đâđš Orang-outans" signifie "peuple de la forĂȘt".
Quelle est la valeur monĂ©taire d'un orang-outan, sans parler de la survie de la planĂšte ? La classe dirigeante est peut-ĂȘtre capable de le calculer, mais pas disposĂ©e Ă payer la facture.
đâđš Orang-outans" signifie "peuple de la forĂȘt".
đ° Par Vijay Prashad, Tricontinental : Institut de recherche sociale, le 30 novembre 2022.
Dans la pause entre le sommet des Nations unies sur le climat qui vient de se terminer en Ăgypte et le dĂ©but de la confĂ©rence des Nations unies sur la biodiversitĂ© au Canada, Vijay Prashad rĂ©flĂ©chit Ă l'ampleur et Ă la rapiditĂ© de la dĂ©forestation et des extinctions d'animaux.
La poussiĂšre est retombĂ©e dans les stations balnĂ©aires de Sharm el-Shaikh, en Ăgypte, aprĂšs que les dĂ©lĂ©guĂ©s des pays et des entreprises ont quittĂ© la 27e ConfĂ©rence des parties (COP) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
La seule avancée de l'accord final concernait la création d'un "fonds pour les pertes et dommages" destiné aux "pays vulnérables". Bien qu'il ait été salué comme une avancée, cet accord n'est guÚre plus que le financement du Réseau de Santiago pour les pertes et dommages convenu lors de la COP25 en 2019.
Il reste également à voir si ce nouveau financement sera effectivement réalisé. Dans le cadre d'accords précédents, comme le Fonds vert pour le climat créé lors de la COP15 en 2009, les pays développés ont promis de fournir aux pays en développement un financement de 100 milliards de dollars par an d'ici 2020, mais ils n'ont pas atteint les objectifs fixés.
Ă l'issue de la COP27, les Nations unies se sont dĂ©clarĂ©es "gravement prĂ©occupĂ©es" par le fait que ces promesses passĂ©es n'ont "pas encore Ă©tĂ© tenues". Plus important encore, le plan de mise en Ćuvre de Charm el-Cheikh note que "la transformation mondiale vers une Ă©conomie Ă faible Ă©mission de carbone devrait nĂ©cessiter des investissements d'au moins 4 Ă 6 billions de dollars par an" - un engagement qui n'est nulle part en vue.
L'Agence internationale de l'énergie a déclaré qu'en 2022, l'investissement annuel mondial dans les énergies propres restera inférieur à 1,5 billion de dollars. Il s'agit d'une "dépense record en matiÚre d'énergie propre", ont-ils annoncé, et pourtant, ces montants sont bien inférieurs à ceux qui sont nécessaires pour une transition indispensable.
"Un fonds pour les pertes et les dommages est essentiel", a dĂ©clarĂ© le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies, AntĂłnio Guterres, Ă l'issue du sommet de cette annĂ©e, "mais ce n'est pas une rĂ©ponse si la crise climatique raye de la carte un petit Ătat insulaire ou transforme un pays africain entier en dĂ©sert. Le monde a encore besoin d'un pas de gĂ©ant en matiĂšre d'ambition climatique. ... Les voix de ceux qui sont en premiĂšre ligne de la crise climatique doivent ĂȘtre entendues."
L'une de ces voix est celle de l'orang-outan, le grand singe des forĂȘts de BornĂ©o et de Sumatra que les Malais appellent le "peuple de la forĂȘt" (en malais, orang signifie "personne" et hutan signifie "forĂȘt").
Selon la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature, les orangs-outans de Bornéo, de Sumatra et de Tapanuli ont connu un fort déclin de leur population et sont désormais classés dans la catégorie "en danger critique d'extinction" - la phase précédant l'extinction à l'état sauvage.
Il existe moins de 800 orangs-outans Tapanuli, et la population globale d'orangs-outans a diminué de prÚs de la moitié au cours du siÚcle dernier. Ils n'ont pas voix au chapitre dans nos débats sur le climat.
En 2019, les Nations unies ont publié un rapport choquant qui montrait la quasi-extinction d'un million des 8 millions d'espÚces animales et végétales du monde, y compris la perte de 40 % des espÚces d'amphibiens et d'un tiers de tous les mammifÚres marins.
Dans le cadre de leurs conclusions sur la biodiversité et les écosystÚmes, les auteurs ont écrit que "les espÚces de grande taille, à croissance lente, spécialistes de l'habitat ou carnivores - comme les grands singes, les arbres feuillus tropicaux, les requins et les grands félins - disparaissent de nombreuses régions." La situation est sombre, ont-ils averti, "à moins que des mesures ne soient prises pour réduire l'intensité des moteurs de la perte de biodiversité."
Quels sont les facteurs de cette perte de biodiversitĂ© ? Le rapport comprend une longue liste dans laquelle un mot revient sans cesse: dĂ©forestation. Dans une publication historique intitulĂ©e "La situation des forĂȘts du monde en 2020", le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ont constatĂ© que 420 millions d'hectares de forĂȘt avaient disparu depuis 1990, bien que le taux de dĂ©forestation ait diminuĂ©, passant de 16 millions d'hectares par an dans les annĂ©es 1990 Ă seulement 10 millions d'hectares par an entre 2015 et 2020.
