👁🗨 Occulter l'histoire pour préserver l’illusion
Avec l'objectif affiché de fournir un “contexte”, The Guardian a au contraire détruit le contexte historique plaçant la politique étrangère occidentale au Moyen-Orient sous un jour très sombre.
👁🗨 Occulter l'histoire pour préserver l’illusion
Par Joe Lauria, Spécial Consortium News, le 21 novembre 2023
Le 9 avril 2016, Consortium News a publié un article, republié le 12 septembre dernier, intitulé “Pourquoi les Américains ne sont jamais informés du pourquoi”, qui cherchait à expliquer pourquoi le contexte historique entourant les attaques terroristes contre l'Occident est occulté afin de blanchir toute responsabilité des gouvernements occidentaux dans l'exposition de leurs populations au danger.
Les dirigeants occidentaux ont préféré faire croire à leurs citoyens que des acteurs totalement irrationnels les attaquent parce qu'ils “haïssent leurs libertés”, et non en raison d'une politique étrangère agressive à l'égard du Moyen-Orient.
Pour démontrer que ces attaques contre des civils ne sont jamais justifiées, l'article contient des liens vers des déclarations d'auteurs démontrent pourquoi ils ont attaqué l'Occident, notamment une “Lettre au peuple américain” d'Oussama ben Laden, qui explique en détail pourquoi Al-Qaïda a frappé les États-Unis le 11 septembre 2001.
Le lien dans l'article renvoyait à la publication de la lettre par The Guardian le 24 novembre 2002. Ce document a été retiré par le Guardian. Il l'a fait mercredi dernier, le 15 novembre, au bout de 21 ans. Le journal a donné l'explication suivante :
“La transcription publiée sur notre site web avait été largement partagée sur les réseaux sociaux sans le contexte complet. Nous avons donc décidé de la retirer et de renvoyer les lecteurs à l'article qui la mettait en contexte.”
Les vidéos sont passés sur X, anciennement Twitter, tweetées par l'écrivain Yashar Ali, qui a écrit que des “milliers” de vidéos avaient proliféré sur TikTok. Le tweet de M. Ali a lui-même enregistré plus de 11 000 retweets et 23,8 millions de vues.
Les messages TikToks proviennent de personnes de tous âges, races, ethnies et milieux. Beaucoup d'entre eux disent que “la lecture de la lettre leur a ouvert les yeux et qu'ils ne verront plus jamais les questions géopolitiques de la même manière”, a écrit M. Ali.
Dans un communiqué publié jeudi, la Maison Blanche a déclaré : “Rien ne justifie jamais la diffusion des mensonges répugnants, diaboliques et antisémites que le chef d'Al-Qaïda a proférés juste après avoir commis le pire attentat terroriste de l'histoire des États-Unis”.
Même après avoir diffusé un lien vers l'article du Guardian censé donner à la lettre le “contexte” qui, selon le Guardian, lui faisait défaut, le journal n'a toujours pas publié le document historique de Ben Laden. Dans l'objectif déclaré de fournir un “contexte”, le Guardian a au contraire détruit le contexte qui place la politique étrangère de l'Occident à l'égard du Moyen-Orient sous un jour très sombre.
Il est difficile de ne pas conclure que telle était la motivation du Guardian et de TikTok : succomber à la pression des gouvernements occidentaux pour interférer en faveur de l'Occident et d'Israël, afin de maintenir les Occidentaux dans l'ignorance des agissements de leurs gouvernements au Moyen-Orient et ont déclenché tant de ravages. Il met également en lumière les conséquences désastreuses de l'occupation israélienne des Palestiniens, qui dure depuis des décennies.
Cet épisode est un nouvel exemple de la dissimulation du contexte historique d'un événement actuel qui sape l'interprétation de l'Occident. Nous l'avons vu en Ukraine, lorsque des informations précédemment publiées par les médias traditionnels sur le coup d'État de 2014 soutenu par les États-Unis et l'influence des néonazis en Ukraine ont été effacées de l'histoire en 2022, faisant de l’évènement un sujet tabou.
C'est comme si l'on interdisait aux historiens de mentionner le traité de Versailles comme l'une des causes de la Seconde Guerre mondiale en prétendant, de manière grossièrement trompeuse, qu'il justifie en quelque sorte les atrocités commises par les nazis. Expliquer le contexte historique de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 est ce que les journalistes sont censés faire, et ce que Consortium News a fait, pour expliquer ce qui s'est passé, et non pour le justifier.
De même, Consortium News s'est efforcé, dans de nombreux articles, de fournir le contexte historique de l'attaque d'Israël contre Gaza, ainsi que de l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre. Israël a demandé de manière hystérique la démission du Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, pour avoir dit que le 7 octobre n'était pas “venu de nulle part” - comme sa déclaration justifiait l'attaque - appel qu'il a rejeté avec colère.
