đâđš Nord Stream & les Ă©checs de lâadministration Biden
âDes rĂ©unions ont eu lieuâ entre les responsables norvĂ©giens, Sullivan & Blinken sur le projet de sabotage du gazoduc, mais de façon Ă ce que âjamais le prĂ©sident ne soit mouillĂ© dans lâaffaireâ.

đâđš Nord Stream & les Ă©checs de lâadministration Biden
Par Seymour Hersh, le 11 février 2025
Un président assoupi au volant a orchestré des désastres dans le monde et provoqué le retour de Trump à la Maison Blanche - cette fois avec Elon Musk.
Nous en sommes maintenant Ă trois semaines de la deuxiĂšme prĂ©sidence de Donald Trump, et il a virtuellement confiĂ© le ministĂšre du TrĂ©sor et plus d'une douzaine d'autres ministĂšres et agences Ă Elon Musk et Ă son Ă©quipe de jeunes charognards du numĂ©rique. Ils sont en train de bafouer la Constitution tout en collectant des donnĂ©es Ă©conomiques et des renseignements sur tout ce qui leur tombe sous la main, y compris vraisemblablement les dĂ©tails sur les nombreuses relations d'affaires de Musk avec Washington depuis les coulisses du gouvernement. On peut mĂȘme entendre Trump, qui a soixante-dix-huit ans, envisager de briguer un troisiĂšme mandat. Pourtant, de nombreux AmĂ©ricains, y compris des membres du CongrĂšs, saluent ce chaos.
La clé du succÚs de Trump, comme nous le savons tous, fut la disparition de Joe Biden, dont les défaillances physiques et mentales ont été dissimulées au public américain pendant, on le sait maintenant, deux ans avant son désastreux débat avec Trump en juin dernier. Ce n'est que là que le Parti démocrate a fait face aux réalités, et a contraint Biden à renoncer à la campagne.
La famille et l'équipe dirigeante de Biden ont occulté la vérité jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour organiser une convention publique et choisir un nouveau candidat. En fin de compte, Kamala Harris n'a pas été la meilleure option, mais la seule qui s'offrait à nous.
La presse américaine a également échoué.
J'ai eu mon premier aperçu de ce qui clochait dans la Maison Blanche de Biden Ă l'automne 2022, alors que je faisais des recherches et Ă©crivais un article sur le rĂŽle des Ătats-Unis dans la destruction du gazoduc - un article publiĂ© ici en fĂ©vrier 2023. L'article portait notamment sur la dĂ©cision prise prĂ©cĂ©demment par le prĂ©sident de lancer un avertissement public au prĂ©sident russe Vladimir Poutine de ne pas attaquer l'Ukraine. Lors d'une confĂ©rence de presse tĂ©lĂ©visĂ©e Ă la Maison Blanche le 7 fĂ©vrier 2022, l'avertissement s'est assorti de la promesse de dĂ©truire un gazoduc rĂ©cemment achevĂ©, le Nord Stream 2, sur le point d'acheminer d'Ă©normes quantitĂ©s de gaz naturel bon marchĂ© de la Russie vers l'Allemagne.
Poutine a ignoré la menace et a envahi l'Ukraine le 24 février. Sept mois plus tard, le 26 septembre, Nord Stream 2 et un gazoduc plus ancien, Nord Stream 1, ont été détruits par des mines posées par deux plongeurs de la marine américaine, parfaitement formés à leur travail en mer Baltique.
En septembre 2023, j'ai publié un article de synthÚse qui dénonçait le déni persistant de la Maison Blanche quant à son rÎle dans le sabotage du gazoduc. L'Allemagne et certains pays d'Europe se débattaient avec la pénurie de gaz bon marché et le gouvernement allemand déboursait des centaines de milliards d'euros en subventions aux ménages et aux entreprises pour les aider à se chauffer. Certains journaux ont consciencieusement repris les instructions du gouvernement - des services de renseignement - à Washington et à Berlin à propos d'un yacht de 15 mÚtres, qui aurait été loué par des Ukrainiens munis de faux passeports qui seraient impliqués dans le sabotage de l'oléoduc.
Ce n'est que rĂ©cemment que je me suis rendu compte que j'aurais dĂ» ĂȘtre plus attentif aux derniĂšres lignes de mon premier article. "Ce fut une belle histoire de camouflage. Le seul dĂ©faut fut la volontĂ© de le faire"., avais-je alors citĂ© un responsable des renseignements impliquĂ© dans l'affaire.
