👁🗨 Où va Israël ?
“Si la guerre contre le Hamas & le Hezbollah perdure, Israël s'effondrera d'ici moins d’un an. Israël est entré dans une spirale existentielle & pourrait bientôt atteindre le point de non-retour”.
👁🗨 Où va Israël ?
Par Maureen Clare Murphy pour The Electronic Intifada, le 6 septembre 2024
L'administration Biden à Washington - où l 'espoir est éternel, surtout à l'approche d'une élection nationale - est finalement sur le point de déclarer que les négociations sur le cessez-le-feu sont caduques.
La grande question est de savoir ce qui va suivre.
En Israël, manifestants et grévistes ont paralysé le pays après que les corps de six captifs ont été découverts par l'armée dans un tunnel du sud de la bande de Gaza, samedi.
Les autorités israéliennes ont déclaré que les captifs, dont un citoyen américain, avaient été tués par balle quelques jours avant que leurs corps ne soient retrouvés.
Quelques jours plus tôt, un citoyen palestinien d'Israël capturé dans un kibboutz le 7 octobre a été retrouvé vivant dans un tunnel non loin de l'endroit où les six captifs tués ont été retrouvés. Le corps d'un autre prisonnier mort a récemment été retrouvé dans une autre zone.
Les Brigades Qassam, la branche armée du Hamas, ont semblé confirmer que les six personnes retrouvées samedi ont été exécutées par leurs combattants - ou du moins elles se sont contentées de le laisser croire.
Abu Obeida, porte-parole des Brigades Qassam, a déclaré lundi que les combattants qui gardent les prisonniers ont reçu de nouvelles instructions sur la manière d'agir en cas d'approche de l'armée israélienne.
Abu Obeida a ajouté que ces nouvelles instructions ont été transmises après l'attaque de Nuseirat, en référence au camp de réfugiés du centre de Gaza où près de 300 Palestiniens ont été tués lors d'un raid au cours duquel l'armée israélienne a libéré quatre captifs.
Si le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu persiste à vouloir recourir à la violence militaire plutôt qu'à un accord avec le Hamas, les captifs restants à Gaza reviendront dans des cercueils, a déclaré M. Abu Obeida.
Les Brigades Qassam ont également commencé à diffuser des vidéos qui, selon elles, constituent les derniers messages des captifs retrouvés morts samedi.
La première montre Eden Yerushalmi, 24 ans, implorant M. Netanyahu et le gouvernement israélien de “faire ce qu'il faut pour nous libérer maintenant”.
La déclaration vidéo de Mme Yerushalmi, publiée par les Brigades Qassam, est reprise par d’autres captifs s’adressant à M. Netanyahou.
Dans cette vidéo non datée, elle déclare que M. Netanyahou a accepté de libérer 1 000 prisonniers palestiniens en échange de Gilad Shalit, le soldat israélien capturé par les combattants en 2006 et détenu à Gaza par le Hamas pendant plus de cinq ans.
“Ils demandent moins d'un quart de ce chiffre pour chacun d'entre nous”, déclare Mme Yerushalmi avant d'exhorter les Israéliens à descendre dans la rue pour protester.
“Tout ce qui nous est arrivé est dû à l'échec de l'État d'Israël et de ses forces de sécurité le 7 octobre”,
déclare-t-elle avant de dire combien elle aime sa famille et combien elle lui manque.
La mort des six captifs - cinq d'entre eux, dont Mme Yerushalmi, devaient être libérés dans le cadre de la première phase d'un accord d'échange et de cessez-le-feu - ne fera qu'aggraver les fissures déjà béantes de la société israélienne et accélérer la détérioration de la confiance entre les citoyens et l'État.
Une “honte morale”
M. Netanyahou, que tout le monde ou presque considère comme le seul responsable de l'échec d'un accord entre Israël et le Hamas, n'a pas changé d'avis au cours des derniers jours et redouble d'efforts dans sa stratégie de “pression maximale” sur le Hamas.
Lundi soir, lors d'une conférence de presse, il a insisté sur le maintien d'une force israélienne le long du corridor dit de Philadelphie, à la frontière entre Gaza et l'Égypte, alors que le ministre de la défense, Yoav Gallant, a réaffirmé dimanche, lors d'une réunion du cabinet, qu'il s'agit d'une “contrainte superflue”.
“Donner la priorité au corridor de Philadelphie au détriment de la vie des otages est une honte morale”, a déclaré M. Gallant.
