👁🗨 Opération Rafah, l'étape ultime vers une guerre régionale
Tous les regards sont tournés vers Rafah, une bataille cruciale qui contraindra Israël au cessez-le-feu, ou plongera la région dans une guerre totale sur plusieurs fronts.
👁🗨 Opération Rafah, l'étape ultime vers une guerre régionale
Par Tawfik Chouman, le 22 mars 2024
La trêve temporaire conclue le 24 novembre entre le mouvement de résistance Hamas et le gouvernement israélien aurait pu ouvrir la voie à des trêves successives, et potentiellement au cessez-le-feu définitif dans la bande de Gaza.
Mais Tel-Aviv a laissé passer cette opportunité, considérant la poursuite de sa guerre génocidaire comme un moyen de remodeler le paysage politique et sécuritaire de Gaza sous couvert de “rétablir la dissuasion” et atténuer les retombées intérieures de l'opération “Al-Aqsa Flood” menée par le Hamas le 7 octobre dernier.
Aujourd'hui, près de six mois après le début de ce qu'Israël appelle une “guerre de survie et d'existence” contre Gaza, il est clair que l'agression militaire de l'État d'occupation ne peut déloger le Hamas ni de la bande de Gaza, ni de la scène politique palestinienne au sens large.
La récente série de négociations indirectes entre le Hamas et Israël, qui se sont tenues à Paris, au Caire et à Doha, a révélé une dure réalité politique : le Hamas est le principal interlocuteur palestinien en ce qui concerne la bande de Gaza. Cette reconnaissance tacite par Tel-Aviv marque l'échec stratégique de l'un des deux objectifs d'Israël définis en octobre dernier, à savoir l'éradication du Hamas et de ses factions de résistance alliées dans la bande de Gaza.
Les intérêts politiques de Bibi face à la crise interne
Cette réalité soulève des questions sur les voies potentielles qui s'offrent au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, alors qu'il doit faire face à une immense pression internationale pour mettre fin au carnage. Persistera-t-il dans la guerre contre Gaza et risquera-t-il d'être considéré comme un paria au niveau mondial, ou sera-t-il contraint de rechercher un règlement politiquement coûteux ? Il convient de noter que cette dernière option ne sera pas facile à mettre en œuvre. Elle pourrait potentiellement déclencher une tempête de protestations internes en Israël, avec diverses factions politiques désireuses de lui demander des comptes à de multiples égards.
Depuis que M. Netanyahou a renoncé à la trêve en novembre, d'éminents commentateurs politiques israéliens et même d'anciens Premiers ministres ont été curieusement unanimes dans leur évaluation. Ils affirment que la décision de M. Netanyahou de prolonger la guerre sert principalement ses intérêts politiques personnels, lui permettant de donner l'illusion d'une victoire tout en échappant à l'examen politique, sécuritaire et judiciaire.
En conséquence, Netanyahou reste fermement opposé à toute solution à apporter à la guerre. Il a au contraire insisté sur la nécessité d'éliminer les capacités militaires du Hamas et de ses alliés, et recherche ostensiblement une “victoire totale” par le biais d'une guerre totale.
La feuille de route du premier ministre repose sur le maintien du nettoyage ethnique de la bande de Gaza. Selon ce scénario, il envisage la bataille de Rafah comme le point culminant décisif qui rendra définitivement obsolète la “solution à deux États” déjà moribonde, et rompra définitivement tout lien entre Gaza et la Cisjordanie occupée.
La bataille de Rafah se présente donc comme un tournant décisif, délimitant deux trajectoires divergentes : l'une est guidée par les efforts régionaux et internationaux en faveur d'un règlement négocié, et l'autre est dictée uniquement par les ambitions de Netanyahou.
Ramifications régionales et dilemme égyptien
Cette situation soulève des questions complexes : Netanyahou peut-il prolonger la guerre et influencer les acteurs régionaux et internationaux - pour gagner du temps, en quelque sorte - tout en tenant compte de l'équilibre fragile des forces impliquant l'Égypte et de la guerre régionale plus large contre d'autres membres de l'Axe de la résistance ?
En effet, la bataille de Rafah représente un défi à plusieurs niveaux pour l'Égypte, englobant des aspects politiques, sécuritaires et populaires. L'invasion de Rafah par l'armée israélienne aurait des conséquences considérables sur les relations entre Le Caire et Tel-Aviv, en plus d'avoir un impact sérieux sur la sécurité intérieure de l'Égypte.
