đâđš Oppenheimer et le b.a.-ba de l'apocalypse, version allitĂ©rĂ©e
Nous existons, semble-t-il, pour promouvoir l'instrument mĂȘme de notre ruine, pervertissant ainsi la raison de notre venue au monde, Ă savoir la perpĂ©tuation de notre espĂšce.
đâđš Oppenheimer et le b.a.-ba de l'apocalypse, version allitĂ©rĂ©e.
Par Scott Ritter, le 29 juillet 2023
J'ai regardé le film Oppenheimer de Christopher Nolan pour me faire une idée de la naissance de l'Amérique nucléaire, mise en scÚne comme seule Hollywood sait le faire. Je suis sorti de la salle en reconnaissant que le film avait réussi à bien présenter le protagoniste, J. Robert Oppenheimer, comme un compagnon de route dans cette aventure qu'est la vie. Avec l'acteur irlandais Cillian Murphy ans le rÎle, Oppenheimer devient accessible à tous ceux qui ont été confrontés aux défis de la vie, et aux tentatives improbables de les relever. Que les défis d'Oppenheimer aient une ampleur et une échelle inimaginables pour la plupart des gens n'a pas d'importance - le public s'est senti concerné par l'homme, pas par le mythe, et c'est pour cette raison que le film est une grande réussite.
En revanche, il Ă©choue dans sa description presque ennuyeuse des banalitĂ©s entourant la bombe, piĂšce maĂźtresse du gĂ©nie crĂ©atif d'Oppenheimer. MĂȘme si j'ai appris Ă apprĂ©cier l'homme qu'Ă©tait Oppenheimer, j'ai eu trĂšs envie de quitter le cinĂ©ma avec une peur panique de l'arme qu'il a contribuĂ© Ă crĂ©er. C'est lĂ qu'Ă©choue le film - la bombe n'est que du tape-Ă -l'Ćil, sans substance. La scĂšne d'ouverture de Il faut sauver le soldat Ryan rĂ©sonne encore en moi aujourd'hui ; rien de la crĂ©ation d'Oppenheimer ne m'est restĂ© en tĂȘte une fois le gĂ©nĂ©rique du film dĂ©roulĂ©. C'est la " bombe H" d'Edward Teller qui a suscitĂ© l'effroi des spectateurs, une bombe dont la puissance destructrice Ă©tait reprĂ©sentĂ©e sur une carte, Ă l'aide d'un compas qui traçait des cercles autour des principales villes du monde, indiquant la circonfĂ©rence de la portĂ©e lĂ©tale de la "bombe H". Je n'ai pas ressenti cette peur en contemplant la crĂ©ation d'Oppenheimer.
Scott Ritter discutera de cet article et répondra aux questions du public dans l'épisode 86 de l'émission "Ask the Inspector".
Que le "gadget" d'Oppenheimer soit Ă l'origine d'un chaos dĂ©vastateur n'est jamais Ă©voquĂ©. Oppenheimer a luttĂ©, tant dans sa vie qu'Ă l'Ă©cran, pour obliger ceux avec qui il partageait le secret de la destruction nuclĂ©aire Ă comprendre la nĂ©cessitĂ© absolue de remettre le gĂ©nie atomique dans sa bouteille. Oppenheimer, qui a contribuĂ© Ă libĂ©rer cette terrible puissance, a compris le pĂ©chĂ© mortel que lui et ses collĂšgues scientifiques avaient commis. Conçu pour vaincre les forces de l'Allemagne nazie, le "gadget" d'Oppenheimer a Ă©tĂ© mis au point pour intimider l'Union soviĂ©tique - soi-disant notre alliĂ©e en temps de guerre - aux dĂ©pens des Japonais, qui Ă©taient prĂȘts Ă se rendre mais devaient d'abord servir d'exemple.