La position intransigeante de M. Netanyahou a été saluée par ses alliés d'extrême droite Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, respectivement ministre de la Sécurité nationale et ministre des Finances d'Israël. Smotrich aurait déclaré que “si nous cédons aux exigences du Hamas, comme le veut Gallant, nous perdrons la guerre”.
Le Forum des familles d'otages et de disparus, qui réclame depuis des mois un accord pour obtenir la libération des dizaines de captifs restés à Gaza, a déclaré que “le pays allait trembler” après la découverte de samedi.
Dimanche, le président américain Joe Biden a répété le mantra de son administration selon lequel celle-ci “travaille jour et nuit à la conclusion d'un accord visant à garantir la libération des otages restants” et a imputé la responsabilité de la mort des six captifs aux “dangereux terroristes du Hamas”.
Mais comme l'a déclaré le journaliste Mohammad Alsaafin, M. Biden et son administration “ont choisi la survie de M. Netanyahou et l'anéantissement de Gaza au détriment de tout le reste”, y compris la vie des otages dans la bande de Gaza.
Lundi, M. Biden a reconnu que M. Netanyahou n'en faisait pas assez pour parvenir à un accord d'échange de prisonniers et mettre fin à la guerre à Gaza, et il a déclaré que son administration était “très proche” de présenter un ultimatum à Israël et au Hamas.
Mais à moins que les États-Unis n'utilisent réellement leur influence sur Israël - par le biais d'embargos sur les armes, du retrait de leur droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies et d'autres moyens - il y a peu de raisons de croire qu'une offre “à prendre ou à laisser” de la Maison Blanche aboutirait à un accord pour mettre fin à l'effusion de sang à Gaza et épargner la vie des captifs restants.
Peu de chances de parvenir à un accord
En l'absence de pressions extérieures, il n'y a jamais eu beaucoup de chances qu'un accord soit conclu alors que le principal belligérant, M. Netanyahou, a clairement indiqué à plusieurs reprises qu'il n'avait pas l'intention de mettre fin à ce qu'il décrit comme une guerre existentielle.
Les quelque 100 prisonniers - pour la plupart des enfants, des femmes et des travailleurs étrangers - libérés pendant une semaine de trêve en novembre l'ont été par le Hamas “en échange d'aucune contrepartie”, selon l' analyste du Haaretz, Amos Harel.
À l'époque, affirme Harel, le Hamas pensait que l'échange conduirait à un second accord plus favorable sans qu'Israël ne conquière le sud de la bande de Gaza. Mais un second accord n'a pas été conclu, et Israël a lancé son offensive terrestre à Khan Younis et Rafah, tuant des dizaines de milliers de Palestiniens supplémentaires et n'épargnant aucune zone de Gaza.
Entre-temps, les États-Unis ont négocié avec le Hamas et Israël, tout en continuant à financer et à armer ce dernier et à lui fournir une couverture diplomatique.
Que les six captifs retrouvés morts samedi aient été renvoyés en Israël dans des housses mortuaires plutôt que vivants est une issue sinistre mais prévisible au vu de la mascarade de cessez-le-feu qui dure depuis des mois, et n'a servi qu'à prolonger le génocide israélien à Gaza.
C'est Washington, qui a fourni quelque 50 000 tonnes d' armes à Israël depuis le 7 octobre, qui a insisté pour qu'un cessez-le-feu soit négocié entre un gouvernement perpétrant un génocide et ses victimes, plutôt qu'imposé par l'application du droit international.
Pour Israël et les États-Unis, l'objectif initial des négociations sur le cessez-le-feu “a fait office de feuille de vigne permettant à Israël de poursuivre sa campagne génocidaire dans la bande de Gaza”, selon l'analyste Mouin Rabbani.
Les États-Unis se sont contentés d'assurer la libération des Israéliens et des ressortissants étrangers détenus à Gaza. Mais l'insistance de Washington pour qu'un cessez-le-feu soit obtenu par des négociations bilatérales, tout en sapant les demandes de cessez-le-feu du Conseil de sécurité de l'ONU, n'a fait que prolonger leur captivité.
Plus récemment, les négociations sur le cessez-le-feu ont également servi à retarder la réponse du Hezbollah et de l'Iran à l'assassinat par Israël de dirigeants de la résistance à Beyrouth et à Téhéran - des actes provocateurs visant apparemment à provoquer une guerre plus étendue avec l'Iran, comme le souhaitent certains à Tel-Aviv, mais à laquelle s'oppose Washington.
