👁🗨 Non, ce n'est pas du fascisme
Il y a près de deux siècles, De Tocqueville nous mettait en garde contre le “despotisme doux”, c'est-à-dire l'autoritarisme libéral auquel nous sommes aujourd'hui confrontés.
👁🗨 Non, ce n'est pas du fascisme
Par Patrick Lawrence / Consortium News, le 30 avril 2024
La confusion politique et les notions illusoires de fascisme sont à la base de la mort tragique de Max Azzarello par auto-immolation.
Le 19 avril, alors qu'un tribunal du sud de Manhattan finissait de constituer le jury chargé d'entendre la farce de l'affaire des “pots-de-vin” contre Donald Trump, un Floridien de 37 ans, Max Azzarello, s'est immolé par le feu en face du palais de justice.
D'après les témoignages qui ont suivi, Azzarello était un homme pacifique, un voisin agréable, très préoccupé par les questions de justice sociale. Il n'était pas en reste sur le plan académique : Azzarello était diplômé en anthropologie de l'université de Caroline du Nord et titulaire d'une maîtrise en urbanisme de l'université de Rutgers.
Si l'on en croit les articles de la presse grand public, M. Azzarello semble avoir perdu la tête après la mort de sa mère, il y a deux ans ce mois-ci. Mais personne, hormis ses proches, ne peut s'aventurer plus avant, ni même aussi loin, dans le profil psychiatrique de l'homme.
Max Azzarello avait cependant quelque chose à dire au reste d'entre nous alors qu'il se tenait dans le parc en face du palais de justice de Center Street. Juste avant de s'immoler, il a brandi une pancarte sur laquelle on pouvait lire, en majuscules, “TRUMP EST AVEC BIDEN ET ILS SONT SUR LE POINT DE NOUS FASCISER”.
Nous devrions en tenir compte. Un homme apparemment compétent, de l'avis général un homme empathique, est mort en redoutant l'imminence d'une prise de pouvoir fasciste en Amérique. Cela me met très en colère. Pour aller droit au but, une vie humaine est perdue pour une idée ridicule et paranoïaque qui circule depuis un certain temps parmi nous, soit par bêtise, soit pour les motifs politiques les plus cyniques.
J'ai été très peiné d'apprendre l'auto-immolation d'Aaron Bushnell devant l'ambassade d'Israël à Washington le 25 février. J'ai également été triste de lire le dernier geste de Max Azzarello, mais autrement.
Bushnell est mort pour “ce que les gens vivent en Palestine aux mains de leurs colonisateurs”, comme il l'a exprimé dans ses derniers instants. Enrôlé dans l'armée de l'air, Bushnell a déclaré qu'il ne pouvait “plus être complice d'un génocide”. Ses derniers mots ont été “Libérez la Palestine !”. On aurait préféré que Bushnell soit encore parmi nous, mais sa mort a été honorable.
Azzarello est mort dans un état de confusion et de délire, et je tire cette conclusion du message figurant sur sa pancarte. Sa mort n'a honoré personne. J'irai même jusqu'à dire que beaucoup d'entre nous en portent la responsabilité indigne.
Les lecteurs de cette rubrique ont peut-être remarqué au fil des mois que je suis un adepte du respect de la nomenclature. Nommer correctement les choses est essentiel à notre compréhension. Cela nous permet d'agir, si nous le souhaitons, parce que nous savons clairement ce qui doit être fait.
Des appellations incorrectes sur un navire en perdition
Le fait de mal nommer les choses entraîne toutes sortes de complications. Cela nous rend confus et pleins d’illusions, comme dans le cas de Max Azzarello. Cela peut nous paralyser. Et si nous décidons d'agir, nous risquons de faire fausse route. Comme dans le cas de Max Azzarello.
Le nombre d'expressions erronées qui circulent parmi nous, en pleine panique sur notre navire en perdition, est tel que l'on en vient parfois à se lasser du langage tout court. La Russie est un agresseur, la Chine est une puissance impérialiste, Israël est une démocratie, et ainsi de suite à travers le lexique orwellien : la guerre, c'est la paix, etc.