Il existe toujours un lien actif vers le texte intégral de la lettre de Ben Laden. Il est également archivé sur le site du Guardian via The Wayback Machine.
En plus d'expliquer qu'Al-Qaïda a été motivé, au moins en partie, pour agir le 11 septembre en raison du traitement infligé par Israël aux Palestiniens avec le soutien des États-Unis, la lettre tente manifestement de justifier l'intention criminelle de punir collectivement les citoyens de l'Ouest - un point qu'Israël partage avec Ben Laden en ce qui concerne le peuple palestinien. Aucune personne sensée ne serait d'accord avec certains des propos de Ben Laden, mais il est essentiel que le public sache ce qu'il dit.
Le problème des gouvernements occidentaux est qu'il a dit beaucoup vérités sur leur comportement déplorable au Moyen-Orient et que, pour cette raison, il fallait que Ben Laden soit réduit au silence, non parce qu'il est un terroriste, mais parce qu'il a nommé les crimes occidentaux.
TikTok a retiré la lettre et l'a interdite lorsqu'elle est devenue virale sur sa plateforme. Le Guardian a publié un article à ce sujet :
“Des vidéos disséquant la “Lettre à l'Amérique” de Ben Laden en y répondant étaient devenues virales sur TikTok ces derniers jours, dans le contexte du conflit entre Israël et Hamas. Le hashtag #lettertoamerica a été vu plus de 10 millions de fois jeudi avant que l'entreprise ne bloque la fonction ‘recherche’ à son sujet.
Les vidéos sont passés sur X, anciennement Twitter, dans un supercut tweeté par l'écrivain Yashar Ali, qui a écrit que des “milliers” de vidéos avaient proliféré sur TikTok. Le tweet de M. Ali a lui-même enregistré plus de 11 000 retweets et 23,8 millions de vues.
Les TikToks proviennent de personnes de tous âges, races, ethnies et milieux. Beaucoup d'entre eux disent que la lecture de la lettre leur a ouvert les yeux et qu'ils ne verront plus jamais les questions géopolitiques de la même manière", a écrit Ali.”
Est-il utile de rappeler que dans le roman dystopique 1984 de George Orwell, le travail du protagoniste Winston Smith consistait à aller dans les archives du Times, et à changer l'histoire.
Les Américains découvrent enfin pourquoi. Nous republions ici l'article de 2016 contenant le lien du Guardian vers la lettre de Ben Laden, aujourd'hui disparu.
👁🗨 Pourquoi les Américains ne sont jamais informés du pourquoi
👁🗨 Pourquoi les Américains ne sont jamais informés du pourquoi
Par Joe Lauria, Spécial Consortium News, le 9 avril 2016
Lorsque les médias occidentaux évoquent le terrorisme contre l'Occident, comme les attentats du 11 septembre, le motif est presque toujours passé sous silence, même lorsque les terroristes déclarent qu'ils veulent venger la violence occidentale de longue date dans le monde musulman, rapporte Joe Lauria.
Après qu'un avion de ligne russe a été abattu au-dessus du Sinaï égyptien en octobre dernier [2015], les réseaux occidentaux ont rapporté que l'attentat de l'État islamique était une mesure de représailles contre les frappes aériennes russes en Syrie. L'assassinat de 224 personnes, pour la plupart des touristes russes en vacances, a été traité avec désinvolture comme l’acte de guerre d’un groupe fanatique ayant recours au terrorisme comme force de riposte.
Pourtant, les armées occidentales ont tué infiniment plus de civils innocents au Moyen-Orient que la Russie. Alors pourquoi les responsables et les médias occidentaux ne citent-ils pas les représailles de la violence occidentale comme cause des attaques terroristes à New York, Paris et Bruxelles ?
Il y a au contraire une détermination farouche à ne pas établir le même type de corrélation que la presse établit si aisément lorsque la Russie est la cible de la terreur.
À titre d'exemple, pendant les quatre heures de couverture par Sky News des attentats du 7 juillet 2005 à Londres, la presse n'a fait que brièvement allusion à un motif possible pour le terrible attentat qui a frappé trois rames de métro et un autobus, tuant 52 personnes. Pourtant, ces attentats ont eu lieu deux ans seulement après la participation de la Grande-Bretagne à l'invasion meurtrière de l'Irak.
Le Premier ministre Tony Blair, l'un des responsables de la guerre en Irak, a condamné des vies innocentes à Londres, et a lié le matin même les attentats au sommet du G8. Un animateur de télévision a ensuite lu et sous-estimé une revendication de 10 secondes émanant d'un membre autoproclamé d'Al-Qaïda en Allemagne, affirmant que l'invasion de l'Irak en était responsable. Il n'y a pas eu d'autre débat à ce sujet.