L'opĂ©ration avait rĂ©ussi sur un seul point : trois des mines placĂ©es sous l'eau ont fonctionnĂ© et le monde entier a assistĂ© au spectacle dĂ©concertant d'Ă©normes quantitĂ©s de mĂ©thane remontant Ă la surface. Les plongeurs n'ont pas disposĂ© de suffisamment de temps sous l'eau - une immersion trop longue pourrait ĂȘtre fatale - pour poser la quatriĂšme mine prĂ©vue.
Je sais aujourd'hui ce que j'avais besoin de savoir il y a deux ans.
Biden montrait des signes de dĂ©labrement - pertes de mĂ©moire et chutes occasionnelles - bien avant que Poutine ne se mette Ă menacer l'Ukraine et Ă dĂ©ployer des forces russes le long de la frontiĂšre ukrainienne. La communautĂ© du renseignement amĂ©ricain a reçu l'ordre - le terme consacrĂ© est âmissionâ - de prĂ©parer un plan pour le 1er fĂ©vrier 2022 en vue de la destruction des gazoducs Nord Stream. La Central Intelligence Agency a fait son travail et, en Ă©troite collaboration secrĂšte avec la communautĂ© des forces spĂ©ciales norvĂ©giennes, disposait de mines et d'une Ă©quipe, Ă©tant entendu que si Poutine attaquait et que la guerre Ă©tait dĂ©clenchĂ©e, l'ordre de dĂ©truire les gazoducs serait immĂ©diat. Poutine allait savoir qui avait fait le coup.
Cet ordre n'a pas été donné. Au lieu de cela, la Maison Blanche - le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan étant le contact désigné - a demandé à l'unité de mettre au point un mécanisme capable de déclencher les mines, une fois posées, par le biais d'un sonar à basse fréquence. Il a fallu des mois de recherche et de planification, mais tout était en place en septembre 2022, sept mois aprÚs le début de la guerre en Ukraine, et c'est à ce moment-là que l'attaque a été ordonnée.
Elle a été déclenchée, m'a-t-on dit, par crainte que le chancelier allemand Olaf Scholz, confronté à un hiver sans gaz russe bon marché, ne panique et n'ordonne la réouverture des gazoducs.
Ces derniĂšres semaines, je suis revenu sur l'histoire des gazoducs et j'ai rĂ©alisĂ© que j'avais appris, et ignorĂ©, beaucoup de choses de mes sources de renseignement et d'autres sources sur les dysfonctionnements de Biden depuis le dĂ©but de l'annĂ©e 2022. J'ai compris trĂšs tĂŽt, au cours de mes six dĂ©cennies de reportages sur les Ătats-Unis en temps de guerre et hors temps de guerre, que les prĂ©sidents amĂ©ricains sont invariablement fascinĂ©s et obsĂ©dĂ©s par les capacitĂ©s de la CIA et d'autres agences du renseignement Ă faire efficacement avancer les choses. J'ai appris au cours de conversations privĂ©es avec des gens haut placĂ©s ou proches du pouvoir que rien ne plaĂźt plus aux prĂ©sidents, aprĂšs une dure journĂ©e passĂ©e Ă supplier en vain les membres du SĂ©nat et de la Chambre des reprĂ©sentants de voter comme ils le souhaitent, que de se promener dans la roseraie de la Maison-Blanche avec le chef de la CIA et d'obtenir satisfaction, qu'il s'agisse de battre un adversaire politique, ou d'Ă©liminer un ennemi ou une menace Ă©trangĂšre.
Barack Obama tenait ses rĂ©unions du mardi avec les hauts responsables de la CIA et donnait son avis sur le sort de tel ou tel terroriste prĂ©sumĂ©. Bien entendu, on comptait souvent des victimes collatĂ©rales. En janvier 2020, Donald Trump a cĂ©lĂ©brĂ© publiquement sa dĂ©cision d'autoriser l'assassinat du gĂ©nĂ©ral iranien Qassim Soleimani aprĂšs son arrivĂ©e, via un vol commercial en provenance de Damas, pour une visite diplomatique Ă Bagdad. Neuf autres personnes, dont de nombreux fonctionnaires ou agents de sĂ©curitĂ© irakiens, ont Ă©tĂ© tuĂ©es dans le convoi de deux voitures qui a rejoint l'avion. Soleimani Ă©tait le commandant de la force Qods de l'Iran, dĂ©signĂ©e comme une organisation terroriste par les Ătats-Unis et l'Union europĂ©enne. âLe monde est un endroit plus sĂ»r sans ces monstresâ, a alors dĂ©clarĂ© Trump.
