đâđš Nous savons ce que subit M. Assange Ă Belmarsh, mais l'extrader cette semaine serait un dĂ©sastre pour nous tous
Assange Ă©voque sa possible extradition comme le âJour Aâ - oĂč il pourrait ĂȘtre mis dans un avion - si le Royaume-Uni portait un coup mortel Ă la presse & au droit de de savoir de chacun d'entre nous.
đâđš Nous savons ce que subit M. Assange Ă Belmarsh, mais l'extrader cette semaine serait un dĂ©sastre pour nous tous
Par Christophe Deloire et Rebecca Vincent, le 18 février 2024
Il est essentiel de ne pas oublier l'homme - et les rĂ©percussions sur la libertĂ© de la presse si la High Court dĂ©clare qu'il peut ĂȘtre envoyĂ© aux Ătats-Unis.
Ă quelques jours du trĂšs attendu âJour Jâ - l'audience de la High Court britannique qui reprĂ©sente le dĂ©but de la fin dans l'affaire d'extradition du gouvernement amĂ©ricain contre Julian Assange - le monde a largement perdu de vue l'homme qui se trouve dans lâoeil du cyclone.
Aujourd'hui ùgé de 52 ans, le fondateur de WikiLeaks a perdu de sa superbe aprÚs 13 ans de privation de liberté. M. Assange a passé prÚs de cinq de ces années dans la tristement célÚbre prison londonienne de Belmarsh. AprÚs des mois de lutte pour obtenir un droit de visite, Reporters sans frontiÚres (RSF) a finalement été autorisée à effectuer une série de visites, à partir d'août 2023, auprÚs de l'éditeur que nous avons défendu pendant tant d'années.
RSF dĂ©fend Assange en raison de ses contributions au journalisme : la publication par WikiLeaks de plus de 250 000 fuites de documents militaires et diplomatiques amĂ©ricains classifiĂ©s en 2010 a donnĂ© lieu Ă de nombreux reportages d'intĂ©rĂȘt public dans le monde entier. Ces articles ont rĂ©vĂ©lĂ© des crimes de guerre et des violations des droits de l'homme qui n'ont jamais fait l'objet de poursuites ; seul l'Ă©diteur a Ă©tĂ© poursuivi aux Ătats-Unis pour 17 chefs d'accusation au titre de l'Espionage Act, et un chef d'accusation au titre du Computer Fraud and Abuse Act, en rapport avec la publication des documents divulguĂ©s.
S'il est extradĂ© vers les Ătats-Unis, M. Assange risque une peine d'emprisonnement vertigineuse de 175 ans. Il serait le premier Ă©diteur poursuivi pour avoir divulguĂ© des informations classifiĂ©es Ă la presse en vertu de l'Espionage Act, qui ne prĂ©voit pas de dĂ©fense d'intĂ©rĂȘt public et qui a grand besoin d'ĂȘtre rĂ©formĂ©e. Cela crĂ©erait un dangereux prĂ©cĂ©dent pour les journalistes et les organisations de mĂ©dias qui publient des articles basĂ©s sur des fuites d'informations, et aurait un effet dissuasif sur les reportages d'intĂ©rĂȘt public.
Compte tenu des enjeux importants pour le journalisme et la libertĂ© de la presse, nous avons Ă©tĂ© consternĂ©s d'ĂȘtre confrontĂ©s Ă de nombreux obstacles entravant notre travail au Royaume-Uni sur le cas d'Assange. Nos visites en prison font suite Ă des mois de lutte pour obtenir un accĂšs aprĂšs que la prison nous ait arbitrairement interdit l'accĂšs en avril 2023, lorsqu'on nous a refusĂ© l'entrĂ©e pour une visite approuvĂ©e par la prison au motif que celle-ci avait reçu des âinformationsâ selon lesquelles nous Ă©tions des journalistes. En tant qu'organisation non gouvernementale (ONG), notre rĂŽle diffĂšre de celui des journalistes. Nous avons demandĂ© l'accĂšs Ă la prison pour discuter de nos efforts de plaidoyer directement avec Assange plutĂŽt que pour l'interviewer dans le cadre d'un reportage. Au cours des quatre mois suivants, nous avons sollicitĂ© des conseils juridiques, soumis des demandes d'accĂšs, obtenu l'intervention d'un membre du Parlement et entretenu une correspondance abondante avec Belmarsh. En aoĂ»t 2023, le blocage de notre accĂšs a finalement Ă©tĂ© levĂ©, et nous sommes devenus la seule ONG Ă avoir pu rendre visite Ă Assange en prison.