Le nouvel engouement américain en faveur de négociations sur un cessez-le-feu à la fin du mois d'août a également permis à l'armée américaine d'envoyer des renforts dans la région en prévision de frappes de représailles du Hezbollah et de l'Iran.
La vice-présidente américaine et candidate à la présidence, Kamala Harris, a tenté d’appâter les manifestants protestant contre le génocide, affirmant que l'administration travaille jour et nuit pour parvenir à un accord, alors qu'elle refuse d'appeler à un embargo sur les armes pour mettre un terme au massacre.
Les négociateurs dialoguent entre eux
L'échec des négociations sur le cessez-le-feu était prévisible depuis longtemps.
Bien que le Hamas a participé au sommet du Caire à la fin du mois d'août, il s'est tenu à l'écart des discussions qui ont précédé cette réunion de haut niveau.
Le Hamas a insisté sur un plan de mise en œuvre de la proposition acceptée début juillet, avant que son principal interlocuteur et dirigeant, Ismail Haniyeh, ne soit assassiné à Téhéran à la fin du mois.
La non-participation du Hamas avant le sommet du Caire a laissé les “médiateurs dialoguer entre eux”, comme l'a dit l'ancien diplomate britannique Alastair Crooke dans une interview à l'émission Judging Freedom.
Entre-temps, Washington a fait marche arrière en imposant au Hamas une proposition répondant aux nouvelles exigences de Netanyahou.
Des fonctionnaires israéliens anonymes, décrits par le média Ynet comme étant proches des négociateurs, ont déclaré que le secrétaire d'État américain Antony Blinken a sapé les pourparlers en affirmant que la balle était dans le camp du Hamas et en affichant un optimisme trompeur à des fins internes, au moment de la convention nationale du parti démocrate.
Selon ces sources, M. Blinken a laissé M. Netanyahou imposer le maintien du déploiement des forces israéliennes le long du corridor de Philadelphie, mesure inacceptable tant pour l'Égypte que pour le Hamas.
La proposition déjà acceptée par le Hamas est conforme au plan en trois phases présenté par le président américain Joe Biden à la fin du mois de mai et à la résolution 2735 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée en juin, qui salue la proposition de cessez-le-feu de M. Biden.
Les exigences non négociables du Hamas sont le retrait total des forces israéliennes de Gaza, le droit pour les Palestiniens de se déplacer librement à l'intérieur du territoire et l'ouverture des points de passage pour permettre l'acheminement de l'aide et des biens dont la population a désespérément besoin pour commencer à reconstruire sa vie après près d'un an de guerre génocidaire.
Le New York Times a rapporté à la mi-août, sur la base d'un examen de documents inédits détaillant les positions de négociation d'Israël, que c'est M. Netanyahou qui a largement manœuvré en coulisses pour faire échouer un accord, tout en dépeignant le Hamas comme la partie intraitable.
Ce que veut Netanyahou
Lors de la dernière tentative d'accord, M. Netanyahou a ajouté des conditions dont il sait qu'elles constituerent des obstacles majeurs pour le Hamas, contre l’avis de sa propre équipe de négociateurs, tandis que les Américains accusent encore les Palestiniens d'être à l'origine de l'impasse.
Le porte-parole de la Maison Blanche pour la sécurité nationale, John Kirby, a réitéré ce point de vue jeudi, déclarant que “le principal obstacle à la conclusion d'un accord de cessez-le-feu est le Hamas”, bien que tous les signes prouvent le contraire.
M. Netanyahu a également insisté sur le maintien de troupes dans le corridor de Netzarim afin de contrôler les Palestiniens qui retournent dans le nord de Gaza, ainsi que sur le maintien d'un contrôle direct sur le checkpoint de Rafah, cette dernière requête ayant été rejetée par l'Égypte.
Le premier ministre israélien souhaite également disposer d'un droit de veto sur les prisonniers palestiniens qui seront libérés dans le cadre d'un accord, et que les prisonniers palestiniens libérés soient expulsés de leur pays d'origine - condition rejetée catégoriquement par le Hamas et, plus généralement, par les Palestiniens.
Le vendredi 30 août, le cabinet de M. Netanyahou a décidé de maintenir la présence de l'armée dans le corridor dans le cadre d'un accord sur la libération des otages, seul le ministre de la défense Yoav Gallant ayant voté contre cette mesure, selon Haaretz.
