đâđš âNotre libĂ©ration est procheâ : voilĂ pourquoi ces jeunes Palestiniens choisissent la RĂ©sistance armĂ©e
âTout le monde veut ĂȘtre libre. Rouler comme dans n'importe quel pays sans trouver de checkpoint de l'AutoritĂ© palestinienne & un checkpoint israĂ©lien derriĂšre & au-delĂ , les colons qui attaquent.â
đâđš âNotre libĂ©ration est procheâ : voilĂ pourquoi ces jeunes Palestiniens choisissent la RĂ©sistance armĂ©e
Par Shatha Hanaysha, le 25 octobre 2024
J'ai rencontrĂ© des rĂ©sistants de la brigade de Tulkarem pour un entretien dans les ruelles du camp de rĂ©fugiĂ©s de Tulkarem, en Cisjordanie occupĂ©e. Ils ont expliquĂ© pourquoi ils se battent contre IsraĂ«l, et quels sont leurs rĂȘves pour l'avenir.
Le mois dernier, j'ai rencontré le commandant des brigades al-Quds du Jihad islamique palestinien - qui font partie de la brigade de Tulkarem - dans une ruelle du camp de réfugiés de Tulkarem, dans le nord de la Cisjordanie occupée. Ghaith Radwan m'a accueilli avec un léger sourire et un regard confiant, qui n'a pas réussi à dissimuler son évidente prudence. Il m'a accueillie, ainsi qu'un certain nombre de résistants du camp de réfugiés de Tulkarem, pour une brÚve interview afin de parler du premier anniversaire du 7 octobre. Le jeune combattant, son fusil sur les genoux, nous a expliqué pourquoi il a choisi de se battre contre l'armée israélienne.
Ghaith, ĂągĂ© de 27 ans seulement, nous a racontĂ© comment il a rejoint les rangs de la RĂ©sistance dans le camp de rĂ©fugiĂ©s de Tulkarem au cours de l'annĂ©e Ă©coulĂ©e. Il a racontĂ© comment, aprĂšs le 7 octobre, son rĂȘve de voyager librement dans toute la Palestine sans checkpoints Ă©tait devenu un lointain espoir.
âTout le monde a l'ambition d'ĂȘtre libreâ, a-t-il dĂ©clarĂ©. âSe promener comme dans n'importe quel pays indĂ©pendant sans trouver de checkpoint de l'AutoritĂ© palestinienne et un checkpoint israĂ©lien derriĂšre, et au-delĂ , les colons qui attaquent.â
âNous vivons dans une prisonâ, a-t-il expliquĂ©.
Peu de temps aprÚs notre rencontre, le jeudi 3 octobre, Ghaith a été l'un des 20 Palestiniens tués par une frappe aérienne israélienne sur un immeuble résidentiel au milieu du camp. Outre Ghaith, Zahi Oufi, commandant des Brigades Qassam du Hamas dans le camp, a également été tué.
Avec ces combattants, c'est toute une famille vivant au deuxiÚme étage de l'immeuble qui a été anéantie : la mÚre, le pÚre, les deux enfants et les deux grands-parents. Ghaith et ses camarades étaient assis dans un café populaire au rez-de-chaussée de l'immeuble lorsqu'un avion de combat israélien a largué une bombe sur le bùtiment, marquant la premiÚre fois depuis la seconde Intifada qu'un avion de ce type était déployé en Cisjordanie.
Les histoires de Ghaith et de beaucoup de ses camarades ont été écourtées au cours des derniers mois, depuis que l'armée israélienne a lancé une opération militaire de grande envergure dans le nord de la Cisjordanie, appelée Operation Summer Camps, qui a duré plusieurs semaines.
Une guerre asymétrique
Depuis le 7 octobre, la tactique des forces israéliennes en Cisjordanie a changé. L'armée israélienne a commencé à avoir recours à des frappes aériennes par drones, hélicoptÚres Apache et, pour la premiÚre fois le 3 octobre, par des avions de chasse. Selon le Centre palestinien Moata, l'armée israélienne a mené 998 raids dans l'ensemble du gouvernorat de Tulkarem depuis le 7 octobre. De plus, 601 maisons appartenant à des résidents ont été détruites, dont 125 ont été rasées.
Au cours de l'entretien, Ghaith a déclaré à Mondoweiss que leur combat contre Israël est injuste du fait de l'important déséquilibre des forces en présence.