Les forĂȘts couvrent environ un tiers de la surface terrestre mondiale, soit plus de 4 milliards d'hectares. La moitiĂ© des forĂȘts sont relativement intactes, tandis que d'autres - notamment les forĂȘts tropicales - sont menacĂ©es de destruction.
Quelques semaines seulement aprÚs sa réélection, Luiz Inåcio Lula da Silva, qui deviendra le 39e président du Brésil en janvier 2023, est revenu sur la scÚne mondiale à l'occasion de la COP27.
Il est arrivĂ© en compagnie d'un certain nombre de dirigeants de la communautĂ© autochtone du BrĂ©sil, dont la dĂ©putĂ©e fĂ©dĂ©rale de l'Ătat de Roraima, JoĂȘnia Wapichana, et trois membres du CongrĂšs nouvellement Ă©lus: CĂ©lia XakriabĂĄ (dĂ©putĂ©e fĂ©dĂ©rale de l'Ătat de Minas Gerais), SĂŽnia Guajajara (qui dirigera un nouveau ministĂšre des peuples indigĂšnes) et Marina Silva (ancienne ministre de l'environnement de Lula, qui devrait reprendre ce poste).
Lors du sommet, Lula a confirmĂ© l'accord du BrĂ©sil avec la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo et l'IndonĂ©sie pour mettre en place une "OPEP des forĂȘts tropicales", conclu l'annĂ©e derniĂšre lors de la COP26 Ă Glasgow.
Plus de la moitiĂ© des forĂȘts tropicales du monde se trouvent dans ces trois pays, qui sont riches en ressources exploitĂ©es au profit des multinationales, Ă grands frais pour l'environnement, mais qui n'ont pas rĂ©ussi Ă faire avancer les objectifs de dĂ©veloppement social de leurs propres citoyens.
"Il est important pour ces trois pays de renforcer leur alliance stratégique afin d'accroßtre leur influence dans les négociations sur le changement climatique au niveau mondial", a déclaré le ministre indonésien chargé de la coordination des affaires maritimes et des investissements, Luhut Binsar Pandjaitan. (L'Indonésie a cherché à créer plusieurs cartels, dont un avec le Canada pour un organisme de producteurs de nickel semblable à l'OPEP).
L'ampleur et la vitesse Ă laquelle la forĂȘt tropicale mondiale est pillĂ©e sont alarmantes. En 2021, le monde a perdu 11,1 millions d'hectares de couverture de forĂȘt tropicale, soit Ă peu prĂšs la taille de l'Ăźle de Cuba.
Le BrĂ©sil, sous la direction de Jair Bolsonaro, a connu la plus grande dĂ©vastation de tous les pays l'annĂ©e derniĂšre, avec 1,5 million d'hectares perdus. Ces vieilles forĂȘts, denses en vĂ©gĂ©tation et en animaux, ont dĂ©sormais disparu. "Nous allons mener une lutte trĂšs forte contre la dĂ©forestation illĂ©gale", a dĂ©clarĂ© Lula lors de la COP27.
Le BrĂ©sil, la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo et l'IndonĂ©sie ne sont pas seuls. Le Partenariat des leaders pour les forĂȘts et le climat, prĂ©sidĂ© par le Ghana et les Ătats-Unis et composĂ© de 53 pays, a pris des engagements audacieux pour mettre fin Ă la dĂ©forestation.
Avant la COP27, la ministre colombienne de l'environnement et du dĂ©veloppement durable, Susana Muhamad, a annoncĂ© la crĂ©ation d'un bloc amazonien composĂ© des neuf pays qui partagent la forĂȘt tropicale de la rĂ©gion (BrĂ©sil, Bolivie, PĂ©rou, Ăquateur, Colombie, Guyana, Suriname, Venezuela et Guyane française).
La NorvĂšge, quant Ă elle, a dĂ©clarĂ© qu'aprĂšs l'entrĂ©e en fonction de Lula, elle recommencera Ă verser des fonds au BrĂ©sil pour la protection de la forĂȘt tropicale, qui avaient Ă©tĂ© suspendus pendant la prĂ©sidence de Bolsonaro.
L'approche Brésil-République démocratique du Congo-Indonésie est conçue dans le cadre de l'atténuation, de l'adaptation et de l'investissement, et non dans le cadre de la conversation vide de la COP.
Le vice-ministre indonĂ©sien de l'environnement et de la gestion des forĂȘts, Nani Hendriati, a expliquĂ© comment le pays allait promouvoir l'Ă©cotourisme dans les forĂȘts de mangroves par le biais d'une approche "carbone bleu" afin de s'assurer que le tourisme ne dĂ©truit pas les mangroves, cherchant ainsi Ă mettre un terme Ă la dĂ©forestation rampante qui sĂ©vit depuis longtemps dans le pays (par exemple, 40 % du vaste systĂšme de mangroves de l'IndonĂ©sie a Ă©tĂ© dĂ©truit rien qu'entre 1980 et 2005).