Expliquer les raisons de ces attentats ne revient pas à approuver ou à justifier les actes terroristes perpétrés contre des civils innocents. Cette tâche relève simplement de la responsabilité du journalisme, pour faire la lumière sur le “pourquoi”. Mohammad Sidique Khan, l'un des quatre kamikazes de Londres, l'a parfaitement expliqué. Bien qu'il ne s'exprime qu'au nom d'une infime partie des musulmans, il a déclaré dans un enregistrement vidéo avant l'attentat :
“Vos gouvernements démocratiquement élus ne cessent de perpétrer des atrocités contre mon peuple dans le monde entier. Le soutien que vous leur apportez vous rend directement responsables, tout comme je suis directement responsable de la protection et de la vengeance de mes frères et sœurs musulmans. Tant que nous ne nous sentirons pas en sécurité, vous serez nos cibles et tant que vous nous bombarderez, gazerez, emprisonnerez et torturerez mon peuple, nous ne cesserons pas ce combat. Nous sommes en guerre, et je suis un soldat. Maintenant, vous allez vous aussi goûter à la réalité de cette situation”.
L'État islamique a donné la raison suivante pour justifier les attentats de Paris de novembre dernier [2015] :
“La France et toutes les nations qui suivent son chemin continueront d'être en haut de la liste des cibles de l'État islamique, et l'odeur de mort les hantera tant qu'elles participeront à la campagne des croisés [...] et se vanteront de leur guerre contre l'islam en France, et de leurs frappes contre les musulmans sur les terres du califat avec leurs avions de combat.”
“La faute à un état d'esprit”
Faisant fi de ces déclarations d'intention limpides, le porte-parole du département d'État, Mark Toner, nous a servi des bavardages sur les attentats de Bruxelles, affirmant qu'il était impossible “de comprendre l'état d'esprit de ceux qui ont perpétré ces attaques”.
Nul besoin pourtant de lire dans les pensées. L'État islamique nous a explicitement indiqué dans un communiqué de presse pourquoi il avait commis les attentats de Bruxelles : “Nous promettons des temps sombres à toutes les nations croisées alliées dans leur guerre contre l'État islamique, en réponse à leurs agressions à son encontre.”
Pourtant, toujours en difficulté pour faire comprendre les raisons de ces attentats, Toner a déclaré : “Je pense que cela reflète surtout la volonté d'infliger à ceux qu'ils considèrent comme des Occidentaux ou des Occidentales [...] la crainte de ce type d'attaques et de tentatives de représailles.”
M. Toner a attribué l’origine des attaques à un état d'esprit : “Je ne sais pas s'il faut établir un califat au-delà des gains territoriaux en Irak et en Syrie, mais c'est un autre aspect de l'idéologie tordue de Daesh que de mener ces attaques en Europe et ailleurs s'ils le peuvent. Qu'il s'agisse des espoirs, des rêves ou des aspirations d'un certain peuple ne justifie jamais la violence.”
Après le 11 septembre, le président George W. Bush a notoirement déclaré que les États-Unis avaient été attaqués parce qu’“ils détestent nos libertés”. C'est l'explication typiquement parfaite du point de vue occidental attribuant des motifs aux Orientaux sans leur permettre de s’exprimer eux-mêmes, ou les prendre au sérieux lorsqu'ils le font.
Dans sa Lettre à l'Amérique, Oussama ben Laden a expliqué les raisons qui l'ont poussé à commettre les attentats du 11 septembre en exprimant sa colère à l'égard des troupes américaines stationnées sur le sol saoudien. Ben Laden a demandé : “Pourquoi nous battons-nous et sommes-nous contre vous ? La réponse est très simple : Parce que vous nous avez attaqués et que vous continuez à le faire”. (Aujourd'hui, les États-Unis ont des dizaines de bases dans sept pays de la région).
Lors d'un débat présidentiel républicain en 2008, Rudy Giuliani, maire de New York le jour du 11 septembre, est entré dans une colère noire et a demandé à Ron Paul de retirer une déclaration selon laquelle les États-Unis avaient été attaqués en raison des interventions violentes des États-Unis dans les pays musulmans.
“Avez-vous déjà lu les raisons pour lesquelles ils nous ont attaqués ?” a déclaré Ron Paul. “Ils nous ont attaqués parce que nous sommes allés là-bas. Nous bombardons l'Irak depuis dix ans. Je suggère que nous écoutions les gens qui nous ont attaqués et les raisons pour lesquelles ils l'ont fait”.
