👁🗨 Paix et pommes chips : les grands & petits rêves du peuple de Gaza pour 2024
“Pour l'année prochaine, je voudrais la paix, des chips au fromage, du chocolat et du jus de fraise”, a-t-elle déclaré. “Et”, ajoute-t-elle dans un souffle, “je voudrais que tous restent en vie”.
👁🗨 Paix et pommes chips : Les grands & petits rêves du peuple de Gaza pour 2024
Par Maram Humaid, le 31 décembre 2023
Alors que l'année touche à sa fin, Al Jazeera s'entretient avec cinq personnes qui n'ont plus que l'espoir et les prières.
Deir el-Balah, Bande de Gaza - Il fait un froid glacial et les gens tentent de construire des abris protecteurs dans le nouveau camp de réfugiés mis en place à Deir el-Balah pour faire face au nombre écrasant de personnes déplacées en quête d’un peu de sécurité.
Dans le camp, à proximité de l'hôpital des martyrs d'Al-Aqsa, les enfants courent d'une tente à l'autre, empruntant des objets, portant des messages ou cherchant quelqu'un avec qui jouer, parce que c'est ce que font les enfants.
Al Jazeera a parlé à cinq Palestiniens du camp, de leurs espoirs et de leurs craintes pour 2024, dans le contexte de la guerre dévastatrice d'Israël contre Gaza.
Alors que le bourdonnement des avions israéliens emplit l’espace, Um Shadi raconte les horreurs de ces dernières semaines.
“Nous nous sommes déplacés aussi vite que possible pour être en sécurité, notre maison a été touchée, la maison de ma fille aussi, tout a été touché”, a-t-elle déclaré.
La famille est arrivée à Deir el-Balah la semaine dernière, après que l'armée israélienne a largué des tracts sur l'école où elle s'était réfugiée, demandant à tout le monde de partir et de se diriger vers le sud. “Nous avons couru, emmené les enfants et juste couru”, raconte Um Shadi.
“Nous avons passé la première nuit dehors. Tout le monde s'est réveillé malade à cause du froid. Un homme merveilleux nous a donné une tente, et nous essayons de trouver du bois pour nous réchauffer, et de quoi pouvoir fermer la tente.”
“Pour le nouvel an, je prie pour le ‘faraj’ [la joie ou le soulagement après la tristesse et la calamité]. Je prie Dieu de permettre à chacun de rentrer chez lui en toute sécurité, de protéger notre peuple, tout notre peuple. Je prie pour que cette guerre prenne fin... je prie à chaque instant.”
“C’est simple, regardez-nous. Les enfants n'ont qu'un repas par jour, au mieux. Ce sont mes petits-enfants - mes trois filles et mes trois fils sont mariés. Mon mari a un cancer. Nous l’avons inscrit sur la liste des personnes qui doivent partir en traitement, mais il n'a pas encore été appelé [pour être emmené en Égypte pour se faire soigner]”.
“Nous avions une belle maison à Bureij. Ma fille, qui est veuve, avait sa propre villa ; mon mari était entrepreneur. Nous avions une bonne vie, mais maintenant nous sommes sales, désespérés, de vrais mendiants”, a déclaré Um Shadi.
“Que Dieu ne pardonne jamais au monde, aux nations du monde qui restent là à regarder ce qui nous arrive sans agir.”
Wael, le petit-fils d'Um Shadi, timide élève de deuxième année, a d'abord eu du mal à parler à Al Jazeera.
Sa grand-mère l'a encouragé, l'incitant à raconter comment leur maison avait été bombardée, comment Wael avait sauté des décombres après avoir été secouru, avec le reste de la famille, par “les hommes”, comme il appelait les sauveteurs de la défense civile palestinienne.
Réfléchissant un instant, il donne son avis sur les conditions de vie dans l'école où la famille s'est réfugiée, qu'il qualifie de “mauvaises”, avant d'en venir à ce qu'il souhaite.
“Je veux que la guerre s’arrête”, a-t-il dit, laissant place à un nouveau silence ponctué de timides "oui" lorsqu'on lui a demandé s'il espérait que lui, ses frères et sœurs et ses parents soient en sécurité.
Puis, il s'est arrêté de parler, regardant en silence autour de lui.
Aida el-Shouli et sa famille n'ont pas de tente, juste quatre poteaux de bois autour desquels on a tendu du tissu pour former une enceinte carrée ouverte. Ils devront s'en contenter.
Aida est à même le sol, façonnant des ronds de pâte pour faire du pain pour ses enfants - deux garçons et une fille - rassemblés autour d'elle et tenant dans leurs bras leur plus jeune sœur, une petite fille de six semaines. Aida l'a mise au monde dans une école gérée par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) à Nuseirat, où la famille s'est réfugiée.
“Je viens du camp de Jabalia, mais nous avons été déplacés. Nous sommes allés à Mughraqa, puis à Nuseirat, et maintenant à Deir el-Balah.”
“J'étais enceinte, et proche du terme quand j'ai parcouru les 4 km de Mughraqa à Nuseirat, en tirant un chariot chargé de nos affaires. Mes beaux-parents étaient avec nous - mon fils tenait son grand-père par la main. C'était horrible.”