De nouvelles initiatives dans le pays, par exemple, encouragent l'élevage de crabes dans les mangroves plutÎt que de permettre leur destruction. Dans cet esprit, le président indonésien Joko Widodo a emmené les dirigeants du monde entier planter des graines de mangrove dans le parc forestier de Taman Hutan Raya Ngurah Rai lors de la réunion du G20 à Bali, en Indonésie, qui a eu lieu aprÚs la COP27.
De telles occasions de prendre des photos sont importantes si elles visent vĂ©ritablement Ă mettre en lumiĂšre le problĂšme de la dĂ©forestation. Cependant, aucune lumiĂšre de ce type n'a Ă©tĂ© braquĂ©e sur les multinationales miniĂšres qui ont dĂ©truit les forĂȘts tropicales humides dans le monde entier.
Une Ă©tude rĂ©cente publiĂ©e par les Proceedings of the National Academy of Sciences des Ătats-Unis d'AmĂ©rique a examinĂ© l'impact de l'exploitation miniĂšre industrielle sur la dĂ©forestation dans les rĂ©gions tropicales.
En examinant une sélection de 26 pays, les chercheurs ont constaté que l'exploitation miniÚre industrielle en Indonésie était responsable d'un pourcentage stupéfiant de 58,2 % de la déforestation totale dans ces pays entre 2000 et 2019.
Cependant, dans un mouvement inquiétant, le gouvernement indonésien a adopté une nouvelle loi miniÚre en 2020 qui permet de prolonger les permis d'exploitation miniÚre avec peu ou pas de réglementation environnementale.
"Lorsque les concessions miniÚres augmentent", a déclaré Pius Ginting de l'ONG Action pour l'écologie et l'émancipation du peuple (AEER), "cela pousse à la déforestation, et entraßne une perte de biodiversité et fragmente l'habitat [des animaux et des personnes]."
L'Indonésie a révoqué environ 2 000 permis d'exploitation miniÚre cette année, mais cette révocation est principalement due à la régularisation du systÚme de permis, et non à une plus grande réglementation en matiÚre de protection de l'environnement.
La pression exercée par les mouvements populaires en Indonésie ainsi que l'impact catastrophique des catastrophes climatiques et environnementales ont mis le gouvernement en garde contre sa proximité et son intimité avec les multinationales miniÚres.
Pendant ce temps, la question de l'orang-outan reste sans réponse. Un examen universitaire du milliard de dollars dépensé pour la conservation des orangs-outans de 2000 à 2019 a révélé que "la protection de l'habitat, les patrouilles et la sensibilisation du public avaient le meilleur retour sur investissement pour le maintien des populations d'orangs-outans."
Cependant, ces fonds n'ont pas permis d'accomplir grand-chose. La question clĂ© de la fin de la dĂ©forestation - notamment l'arrĂȘt de l'expansion des plantations d'huile de palme, de bois de pulpe et d'exploitation forestiĂšre Ă BornĂ©o et Sumatra - n'est pas sur la table.
Quelle attention sera accordée à ces questions lors de la prochaine conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, qui se tiendra à Montréal (Canada) du 7 au 19 décembre ? Quelqu'un écoutera-t-il la voix des orangs-outans?
En octobre, la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, a déclaré lors d'une réunion publique d'organisations de la société civile à Washington que le FMI "soutient effectivement la biodiversité. Par exemple, nous avons des économistes qui sont capables de mesurer la valeur monétaire d'un éléphant et la valeur d'une baleine."
Les commentaires de Georgieva font Ă©cho Ă une observation faite par Karl Marx dans le premier volume du Capital (1867) :
"En Angleterre, on utilise encore occasionnellement des femmes à la place des chevaux pour tirer les bateaux des canaux, parce que le travail nécessaire pour produire des chevaux et des machines est une quantité connue avec précision, tandis que celui qui est nécessaire pour entretenir les femmes de la population excédentaire est au-dessous de tout calcul."
Quelle est la valeur monĂ©taire d'un orang-outan, sans parler de la survie de la planĂšte ? La classe dirigeante est peut-ĂȘtre capable de calculer ces valeurs, mais il est clair qu'elle n'est pas disposĂ©e Ă payer la facture pour sauver la planĂšte.
* Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est écrivain et correspondant en chef de Globetrotter. Il est éditeur de LeftWord Books et directeur de Tricontinental : Institute for Social Research. Il est membre senior non-résident du Chongyang Institute for Financial Studies de l'Université Renmin de Chine. Il a écrit plus de 20 livres, dont The Darker Nations et The Poorer Nations. Ses derniers livres sont Struggle Makes Us Human : Learning from Movements for Socialism et, avec Noam Chomsky, The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of US Power.
Cet article est tiré de Tricontinental : Institute for Social Research.
Les opinions exprimées sont uniquement celles de l'auteur et peuvent ou non refléter celles de Consortium News.
https://consortiumnews.com/2022/11/30/orangutans-means-people-of-the-forest/