âJe fais face Ă l'occupant avec un fusil et quelques balles, alors qu'ils se battent avec des avions de combat, des bulldozers, des vĂ©hicules militaires et des drones de reconnaissanceâ, a-t-il dĂ©clarĂ©. âLe combat n'a jamais Ă©tĂ© Ă©quitable. L'armĂ©e d'occupation envahit le camp en tenue militaire intĂ©grale, et tout ce que j'ai, c'est ce fusil.â
Ghaith a montré d'un geste le M-16 posé sur ses genoux, l'une des nombreuses armes de ce type achetées au marché noir en Cisjordanie, le plus souvent en Israël. Il a tenu à préciser que malgré toute sa puissance militaire, les forces israéliennes ne peuvent atteindre les combattants qu'au moyen de frappes aériennes et d'attaques ciblées par drones. Il nous a dit que la plupart des combattants de la Résistance dans le camp de réfugiés de Tulkarem ont été tués de cette maniÚre plutÎt que lors d'affrontements au sol.
âLors des confrontations [terrestres], l'armĂ©e est plus faible qu'on ne le penseâ, a dĂ©clarĂ© Tareq al-Doush, 29 ans, l'un des compagnons de Ghaith et un commandant local des Brigades des martyrs d'al-Aqsa du Fatah dans le camp. Il a acquiescĂ© Ă l'affirmation de Ghaith. âLa plupart de nos hĂ©ros ont Ă©tĂ© tuĂ©s par des frappes aĂ©riennes, pas par des ballesâ.
âLeur puissance tient aux avions et Ă leurs vĂ©hicules blindĂ©sâ, a dĂ©clarĂ© Tareq.
Ghaith a continué à nous raconter comment il a rejoint la Résistance à Tulkarem, qui s'est développée au cours de deux années de montée en puissance de la résistance armée dans le nord de la Cisjordanie. L'une des étapes les plus importantes de ces années a été la création de la Brigade de Tulkarem en mars 2022, un groupe de coordination d'organisations comprenant le Fatah, le Hamas et le Jihad islamique palestinien.
âCe que j'ai vĂ©cu de plus dur, c'est la mort de mon frĂšre, puis de mes amisâ, a dĂ©clarĂ© Ghaith. âCela m'a amenĂ© Ă poursuivre dans cette voie. Mais nous ne nous battons pas pour mourir ou pour quelqu'un d'autre : nous nous battons pour la libertĂ©. Des militaires stupides qui ne connaĂźt rien Ă la vie vient boucler nos rues et contrĂŽler nos vies. Ceux qui nous emprisonnent sont des Ă©trangers sur cette terre, et ils devraient retourner dans leur paysâ.
Au dĂ©but de son engagement dans la RĂ©sistance, Ghaith affirme que les choses Ă©taient plus faciles. âIl n'y avait pas de bulldozers D9 et on ne dĂ©truisait pas Ă ce point le campâ, dit-il. AprĂšs le 7 octobre, les raids d'IsraĂ«l se sont intensifiĂ©s en termes de mortalitĂ©, de durĂ©e et d'ampleur des destructions. âCertains se sont rendus, tandis que d'autres ont continuĂ© sur la voie de la RĂ©sistance. Et nous avons continuĂ©â.
Les derniers raids ont été durs pour Ghaith et ses compagnons de lutte, car les forces israéliennes ont recours à des punitions collectives pour dissuader la communauté d'abriter les jeunes de la Résistance.
âLâarmĂ©e a dĂ©versĂ© sa rage sur les rĂ©sidents du camp et sur leurs biens. Elle a dĂ©truit les infrastructures et puni les habitants du campâ, explique Ghaith. âChaque maison prĂšs de laquelle nous cherchions un abri Ă©tait bombardĂ©e [par l'armĂ©e] et explosaitâ.
Pour Ghaith et les autres membres de la brigade de Tulkarem, l'objectif de ces mesures punitives est clair. âIls essaient de dĂ©truire la base du soutien populaire dans le campâ, a-t-il dĂ©clarĂ©.
Je lui ai demandé comment il ressentait cette destruction, et il m'a répondu que cela le poussait à se venger.
âLe colon occupant veut imposer son pouvoir sur nous. Il veut montrer qu'il contrĂŽle la situation.
âMais une fois le raid terminĂ©, les gens sont nombreux Ă prendre de nos nouvelles et Ă nous exprimer leur gratitude d'ĂȘtre en sĂ©curitĂ©. Lorsqu'ils voient la destruction du camp, ils se disent qu'il vaut mieux perdre ses biens que ses enfantsâ, poursuit-il.
Tareq al-Doush s'est fait l'Ă©cho des propos de Ghaith, insistant sur le fait que les combattants puisent leur force dans la base de soutien populaire du camp.
âNotre dĂ©termination vient des femmes, des anciens et des enfants du campâ, a-t-il expliquĂ©. âIls nous donnent de la forceâ.