“Puis nous sommes arrivés à l'école et j'ai vu la foule, les gens partout, la saleté, l'état des toilettes.
“Le choc a été tel que l’accouchement s’est déclenché”.
Au beau milieu de la mort et des destructions, Aida a organisé un “sebou” (fête organisée sept jours après la naissance d'un bébé) pour sa fille, avec des fleurs et des branches d'arbres en guise de décorations.
“Nous avons fait un peu la fête. C'était tout ce que je pouvais faire. Je n'avais même pas de vêtements pour elle. Ce qu'elle porte aujourd'hui m'a été donné par l’aide humanitaire. Je veux que cette guerre se termine pour pouvoir rentrer chez nous. Je sais que nous n'avons plus de maison, mais nous serions tout de même chez nous. Les voisins s'entraident, et ici, nous ne connaissons personne.
“Ma famille est dans le nord, mais je n’ai aucune nouvelle d'elle. Sont-ils en vie ? Morts ? Qui sait ? Lorsque les communications ont été rétablies hier, j'ai essayé pendant des heures de les appeler, mais impossible de les joindre. S'ils étaient morts, au moins je le saurais, mais ne rien savoir est horrible”.
“Qu'avons-nous fait pour mériter ça, qu'avons-nous fait pour que cela nous arrive ? Nous voulons que cela cesse. Pour les enfants, mais aussi pour nous. Nous sommes épuisés. Une fois ces massacres terminés, nous aurons tous besoin d'un soutien psychologique.
“J'ai une question à adresser au monde entier : même si les combats cessent, qu’allons-nous faire ? Comment pouvons-nous vivre ? Allons-nous encore mourir de froid en plein air ? Qui reconstruira nos maisons ?”
Assis dehors, Abu Tariq est entouré d'une nuée de jeunes enfants, dont certains de ses petits-enfants. Certains jouent, d'autres font cuire du pain sur une plaque de fortune sous sa surveillance.
Père de 10 enfants, Abu Tariq a quitté Shujayea et, après une halte, a rejoint une école de l'UNRWA dans le camp de Nuseirat et enfin Deir el-Balah il y a environ une semaine.
“L'école n'était pas si mal, il y avait des salles de bains, des chambres et tout le reste”, a-t-il déclaré. “Puis ils ont distribué des tracts et le directeur de l'école a dit qu'il ne pouvait plus assurer notre sécurité, que nous devions nouse débrouiller seuls.
“Nous nous sommes retrouvés dans la maison de ma fille à Deir el-Balah, mais elle et son mari ont reçu des vagues de personnes déplacées, alors j'ai décidé de venir ici pour rester avec mes fils et leurs enfants.
“J'avais imaginé toutes sortes de scénarios. Je m'attendais à être confronté à la maladie, à la misère, voire à la guerre. Mais quelque chose de cette ampleur ? C'était tout à fait inimaginable. Nous avons résisté à la douleur, à la mort et à la destruction que d'autres n'auraient jamais pu supporter”.
“Je rêve de rentrer chez moi, même si ma maison est en grande partie détruite. Si on me disait que je pouvais y retourner, je me lèverais dès l'aube... ou je me mettrais même immédiatement pour y retourner. Je serais si heureux de monter une tente sur les décombres de ma maison, et d'y vivre.
“Je demande à Dieu que l'année prochaine soit meilleure que cette année, et qu'il guide ces gens pour qu'ils cessent leurs massacres et leurs bombardements aveugles. Que pouvons-nous faire ou dire d'autre ? Nous sommes des êtres humains, tout comme eux. Il les a faits comme il nous a faits, alors prions Dieu.
“J'espère aussi que le monde nous regardera enfin avec bonté et miséricorde, et la volonté de nous venir en aide.
Sur ces mots, Abu Tariq a posé des pains tout chauds dans les mains de sa famille, refusant d'écouter les protestations, déterminé à partager le peu qu'il avait en ce jour.
Noor el-Bayed et sa famille sont à Deir el-Balah depuis environ une semaine, leur deuxième déplacement depuis qu'ils ont quitté Jabalia pour Nuseirat. Cette petite fille timide s'efforce de sourire.
Elle a expliqué qu'elle avait peur des bombardements, du fracas des armes lourdes et des explosions toujours présents, même dans ce camp de Deir el-Balah. L'école lui manque également.
Noor craint aussi pour la sécurité de ceux qu'elle aime. L'idée d'un “martyr” dans la famille est l'une des choses qui l'effraient plus, après avoir vu tant de gens mourir dans les bombardements.
“Je veux que l'année prochaine soit belle”, dit-elle. “Je veux pouvoir manger et boire.
“Avant la guerre, je pouvais acheter des chips, du chocolat et du jus de fruit. Je mangeais tout cela”, dit-elle, ajoutant que ce sont les chips au fromage qui lui manquent le plus.
“Pour l'année prochaine, je voudrais des chips au fromage, du chocolat et du jus de fraise”, a-t-elle déclaré, ajoutant qu'elle aimerait avoir toutes ces friandises chez elle en temps de paix.
“Et”, ajoute-t-elle dans un souffle, “je voudrais que tous restent en vie”.