Sur le plan intérieur, les manifestations du 6 janvier 2021 au Capitole constituaient une tentative de coup d'État. Ou une insurrection. Donald Trump est un tyran. Donald Trump est un dictateur - “King Trump”, peut-on lire dans le New York Times. Et nous avons l'impression que l'Amérique, selon le regretté Max Azzarello et d'innombrables autres comme lui, est à la veille d'une prise de pouvoir fasciste.
Une grande partie de cette pollution du discours public provient des autoritaires libéraux. Rachel Maddow, pour prendre l'un des cas les plus pathétiques, veut nous faire croire que Trump le dictateur mettra fin aux élections, détruira les tribunaux et réduira le Congrès à l'impuissance. La commentatrice de MSNBC a d'ailleurs tenu ces propos à l'antenne.
Si vous écoutez les Rachel Maddow, vous constaterez que le thème est la domination d'un seul homme. L'intention évidente est de présenter Donald Trump sous le jour le plus effrayant possible, alors même qu'on se rend compte que Trump pourrait bien battre le président Biden aux élections du 5 novembre.
Il s'agit là d'une manœuvre politique grossière en cette année électorale. Il n'y a rien de nouveau là-dedans. Mais là n'est pas la question.
Entre cet acharnement à susciter la peur pour des raisons politiques et l'idée que le fascisme, sous une forme américaine, nous guette, il y a une ligne de démarcation qui va de nos Rachel Maddow à l'auto-immolation de Max Azzarello. Voilà pour l'essentiel.
Définitions du fascisme
Je n'arrive pas à comprendre ce que les gens veulent dire lorsqu'ils parlent de fascisme dans le contexte actuel. Et pour autant que l'on puisse en juger, la plupart de ceux qui utilisent ce terme ne savent pas non plus ce que cela signifie.
Le fascisme, dans son acception générique, est apparu dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale et, pendant longtemps, il en a existé plus de versions que l'on ne pouvait en compter. Il y a eu celui d'Hitler, bien sûr, et une variante en Autriche. Les Croates avaient l'Ustaša, les Portugais, sous Salazar, l'Estado Novo, et l'Espagne les Falangistes. Il y a eu des mouvements fascistes en France, en Scandinavie, en Amérique latine.
Ils partageaient une idéologie commune, mais les différences étaient aussi marquées que les similitudes, d'un mouvement à l'autre. C'est pourquoi le “fascisme” se voit affublé d'un petit “f” si l'on entend par là le vaste phénomène de l'entre-deux-guerres.
Les mouvements fascistes étaient invariablement et vigoureusement antimarxistes. Ils considéraient la démocratie parlementaire comme une perte de temps. Ils pensaient en termes de mobilisations totalisantes de la population. Le libéralisme du vingtième siècle n'entre pas en ligne de compte.
Mais les différences étaient souvent très marquées. Certains mouvements fascistes étaient laïques, d'autres plaçaient la religion au cœur de l'idéologie. António de Oliveira Salazar, le dictateur portugais des années 1930 à la fin des années 1960, n'avait que faire de l'impiété du nazisme (bien qu'il ait abondamment emprunté au Reich).
Certains fascistes pensaient que les Lumières étaient une erreur, tandis que d'autres étaient plus rationnels, au service de leurs électeurs. Certains étaient populistes, d'autres capitalistes. Les nazis se disaient socialistes, mais étaient tributaires des grands industriels allemands.
Le premier gouvernement fasciste est celui de Benito Mussolini, arrivé au pouvoir en 1922. Il a droit à un “F” majuscule, car Il Duce a baptisé son parti “Fascistes nationaux”. La lecture de la Doctrine du fascisme, le traité de Mussolini publié en 1932, montre clairement que sa pensée s'inscrit dans le courant de “l'homme nouveau” en vogue à l'époque. “Comme pour toute conception politique saine, le fascisme est action et pensée”, commence Mussolini. Et un peu plus tard :
“Le fascisme veut que l'homme soit engagé dans l'action avec toute son énergie ; il exige qu'il soit conscient des difficultés qui l'assaillent et qu'il soit prêt à les affronter. Il conçoit la vie comme une lutte dans laquelle il incombe à l'homme de gagner pour lui-même une place véritablement digne, tout d'abord en se préparant (physiquement, moralement, intellectuellement) à devenir l'instrument indispensable à la réalisation de ce but. Il en va de l'individu comme de la nation et de l'humanité”.
