đâđš On ne parle pas comme ça Ă un prĂ©sident !
Si le prĂ©sident dit Ă ses gens & son armĂ©e dâenvoyer des bombes Ă IsraĂ«l & suivre, en bombardant si nĂ©cessaire, telle sera la politique amĂ©ricaine. On ne dit simplement pas ânon, je ne le ferai pasâ.
đâđš On ne parle pas comme ça Ă un prĂ©sident !
RĂ©flexions sur l'assassinat de JFK, 60 ans aprĂšs
Par Seymour Hersh, le 23 novembre 2023
Si le prĂ©sident amĂ©ricain dit Ă son Ă©quipe & son armĂ©e dâenvoyer des bombes Ă IsraĂ«l et le suivre en bombardant si nĂ©cessaire, telle sera la politique amĂ©ricaine. On ne dit simplement pas ânon, je ne le ferai pasâ.
Hier, c'était le soixantiÚme anniversaire de l'assassinat tragique du président John F. Kennedy, dont l'héritage de glamour et de succÚs a été entaché par son soutien, jusqu'à sa mort, à la guerre au Sud-Vietnam, qui allait entraßner la mort de 58 000 Américains et d'innombrables millions de Vietnamiens.
La plupart des victimes vietnamiennes non combattantes ont été tuées par voie aérienne, les B-52 et autres avions américains ayant largué plus de cinq millions de tonnes de bombes pendant la guerre, qui n'a pris fin que plus de dix ans aprÚs la mort de JFK. Ce tonnage est deux fois supérieur à celui de toutes les bombes larguées par l'Amérique au cours de la Seconde Guerre mondiale.
La plupart des bombes ont Ă©tĂ© larguĂ©es alors que la guerre amĂ©ricaine Ă©tait intensifiĂ©e par le prĂ©sident Lyndon Johnson, qui a refusĂ© les demandes rĂ©itĂ©rĂ©es de mettre fin aux bombardements quand il existait une chance d'engager des nĂ©gociations de paix avec le Nord. Il considĂ©rait qu'un rĂ©pit, mĂȘme temporaire, Ă©tait une marque de faiblesse. Nous savons aujourd'hui que Johnson a Ă©tĂ© exclu du cercle rapprochĂ© de JFK lors de la crise des missiles de Cuba en 1962, le plus grand succĂšs diplomatique du jeune prĂ©sident, au cours de laquelle les SoviĂ©tiques ont Ă©tĂ© perçus comme renonçant Ă leur projet de dĂ©ploiement de bombes nuclĂ©aires Ă faible puissance Ă Cuba. Kennedy s'est illustrĂ© par la suite en dĂ©clarant que l'AmĂ©rique - c'est-Ă -dire lui-mĂȘme - avait affrontĂ© âles yeux dans les yeuxâ Ă Nikita Khrouchtchev, et que les SoviĂ©tiques avaient fait marche arriĂšre. Nous apprendrons aprĂšs le dĂ©part de Johnson que Kennedy, aidĂ© par son jeune frĂšre Robert, le procureur gĂ©nĂ©ral, n'avait pas fait reculer Khrouchtchev, mais s'Ă©tait en fait engagĂ© secrĂštement Ă retirer de la Turquie les missiles nuclĂ©aires amĂ©ricains Ă portĂ©e de tir de la Russie. Le prĂ©sident Kennedy a Ă©galement acceptĂ© de ne pas envahir Cuba. Une fois entrĂ© en fonction, Johnson, qui ignorait tout de ces tractations, en vint Ă croire qu'il devait lui aussi tenir tĂȘte aux communistes - comme Jack l'avait fait lors de la crise des missiles - pendant la guerre du ViĂȘt Nam.