Lors de la réunion à huis clos, M. Gallant aurait dit à M. Netanyahou que son insistance à maintenir le corridor de Philadelphie “tuerait tous les otages”, présageant le sort des six captifs retrouvés morts le lendemain.
M. Netanyahou semble avoir fait son choix.
Selon Aluf Benn, chroniqueur à Haaretz, Netanyahou considère les captifs israéliens à Gaza
“comme une nuisance médiatique, un moyen de pression pour ses opposants politiques et une diversion de son objectif : une occupation prolongée de la bande de Gaza.
“Dans la pratique, un accord à long terme pour le “jour d'après” est en cours d'élaboration. Israël contrôlera le nord de la bande de Gaza et chassera les 300 000 Palestiniens qui s'y trouvent encore”, écrit M. Benn.
“La droite israélienne envisage une colonisation juive de la région, avec un vaste potentiel immobilier grâce à une topographie favorable, une vue sur mer et la proximité du centre d'Israël”, ajoute M. Benn.
La recolonisation du nord de la bande de Gaza se fera progressivement -
“hectare par hectare, mobile home par mobile home, avant-poste par avant-poste - tout comme à Hébron, Elon Moreh, et Gilad Farm” en Cisjordanie, selon Benn.
Le sud de Gaza “sera laissé au Hamas, qui devra gérer les habitants démunis sous blocus israélien, quand la communauté internationale se sera désintéressée de l'histoire et sera passée à d'autres crises”.
Une autre conséquence du plan de Netanyahou pour un déploiement indéfini à Gaza est la nomination d'un général de brigade à la tête de l'administration civile israélienne rétablie dans la bande de Gaza - “reflétant le dispositif similaire en Cisjordanie”, selon l'expert en droit international Itay Epshtain -, les deux généraux rendant compte au ministre extrémiste Smotrich.
Mais un plan de déploiement militaire israélien illimité dans n'importe quelle partie de la bande de Gaza, sans parler du transfert des colons, présuppose une défaite du Hamas - ce qui n'est pas gagné - et Netanyahou est incapable de mettre en place une stratégie praticable “du jour d'après” pour concrétiser cette vision.
La bataille de Gaza est devenue une guerre d'usure où la force qui résistera sortira victorieuse. Et comme Israël manque de soldats et d'équipements, alors que les Brigades Qassam reconstituent sans cesse leurs effectifs, l'issue probable n'est pas à l'avantage d'Israël.
Pourquoi Netanyahou veut la guerre
Les négociations étant dans l'impasse, les factions de la résistance palestinienne pourraient considérer qu'une confrontation militaire totale entre les groupes de résistance régionaux et Israël est le seul moyen de mettre fin rapidement au génocide à Gaza.
Dans une lettre de la résistance palestinienne publiée sur la chaîne Telegram du Jihad islamique le 20 août, les combattants palestiniens semblent appeler leurs homologues libanais à sortir de leur rôle de front de soutien et à participer pleinement à la bataille pour la libération de la Palestine.
Mais le Hezbollah, qui estime que le destin de la Palestine ne sera combattu et gagné que par les Palestiniens, souhaite éviter une confrontation à grande échelle et a soigneusement calibré ses réponses aux provocations israéliennes afin d'éviter de donner à Tel-Aviv un prétexte pour en déclencher une. L'Iran fait de même.
Pendant ce temps, le Hezbollah mène une guerre d'usure qui, avec la résistance actuelle du Hamas, a déjà gravement nui à “l'économie, aux relations internationales et à la cohésion sociale d'Israël”, selon l'ancien médiateur militaire israélien, le général Yitzhak Brik.
L'armée israélienne, déjà à bout de souffle et subissant de lourdes pertes à Gaza, craint de provoquer une guerre avec l'Iran. Comme le dit Brik, l'armée israélienne “n'a pas le potentiel pour mener une guerre sur plusieurs fronts”.
Tous, amis et ennemis confondus, semble s'accorder sur le fait que M. Netanyahou, qui ne cesse de promettre une “victoire totale” à Gaza, n'a aucun intérêt à conclure un accord avec le Hamas pour libérer les captifs et mettre fin à la guerre.
Nombreux sont ceux qui ont pointé du doigt les intérêts personnels de M. Netanyahou à retarder davantage son procès pour corruption comme l'une des principales motivations de la prolongation de la guerre. Mais ce n'est pas tout.
