đ© Nina Varelli: Julian Assange, l'homme qui en savait trop. Sa femme, Stella Moris, parle.
Ils ont terni sa réputation, semé le doute sur la finalité de son activité journalistique, tout fait pour occulter les succÚs de WikiLeaks, qui a changé à jamais la façon de rapporter l'information.
đ© Julian Assange, l'homme qui en savait trop. Sa femme, Stella Moris, parle.
đ° Par Nina Verdelli, 6 octobre 2022
AprÚs avoir défendu Julian Assange au tribunal, son avocate Stella Moris Assange l'a épousé, et lui a donné une famille. Avec une promesse: se battre pour sa libération et ne pas abandonner. Jusqu'à ce qu'elle le ramÚne à la maison
Si Julian Assange est encore en vie, il le lui doit probablement. A Stella, son Ă©toile. Qui l'a sauvĂ© de toutes les maniĂšres possibles. Avocate de premier plan sur la scĂšne internationale, la Sud-Africaine Stella Moris, 38 ans, nĂ©e Sara Gonzales Devant, l'a d'abord dĂ©fendu contre des accusations de viol en SuĂšde (affaire classĂ©e sans suite en 2017 sans jamais passer devant le tribunal), puis est devenue le porte-parole de la cause d'Assange dans le monde. Finalement, elle l'a Ă©pousĂ© et lui a donnĂ© deux enfants. En fait, elle lui a donnĂ© deux fils (Gabriel, 5 ans, et Max, 3 ans), puis l'a Ă©pousĂ©: le mariage a Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ© en mars dernier, lors de moments passĂ©s dans la prison de haute sĂ©curitĂ© de Belmarsh, Ă Londres, oĂč le fondateur de WikiLeaks (un site qui reçoit et publie des documents secrets) est dĂ©tenu depuis 2019. Les chefs d'accusations: il semble qu'il ait violĂ© sa libertĂ© surveillĂ©e en 2010, alors que l'accusation de harcĂšlement sexuel n'avait pas encore Ă©tĂ© abandonnĂ©e. La vĂ©ritĂ©, selon Stella:
"Les Etats-Unis veulent le juger pour espionnage et le jeter en prison pour toujours. Ils ne lui pardonnent pas d'avoir divulgué des documents prouvant les crimes de guerre commis en Afghanistan et en Irak aprÚs le 11 septembre. Ni la publication des courriels du personnel d'Hillary Clinton qui laissaient entendre que les primaires de 2016 avaient été menées de maniÚre peu claire. Ils font tout ce qu'ils peuvent pour l'extrader et, pour l'instant, ils sont sur la bonne voie".
En effet, le 20 avril de cette année, le tribunal de Londres a formellement autorisé son extradition vers l'Amérique. Mais Moris, au visage jeune et vivant, n'abandonne pas. Elle se bat à coups d'audiences, de manifestations, de rencontres avec le public (la prochaine le 7 octobre au Wired Next Fest à la Fabbrica del Vapore de Milan), d'interviews, de tweets. Et des cheveux libres, qu'elle fait passer vigoureusement d'une épaule à l'autre lorsque la question l'échauffe.
đ Allez-vous faire appel ?
đŁ "Nous avons fait appel, nous attendons une rĂ©ponse. Mais il n'y a pas encore de date."
đ Julian Assange a rĂ©cemment subi une attaque ischĂ©mique. Comment va-t-il maintenant ?
đŁ "Il prend des mĂ©dicaments pour Ă©viter que cela ne se reproduise. Mais sa santĂ© psychophysique se dĂ©grade de jour en jour".
đ A-t-il dĂ©jĂ eu peur de se faire du mal?
đŁ "Toujours. Lors de la derniĂšre audience, il a Ă©tĂ© soumis Ă un examen psychiatrique. Cinq mĂ©decins ont dĂ©celĂ© chez lui des tendances suicidaires, facilement rĂ©alistes si le fantĂŽme de l'extradition devenait rĂ©alitĂ©".
đ BĂ©nĂ©ficie-t-il d'un soutien psychologique en prison ?
đŁ 'Oui, mais ce n'est pas suffisant. Belmarsh est une prison terrible".
đ Ils l'appellent le "GuantĂĄnamo britannique". Pensez-vous qu'il est traitĂ© de maniĂšre inhumaine ?
đŁ 'Je pense en effet qu'ils lui ĂŽtent une once d'humanitĂ© Ă chaque instant'.
đ Que voulez-vous dire ?