“C'est une déclaration incroyable”, a répondu M. Giuliani. “ Vous dites que nous avons favorisé l'attentat, parce que nous avons attaqué l'Irak. En tant que témoin de l'attentat du 11 septembre, je ne pense pas avoir jamais rien entendu de tel auparavant. Et j'ai pourtant entendu des explications assez absurdes sur le 11 septembre”.
Le public ne les avait jamais entendu non plus, puisqu'il a chaleureusement applaudi Giuliani.
“Je demande au député de retirer ce commentaire et de nous dire qu'il ne le pensait pas vraiment”, a ajouté M. Giuliani.
“Je crois très sincèrement que la CIA enseigne et décrit ce qu'est le phénomène du la loi du talion”, a rétorqué M. Paul. “Si nous pensons pouvoir faire ce que bon nous semble dans le monde entier sans inciter à la haine, c'est que nous avons un sérieux problème. Ils ne viennent pas ici nous attaquer parce que nous sommes riches et libres. Ils nous attaquent en raison de nos agissements là-bas”.
Alors pourquoi les responsables occidentaux et les grands médias ne prennent-ils pas au pied de la lettre les déclarations d'intention des djihadistes ? Pourquoi ne nous disent-ils pas vraiment pourquoi nous sommes attaqués ?
Il semble qu'il s'agisse simplement d'une tentative de dissimuler une longue histoire, de plus en plus chargée, d'interventions militaires et politiques occidentales au Moyen-Orient, et les réactions violentes qu'elles engendrent, réactions mettant en danger la vie d'innocents occidentaux. La culpabilité indirecte de l'Occident dans ces actes terroristes est systématiquement occultée, sans parler des preuves de l'implication directe de l'Occident dans le terrorisme.
Certains responsables gouvernementaux et journalistes peuvent tenter de se convaincre que l'intervention occidentale au Moyen-Orient vise à protéger les civils et à répandre la démocratie dans la région, au lieu de semer le chaos et la mort pour servir les objectifs stratégiques et économiques de l'Occident. D'autres responsables savent bien qu'il n'en est rien.
1920-1950 : Les prémices d'un siècle de conflits
Quelques-uns connaissent peut-être l'histoire, en grande partie cachée, des actions duplicites et souvent imprudentes de l'Occident au Moyen-Orient. Elle n'est cependant occultée que pour la plupart des Occidentaux. Il vaut donc la peine d'examiner en détail cet effroyable bilan d'ingérence dans la vie de millions de musulmans et de personnes d'autres confessions pour comprendre tout le poids qu'il exerce sur la région. Il peut contribuer à expliquer la colère anti-occidentale qui pousse quelques radicaux à commettre des atrocités en Occident.
L'histoire est une suite ininterrompue d'interventions depuis la fin de la Première Guerre mondiale jusqu'à nos jours. Elle a commencé après la guerre, lorsque la Grande-Bretagne et la France ont roulé les Arabes dans la farine en leur promettant l'indépendance pour les avoir aidés à remporter la victoire sur l'Empire ottoman. L'accord secret Sykes-Picot de 1916 a divisé la région entre les puissances européennes dans le dos des Arabes. Londres et Paris ont créé des nations artificielles à partir des provinces ottomanes, devant être contrôlées par les rois et dirigeants qu'ils avaient installés, avec intervention directe en cas de besoin.
Depuis un siècle, la Grande-Bretagne et la France, remplacées par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, n'ont cessé de déployer des efforts pour assurer la domination de l'Occident sur une région rebelle.
Le nouveau gouvernement soviétique a révélé les termes de Sykes-Picot en novembre 1917 dans les Izvestia. À la fin de la guerre, les Arabes se sont révoltés contre la duplicité des Britanniques et des Français. Londres et Paris ont alors écrasé sans pitié les révoltes d'indépendance.
La France a vaincu un gouvernement syrien proclamé en une seule journée, le 24 juillet 1920, lors de la bataille de Maysalun. Cinq ans plus tard, une deuxième révolte syrienne, émaillée d'assassinats et de sabotages, a été réprimée en deux ans. Si vous vous promenez dans le souk du vieux Damas et que vous levez les yeux vers le toit en tôle ondulée, vous verrez de minuscules points de lumière. Il s'agit des impacts de balles des avions de guerre français massacrant les civils en contrebas.
La Grande-Bretagne a réprimé une série de révoltes indépendantistes en Irak entre 1920 et 1922, d'abord à l’aide de 100 000 soldats britanniques et indiens, puis surtout avec la toute première utilisation de la puissance aérienne dans le cadre de la contre-insurrection. Des milliers d'Arabes ont été tués. La Grande-Bretagne a également aidé le roi Abdallah à réprimer les rébellions en Jordanie en 1921 et 1923.