J'ai trouvé que le fascisme de Mussolini avait une lecture compliquée.
“Le fascisme devrait plutôt être nommé corporatisme parce qu'il s'agit d'une fusion du pouvoir de l'État et de celui des entreprises”,
a-t-il déclaré un jour. Voulait-il parler du corporatisme de l'économie au sens où nous l'entendons ?
En théorie non, en pratique oui, dirais-je. Le corporatisme désigne un système dans lequel les personnes sont représentées au sein de l'État en fonction de leurs intérêts ou de leurs fonctions - agriculteurs, travailleurs industriels, propriétaires d'entreprises, etc. Il présente des similitudes avec le système médiéval des guildes, auquel Mussolini faisait référence dans sa doctrine.
Mais au milieu des années 1930, l'intention du Duce, sur le plan économique, était d'effacer toute distinction entre pouvoir politique et pouvoir d'entreprise, précisément par le biais de la fusion évoquée . Le secteur public occupait alors une place prépondérante.
Peut-on voir dans cette esquisse d'une idéologie centenaire quelque chose qui puisse nous menacer ? Au vu de cette histoire, aussi brève et peu scientifique soit-elle, que penser de la pancarte que Max Azzarello a brandie dans le sud de Manhattan juste avant de commettre ce qui s'apparente à un suicide ?
Je suppose que la crise multiforme de l'Amérique - politique, économique, sociale - serait plus compréhensible si nous la nommions pour suggérer qu'elle a des antécédents effrayants. Mais c'est vraiment contre-productif. Tant que nous, ou certains d'entre nous, continuerons à nous persuader que nous sommes confrontés à la menace du fascisme ou du fascisme, nous ne ferons que brouiller les pistes de ce à quoi nous sommes réellement confrontés.
Nous l'affublons d'un qualificatif erroné, pour reprendre ma remarque précédente. Je ne vois pas de fascisme, sous quelque forme que ce soit, à l'horizon de l'Amérique. L'appeler ainsi, c'est nous rendre incapables d'agir efficacement.
Ce à quoi nous sommes confrontés est sans précédent dans notre histoire, me semble-t-il. Il s'agit d'une forme de démocratie tout à fait décadente - une démocratie élitiste, hamiltonienne, contre une démocratie populaire, jeffersonienne. Rien de bien exotique ici.
L'autoritarisme libéral
Il y a près de deux siècles, De Tocqueville nous mettait en garde contre le “despotisme doux”, c'est-à-dire l'autoritarisme libéral auquel nous sommes aujourd'hui confrontés. Je parle d'un autoritarisme de type “apple-pie” parce qu'il s'agit d'un phénomène typiquement, voire exclusivement américain - ce qui était d'ailleurs le point de vue du Français précurseur.
Martin Wolf, chroniqueur au Financial Times, a publié il y a quelques semaines un article intitulé “Le fascisme a changé, mais il n'est pas mort”. Wolf a cité Umberto Eco, le romancier italien, qui, pour sa part, a publié un long essai intitulé “Le fascisme éternel” dans la New York Review of Books il y a de nombreuses années.
Frustration sociale, allégeance aveugle aux dirigeants, défiance de la différence, hostilité envers la richesse ostentatoire, conviction populiste de la souveraineté de la population : tels sont les signes inquiétants d'un retour imminent au fascisme des années 1920 et 1930, d'après ces deux auteurs. (Et je suppose qu'Eco parlait du fascisme de Mussolini, avec un grand “F”, puisqu'il a servi dans une sorte de brigade de jeunesse fasciste).
De quoi Wolf parle-t-il, en se référant largement à Eco ? Ces caractéristiques subjectives décrivent je ne sais combien de sociétés à un moment T. Pour répondre à ma propre question, Wolf utilise le texte d'Eco sur ses souvenirs de Mussolini pour présenter Donald Trump comme une menace fasciste - sa propre interprétation en mode Rachel Maddow.