La raretĂ© des destructions directement liĂ©es Ă l'arme d'Oppenheimer rĂ©duit l'impact des remords qu'il Ă©prouvera plus tard pour lui avoir insufflĂ© vie. En outre, il est difficile de considĂ©rer le film de Nolan comme le fondement du rĂȘve d'Oppenheimer de bannir la puissance destructrice de la fission et de la fusion nuclĂ©aires de l'arsenal de l'humanitĂ©, en limitant son utilitĂ© Ă la production d'Ă©nergie, un rĂȘve, tout simplement. Il fut un temps oĂč l'humanitĂ© redoutait lâimminence dâun Ă©ventuel anĂ©antissement nuclĂ©aire. Les enfants ont grandi en apprenant comment "s'abriter", tandis que les adultes ont appris Ă prĂ©fĂ©rer la dĂ©tente Ă l'affrontement, supportant des dĂ©cennies de guerre froide de peur des effets de l'incendie nuclĂ©aire susceptible de se produire si le conflit entre superpuissances concurrentes venait Ă dĂ©gĂ©nĂ©rer.
Les gĂ©nĂ©rations actuelles ont oubliĂ© les Ă©chos malĂ©fiques d'un dĂ©sastre Ă©ternel qui ont tonnĂ© dans le dĂ©sert d'Alamogordo un matin de juillet 1945 ; elles n'ont pas jetĂ© de regards furtifs dans le ciel nocturne pendant la crise des missiles de Cuba, se demandant si ce soleil couchant serait peut-ĂȘtre leur dernier, ou si sa lumiĂšre agonisante serait remplacĂ©e par une lumiĂšre Ă©clatante, comme si "des centaines de milliers de soleils s'Ă©levaient en mĂȘme temps dans le ciel", comme Krishna dans la Gita de Baghava. "Maintenant, je suis la Mort, le destructeur des mondes", affirme Oppenheimer au moment oĂč son gadget thĂ©orique s'est transformĂ© en une rĂ©alitĂ©, celle de la disparition des hommes.
Renonçant Ă la fatalitĂ© du destin dont elle a hĂ©ritĂ©, l'humanitĂ© s'est immunisĂ©e contre la mort de masse. Des gens meurent tous les jours, c'est vrai. Mais le monde ne craint plus l'imminence d'une mort nuclĂ©aire massive, c'est-Ă -dire la fin de toute vie telle que nous la connaissons. Une telle rĂ©alitĂ© dĂ©passe l'imagination, parce que nous ne l'imaginons tout simplement plus, mĂȘme si sa cause est en nous, invisible parce que nous avons choisi d'ĂȘtre aveugles. Oppenheimer aurait pu ĂȘtre le film permettant d'arracher les ĆillĂšres des occupants actuels de la planĂšte Terre, les Ă©veillant Ă la rĂ©alitĂ© de la voie pĂ©rilleuse sur laquelle nous avançons tous, au bord d'un abĂźme nuclĂ©aire, et sans planche de salut.
Les bonnes grĂąces de Dieu ne peuvent sauver ceux qui refusent de se sauver eux-mĂȘmes. L'orgueil dĂ©mesurĂ© de ces hommes dont les capacitĂ©s intellectuelles se limitent Ă dĂ©couvrir les failles humaines afin de le dĂ©truire est bien reprĂ©sentĂ© dans le film Oppenheimer. Les consĂ©quences de leurs actions ne le sont pas. De leur catalogage mesquin sur les faiblesses humaines est nĂ© le dĂ©veloppement de la production d'armes nuclĂ©aires dont la portĂ©e et l'ampleur dĂ©passent la capacitĂ© de la plupart des AmĂ©ricains Ă les concevoir, tout comme leur objectif. L'idĂ©e de faciliter le mĂ©canisme de notre inĂ©vitable disparition - car si le gĂ©nie nuclĂ©aire n'est pas remis dans sa bouteille, il se dĂ©chaĂźnera de nouveau - au nom de notre sĂ©curitĂ© collective est une farce cruelle jouĂ©e par le gouvernement amĂ©ricain Ă ses citoyens. Nous existons, semble-t-il, pour promouvoir l'instrument mĂȘme de notre ruine, pervertissant ainsi la raison de notre venue au monde, Ă savoir la perpĂ©tuation de l'existence de notre espĂšce.
