👁🗨 Nous sommes des Spartacus
Julian & David sont des Spartacus. Les Palestiniens sont des Spartacus. Ceux qui défilent avec des drapeaux, des principes & de la solidarité sont les Spartacus que sommes tous, si nous le décidons.
👁🗨 Nous sommes des Spartacus
Par John Pilger, le 9 novembre 2023
Spartacus est un film hollywoodien de 1960 basé sur un livre écrit dans la clandestinité par le romancier Howard Fast, mis à l'index, et adapté par le scénariste Dalton Trumbo, un des “10 de Hollywood” bannis pour leur politique “anti-américaine”. Il s'agit d'une parabole de la résistance et de l'héroïsme résolument contemporaine.
Les deux écrivains étaient communistes et victimes de la “House of Un-American Activities” du sénateur Joseph McCarthy qui, pendant la guerre froide, a brisé les carrières et souvent les vies de ceux qui, par leurs principes et leur courage, s'opposaient au fascisme américain.
“Nous vivons aujourd'hui un moment crucial, un moment délicat...” écrit Arthur Miller dans “Les Sorcières de Salem” [“The Crucible”]. “Nous ne vivons plus dans l'après-midi crépusculaire où le mal se mêlait au bien et déroutait le monde.”
Aujourd'hui, un provocateur “précis” sévit, bien visible pour ceux qui veulent le voir et prédire ses actions. C'est une bande d'États sous l'égide des États-Unis, dont l'objectif déclaré est de “dominer l'ensemble du spectre”. La Russie est toujours détestée, et la “Chine rouge” suscite la crainte. Depuis Washington et Londres, la virulence n'a pas de limite. Israël, anachronisme colonial et chien d'attaque déchaîné, est armé jusqu'aux dents et jouit d'une impunité historique afin que “nous”, l'Occident, fassions en sorte que le sang et les larmes ne tarissent jamais en Palestine. Les députés britanniques qui osent appeler à un cessez-le-feu à Gaza sont mis à l'index, et la porte blindée de la politique bipartite leur est barrée par un dirigeant travailliste qui priverait les enfants de Palestine d'eau et de nourriture.
À l'époque de McCarthy, il y avait encore des points d'ancrage de la vérité. Les francs-tireurs salués à l'époque sont maintenant qualifiés d’hérétiques. Un journalisme clandestin subsiste (comme ce portail) dans un paysage de conformisme trompeur. Les journalistes dissidents ont été défenestrés du “mainstream” (comme l'a écrit le grand éditeur David Bowman). La mission des médias est d'inverser la vérité et de soutenir les illusions de la démocratie, y compris celle d'une “presse libre”.
La social-démocratie s'est réduite comme peau de chagrin en dissociant les politiques majeures des grands partis. Leur unique engagement est celui du culte capitaliste, du néolibéralisme et d'une misère imposée, décrite par un rapporteur spécial des Nations unies comme “le grand dénuement de la majeure partie de la population britannique”.
La guerre est aujourd'hui une ombre fixe. Les guerres impériales “éternelles” sont la norme. L'Irak, le prototype, est détruit au prix d'un million de morts et de trois millions de personnes spoliées. Le destructeur, Blair, en tire un profit personnel et se voit consacré vainqueur des élections lors d’une conférence de son parti. Blair et son opposé éthique, Julian Assange, vivent à des années lumière l'un de l'autre, l'un dans un manoir de style Régence, l'autre au fond d'une cellule en attente d'une extradition vers l'enfer.
Selon une étude de la Brown University, depuis le 11 septembre, près de six millions d'hommes, de femmes et d'enfants ont été tués par l'Amérique et ses disciples dans le cadre de la “guerre mondiale contre le terrorisme”. Un monument doit être érigé à Washington pour “célébrer” ce massacre. Son comité est présidé par l'ancien président George W. Bush, le mentor de Blair. L'Afghanistan, où tout a commencé, a finalement été détruit quand le président Biden a fait main basse sur les réserves de la banque nationale.
Il y a eu beaucoup d'Afghans. Le légiste William Blum s'est efforcé de donner un sens à un terrorisme d'État rarement désigné, d'où l'importance de le rappeler :
“Au cours de ma vie, les États-Unis ont renversé ou tenté de renverser plus de 50 gouvernements, pour la plupart démocratiquement élus. Ils se sont immiscés dans les élections démocratiques de 30 pays. Ils ont largué des bombes sur les populations de 30 pays, pour la plupart pauvres et sans défense. Ils ont bâillonné les mouvements de libération de 20 pays. Ils ont tenté d'assassiner d'innombrables dirigeants”.
Certains d'entre vous se disent peut-être : Assez ! Alors que la solution finale pour Gaza est diffusée en direct à des millions de téléspectateurs, que les petits visages des victimes sont gravés dans les décombres, entre deux spots publicitaires pour des voitures ou des pizzas, oui, assez, bien sûr. À quel point le mot “assez” peut-il être blasphématoire ?