Bien entendu, lorsqu'il s'agit d'opérations secrÚtes de ce type, la responsabilité incombe toujours au président.
Mais comme me l'a dit l'un des responsables de l'opĂ©ration, cette rĂšgle ne s'appliquait pas lorsqu'il s'est agi pour Biden de freiner Poutine dans l'opĂ©ration ukrainienne. Le prĂ©sident ân'Ă©tait plus dans le coup intellectuellement au moment oĂč les Russes ont envahi le paysâ, a-t-il dĂ©clarĂ©. L'hostilitĂ© de M. Biden Ă l'Ă©gard du dĂ©bit constant de gaz russe vers l'Allemagne Ă©tait dĂ©jĂ notoire lorsqu'il traitait certaines questions liĂ©es au pĂ©trole et au gaz en tant que vice-prĂ©sident de M. Obama. Comme je l'ai Ă©crit en 2023, Biden, Sullivan, le secrĂ©taire d'Ătat Antony Blinken et la sous-secrĂ©taire d'Ătat aux questions politiques Victoria Nuland ont Ă©tĂ© publiquement les ardents opposants Ă Nord Stream 1 et 2. L'inquiĂ©tude relative Ă l'influence Ă©conomique du gaz et du pĂ©trole russes bon marchĂ© acheminĂ©s vers l'Europe de l'Ouest est un des thĂšmes de la politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine depuis l'administration de John F. Kennedy.
M. Sullivan, probablement avec l'approbation de M. Biden, a organisĂ© une sĂ©rie de rĂ©unions secrĂštes Ă la fin de l'annĂ©e 2021 pour bloquer le fonctionnement des gazoducs. Ces rĂ©unions ont vite abouti Ă une solution : les gazoducs pourraient ĂȘtre dĂ©truits par des mines placĂ©es par un groupe hautement qualifiĂ© de plongeurs formĂ©s par la marine, dont les compĂ©tences en matiĂšre de dĂ©sobstruction des ports et des fonds sous-marins ont Ă©tĂ© qualifiĂ©es d'exceptionnelles pendant des dĂ©cennies par les commandements de la marine dans le monde entier.
Un groupe trié sur le volet d'officiers supérieurs du renseignement américain et de plongeurs de la marine, travaillant en étroite collaboration avec des alliés de longue date en NorvÚge - les services de renseignement et la communauté maritime norvégiens collaborent avec la CIA dans le cadre d'opérations secrÚtes depuis des décennies - a trouvé le site adéquat en mer Baltique, les mines adaptées et les plongeurs compétents pour mener à bien l'opération au début de l'année 2022. Les alliés des Américains en SuÚde et au Danemark ont été informés du plan d'attaque et de l'entraßnement intensif requis.
Le 7 fĂ©vrier 2022, moins de trois semaines avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Biden a reçu Scholz Ă la Maison Blanche. InterrogĂ© sur Nord Stream 2, Biden a dĂ©clarĂ© : âSi la Russie envahit [lâUkraine], il n'y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons finâ.
On m'a dit que les Américains sur le terrain ont accepté cette mission en croyant travailler en soutien à un président américain résistant au dirigeant russe et garantissant à Poutine que ses propos étaient sincÚres.
âNotre mission a Ă©tĂ© conçue pour dissuader la Russie d'entrer en guerre en Ukraineâ, m'a dit un fonctionnaire amĂ©ricain impliquĂ©, âet nous avions les moyens de faire exploser les gazoducs. C'Ă©tait notre mission, pour montrer Ă Poutine que notre prĂ©sident ne plaisante pas. Et regardez ce qui s'est passĂ©â.
Il fait référence à l'invasion russe et à l'ordre de faire sauter les mines, qui n'a été donné que sept mois plus tard.
Les plongeurs sont venus et repartis, puis revenus et de nouveau repartis - un plan alternatif visant Ă faire exploser le gazoduc au cours d'un exercice de l'OTAN au dĂ©but du printemps en mer Baltique n'a jamais Ă©tĂ© autorisĂ©. Le responsable concernĂ© a dĂ©clarĂ© un jour : âNous avons reçu le message de le faire Ă la date de notre choixâ. Pour finir, les mines ont Ă©tĂ© placĂ©es Ă 80 mĂštres de profondeur en mer Baltique, et ont pu ĂȘtre dĂ©clenchĂ©es par un signal Ă basse frĂ©quence connu de quelques initiĂ©s seulement.