đŁ "Quand vous dĂ©shumanisez une personne, vous pouvez faire ce que vous voulez d'elle. Avec Julian, tout se passe de maniĂšre trĂšs systĂ©matique. Avec l'accusation de viol, ils ont terni sa rĂ©putation, puis ils ont semĂ© le doute sur la finalitĂ© de son activitĂ© journalistique, ils ont associĂ© le nom de Julian Ă celui de personnes peu recommandables (suite au scandale soulevĂ© sur le parti dĂ©mocrate amĂ©ricain, une partie de la presse et du public amĂ©ricain a commencĂ© Ă insinuer qu'Assange avait conspirĂ© avec le gouvernement russe pour favoriser l'Ă©lection du rĂ©publicain Donald Trump, ndlr). Ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour occulter le souvenir des succĂšs de WikiLeaks, qui, au contraire, a changĂ© Ă jamais la façon de rapporter les informations".
đ En bref, ils ont fait d'un homme qui a plusieurs fois Ă©tĂ© proposĂ© pour le prix Nobel de la paix....
đŁ "Un dĂ©traquĂ© qui peut ĂȘtre arrĂȘtĂ© sous un prĂ©texte, extradĂ© et condamnĂ© Ă la prison Ă vie. Ils le rendent invisible".
đ Dans une interview prĂ©cĂ©dente, vous disiez qu'ils ne vous avaient mĂȘme pas permis de publier votre photo de mariage.
đŁ "'Pour des questions de sĂ©curitĂ©", soi-disant. Absurde: quel mal peut faire un portrait de deux personnes qui se marient ? Et ce n'est pas tout: maintenant, ils ne lui permettent plus d'assister aux audiences. Il n'est qu'en liaison vidĂ©o. Ils font tout ce qu'ils peuvent pour l'effacer des yeux et du cĆur des gens".
đ Voulez-vous essayer de le dĂ©crire ?
đŁ "Aujourd'hui, Julian est mince, ses cheveux sont assez courts et il a une belle barbe. Il est trĂšs diffĂ©rent de l'image qui a circulĂ© de lui lors de son arrestation. Ă l'Ă©poque, il avait une barbe et des cheveux trĂšs longs car, pendant des semaines, ils avaient refusĂ© Ă son coiffeur l'entrĂ©e de l'ambassade d'Ăquateur oĂč il Ă©tait rĂ©fugiĂ©. Ils lui avaient mĂȘme pris son kit de rasage. PersĂ©cution, il n'y a pas d'autre mot pour dĂ©crire ce qui lui arrive".
đ Une persĂ©cution qui a commencĂ© quand ?
đŁ'Il a toujours Ă©tĂ© attaquĂ© parce que, tout au long de sa carriĂšre, il a indisposĂ© tous ceux qui avaient un peu de pouvoir: les institutions, les banques, les grandes chaĂźnes de mĂ©dias. Mais les choses ont dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© avec l'administration Trump. Obama ne s'est jamais permis de s'opposer Ă Julian: il ne pouvait le faire sans compromettre la libertĂ© de la presse, qui est fondamentale pour les dĂ©mocraties. Trump avait une relation plus belliqueuse avec le monde de l'information, donc...".
đ Et avec Biden, que se passe-t-il ?
đŁ "Il s'inscrit dans le sillage de Trump. Je suis trĂšs déçue. Je pensais que la musique changerait avec lui. Au lieu de cela, j'ai rĂ©alisĂ© quelque chose."
đ Quoi ?
đŁ "Que cela arrange tout le monde de le faire taire en prison. Ou mieux encore, sous terre."
đ Que se passerait-il s'ils devaient l'extrader ?
đŁ "Je continuerais Ă me battre pour qu'il revienne auprĂšs de moi et des enfants. Et je leur dis toujours : car parfois, ils se plaignent que je travaille trop et que je joue trop peu avec eux. Je leur explique que je travaille beaucoup pour le ramener Ă la maison."
đ Gabriel et Max aiment-ils leur papa ?
đŁ "Ils savent qu'il les aime. Je leur dis tous les jours que je les aime, que papa les aime, qu'il aimerait ĂȘtre avec nous, que nous sommes une famille tous les quatre".
đ Ă quelle frĂ©quence le voient-ils ?
đŁ "Deux fois par semaine. Visites d'une heure autour d'une table dont vous ne pouvez pas bouger".
đ Que faites-vous ?