C'est en Afghanistan que l'Occident a envoyé de jeunes hommes imprégnés du rituel du “guerrier” pour tuer, et aimer tuer. Nous savons que certains d'entre eux y prenaient plaisir d'après les témoignages des sociopathes australiens des SAS, notamment d’après une photo d'eux buvant dans la prothèse d'un Afghan.
Aucun sociopathe n'a été inculpé pour ces faits et pour des crimes tels que jeter un homme du haut d'une falaise, abattre des enfants à bout portant, trancher des gorges : rien de tout cela n'a été commis “au cœur des combats”. David McBride, un ancien avocat militaire australien qui a servi deux fois en Afghanistan, était un “vrai croyant” en ce système jugé moral et honorable. Il avait également une foi inébranlable en la vérité et la loyauté. Il les symbolise comme peu de gens le font. Le 13 novembre, il va comparaître devant le tribunal de Canberra en tant que criminel présumé.
“Un lanceur d'alerte australien”, rapporte Kieran Pender, avocat principal au Centre australien des droits de l'homme, “sera jugé pour avoir dénoncé d'horribles agissements condamnables. Il est profondément injuste que la première personne jugée pour crimes de guerre en Afghanistan soit le lanceur d'alerte, et non un criminel de guerre présumé”.
M. McBride est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 100 ans de prison pour avoir révélé la dissimulation des graves crimes commis en Afghanistan. Il a tenté d'exercer son droit légal de lanceur d'alerte en vertu de la loi sur la divulgation dans l'intérêt public [Public Interest Disclosure Act], que l'actuel procureur général, Mark Dreyfus, déclare “conforme à notre promesse de renforcer la protection des lanceurs d'alerte dans le secteur public”. Pourtant, c'est Dreyfus lui-même, ministre travailliste, qui a approuvé le procès McBride après une attente punitive de quatre ans et huit mois depuis son arrestation à l'aéroport de Sydney : une attente qui a détruit sa santé et sa famille.
Ceux qui connaissent David et sont au courant de l'affreuse injustice dont il est victime occupent sa rue à Bondi, près de la plage de Sydney, pour témoigner leur soutien à cet homme bon et respectable. Pour eux et pour moi, c'est un héros.
McBride a été choqué par ce qu'il a découvert dans les dossiers dont il était en charge. Il y avait des preuves de crimes, et de leur dissimulation. Il a transmis des centaines de documents secrets à l'Australian Broadcasting Corporation et au Sydney Morning Herald. La police a fait une descente dans les bureaux d’ABC à Sydney, tandis que les journalistes et les rédacteurs assistaient, choqués, à la confiscation de leurs ordinateurs par la police fédérale.
Le procureur général Dreyfus, réformateur libéral autoproclamé et ami des lanceurs d'alerte, a le pouvoir exceptionnel de faire obstacle au procès McBride. Une recherche de la liberté d'information sur ses actions en ce sens témoigne de son indifférence à voir un innocent croupir en prison, ou pas.
On ne peut pas faire fonctionner à la fois une démocratie authentique et une guerre coloniale. L'une aspire à la décence, l'autre relève d'une forme de fascisme, quelles qu'en soient les motivations. Il suffit de penser aux massacres perpétrés à Gaza sous les bombes de l'État d'apartheid israélien. Ce n'est pas une coïncidence si, dans une Grande-Bretagne à la fois riche et appauvrie, une “enquête” est actuellement menée sur l'assassinat par des soldats britanniques des SAS de 80 Afghans, tous des civils, dont un couple dans son lit.
L'injustice révoltante dont est victime David McBride relève de l'injustice dont est victime son compatriote Julian Assange. Tous deux sont mes amis. Chaque fois que je les vois, cela me rend optimiste. “Tu me redonnes du courage”, ai-je dit à Julian lorsqu'il a levé un poing rebelle à la fin de notre temps de visite. “Tu me rends fier”, ai-je dit à David dans notre café préféré de Sydney. Leur courage a permis à beaucoup d'entre nous, peut-être désespérés, de comprendre le sens réel d'une résistance que nous partageons tous si nous voulons barrer la route au contrôle sur nous-mêmes, notre conscience et notre dignité, si nous choisissons la liberté et la décence plutôt que la complaisance et la collusion. Cela fait de nous tous des Spartacus.
Spartacus était le chef rebelle des esclaves de Rome en 71-73 av. Dans le film Spartacus [de Stanley Kubrick] avec Kirk Douglas, on assiste, lors d'un moment exaltant, à l'appel que lancent les Romains aux hommes de Spartacus pour qu'ils dénoncent leur chef et soient graciés. Au lieu de cela, des centaines de ses compagnons se lèvent, lèvent le poing en signe de solidarité et crient : “Je suis Spartacus”. La révolte est en marche.
Julian et David sont des Spartacus. Les Palestiniens sont des Spartacus. Ceux qui investissent les rues avec des drapeaux, des principes et de la solidarité sont des Spartacus. Nous sommes tous des Spartacus, si nous le décidons.
* John Pilger est un journaliste primé. Ses articles sont publiés dans le monde entier dans des journaux tels que The Guardian, The Independent, The New York Times, The Los Angeles Times, The Mail & Guardian (Afrique du Sud), Aftonbladet (Suède), Il Manifesto (Italie).
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