La leçon prĂ©sidentielle qui n'a pas Ă©tĂ© retenue - comment aurait-elle pu l'ĂȘtre - est la suivante : ne vous faites pas assassiner sans avoir dit Ă votre vice-prĂ©sident tout ce qu'il ou elle devait savoir. La vĂ©ritĂ© sur la concession secrĂšte de JFK dans la crise des missiles n'a Ă©tĂ© rendue publique qu'un an aprĂšs l'assassinat de Bobby Kennedy en 1968. Johnson n'a pas retenu la leçon appropriĂ©e de la crise des missiles - il faut toujours s'en prendre Ă l'ennemi - et en a fait un usage dĂ©sastreux au ViĂȘt Nam.
Rien de tout cela n'Ă©tait connu lorsque j'ai commencĂ© Ă couvrir le Pentagone et le secrĂ©taire Ă la dĂ©fense Robert S. McNamara - nommĂ© Ă ce poste par JFK - pour Associated Press en 1965. Mais on allait bientĂŽt apprendre que le Nord-Vietnam avait Ă©tĂ© bombardĂ©, sans que l'on sache dans quelle mesure, et que l'une des cibles Ă©tait HanoĂŻ, la capitale. Le merveilleux Harrison Salisbury du New York Times avait rĂ©vĂ©lĂ© ces bombardements en dĂ©cembre 1966 dans une sĂ©rie de dĂ©pĂȘches en provenance de HanoĂŻ - il Ă©tait rare qu'un journaliste amĂ©ricain se rende sur place Ă l'Ă©poque - et je faisais partie d'un tout petit groupe de correspondants du Pentagone - pas plus de cinq en tout - invitĂ©s Ă rencontrer McNamara dans son bureau au sujet des dĂ©pĂȘches de Salisbury. Il s'apprĂȘtait Ă dĂ©mentir les histoires de Salisbury et souhaitait que nous l'aidions Ă faire en sorte que ce dĂ©menti fasse autoritĂ©, sans que son nom ne soit citĂ©. On nous a dit qu'il ne voulait pas que les dĂ©mentis proviennent de hauts fonctionnaires du ministĂšre de la DĂ©fense. VoilĂ l'essentiel de nos Ă©changes, pour le moins absurdes. Nouveau venu dans le monde des correspondants du Pentagone, j'ai naĂŻvement dit au secrĂ©taire d'Ătat que ses dĂ©mentis concernant les frappes sur des cibles Ă HanoĂŻ Ă©taient rĂ©guliĂšrement contredits par les dĂ©pĂȘches quotidiennes du Times de Salisbury. McNamara m'a gratifiĂ© d'un sourire ironique et m'a dit : âLes bombes ne vont jamais lĂ oĂč on les a pointĂ©es.â Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? me suis-je dit. C'Ă©tait un homme de Jack Kennedy. Aucun de mes collĂšgues n'a rien dit.
Notre réunion avec McNamara n'était pas officielle, et je ne pouvais pas rapporter ce qu'il avait dit. Mais j'ai poursuivi mes recherches et j'ai appris que le Pentagone avait interdit aux bombardiers américains de bombarder dans un rayon de 8 km autour du centre de Hanoï, ce qui laissait encore beaucoup de cibles militaires et autres dans le périmÚtre de la ville. J'ai écrit à ce sujet et l'article s'est retrouvé en premiÚre page du Times.
McNamara, encore vĂ©nĂ©rĂ© par de nombreux membres du CongrĂšs et de la presse pour sa proximitĂ© avec Jack Kennedy et sa veuve, a immĂ©diatement dĂ©menti mon histoire, et a dĂ©clarĂ© Ă un large panel de journalistes qu'il ân'y avait pas de rayon de 8 km de diamĂštre interdit aux bombardements amĂ©ricainsâ. Il a affirmĂ© qu'il s'agissait d'une invention.