Londres a ensuite dû faire face à une révolte arabe en Palestine, de 1936 à 1939 qu'elle a brutalement écrasée, tuant environ 4 000 Arabes. Au cours de la décennie suivante, des terroristes israéliens ont chassé les Britanniques de Palestine en 1947, l'un des rares cas où des terroristes ont atteint leurs objectifs politiques.
L'Allemagne et l'Italie, tardivement entrées dans le jeu de l'Empire, ont été les suivantes à envahir l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient au début de la Seconde Guerre mondiale. Elles ont été chassées par les forces impériales britanniques (en grande partie indiennes) avec l'aide des États-Unis. La Grande-Bretagne a envahi et vaincu l'Irak, théoriquement indépendant, qui s'était rangé du côté de l'Axe. Avec l'Union soviétique, la Grande-Bretagne a également envahi et occupé l'Iran.
Après la guerre, les États-Unis ont assumé la domination de la région sous prétexte de repousser l'influence régionale soviétique. Trois ans seulement après l'indépendance de la Syrie de la France, la Central Intelligence Agency, qui existait depuis deux ans, a organisé un coup d'État syrien en 1949 contre un gouvernement démocratique et laïque. Pourquoi ? Parce qu'il avait refusé d'approuver un projet saoudien d'oléoduc validé par les États-Unis. Washington a mis en place Husni al-Za'im, un dictateur militaire, qui a approuvé le projet.
1950s : La Syrie d'hier et d'aujourd'hui
Avant les grandes invasions et les guerres aériennes en Irak et en Libye de ces 15 dernières années, les années 1950 ont été l'époque de l'implication la plus fréquente et la plus secrète de l'Amérique au Moyen-Orient. Le premier coup d'état de la Central Intelligence Agency a eu lieu en Syrie en mars 1949. L'administration Eisenhower souhaitait alors contenir à la fois l'influence soviétique et le nationalisme arabe, qui ravivaient la quête d'une nation arabe indépendante. Après une série de coups d'état et de contre-coups d'état, la Syrie est revenue à la démocratie en 1955, soutenue par les Soviétiques.
En 1957, la tentative de coup d'état de l'administration Eisenhower en Syrie, au cours de laquelle la Jordanie et l'Irak devaient envahir le pays sous un faux prétexte, a très mal tourné, provoquant une crise échappant au contrôle de Washington, poussant États-Unis et Soviétiques au bord du conflit.
La Turquie a stationné 50 000 soldats à la frontière syrienne, menaçant de l'envahir. Le premier ministre soviétique Nikita Khrouchtchev a menacé la Turquie d'une attaque nucléaire implicite, et les États-Unis ont fait reculer Ankara. Cela ressemble étrangement à ce qui s'est passé en mars 2015, lorsque la Turquie a de nouveau menacé d'envahir la Syrie. La principale différence est que l'Arabie saoudite en 1957 était opposée à l'invasion de la Syrie, alors qu'elle était prête à la rejoindre le mois dernier [mars 2016]. [Voir Consortium News "Risking Nuclear War for Al Qaeda ?"]
Dans les années 1950, les États-Unis ont également commencé à s'associer à l'extrémisme religieux islamique pour contrer l'influence soviétique et contenir le nationalisme arabe laïc. Le président Eisenhower a déclaré à son secrétaire d'État John Foster Dulles : “Nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre l'accent sur l'aspect ‘guerre sainte’”. Après la guerre froide, les extrémistes religieux, dont certains étaient encore liés à l'Occident, sont eux-mêmes devenus le prétexte à une intervention américaine. Par exemple, les États-Unis ont soutenu les moudjahidines en Afghanistan dans les années 1980, dont certains ont formé Al-Qaïda, et plus récemment des groupes djihadistes en Syrie, pour tenter une nouvelle fois de renverser le gouvernement syrien.
Malgré l'expansion régionale des États-Unis dans les années 1950, la Grande-Bretagne et la France n'étaient pas au bout de leurs peines. En 1953, un coup d'État du MI6 et de la CIA en Iran a remplacé une démocratie par une monarchie restaurée lorsque Mohammed Mossadegh, le premier ministre élu, a été renversé après avoir cherché à nationaliser le pétrole iranien contrôlé par les Britanniques. La Grande-Bretagne avait découvert du pétrole en Iran en 1908, suscitant un intérêt accru pour la région.
Trois ans plus tard, la Grande-Bretagne et la France se sont associées à Israël pour attaquer l'Égypte en 1956, lorsque le président Gamal Abdel Nasser, qui avait succédé au roi Farouk, soutenu par la Grande-Bretagne, a tenté de nationaliser le canal de Suez. Les États-Unis ont également mis un terme à cette opération, refusant à la Grande-Bretagne l'approvisionnement d'urgence en pétrole et l'accès au Fonds monétaire international si les Britanniques ne renonçaient pas à leur projet.