Comme l'a expliqué Alastair Crooke dans l'émission “Judging Freedom”,
“ce que [les Israéliens] recherchent, c'est une nouvelle Nakba, le processus d'expulsion de tous les Arabes de la terre située entre le fleuve et la mer”.
L'expulsion des Palestiniens de leur patrie pour les remplacer par des colons juifs a toujours été le seul objectif moteur de l'État. Ses représailles après l'attaque du 7 octobre lui ont donné l'occasion d'accélérer ce processus.
“L'objectif a toujours été Gaza d'abord, puis la Cisjordanie et enfin le nettoyage complet de la région”,
a déclaré M. Crooke à propos de la stratégie opportuniste d'Israël après l'attentat du 7 octobre.
Par conséquent, M. Netanyahou n'a aucun intérêt à retirer les troupes de Gaza et reprendrait le massacre après tout échange de prisonniers “parce que Gaza doit être débarrassée de la population palestinienne” pour réaliser le plan plus vaste de son cabinet, selon M. Crooke.
Le cabinet de M. Netanyahou souhaite une guerre régionale qui amènera les États-Unis à se battre au nom d'Israël et à détruire l'Iran, le Hezbollah et d'autres groupes régionaux alliés à la résistance palestinienne.
Après avoir reçu un nombre record d'ovations lors de son discours devant le Congrès américain en juillet, M. Netanyahou s’est démené pour déclencher une conflagration régionale - observation faite par Alexander Mercouris lors d'un récent épisode de son émission The Duran.
Ces provocations comprennent l'assassinat du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, à Téhéran (attribué à Israël, qui n'a ni confirmé ni démenti sa responsabilité), quelques heures après l'assassinat du haut commandant du Hezbollah, Fuad Shukr, à Beyrouth (Israël a revendiqué sa responsabilité dans ce cas), et le sabotage répété des négociations sur le cessez-le-feu menées par les États-Unis.
Selon l'analyste John Mearsheimer, ceux qui, en Israël, poussent à une guerre régionale y voient probablement une occasion historique d'expulser davantage de Palestiniens de leur patrie, à l'instar des épisodes de nettoyage ethnique qui ont eu lieu pendant les guerres de 1948 et de 1967.
Une guerre servirait de couverture pour “réduire” la population palestinienne à Gaza - ce qui serait l'un des objectifs stratégiques de Netanyahou - tandis que la destruction de l'Iran signifierait la disparition de la principale source de soutien matériel pour la résistance palestinienne.
Éliminer toute pratique d'autodétermination palestinienne - que ce soit par la résistance armée ou autrement - est impérative pour un gouvernement israélien qui rejette catégoriquement tout compromis avec les Palestiniens.
Pour Israël, “la victoire consiste à éliminer une éventuelle solution diplomatique d'un État palestinien” en faveur de l'apartheid ou du nettoyage ethnique, comme l'a déclaré l' analyste Glenn Diesen lors d'une conversation avec Mearsheimer et Mercouris sur l'émission The Duran.
Netanyahou donne du pouvoir aux incendiaires israéliens
M. Netanyahou a sapé les dissensions au sein de l'armée - qui jouit toujours de la confiance du public israélien, même si elle s’érode - en donnant du pouvoir à des personnalités de sa coalition gouvernementale d'extrême-droite.
Il a permis à Ben-Gvir, un adepte de Meir Kahane qui ne fait guère d'efforts pour cacher ses convictions juives suprématistes totalement illibérales, de créer sa propre milice en lui donnant le contrôle de la police nationale, des gardes-frontières et des services pénitentiaires d'Israël, indépendamment de la supervision du ministère de la Défense.
Ronen Bar, chef de l'agence israélienne de renseignement intérieur, a récemment écrit à M. Netanyahou pour lui déclarer que les chefs extrémistes juifs violents “veulent faire perdre le contrôle et causer des dommages indescriptibles à Israël”.
Ils sont guidés par une idéologie selon laquelle “il est plus facile de détruire le tissu social existant que de le réparer”, a précisé M. Bar. Leur vision du monde trace une ligne de démarcation “entre le judaïsme et la démocratie” et met en péril “la sécurité de l'État et son existence même, tout en sapant la confiance dans les institutions de l'État”.