J'ai conservĂ© mon travail parce que ma source de base, un amiral trois Ă©toiles qui occupait un poste essentiel au Pentagone et qui ne supportait pas les mensonges sur la guerre, m'a dit qu'il parlerait en toute confidentialitĂ© Ă chaque rĂ©dacteur en chef d'AP qui aurait besoin d'ĂȘtre rassurĂ©. J'ai appris sept ans plus tard, grĂące aux Pentagon Papers rendus publics par Daniel Ellsberg, que McNamara n'avait pas Ă©tĂ© loin dans son mensonge - le rayon de 8 km autour de HanoĂŻ s'appliquait principalement aux chasseurs-bombardiers de la marine qui dĂ©collaient des porte-avions dans le golfe du Tonkin, et il s'agissait d'un rayon lĂ©gĂšrement plus large de 8 miles nautiques [un peu plus de 9 km].
Ellsberg m'a Ă©galement racontĂ© une autre histoire sur JFK et McNamara qu'il est impossible d'oublier. Edward Lansdale Ă©tait un expert en contre-insurrection de la CIA recrutĂ© par Jack et Bobby Kennedy aprĂšs l'Ă©chec de l'invasion de la Baie des Cochons au dĂ©but de l'annĂ©e 1961 pour diriger une opĂ©ration secrĂšte de la Maison Blanche visant Ă faire tomber le rĂ©gime castriste, connue sous le nom de code dââOpĂ©ration Mangousteâ. Landsdale avait travaillĂ© dans les annĂ©es 1950 au Sud-Vietnam et avait nouĂ© d'Ă©troites relations avec le prĂ©sident Ngo Dinh Diem, qui, comme Kennedy, Ă©tait un fervent catholique. Ă la fin de l'annĂ©e 1963, alors que la guerre battait de l'aile, l'excentrique Diem commença Ă parler d'un rapprochement avec les Nord-Vietnamiens. L'administration Kennedy avait intensifiĂ© ses activitĂ©s militaires au Sud-Vietnam, multipliant les bombardements et les dĂ©vastations de terres agricoles, rendant de moins en moins de comptes au gouvernement de Saigon, et un accord de fin de guerre avec Ho Chi Minh au Nord Ă©tait perçu comme une bien meilleure option.
Lansdale, sous le couvert d'un gĂ©nĂ©ral de l'armĂ©e de l'air travaillant pour le Pentagone, a Ă©tĂ© convoquĂ© par McNamara, son patron officiel, comme il l'a dit plus tard Ă Ellsberg, Ă une rĂ©union avec le prĂ©sident Ă la fin de l'annĂ©e 1963. AprĂšs quelques civilitĂ©s, le prĂ©sident a demandĂ© Ă Lansdale si les choses tournaient mal avec Diem et âsi, modifiant mon jugement, je dĂ©cidais que nous devrions nous dĂ©barrasser de Diem lui-mĂȘme, seriez-vous d'accord avec cette dĂ©cision ?â Ellsberg cite la rĂ©ponse de Lansdale : âNon, Monsieur le PrĂ©sident, je ne pourrais pas agir de la sorte. Diem est un de mes amis, et je ne pourrais pas faire çaâ. Lâentretien fut clos. Dans la limousine qui le ramenait au Pentagone, McNamara a rĂ©primandĂ© Lansdale. Son message Ă©tait le suivant, comme l'a dit Lansdale Ă Elllsberg : âVous ne pouvez pas parler comme ça Ă un prĂ©sident. Lorsqu'un prĂ©sident vous demande de faire quelque chose, ne lui dites pas que vous ne le ferez pasâ.
Lansdale n'a plus jamais parlé à McNamara ni à Kennedy.
Aujourd'hui, on peut raisonnablement supposer que la responsabilitĂ© incombe toujours au prĂ©sident amĂ©ricain. Si le prĂ©sident amĂ©ricain dit Ă son Ă©quipe et Ă son armĂ©e de continuer Ă envoyer des bombes Ă IsraĂ«l et suivre IsraĂ«l en bombardant si nĂ©cessaire, telle sera la politique amĂ©ricaine. On ne dit simplement pas ânon, je ne le ferai pasâ.