EspĂ©rer, impuissants, que l'humanitĂ© se rĂ©veillera collectivement est un pari insensĂ©. J'ai regardĂ© Oppenheimer dans le vain espoir que ce film serait le vecteur de transmission du type de prise de conscience qui se produit lorsque l'on est amenĂ© Ă revivre au bord du dĂ©sastre. J'en suis sorti déçu, car le film n'a pas tenu ses promesses Ă cet Ă©gard. Si je m'attendais Ă une rĂ©vĂ©lation de ce type de la part de l'art thĂ©Ăątral, cette attente n'Ă©tait pas exagĂ©rĂ©e - aprĂšs tout, c'est "The Day After" d'ABC qui a contribuĂ© Ă modifier la façon de penser du prĂ©sident Ronald Reagan en 1983, le propulsant sur une voie menant Ă l'amorce du dĂ©sarmement nuclĂ©aire entre Ătats-Unis et Union soviĂ©tique. Mais lĂ encore, c'Ă©tait l'objectif de "The Day After" : effrayer le peuple amĂ©ricain pour qu'il se rĂ©veille, et que le dĂ©sarmement nuclĂ©aire ne soit pas seulement un souhait, mais une exigence. Oppenheimer, malheureusement, a Ă©tĂ© crĂ©Ă© pour divertir. C'est rĂ©ussi. Mais en tant que vecteur du salut de l'humanitĂ©, il est loin d'avoir atteint son but.
Alors que j'imagine l'inévitabilité de l'effondrement des valeurs pour lesquelles je me suis battu, je suis envahi par une certaine colÚre face à ce que je suis devenu : un guerrier de la paix vaincu attendant qu'une cavalerie invisible (et non blindée) vienne à sa rescousse. "The Day After" n'a pas été diffusé dans le vide : il a été présenté prÚs d'un an et demi aprÚs le rassemblement massif d'un million d'Américains à Central Park à New York, pour manifester en faveur du désarmement nucléaire, et de la limitation de l'armement. Les initiatives et les voix de cette multitude d'Américains ont permis à ABC de réaliser "The Day After" et ont libéré Ronald Reagan sur le plan politique afin qu'il puisse orienter l'Amérique sur la voie du désarmement nucléaire. Oppenheimer ne peut pas, de son propre chef, changer le monde dans lequel nous vivons. Seuls nous, les citoyens, pouvons le faire.
J'implore donc tous ceux qui lisent cet article de me joindre Ă New York le 6 aoĂ»t pour la joyeuse confrontation entre savoir et peur, vie et mort, autodĂ©termination et fatalisme. Prenons notre avenir en main en exigeant aujourd'hui ce que J. Robert Oppenheimer recherchait il y a tant d'annĂ©es : faire rentrer le gĂ©nie nuclĂ©aire dans sa bouteille. Le 6 aoĂ»t marque le 78e anniversaire de la destruction de la ville japonaise d'Hiroshima par l'un des "gadgets" d'Oppenheimer. Aidez-moi, ainsi que mes collĂšgues orateurs et participants, Ă donner de l'importance Ă ce jour, Ă rĂ©veiller la peur qui devrait exister dans les entrailles de tous ceux qui sont dotĂ©s d'un cerveau sur les dangers engendrĂ©s par l'arme nuclĂ©aire, et Ă raviver l'espoir dans le cĆur de l'humanitĂ© sur l'absolue nĂ©cessitĂ© de se dĂ©barrasser de ces terribles engins avant qu'il ne soit trop tard.
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