M. Bar a également déclaré que de nouveaux coups d'éclat comme la récente visite de M. Ben-Gvir au complexe de la mosquée al-Aqsa de Jérusalem lors de la fête juive de Tisha b'Av, au cours de laquelle des centaines de Juifs sont venus prier avec lui dans le cadre d'une violation provocatrice du fragile statu quo sur le lieu saint, pourraient conduire “à une effusion de sang et modifier le visage [d'Israël] de manière irréversible”.
Soulignant cette menace réelle, les professeurs Yoram Peri et Gabi Weimann écrivent dans Haaretz que la requête de Ben-Gvir d'autoriser les Juifs à prier sur le lieu saint et à y construire une synagogue “recouvre un objectif à plus long terme : démolir la mosquée al-Aqsa et établir à sa place un troisième temple”.
Sous Ben-Gvir, selon Peri et Weimann, “le rêve d'un troisième temple se matérialise progressivement”, le temple étant “destiné à être l'expression ultime de la souveraineté juive”.
Entre-temps, Ben-Gvir a distribué des milliers d'armes à des Juifs israéliens en Israël et en Cisjordanie, tandis que la violence des colons à l'encontre des Palestiniens et de leurs biens s'intensifie, augmentant “le risque de déclencher un scénario cauchemardesque”, selon Eyal Lurie-Pardes, chercheur invité à l'Institut du Moyen-Orient.
La voie de l'autodestruction d'Israël
Même le Council of Foreign Relations publie des avertissements désastreux sur la trajectoire actuelle d'Israël.
“Le pays est sur une voie de plus en plus antilibérale, violente et destructrice”, affirment Ilan Z. Baron et Ilai Z. Saltzman, tous deux professeurs dans des universités américaines, dans un récent article publié dans la très influente revue Foreign Affairs du Conseil des relations étrangères.
Baron et Saltzman reconnaissent qu'en 1968, après l'occupation par Israël de la Cisjordanie, de la bande de Gaza, du plateau du Golan et de la péninsule du Sinaï, le scientifique et philosophe Yeshayahu Leibowitz a averti que “la fierté et l'euphorie nationales” qui ont suivi cette conquête militaire ne feraient que “faire évoluer [Israël] d'un nationalisme fier et croissant à un ultranationalisme extrême et messianique”.
Cette idéologie extrême aboutirait finalement à la “barbarie” et à l'anéantissement du projet sioniste en Palestine, prévoit Leibowitz.
“Un Israël illibéral deviendrait également un État paria”, écrivent Baron et Saltzman. Même si les États-Unis continuent de fournir un soutien économique, d'autres gouvernements “cesseront de coordonner leurs efforts avec Israël sur les questions de sécurité, de maintenir des accords commerciaux avec Israël et d'acheter des armes fabriquées en Israël”.
Israël serait ainsi entièrement dépendant de Washington “à un moment où de plus en plus d'Américains remettent en question le soutien inconditionnel de leur pays à l'État juif”, ajoutent les professeurs.
(L'armée de l'air israélienne dépend déjà de l'aide américaine, a récemment déclaré un officier supérieur à Haaretz, affirmant que “sans les armes américaines, l'armée ne pourrait soutenir la guerre à Gaza qu’au plus quelques mois”).
Ainsi, selon Baron et Saltzman, “l'État perdrait son monopole sur l'utilisation légitime de la force, et les divisions pourraient s'enflammer au point de provoquer une guerre civile”.
Les émeutes qui ont éclaté sur la base militaire de Sde Teiman après l'arrestation et l'interrogatoire de soldats accusés d'avoir violé un détenu palestinien sont un signe avant-coureur de l’orientation prise par le corps politique israélien.
Baron et Saltzman prévoient un “affaiblissement de l'autorité centrale de l'État [qui] pourrait présager un effondrement” - un processus sans doute déjà en cours.
Le gouvernement ne pourra ou ne voudra plus “assumer ses autres responsabilités politiques traditionnelles, y compris la sécurité et un système législatif stable de gouvernance qui garantisse les responsabilités”.
Même si une guerre civile est évitée, un Israël “en désaccord avec lui-même” “demeurerait instable et l'économie s'effondrerait, faisant d'Israël un État en faillite”, selon Baron et Saltzman.
Ils affirment qu'un tel scénario n'est pas inévitable et qu'il n'est pas trop tard “pour qu'Israël se sauve de son propre anéantissement par une autre voie”.
