic%2Fimages%2Fd0f9aee6-c7ec-4910-834c-4f4696f0d842_2048x1365.heic)
Selon le communiqué saoudien inhabituellement long, le prince héritier a déclaré que l'Arabie saoudite
“ne cessera pas son action en faveur de la création d'un État palestinien indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale. Le royaume ne développera aucune relation diplomatique avec Israël sans cela”.
Le communiqué a réitéré le
“rejet catégorique du royaume de la violation des droits légitimes du peuple palestinien par les politiques de colonisation, d'annexion et de déplacement d'Israël”.
Le communiqué ajoute :
“La communauté internationale a aujourd'hui le devoir d'apaiser la profonde crise humanitaire qu'endure le peuple palestinien. Le peuple continuera à s'accrocher à sa terre et sa détermination sera à toute épreuve”.
En outre, la déclaration souligne
qu’“une paix permanente et juste ne peut être obtenue sans que le peuple palestinien ne jouisse de ses droits légitimes, conformément aux résolutions internationales, et cette question a été clairement stipulée à l'ancienne et à l'actuelle administration américaine”.
On a assisté à une avalanche de critiques dans le monde entier. À première vue, Netanyahu a attiré Trump dans un traquenard en l'alléchant avec un scénario séduisant d'affaires lucratives massives dans la reconstruction de Gaza.
L'imagination de Trump s'est emballée, complètement déconnectée des réalités du terrain. Une telle naïveté présente le risque réel que cette décision relative à Gaza lui explose à la figure plus tôt que prévu et se transforme en un véritable boulet pour sa présidence. C'est un véritable bourbier pour l'administration Trump.
Netanyahu est le grand gagnant de l'affaire. En fait, la caméra l'a surpris en train de sourire plus d'une fois pendant que Trump parlait de son projet de rêve de “Riviera du Moyen-Orient”.
La seule réussite tangible de Netanyahu, néanmoins, est qu'un désengagement des États-Unis en Asie occidentale est tout simplement hors de question maintenant. Deuxièmement, il pourra prétendre, une fois rentré chez lui à Tel-Aviv, que Trump assure ses arrières. Le grand rescapé va probablement bénéficier d'une seconde jeunesse dans les eaux infestées de requins de la politique israélienne.
* M.K. Bhadrakumar est un ancien diplomate. Il a été ambassadeur de l'Inde en Ouzbékistan et en Turquie.
https://consortiumnews.com/2025/02/05/netanyahu-traps-trump-in-quagmire/