đŁ "Parfois nous dessinons, parfois nous lisons des livres. Il chatouille les enfants, ils le prennent dans leurs bras".
DÚs que la conversation devient intime, la main avec laquelle Stella déplace ses cheveux devient une caresse qui balaie la confiance de l'avocat et la détermination du champion. Ses joues se teintent de réserve anglo-saxonne, les pauses entre les mots se font plus nombreuses. Et, à la commissure des lÚvres, un quasi-sourire semble apparaßtre.
đ Vous avez conçu vos enfants lors des annĂ©es oĂč Julian Ă©tait rĂ©fugiĂ© dans l'ambassade d'Ăquateur. Ce n'est pas une situation simple non plus. Cela n'a-t-il pas pesĂ© sur la dĂ©cision de fonder une famille ?
đŁ 'Les circonstances Ă©taient hostiles, oui, mais nous n'avons pas Ă©tĂ© dĂ©couragĂ©s. Nous les avons voulus et nous les avons faits".
đ Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez rĂ©alisĂ© que vous Ă©tiez enceinte pour la premiĂšre fois ?
đŁ 'Un mĂ©lange de joie et de terreur intense'.
đ Comment le lui avez-vous dit ?
đŁ "Je l'ai Ă©crit. Il y avait des camĂ©ras partout dans l'ambassade et pour communiquer quelque chose de privĂ©, il Ă©tait prĂ©fĂ©rable de l'Ă©crire sur un papier, de le plier, de le faire passr et ensuite de le lire en se penchant, de maniĂšre Ă crĂ©er une ombre sur les mots. Julian Ă©tait trĂšs heureux et un peu inquiet. Mais Ă la fin, nous avons rĂ©alisĂ© que la seule chose sĂ»re Ă©tait notre amour. Nous avons misĂ© lĂ -dessus".
đ Le coup de foudre ?
đŁ "Je ne dirais pas ça. J'ai Ă©tĂ© trĂšs impressionnĂ© par son intelligence. C'est un homme magnĂ©tique, curieux, dĂ©sireux d'en savoir plus sur la personne qu'il a en face de lui. Nous avons immĂ©diatement eu une conversation agrĂ©able et, oui, je l'ai peut-ĂȘtre trouvĂ© attirant tout de suite, mais l'amour est venu plus tard".
đ Qui a fait le premier pas ?
đŁ "Lui je pense. Nous Ă©tions dĂ©jĂ des amis trĂšs proches quand l'Ă©tincelle a jailli..
đ Jamais vous n'avez hĂ©sitĂ© Ă vous engager dans une relation avec un homme Ă la vie si compliquĂ©e ?
đŁ'Il y a eu quelques hĂ©sitations. Je craignais pour ma sĂ©curitĂ© et celle des membres de ma famille.
đ Vous avez mĂȘme changĂ© son nom pour vous protĂ©ger.
"Je ne voulais pas que les informations me concernant soient récupérées".
đ Est-ce que Julian l'appelle Stella ou Sara ?
đŁ "Stella."
đ Un jour, interrogĂ© sur la difficultĂ© de sa condition, il a dĂ©clarĂ© qu'" il faut ĂȘtre fier d'avoir une vie extraordinaire ". Ătes-vous du mĂȘme avis, ou rĂȘvez-vous d'une existence plus normale ?
đŁ'Je rĂȘve d'un monde plus normal, oĂč l'on n'a pas Ă ĂȘtre emprisonnĂ© simplement parce que l'on est du cĂŽtĂ© de la vĂ©ritĂ©'.
đ Apprenez-vous Ă vos enfants que la vĂ©ritĂ© est plus importante que la libertĂ© ?
đŁ "Non, je leur enseigne qu'il ne faudrait pas avoir Ă choisir. J'insiste sur le fait que ce qui nous arrive n'est pas normal, que c'est injuste. Mais qu'un jour, ça finira, et que papa rentrera Ă la maison".
đ Si cela devait arriver demain, que ferait-il ?
đŁ "J'ai parfois fantasmĂ© sur une fĂȘte de bienvenue Ă la maison, mais je ne pense pas que ce sera le cas. La prison vous suit et vous devez la faire disparaĂźtre. Peut-ĂȘtre que j'essaierais de lui faire passer quelques mois Ă la campagne, au milieu de la nature, sans obligations. Sauf pour se sentir bien. Et pour essayer de rattraper le temps perdu".
https://www.vanityfair.it/article/julian-assange-moglie-stella-moris-estradizione-wikileaks