Ce n'est pas la premiÚre fois que le systÚme britannique crée des obstacles à notre travail sur le cas d'Assange. En tant qu'observateurs issus d'ONG, nous avons dû faire face à des obstacles considérables et changeants pour accéder aux audiences du tribunal, n'ayant souvent d'autre choix que de faire la queue dehors pendant cinq heures, trÚs tÎt le matin et parfois par des températures glaciales, pour obtenir l'une des rares places dans la tribune du public. à un stade de la pandémie, nous avons été menacés d'arrestation simplement parce que nous faisions la queue pour entrer au tribunal. Cette série de restrictions absurdes a fait que RSF a été la seule ONG à suivre l'intégralité des procédures. Nous n'avons jamais rencontré de telles barriÚres, qui violent effectivement les principes d'une justice ouverte et le droit à un procÚs équitable, dans les affaires que nous avons suivies dans d'autres pays.
Mais ces difficultés ne sont rien comparées aux violations auxquelles Assange a été directement confronté, notamment lorsqu'il n'a pas été autorisé à assister en personne aux audiences du tribunal depuis le 6 janvier 2021, date à laquelle il a été vu pour la derniÚre fois en dehors des murs de la prison.
Les prisons sont toujours des endroits sinistres, et la prison de haute sĂ©curitĂ© de Belmarsh ne fait pas exception. Il est difficile de dire comment Assange lui-mĂȘme se sent dans cet environnement, qui contraste fortement avec sa vie antĂ©rieure de libertĂ©, ou mĂȘme avec ses annĂ©es passĂ©es Ă l'ambassade d'Ăquateur. L'Ă©tat de santĂ© psychologique prĂ©occupant de M. Assange et le risque de suicide qu'il encourt ont Ă©tĂ© bien documentĂ©s dans les preuves mĂ©dicales prĂ©sentĂ©es au tribunal. Mais il est toujours trĂšs impliquĂ© dans son affaire et se bat pour son avenir.
Ces visites nous ont permis de discuter et d'Ă©valuer la situation d'Assange avec lui, et les interventions de RSF ont permis Ă Assange d'obtenir une machine Ă Ă©crire, ce qu'il demandait depuis trois ans. Lors de notre derniĂšre visite en janvier, il Ă©tait manifestement malade et souffrant, avec une cĂŽte cassĂ©e due Ă une toux excessive liĂ©e Ă une maladie respiratoire. Il s'agit d'une situation difficile et injuste, mais il est Ă©galement Ă©vident que les conditions d'extradition et de dĂ©tention Ă long terme aux Ătats-Unis seraient bien pires, et qu'il pourrait ne pas y survivre.
Bien entendu, M. Assange ne devrait ĂȘtre emprisonnĂ© nulle part - ni au Royaume-Uni, ni aux Ătats-Unis, ni en Australie, comme l'ont suggĂ©rĂ© les autoritĂ©s amĂ©ricaines au tribunal britannique. Personne, oĂč que ce soit, ne devrait ĂȘtre pris pour cible pour avoir publiĂ© des informations dans l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Assange devrait ĂȘtre immĂ©diatement libĂ©rĂ© - peut-ĂȘtre par le biais d'une solution politique, sinon par les tribunaux, Ă©tant donnĂ© la nature politique de l'affaire dont il fait l'objet.
L'éventualité d'une extradition se rapproche dangereusement. Les 20 et 21 février, un panel de deux juges de la High Court examinera la derniÚre demande d'appel de M. Assange contre l'ordre d'extradition. Tout motif rejeté cette fois ne pourra plus faire l'objet d'un appel, ce qui signifie que la Cour européenne des droits de l'homme sera l'unique recours de M. Assange.
En attendant, M. Assange se trouve dans une prison de haute sĂ©curitĂ©, Ă prĂšs de 4 000 kilomĂštres de l'Ă©picentre de l'affaire. Il lit beaucoup dans sa cellule, tape enfin quelques lettres et discute avec les rares visiteurs qui parviennent Ă franchir la myriade d'obstacles pour ĂȘtre admis dans la prison. Il a parlĂ© de son Ă©ventuelle extradition comme du âJour Aâ - le jour oĂč il pourrait ĂȘtre mis dans un avion. Reste Ă savoir si la justice britannique rendra une forme de justice Ă ce stade avancĂ© en empĂȘchant l'extradition, ou si le Royaume-Uni deviendra le pays qui portera un coup historiquement dĂ©vastateur Ă la libertĂ© de la presse et au droit de chacun d'entre nous de savoir.
* Christophe Deloire est secrétaire général et
* Rebecca Vincent est directrice des campagnes de Reporters sans frontiĂšres.