Un récent sondage réalisé par l'Institut de Washington pour les études sur le Proche-Orient a révélé que les trois quarts des Égyptiens voient le Hamas d'un bon œil. Ce sentiment populaire influence la politique égyptienne à l'égard d'éventuelles actions israéliennes à Rafah.
Le 10 mars, le New York Times et le Wall Street Journal ont rapporté les avertissements de responsables égyptiens sur la suspension potentielle des accords de Camp David si Israël devait attaquer Rafah.
Diaa Rashwan, directeur du service d'information égyptien, a souligné la gravité de l'occupation par Israël du corridor de Philadelphie - une zone tampon à la frontière entre le Sinaï et la bande de Gaza définie par les accords de Camp David - en déclarant qu'elle constituait une grave menace pour les relations entre Le Caire et Tel-Aviv.
La gestion d'un éventuel afflux massif de civils gazaouis cherchant refuge, et de combattants palestiniens traversant le territoire égyptien pose également d'importants défis logistiques et sécuritaires. Ce scénario soulève également des questions sur les incursions potentielles de l'armée israélienne en territoire égyptien, et sur la manière dont l'armée égyptienne y répondrait.
En outre, toute intensification de la pression sur Rafah ou une invasion israélienne à grande échelle entraînerait des répercussions régionales considérables, pouvant aller jusqu'à la rupture des accords d'Abraham. L'axe de la résistance a clairement fait savoir que l'élimination du Hamas était inacceptable et que, en cas de danger, elle pourrait déclencher une guerre régionale.
L'absence de pression effective des États-Unis sur Israël pour qu'il mette fin à ses actions à Gaza ne fait que compliquer les choses. Alors que la Maison Blanche de Joe Biden cherche à obtenir un “plan opérationnel crédible”, elle ne s'est pas opposée catégoriquement à une attaque sur Rafah. Cette ambivalence permet à Netanyahou de poursuivre ses opérations militaires, voire l'encourage à le faire.
Une offensive à Rafah pourrait bouleverser la région
Quelle que soit l'issue de la bataille de Rafah, Israël et les États-Unis l'interprètent comme une offensive dirigée contre le Hamas, qu'ils considèrent comme une extension de l'influence iranienne dans la région. Ce récit s'aligne sur ce que Thomas Friedman, écrivant pour le New York Times, a appelé la nouvelle “doctrine Biden”, qui met l'accent sur la confrontation avec l'Iran et ses alliés en Asie de l'Ouest. Il s'agit là d'une évolution majeure de la stratégie américaine depuis 1979.
La convergence des intérêts américains et israéliens jette le discrédit sur les négociations actuelles visant à instaurer un cessez-le-feu permanent, tous les regards étant tournés vers la série de pourparlers en cours à Doha. Amos Harel, qui écrit pour Haaretz, décrit les discussions comme une course vers un cessez-le-feu négocié ou vers un conflit régional potentiellement étendu impliquant de multiples fronts.
Le mouvement Ansarallah du Yémen, qui a étendu la semaine dernière ses opérations navales à l'océan Indien, a lancé un avertissement sans appel contre une invasion de Rafah, menaçant d'une forte intensification des opérations maritimes et aériennes, y compris la fermeture du détroit de Bab al-Mandab.
De même, le front libanais reste à l’écoute de l'évolution de la situation à Rafah. Malgré l'expansion du front nord depuis le début de l'année 2024, les récentes attaques israéliennes visant Baalbek, à plus de 100 kilomètres de la frontière sud, témoignent de la volonté peu judicieuse de Tel-Aviv de provoquer une escalade.
Cette hypothèse pourrait se concrétiser si Israël envahit Rafah, car l'armée d'occupation pourrait recourir à des actions préventives pour atténuer les menaces perçues de la part des forces de résistance libanaises.
Dans l'ensemble, la bataille de Rafah devrait redéfinir le conflit régional, en augmentant les pressions exercées sur les fronts existants. Elle remet surtout en cause le discours selon lequel le Hamas serait seul, abandonné de tous dans Rafah, car divers acteurs régionaux, dont l'Iran et ses alliés, surveillent de près la situation et se tiennent prêts à intervenir.
https://thecradle.co/articles/the-battle-of-rafah-a-short-step-to-regional-war