👁🗨 Occupation israélienne : ce document confidentiel de Washington pour influencer la Cour internationale de justice
La CIJ doit bientôt se prononcer sur les conséquences de la colonisation israélienne depuis 1967. Les USA la mettent en garde : la question de la colonisation des territoires ne la regarde pas.
👁🗨 Occupation israélienne : ce document confidentiel de Washington pour influencer la Cour internationale de justice
Par Elisabeth Fleury, le 11 décembre 2023
« Quelles sont les conséquences légales découlant des politiques et pratiques d’Israël dans les territoires occupés palestiniens, y compris Jérusalem-Est, depuis 1967 ? »
À cette question posée, en février 2023, sur laquelle la Cour internationale de justice (CIJ) doit rendre dans quelques semaines un avis consultatif très attendu, 57 États et organisations ont déjà répondu au cours de l’été.
Après avoir lu leurs contributions, les États-Unis ont remis à la Cour un contre-mémoire. L’Humanité s’est procuré ce document confidentiel, daté du 25 octobre, qui résume en une quinzaine de pages la position de l’administration Biden. À cette date, l’attaque du Hamas s’est déjà produite. Et la réponse israélienne, sous forme de bombardements massifs, est en cours.
Dans un argumentaire plus politique que juridique, l’administration Biden réaffirme son soutien à un « processus de paix » qui, de toute évidence, a pourtant conduit à l’impasse. Objectif : discréditer, par avance, toute remise en cause de l’occupation israélienne par la Justice internationale.
Un plaidoyer pour ne rien changer
D’emblée, le document américain fait du Hamas le seul responsable des malheurs du peuple palestinien.
« Les États-Unis soumettent ces commentaires à un moment sombre, à la suite de l’horrible attaque terroriste perpétrée par le Hamas contre la population civile israélienne », indique le mémoire. « Nous reconnaissons les aspirations légitimes du peuple palestinien et nous soutenons des mesures égales de justice et de liberté pour les Israéliens et les Palestiniens. Mais, ne vous y trompez pas : le Hamas ne représente pas ces aspirations, et il n’offre rien d’autre au peuple palestinien que plus de terreur et d’effusion de sang. »
Exhortant la communauté internationale à « redoubler d’efforts pour lutter contre l’extrémisme violent et le terrorisme », l’administration américaine insiste, tout au long de son mémoire, sur le caractère « vital » du cadre des accords d’Oslo. Signés en 1993 entre Israël et l’OLP, sous l’égide du président américain Bill Clinton, ces accords concédaient une autonomie temporaire de cinq ans à l’Autorité palestinienne, à charge pour les deux parties de régler leur conflit par des négociations bilatérales.
Ils ont placé, de fait, l’Autorité palestinienne sous la sujétion du gouvernement israélien et conduit à une reconfiguration de l’occupation, sans y mettre fin. Ces accords sont aujourd’hui, de l’avis général des spécialistes du droit international, obsolètes. C’est pourtant à eux que se réfèrent constamment les États-Unis, car ils constituent, à leurs yeux, la seule voie possible
« pour un État palestinien indépendant et viable, vivant en toute sécurité aux côtés d’Israël, les deux populations jouissant de mesures égales de liberté, de propriété et de démocratie ».
Les réponses faites à la CIJ consistent en des
« dizaines de milliers de pages de déclarations et de dossiers, couvrant des décennies d’événements historiques complexes » dont certaines, s’alarment les États-Unis, « invitent la Cour à substituer son arrêt à celui du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, et à écarter des aspects fondamentaux du conflit israélo-palestinien ».
Face à cette tentation de « saper le cadre de négociations établi », selon eux, les États-Unis mettent en garde la Cour. S’écarter des accords d’Oslo reviendrait, pour la CIJ, à défier les organes politiques des Nations unies. Au contraire, la Cour devrait « servir les fonctions et les intérêts de l’ONU en conseillant l’Assemblée générale à l’intérieur du cadre de négociations établi », insistent-ils.
Parmi les avis transmis à la Cour, beaucoup lui demandent de se prononcer sur « un retrait immédiat et inconditionnel d’Israël des territoires palestiniens », constatent les États-Unis. Cette approche est « incorrecte », estiment-ils, d’autant plus que cette question ne relève pas, selon eux, de la compétence de la Cour. Ils invitent donc cette dernière « à faire preuve de prudence »et consentent, du bout des lèvres, à livrer leur propre analyse.
La justice internationale au placard
L’occupation militaire israélienne, y compris en Cisjordanie, est-elle illégale ? Ce n’est pas à la Cour de répondre, estiment les États-Unis. L’occupation d’un territoire est, selon eux, une question de fait. Le droit international humanitaire, certes, « impose aux belligérants des obligations dans la conduite d’une occupation ». Mais le statut juridique de l’occupation n’est pas de son ressort. « Il ne prévoit pas que l’occupation soit licite ou illégale. »
Les questions posées à la Cour de justice « portent sur la présence et les activités d’Israël dans le territoire à la suite de la guerre israélo-arabe de 1967 ». Le Conseil de sécurité y a déjà répondu, estiment les États-Unis, « non pas en ordonnant un retrait immédiat et inconditionnel, mais en adoptant un cadre », celui des « résolutions 242 et 338 », qu’il convient de respecter.
Pour rappel : la résolution 242, adoptée en novembre 1967 à la suite de la guerre des Six Jours, pose le principe d’un retrait d’Israël des territoires occupés en contrepartie d’une paix durable garantissant la sécurité de tous. La résolution 338, adoptée en octobre 1973 dans la foulée de la guerre du Kippour, appelle à un cessez-le-feu, à des négociations durables et réaffirme la validité de la résolution 242. L’une comme l’autre appellent les parties à s’entendre.
« Ce n’est que par des négociations directes et l’application des résolutions 242 et 338 que la paix pourra être instaurée dans la région », reprennent à leur compte les États-Unis.
La mission de la Cour est de
« conseiller l’Assemblée générale en tenant dûment compte des responsabilités et des décisions des principaux organes politiques de l’ONU », met en garde l’administration américaine. Si de tels conseils devaient toucher « aux questions relatives réservées à la négociation directe, telles que le statut du territoire, les frontières et les arrangements de sécurité », ils déborderaient de leur cadre. Pis : ils « n’aideraient pas à créer les conditions d’une paix négociée et, en fin de compte, ne serviraient pas les intérêts et les fonctions de l’ONU ».
Au lendemain de
« l’horrible attaque terroriste et des atrocités commises par le Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre » qui illustrent le « mépris persistant du Hamas pour la vie des Palestiniens », les États-Unis concluent à « l’urgence d’inverser la tendance sur le terrain et de créer les conditions nécessaires à la négociation entre les parties » afin d’aboutir à « une paix globale, juste et durable ».
L’avis de la Cour « doit renforcer le cadre de négociations existant et souligner la nécessité pour les parties de s’engager de manière constructive ». Pour cela, une seule voie : poursuivre la politique qui a pourtant conduit au désastre.