En ce qui concerne les caractéristiques structurelles du fascisme, Wolf, et avant lui Eco, ne semblent pas avoir grand-chose à dire. Comment expliquer cela ?
Wolf aurait pu parler, par exemple, de la sur-corporatisation extrême de l'économie politique américaine et de la quasi-impossibilité de trouver où finit le “Fortune 500” et où commence le gouvernement américain. Mais cela aurait impliqué les libéraux aussi bien que les conservateurs dans le despotisme doux qui, en effet, assaille les États-Unis.
Si l'on considère une fois de plus le texte de Max Azzarello - “Trump est avec Biden” - il semble qu'il ait vu juste. Il est triste qu'il ait confondu avec le fascisme la réalité qu'il croyait voir. Sinon, il serait encore parmi nous.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son nouveau livre, Journalists and Their Shadows, vient de paraître chez Clarity Press.
https://consortiumnews.com/fr/2024/04/30/patrick-lawrence-this-isnt-fascism/
Tout à fait d'accord avec l'auteur. Il faut inventer une formule pour désigner ce nouveau despotisme qui se cache derrière des mots comme 'démocratie' ou 'ordre fondé sur des règles' etc ...De Tocqueville a voyagé aux USA mais a connu aussi diverses formes de captation du pouvoir par l'argent en France , dont le fameux vote censitif qui excluait les électeurs payant peu d'impôts (le cens) ou pas du tout. Un parlement de riches choisi par des riches en somme. Quand il fut associé au gouvernement provisoire en 1848, il était en pleine maturité. La seconde république fut pleine d'espoir et de promesses. Il mourut avant de voir de nouveau le despotisme qui mit fin à cette belle expérience un 4 septembre. Revenons à ce qui se passe aux USA où la situation est compliquée. Pour moi Trump=Biden, c'est fatal. C'est juste les 2 faces de ce pays maudit qui sont au corps à corps en ce moment ...mais de là à dire qu'ils sont antagonistes ! Trump représente l'egocentrisme Américain, il se moque du nouvel ordre mondial tout comme son electorat composé de fermiers du Wyoming en chemises à carreaux. Mais sa mentalité ne diffère pas des prédateurs présents au congrès. La politique au capitole est faite par les milliardaires. Il y a des clans, versatiles selon les époques qui vont rallier un candidat, point. Le reste c'est de l'esbrouffe. Le prolo ne raisonne qu'en pouvoir d'achat là-bas...le prix du gallon de fuel, du montant de la pension que BlackRock va lui donner, etc ...Il se moque de l'Ukraine ou de Gaza et n'a aucune idée de ce que la CIA ou le pentagone font comme mal au reste du Monde. Biden est du clan des 'intellos' et de Davos contrairement à Trump le 'beauf'. Mais cet antagonisme que l'on affiche pour l'électeur lambda est totalement factice. Les 2 hommes n'ont aucun pouvoir...Trump pendant son mandat a favorisé le lobby sioniste autant voire plus que son successeur. Il n'a pas mis fin à la guerre en Afghanistan. Il a lancé sa campagne hargneuse contre la RPDC et surtout la Chine.Il a laissé la CIA poursuivre la politique de Nuland en Ukraine qui allait déboucher sur la guerre. Avoir son gendre (Kuchner) pire que Blinken comme secrétaire d'état était déjà une erreur et il recommencera...S'il gagne les élections, la politique étrangère ne changera en rien par apport à l'actuelle. Par contre, à l'intérieur, les problèmes vont s'accentuer, je pense et déboucher sur une crise sociale sans précédents. Tout dépendra de l'action des milliardaires opposés (dont Soros et Gates) rodés dans la déstabilisation. Leur point commun, affaiblir le reste du monde et augmenter leur bénéfice ! Mais cela dependra du dollar. Trumo a prévenu : le nouvel ennemi c'est les BRICS et la dédollarisation...il est prêt à declencher, lui aussi la 3eme guerre mondiale. Rotschild a deja fait son choix, Trump sera son poulain! Comme on dit en France...on est pas sortis de l'auberge....