Mais de nombreux Israéliens, conscients de la trajectoire descendante de l'État, sont déjà en train de partir ou souhaitent le faire.
Un quart des Juifs israéliens et plus d'un tiers des Palestiniens citoyens d'Israël “quitteraient Israël et émigreraient dans un autre pays s'ils en avaient la possibilité concrète”, selon une enquête rapportée par Haaretz en juillet.
Les résultats du sondage “reflètent une méfiance constante à l'égard des dirigeants politiques et militaires d'Israël”, ajoute le journal.
Gil Fire, directeur adjoint d'un grand hôpital de Tel-Aviv, a déclaré à Haaretz le mois dernier que les médecins quittent de plus en plus discrètement Israël. Selon lui, si des offres plus attrayantes ont attiré les médecins israéliens à l'étranger par le passé, “aujourd'hui, c'est le vecteur social qui les pousse à partir”.
“Tous les pays ont besoin d'élites, de professionnels, et si vous les faites fuir, ils ne reviendront pas”, a ajouté M. Fire. “Et s'ils ne sont plus là, le système risque de s'écrouler”.
Les États-Unis accélèrent la disparition d'Israël
Les États-Unis ont une grande part de responsabilité dans l'orientation d'Israël vers ce que Mearsheimer pourrait appeler la voie royale, en lui apportant un soutien inconditionnel et une impunité absolue alors qu'il se livre à un génocide contre les Palestiniens, et que Tel-Aviv agit contre son intérêt premier : la survie.
Dans un document de 16 pages exposant les raisons de l'attaque du 7 octobre, le Hamas a déclaré que les projets du gouvernement d'extrême droite dirigé par Netanyahou d'expulser les Palestiniens de leur patrie, entre autres facteurs, l'obligent à prendre ce qu'il appelle des mesures défensives et à empêcher la liquidation de la cause palestinienne.
Les États-Unis ont joué un rôle clé dans la tentative de liquidation du mouvement de libération de la Palestine par le biais de l'interminable processus de paix d'Oslo, de leur approche de la gestion indéfinie du conflit et de leur pression en faveur d'accords de normalisation entre Israël et les États arabes autocratiques visant à mettre les Palestiniens à l'écart.
Washington a ainsi permis à Israël de consolider son contrôle et d'accélérer la colonisation des terres palestiniennes.
Ce soutien de Washington à Israël a créé les conditions nécessaires à la montée en puissance de Ben-Gvir et de ses semblables - une situation que les États-Unis reconnaissent aujourd'hui comme une menace majeure pour la sécurité d'Israël, alors même que les Américains redoublent d'efforts pour mener à bien leurs politiques catastrophiques et à courte vue.
Les États-Unis ne se soucient pas du sort des Palestiniens et sont satisfaits de la mise en œuvre par Tel Aviv de sa solution finale à Gaza, où des dizaines de milliers de Palestiniens, pour la plupart des femmes et des enfants, ont été assassinés au cours des onze derniers mois.
La semaine dernière, Israël a lancé la plus grande opération militaire en Cisjordanie depuis deux décennies, ouvrant un autre front contre la résistance, les Palestiniens de ce territoire n'étant que trop conscients que rien n'empêche Israël de leur infliger ce qu'il a fait à Gaza.
L'alternative au soutien du génocide qui s'accélère en Palestine est une option bien pire du point de vue de Washington : la reconnaissance et la résolution des causes profondes de ce que l'on appelle par euphémisme le conflit israélo-palestinien.
Le summum du sionisme
Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies pour la Cisjordanie et la bande de Gaza, inscrit le génocide de Gaza dans le processus dynamique et structurel du colonialisme, dont l'extermination et l'anéantissement génocidaires représentent l'apogée.
Et si le génocide à Gaza représente l'apogée de ce processus de colonisation, Ben-Gvir et Smotrich pourraient représenter l'apogée de son expression idéologique : le sionisme.
Tout en évitant de parler du droit international et des droits des Palestiniens, Washington semble au moins reconnaître que Ben-Gvir et le courant de la société israélienne qu'il représente constituent une menace directe pour l'État.
Le porte-parole du département d'État, Matt Miller, a récemment déclaré que les
“déclarations et actions imprudentes continues de Ben-Gvir (...) ne font que semer le chaos et exacerber les tensions”, alors qu'Israël doit se concentrer sur les menaces régionales. “Ils compromettent directement la sécurité d'Israël”, a-t-il ajouté.