âNous continuerons Ă nous mobiliser, gĂ©nĂ©ration aprĂšs gĂ©nĂ©rationâ, a-t-il promis.
Lorsque nous avons demandĂ© Ă Ghaith s'il a peur que la RĂ©sistance s'arrĂȘte aprĂšs lui, il a rĂ©pondu par un lĂ©ger sourire.
âIl est vrai que la Palestine est une terre de ârenaissanceâ, mais on ne peut s'empĂȘcher d'avoir peur de ce qui se passera aprĂšs sa mort. Reste-t-il des candidats pour rester sur cette voie ?â
Il marque une pause avant de poursuivre.
âPersonne ne s'est jamais Ă©cartĂ© de cette voie. Lorsque Jihad Shehada, qui a fondĂ© la brigade du camp de rĂ©fugiĂ©s de Tulkarem, a Ă©tĂ© tuĂ©, tout le monde a dit que sa mort mettrait fin Ă la RĂ©sistance. Mais au contraire, elle s'est intensifiĂ©e. Ă l'Ă©poque du Jihad, nous Ă©tions sept, puis notre nombre a augmentĂ©. Chaque fois que l'un d'entre eux Ă©tait tuĂ©, nous ne cessions de nous agrandirâ.
"Ce chemin ne s'est jamais arrĂȘtĂ© pour personne. Lorsque Jihad Shehada, qui a fondĂ© la brigade dans le camp de rĂ©fugiĂ©s de Tulkarem, a Ă©tĂ© tuĂ©, tout le monde a dit que sa mort mettrait fin Ă la RĂ©sistance. Mais au contraire, elle s'est intensifiĂ©e."
Les promesses du 7 octobre
âGaza m'a vraiment marquĂ©. Lorsque le 7 octobre s'est produit, nous avons cĂ©lĂ©brĂ© l'Ă©vĂ©nement ici, dans le camp de rĂ©fugiĂ©s de Tulkarem, en organisant un cortĂšge de voitures et en continuant Ă circuler dans les quartiers. Bien sĂ»r, cela m'a motivĂ© et m'a fait croire que nous serions libĂ©rĂ©s. Nous nous battons ici pour notre patrie et notre dignitĂ©â, a dĂ©clarĂ© Ghaith.
âLe 7 octobre Ă©tait comme un rĂȘve pour nousâ, a ajoutĂ© Tareq. âJe suis convaincu que nous rĂ©flĂ©chirons et que nous nous rĂ©veillerons ensemble pour voir ce rĂȘve devenir rĂ©alitĂ©. Nous serons libĂ©rĂ©s.â
Tareq estime que la guerre contre Gaza a rassemblé les résistants et uni les différentes factions de la résistance. La brigade de Tulkarem est un exemple de cette unité.
âLes factions ne nous divisent pas. En fin de compte, nous sommes la brigade de Tulkarem... nous venons tous du mĂȘme camp, du mĂȘme peuple, du mĂȘme sang, et nous vivons pour un seul objectifâ.
Un autre combattant de la RĂ©sistance qui a prĂ©fĂ©rĂ© ne pas ĂȘtre nommĂ© a dĂ©clarĂ© que les assassinats, les bombardements et les raids menĂ©s par les IsraĂ©liens depuis le 7 octobre sont autant de tentatives de punir de la joie que les Palestiniens ont ressentie ce jour-lĂ .
âChaque fois que j'hĂ©site Ă prendre mon arme et Ă rĂ©sister Ă l'occupation, je me souviens du 7 octobreâ, a-t-il dĂ©clarĂ©. âEt je sens que notre libertĂ© est procheâ.
Des rĂȘves de libertĂ©
La plupart des résistants dont j'ai croisé la route au fil des ans n'avaient pas plus de 30 ans, et la majorité d'entre eux une vingtaine d'années. En raison de leur jeune ùge, la détermination de Ghaith et de ses camarades à rejoindre la résistance nous a incités à leur demander pourquoi ils résistaient.
Ce qui revient dans toutes leurs rĂ©ponses, c'est la vie qu'ils veulent mener aprĂšs la libĂ©ration. La plupart d'entre eux ont exprimĂ© des aspirations d'une simplicitĂ© dĂ©sarmante, comme le fait de pouvoir conduire une voiture pendant des heures sans ĂȘtre arrĂȘtĂ© Ă un checkpoint, ou de se dĂ©placer librement sans craindre d'ĂȘtre tuĂ© par la balle d'un soldat ou d'ĂȘtre agressĂ© par une horde de colons. D'autres aspirent simplement Ă ne plus vivre dans la crainte constante d'ĂȘtre arrĂȘtĂ©s, un sentiment ressenti bien avant qu'ils ne deviennent des combattants.