Mais Washington n'a pas pu (ou voulu) empêcher la Grande-Bretagne d'essayer, en vain, d'assassiner Nasser, lequel avait déclenché le mouvement nationaliste arabe.
En 1958, les États-Unis ont débarqué avec 14 000 marines au Liban pour soutenir le président Camille Chamoun après l’amorce d’un conflit civil en réaction à l'intention de Chamoun de modifier la constitution et de se présenter à la réélection. La rébellion a bénéficié d'un soutien minimal de la part de la République arabe unie, unissant de 1958 à 1961 l'Égypte et la Syrie. Il s'agit de la première invasion américaine d'un pays arabe, si l'on exclut l'intervention des États-Unis en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale.
De 1960 à 2003 : Interventions post-coloniales
La rébellion algérienne de 1954-1962 contre le colonialisme français, que Paris a brutalement tenté de réprimer, s'est accompagnée d'actes de terrorisme algériens. Faisant preuve de la même ignorance que le porte-parole du département d'État, M. Toner, l'attitude française à l'égard du soulèvement a été exprimée par un officier français exaspéré dans le film La bataille d'Alger, qui s'est exclamé : “Mais qu'est-ce que vous voulez à la fin, vous autres ?”
Des années 1960 aux années 1980, l'intervention des États-Unis dans la région s'est essentiellement limitée à un soutien militaire à Israël lors des guerres israélo-arabes de 1967 et 1973. Du point de vue arabe, cela revenait à l’engagement majeur des États-Unis à protéger le colonialisme israélien.
L'Union soviétique est également intervenue directement dans la guerre d'usure de 1967-70 entre l'Égypte et Israël, lorsque Nasser s'est rendu à Moscou pour annoncer qu'il démissionnerait, et qu'un dirigeant pro-occidental prendrait la relève si les Russes ne lui venaient pas en aide. En soutenant Nasser, les Soviétiques ont perdu 58 hommes.
Les Soviétiques ont également été impliqués dans la région à des degrés divers tout au long de la guerre froide, apportant leur aide aux Palestiniens, à l'Égypte de Nasser, à la Syrie, à l'Irak de Saddam et à la Libye de Mouammar Kadhafi - autant de pays et de dirigeants qui traçaient une voie indépendante de l'Occident.
Lors du conflit de septembre noir de 1970 entre la Jordanie et la guérilla palestinienne, les États-Unis disposaient de Marines prêts à embarquer à Haïfa et à sécuriser l'aéroport d'Amman lorsque la Jordanie a repoussé une invasion syrienne en soutien aux Palestiniens.
Dans les années 1980, les États-Unis ont soutenu Saddam Hussein dans sa guerre brutale de huit ans contre l'Iran, en lui fournissant des renseignements et des armes chimiques qu'il n'a pas hésité à utiliser contre les Iraniens et les Kurdes. Le président Ronald Reagan a également bombardé la Libye en 1986 après l'avoir accusée, sans preuve, d'un attentat à la bombe perpétré à Berlin dix jours plus tôt, qui avait coûté la vie à un soldat américain.
Les États-Unis sont revenus dans la région dans un état d’esprit vengeur lors de la guerre du Golfe de 1991, enterrant à l'aide de bulldozers les troupes irakiennes qui se rendaient, tirant dans le dos de milliers de soldats qui battaient en retraite sur l'autoroute de la mort, et appelant à des soulèvements dans le sud chiite et le nord kurde pour ensuite les abandonner à la vengeance de Saddam Hussein.
L'Irak ne s'est jamais complètement remis de la dévastation, écrasé durant 12 années par les sanctions des Nations unies et des États-Unis qui, de l'aveu même de Madeleine Albright, alors ambassadrice des Nations unies, ont contribué à la mort d'un demi-million d'enfants irakiens, dont elle a déclaré que cela “en valait la peine”.
Les sanctions contre l'Irak n'ont pris fin qu'après l'invasion massive, en 2003, de ce pays arabe souverain par les États-Unis et le Royaume-Uni, assaut justifié par de fausses allégations selon lesquelles l'Irak dissimulerait des stocks d'armes de destruction massive susceptibles d'être partagées avec Al-Qaïda. L'invasion a tué des centaines de milliers de personnes et a laissé l'Irak en proie à la dévastation. Elle a également déclenché une guerre civile et donné naissance à un groupe terroriste, l'État islamique en Irak, qui a ensuite fusionné avec des terroristes en Syrie pour devenir ISIS.