Les départements d'État et du Trésor des États-Unis ont imposé tardivement des sanctions contre une poignée d’individus et d'organisations proches de M. Ben-Gvir, plus récemment contre le groupe d'autodéfense de colons Hashomer Yosh, qui reçoit des fonds du gouvernement israélien, et contre Yitzhak Levi Filant, le coordinateur de la sécurité civile de la tristement célèbre colonie d'Yitzhar en Cisjordanie.
Au début de l'année, le gouvernement américain a imposé des sanctions à plusieurs colons et à une poignée d'avant-postes en Cisjordanie (colonies non officiellement reconnues par le gouvernement israélien).
Washington a également inscrit sur une liste noire les groupes extrémistes qui soutiennent les personnes sanctionnées et empêchent l'aide humanitaire d'entrer dans la bande de Gaza.
Les sanctions imposées par les États-Unis encourageront probablement d'autres pays, en particulier les États membres de l'UE, à prendre des mesures similaires et de plus grande envergure.
Reuters a rapporté le 29 août que Josep Borrell, le responsable de la politique étrangère de l'UE, a déclaré qu'il avait appelé membres de l'Union à imposer des sanctions à deux ministres israéliens pour des “messages de haine” aux Palestiniens, messages qui, selon lui, enfreignent le droit international.
“Il n'a nommé aucun des deux ministres”, a ajouté Reuters. L'agence de presse a noté que M. Borrell avait déjà critiqué nommément MM. Ben-Gvir et Smotrich “pour des déclarations qu'il a qualifiées de ‘sinistres’ et ‘d'incitation aux crimes de guerre’.”
Pour les Palestiniens en danger, tout cela semblera être trop peu, venir trop tard, comme la suspension par Londres de 30 licences d'exportation d'armes vers Israël après un examen de deux mois de la conduite d'Israël à Gaza, qui a révélé un “risque clair” que les armes britanniques soient utilisées pour violer le droit humanitaire international.
Comme le fait remarquer The Guardian,
“les suspensions représentent un dixième des 350 licences existantes et n'incluent pas les pièces destinées au programme d'avions de combat F-35, à moins que la pièce fournie par le Royaume-Uni ne soit spécifique à un avion à réaction utilisé exclusivement par Israël”.
Les alliés les plus fidèles d'Israël se contentent toujours du minimum. Pendant ce temps, Ben-Gvir et Smotrich déversent des propos incendiaires, tandis que leurs colons extrémistes déclenchent des incendies lors des pogroms dans les villages palestiniens.
Comme le dit Zvi Bar'el, chroniqueur au Haaretz, en permettant à Ben-Gvir d'entrer en fonction, sans parler de son rôle de faiseur de roi dans la coalition au pouvoir de Netanyahou,
“le gouvernement israélien s'est transformé en une organisation terroriste, dont Ben-Gvir est le bras armé”.
Le chef de cette organisation terroriste, Benjamin Netanyahou, se trouve à ce que le ministre de la défense Gallant qualifie de “tournant stratégique”, avec un choix entre un accord de cessez-le-feu et une guerre sur plusieurs fronts.
M. Netanyahou s'oriente vers cette dernière option, en désaccord avec l'armée et alors que la société israélienne se délite de l'intérieur.
Certains avancent que la justification militaire israélienne de la guerre d'anéantissement à Gaza est que si le Hamas ne peut être éliminé en tant qu'autorité gouvernante, alors il ne faut rien lui laisser à gouverner.
Et si la société israélienne devait irrémédiablement voler en éclats, Netanyahou et ses alliés d'extrême droite n'auraient plus rien à gouverner.
Yitzhak Brik, l'ancien médiateur militaire israélien, a récemment averti dans Haaretz que “le pays court vraiment vers l’abîme”. Il a déclaré que
“si la guerre d'usure contre le Hamas et le Hezbollah se poursuit, Israël s'effondrera d'ici moins d’un an”.
Il a ajouté : “Israël est entré dans une spirale existentielle et pourrait bientôt atteindre un point de non-retour”.
Avec tant de signes avant-coureurs de ce que l'analyste israélien Amos Harel appelle “un long et constant déclin”, la découverte des corps des six captifs et les bouleversements intérieurs qui en résultent pourraient bien signifier que le point de non-retour est déjà atteint.
* Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
https://electronicintifada.net/content/what-israels-endgame/48676