âMon rĂȘve est de vivre comme n'importe quelle personne heureuse de vivre. Aucun Palestinien n'est tranquille, aucun. Quiconque prĂ©tend le contraire est un menteur. Personne ne peut se sentir bien sous l'occupationâ, a dĂ©clarĂ© Ghaith. âOu alors câest soit un traĂźtre, soit quelqu'un qui ne voit pas d'inconvĂ©nient Ă l'occupationâ.
L'autre rĂȘve de Ghaith est le mĂȘme que celui de tous les autres descendants de rĂ©fugiĂ©s qui ont grandi dans le camp. Ils veulent tous retourner dans le village et la ville d'oĂč leurs ancĂȘtres ont Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s en 1948.
âMes racines se trouvent dans un village appelĂ© Wadi al-Hawaris dans le district de HaĂŻfaâ, explique Ghaith. âMon grand-pĂšre avait l'habitude de me parler de ce village et de ce qu'Ă©tait leur vie. Je me bats contre l'occupation parce que je veux aller voir ma terre un jour. Chaque Palestinien, chaque personne, chaque rĂ©fugiĂ© rĂȘve de retourner sur sa terreâ.
La rĂ©ponse de Tareq n'est pas diffĂ©rente. Il parle de son rĂȘve de retourner dans le village de Sidi Ali, dans le district de Jaffa, d'oĂč son grand-pĂšre a Ă©tĂ© dĂ©placĂ©.
âChaque jour, je m'asseyais avec mon pĂšre et ma grand-mĂšre, et ils me parlaient de mon village surplombant la mer. Cette conversation est restĂ©e gravĂ©e dans ma mĂ©moire depuis l'enfanceâ, a-t-il dĂ©clarĂ©.
âJe rĂ©sisterai jusqu'Ă pouvoir retrouver ce village qui surplombe la mer. J'aime le camp, mais ce n'est pas chez nous. Notre place est Ă Sidi Aliâ, a-t-il jurĂ©.
Tareq était le plus ùgé des résistants du camp de réfugiés de Tulkarem. Je l'avais déjà rencontré en train de parler avec ses camarades dans les ruelles du camp. J'ai eu l'impression que les autres combattants le traitaient comme un grand frÚre. Lorsque j'ai demandé quelqu'un à interviewer, tout le monde a immédiatement mentionné le nom de Tareq, sachant qu'il savait s'exprimer avec éloquence.
Mais lorsque j'ai demandé à Tareq ce qu'il ressent lorsqu'il prend le commandement, la premiÚre chose qu'il a mentionnée a été sa mÚre.
âJe n'ai pas vu ma mĂšre depuis dix jours. L'occupation a bombardĂ© notre maison de plusieurs Ă©tages et l'a brĂ»lĂ©e, et ma mĂšre a dĂ©mĂ©nagĂ© pour vivre dans une autre maison, qui est difficile d'accĂšs pour moiâ, explique Tareq. âTous les dix jours environ, ma mĂšre vient me voir dans les rues et les ruelles.â
Je lui ai demandé quel serait son message à sa mÚre.
âSi Dieu le veut, nous serons libĂ©rĂ©s. Et si je deviens un martyr, je veux lui dire qu'elle est la personne que j'aime le plus au monde, et que sa foi en Dieu doit rester forte. Je ne veux pas qu'elle me pleure, je veux qu'elle se rĂ©jouisse de mon martyre.â
Le paradoxe des rĂ©ponses de ces combattants est frappant. Ils ont tous dit qu'ils se battaient pour pouvoir vivre une vie diffĂ©rente, et chacun d'entre eux vit dans l'attente d'ĂȘtre tuĂ© Ă tout moment et devenir martyr. Pour beaucoup d'entre eux, le rĂȘve d'une vie diffĂ©rente coexiste avec le rĂȘve du martyre lui-mĂȘme.
Le lendemain de la frappe aĂ©rienne sur le cafĂ© qui a tuĂ© Ghaith et ses camarades, des centaines d'habitants sont descendus dans la rue pour participer Ă leur cortĂšge funĂšbre. Lors des funĂ©railles de Ghaith, les gens l'ont portĂ© sur leurs Ă©paules, en chantant une mĂ©lodie triste : âOĂč vas-tu, Ghaith ? Tu as rouvert nos blessures !â
Puis un autre chant a rĂ©pondu, plus fort et insistant que le premier, comme s'il rĂ©pondait Ă l'injonction de Ghaith de poursuivre la lutte aprĂšs son dĂ©part : âGaith, tu es notre chef, notre hĂ©ros, notre modĂšle ! Nous prenons exemple sur toi, Ghaith !â