Tout au long de ce siècle d'intervention, la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis ont géré la région par le biais d'alliances avec des dictateurs ou des monarques sans aucune considération pour les droits démocratiques. Mais lorsque ces autocrates sont devenus remplaçables, comme ce fut le cas pour Saddam Hussein, on s'en est débarrassé.
La plus grande invasion à ce jour
Si la plupart des Américains n'ont pas conscience de cette longue histoire d'humiliation cumulée des musulmans, des chrétiens et d’autres minorités religieuses de la région - et de la haine de l'Occident qui en résulte -, ils ne peuvent ignorer l'invasion de l'Irak, la plus importante de l'Occident dans la région, si l'on exclut la Seconde Guerre mondiale. Le public n'ignore pas non plus l'intervention de 2011 en Libye, et le chaos qui en a résulté. Pourtant, aucun lien n'est établi entre ces catastrophes et les attaques terroristes contre l'Occident.
Les hommes forts laïcs d'Irak, de Libye et de Syrie ont été pris pour cible pour avoir osé se rendre indépendants de l'hégémonie occidentale, et non en raison de leur terrible bilan en matière de droits de l'homme. Le bilan de l'Arabie saoudite et d'Israël en matière de droits de l'homme est lui aussi épouvantable, mais les États-Unis continuent de soutenir fermement ces “alliés”.
Pendant le soi-disant printemps arabe, lorsque les Bahreïnis ont réclamé la démocratie dans ce royaume insulaire, les États-Unis ont essentiellement regardé ailleurs alors qu'ils étaient écrasés par la puissance combinée de la monarchie du pays et des troupes saoudiennes. Washington a également entretenu des liens conflictuels avec l'homme fort égyptien, Hosni Moubarak.
Cependant, sous le prétexte de protéger la population libyenne, les États-Unis et l'OTAN ont mis en œuvre un “changement de régime” sanglant en Libye qui a mené à l'anarchie, à un autre État défaillant et à la création d'une enclave ISIS de plus. Au cours des cinq dernières années, l'Occident et ses alliés du Golfe ont alimenté la guerre civile en Syrie, menant à une autre catastrophe humanitaire.
L'Occident justifie souvent cette ingérence par la présence du pétrole. Mais le refus d’obéissance à l’hégémonie américaine en est le facteur essentiel. Hans Morgenthau a écrit dans Politics Among Nations (1968) que le besoin d'expansion des empires
“ne sera pas satisfait tant qu'il restera quelque part un objet possible de domination - un groupe d'hommes politiquement organisé qui, par son indépendance même, défie la soif de pouvoir du conquérant”.
Dans son livre Bush in Babylon (2003), Tariq Ali parle de Gnaeus Julius Agricola, le général romain responsable d'une grande partie de la conquête de la Grande-Bretagne au premier siècle :
“Lors d'une de ses visites aux confins de la [Grande-Bretagne], Agricola regarda en direction de l'Irlande et demanda pourquoi elle restait inoccupée. Parce qu’elle, répondit son interlocuteur, était constituée de tourbières incultivables et habitée par des tribus très primitives. Qu'avait-elle donc à offrir au grand Empire ? Le malheureux fut sévèrement réprimandé. Le gain économique n'est pas tout. L'exemple d'un pays inoccupé est plus essentiel. Il est peut-être arriéré, mais il demeure libre”.
Dissimulation des motifs
Cette longue histoire de manipulation, de tromperie et de brutalité de l'Occident au Moyen-Orient est peu connue des Américains, car les médias américains ne l'invoquent presque jamais pour expliquer l'attitude des Arabes et des Iraniens à l'égard de l'Occident.
Les musulmans, eux, se souviennent de cette histoire. Je connais des Arabes encore exaspérés par le coup de poignard dans le dos de Sykes-Picot, sans parler des déprédations les plus récentes. D'ailleurs, des fanatiques comme l'État islamique sont encore irrités par les Croisades, une intervention occidentale bien plus ancienne. D'une certaine manière, il est surprenant, et fort heureux, que seule une infime partie des musulmans se soit tournée vers le terrorisme.
Néanmoins, les islamophobes comme Donald Trump veulent empêcher les musulmans d'entrer aux États-Unis jusqu'à ce qu'ils comprennent “ce qui se passe”. Trump affirme que les musulmans vouent une “haine profonde” aux Américains. Mais il ne comprendra pas, ignorant la cause principale de cette haine : le siècle passé d'interventions, couronné par les atrocités occidentales les plus récentes en Irak et en Libye.
Si l'on fait abstraction des motifs politiques et historiques, les terroristes ne sont pas que des fous motivés par une haine irrationnelle à l'égard d'un Occident bienveillant qui affirme n’être là que pour les aider. Ils nous haïraient simplement parce que nous sommes occidentaux, selon des gens comme Toner, et non en raison de nos ingérences.