Ă la fin du mois de septembre, l'ordre de faire sauter les explosifs a Ă©tĂ© donnĂ© Ă un avion de la marine norvĂ©gienne qui volait Ă quelques centaines de mĂštres de la surface. L'avion a donc larguĂ© le dispositif de sonar Ă basse frĂ©quence, la connexion a fonctionnĂ© - les AmĂ©ricains s'en sont beaucoup inquiĂ©tĂ©s - et les mines ont explosĂ©, crĂ©ant un impressionnant nuage de mĂ©thane et une grande confusion. Les Ătats-Unis ont niĂ© avec insistance toute implication. Ceux qui ont autorisĂ© la frappe - on ne sait pas encore - ont attendu la fin du mois de septembre pour dĂ©clencher le dispositif.
RĂ©cemment, le fonctionnaire concernĂ© m'a dit - peut-ĂȘtre pour dire maintenant ce qu'il n'aurait pas osĂ© me dire lorsque Biden Ă©tait en fonction - que âdes rĂ©unions ont eu lieuâ entre les responsables norvĂ©giens, Sullivan et Blinken sur la planification du sabotage du gazoduc, mais de façon Ă ce que âjamais le prĂ©sident ne soit impliquĂ© dans lâaffaireâ.
Biden et son Ă©quipe de politique Ă©trangĂšre ont maintenant quittĂ© leurs fonctions sans admettre avoir jouĂ© un quelconque rĂŽle dans la destruction des gazoducs Nord Stream. Les gouvernements allemand, danois et suĂ©dois ont rĂ©agi Ă la destruction du Nord Stream en promettant des enquĂȘtes approfondies qui n'ont abouti Ă rien. Il y a prĂšs d'un an, le Danemark et la SuĂšde ont dĂ©clarĂ© vouloir clore leurs enquĂȘtes et transmettre leurs conclusions aux autoritĂ©s allemandes, qui n'ont Ă ce jour dĂ©livrĂ© qu'un seul mandat d'arrĂȘt visant un Ukrainien dont le nom n'a pas Ă©tĂ© dĂ©voilĂ©.
Quatre jours aprĂšs le sabotage de l'olĂ©oduc, M. Sullivan a Ă©tĂ© interrogĂ© sur les explosions lors d'une confĂ©rence de presse Ă la Maison-Blanche. L'auteur de la question a fait remarquer que M. Biden avait qualifiĂ© les attentats d'âacte dĂ©libĂ©rĂ© de sabotageâ et dĂ©clarĂ© que les Russes âdiffusent des mensonges et des informations erronĂ©esâ. Cela signifie-t-il, a-t-on demandĂ© Ă Jake Sullivan, que la Russie est âprobablement responsable de cet acte de sabotageâ ?
La rĂ©ponse hypocrite de Jake Sullivan, que j'ai dĂ©jĂ citĂ©e, mĂ©rite d'ĂȘtre rĂ©pĂ©tĂ©e, Ă©tant donnĂ© son rĂŽle direct et prĂ©coce dans le sabotage :
âTout d'abord, la Russie a fait ce qu'elle fait souvent lorsqu'elle est responsable de quelque chose, c'est-Ă -dire accuser quelqu'un d'autre d'ĂȘtre Ă l'origine du sabotage. Nous l'avons constatĂ© Ă plusieurs reprises au fil du temps.
âMais le prĂ©sident a Ă©galement Ă©tĂ© clair aujourd'hui sur la nĂ©cessitĂ© de poursuivre l'enquĂȘte avant que le gouvernement des Ătats-Unis ne soit prĂȘt Ă attribuer une responsabilitĂ© dans cette affaire... Nous devrons donc attendre le rĂ©sultat d'une sĂ©rie d'inspections matĂ©rielles, de la collecte de renseignements et de la consultation de nos alliĂ©s pour parvenir Ă une dĂ©cision dĂ©finitive. Et nous dĂ©ciderons alors de la marche Ă suivreâ.
AprĂšs examen du dossier, je peux attester que les Ătats-Unis n'ont rien entrepris de tel.
Et j'aurais dû écrire alors ce que à quoi je pensais : une exégÚse de l'incapacité de Biden à assumer la présidence. Je reconnais avoir entendu d'autres informateurs sur les troubles dont souffre le président. C'était en septembre 2022.
Mais qui aurait pu prévoir à l'époque que Trump reviendrait avec son nouvel acolyte Elon ? Pas le parti démocrate. Et moi non plus.