De même, Israël et ses soutiens occidentaux enterrent l'histoire du nettoyage ethnique et de la conquête fragmentaire de la Palestine par Israël, de sorte qu'ils peuvent rejeter les Palestiniens se tournant vers le terrorisme comme étant uniquement motivés par la haine des Juifs, juste parce qu'ils sont juifs.
J'ai demandé à plusieurs Israéliens pourquoi les Palestiniens ont tendance à les haïr. Plus l'Israélien est éduqué, plus il est probable qu'il réponde que c'est à cause de l'histoire de la création d'Israël et de la façon dont il continue à gouverner. Moins mon interlocuteur est instruit, plus il est probable qu'il dise nous haïr simplement parce que nous sommes juifs.
Le terrorisme n'a pas d'excuse. Mais il existe un moyen pratique de l'endiguer : mettre fin aux interventions et aux occupations actuelles, et ne plus rien planifier.
Psychologie de la terreur
Bien entendu, la colère contre l'exploitation des terres musulmanes par l'Occident au cours de son histoire n'est pas la seule motivation du terrorisme. Il existe des pressions émotionnelles et collectives qui poussent certains à faire exploser des innocents autour d'eux. Heureusement, il faut un type d'individu très spécifique pour réagir à cette histoire peu glorieuse par des actes de terreur peu glorieux.
L'argent joue également un rôle. Nous avons assisté à des vagues de défections, ISIS ayant récemment réduit de moitié la rémunération de ses combattants. La colère contre les dirigeants locaux installés et soutenus par l'Occident qui oppriment leur peuple au nom de l'Occident, est un autre motif. Les prédicateurs extrémistes, en particulier les wahhabites saoudiens, ont également leur part de responsabilité, car ils inspirent le terrorisme, généralement contre les chiites.
Se pencher sur les raisons psychologiques qui poussent quelqu’un à se tourner vers le terrorisme est une tâche ardue. Le point de vue occidental officiel est que les extrémistes islamistes détestent simplement modernité et laïcité. C'est peut-être la raison pour laquelle ils veulent transformer leurs propres sociétés en supprimant l'influence de l'Occident. Mais ce n'est pas ce qu'ils disent lorsqu'ils revendiquent la responsabilité de frapper l'Occident.
Ignorer leurs propos et rejeter leur réaction violente à la longue histoire de l'intervention occidentale peut dédouaner les Américains et les Européens de leur responsabilité partielle dans ces atrocités. Mais cela permet surtout de cautionner la poursuite des interventions qui, à leur tour, ne manqueront pas d'engendrer davantage de terrorisme.
Plutôt qu'examiner le problème objectivement - et de manière autocritique - l'Occident tente d’occulter sa propre violence en tentant de répandre la démocratie (qui ne semble jamais se matérialiser) ou de protéger les civils (qui sont au contraire mis en danger). Admettre qu'il existe un lien entre un passé sordide et le terrorisme anti-occidental reviendrait à reconnaître la culpabilité de l'Occident, et le prix à payer pour sa domination.
Pire encore, faire croire que les terroristes ne sont que de simples fous permet la justification d’une action militaire de plus. C'est précisément ce qu'a fait l'administration Bush après le 11 septembre, en cherchant trompeusement à lier les attentats au gouvernement irakien.
En revanche, établir un lien entre le terrorisme et l'intervention occidentale pourrait déclencher un sérieux réexamen du comportement de l'Occident dans la région, menant à un possible recul, voire à la fin de cette domination extérieure. Mais c'est clairement un chose que les décideurs politiques à Washington, Londres et Paris - et leurs médias serviles - ne sont pas prêts à faire.
[Pour plus d'informations sur ce sujet, voir Consortium News “Pourquoi de nombreux musulmans détestent l'Occident” et “La mémoire musulmane de l'impérialisme occidental”].
Cet article a été publié pour la première fois dans Consortium News le 9 avril 2016.
* Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant à l'ONU pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et de nombreux autres journaux, dont The Montreal Gazette, le London Daily Mail et The Star of Johannesburg. Il a été journaliste d'investigation pour le Sunday Times of London, journaliste financier pour Bloomberg News et a commencé sa carrière professionnelle à 19 ans comme pigiste pour le New York Times. Il est l'auteur de deux livres, A Political Odyssey, avec le sénateur Mike Gravel, préfacé par Daniel Ellsberg, et How I Lost By Hillary Clinton, préfacé par Julian Assange. Il peut être contacté à l'adresse joelauria@consortiumnews.com et suivi sur Twitter @unjoe
https://consortiumnews.com/2023/11/21/destroying-history-to-preserve-an-illusion/