👁🗨 Palestine : L'Iran et la Russie tendent un piège à l'Occident
Israël est le seul pays capable de détourner l'Occident de l'Ukraine. Mais les USA & leurs alliés tombent dans un piège existentiel s'ils pensent une victoire en Extrême-Orient plus aisée qu'en Europe
👁🗨 Palestine : L'Iran et la Russie tendent un piège à l'Occident
Par Pepe Escobar, le 27 octobre 2023
Le partenariat stratégique Russie-Iran - avec la Chine en coulisses - tend un piège élaboré, à la Sun Tzu, à l'hégémon d'Asie occidentale [Sun Tzu, général chinois du VIᵉ siècle av. J.-C., surtout célèbre en tant qu'auteur de l'ouvrage de stratégie militaire le plus ancien connu : L'Art de la guerre].
À l'exception d'Israël, il n'existe aucune entité sur la planète capable de détourner l'attention, en un rien de temps, de la débâcle spectaculaire de l'Occident en Ukraine.
Les bellicistes en charge de la politique étrangère américaine, qui ne sont pas exactement des chevaliers bismarckiens, pensent que si le projet Ukraine est irréalisable, le projet Solution finale en Palestine pourrait au contraire être une balade de santé - purification ethnique à l'appui.
Un scénario plus plausible, cependant, est que le duo Iran-Russie - et le nouvel “axe du mal” Russie-Chine-Iran - disposent de tout ce qu'il faut pour entraîner l'Hégémon dans un second bourbier. Il s'agit en fait d'utiliser les propres volte-face de l'ennemi pour le déséquilibrer et le désorienter jusqu'à ce qu'il tombe dans l'oubli.
Le vœu pieux de la Maison Blanche, selon lequel les guerres éternelles en Ukraine et en Israël s'inscrivent dans le même élan de “démocratie” et seraient essentielles aux intérêts nationaux américains, s'est déjà retourné contre elle, y compris au sein de l'opinion publique américaine.
Cela n'empêche pas les cris et les chuchotements le long du Beltway [Washington] de révéler que les néoconservateurs américains alliés à Israël augmentent la cadence pour provoquer l'Iran - par le biais d'un proverbial “faux drapeau” qui conduirait à une attaque américaine. Ce scénario d'Armageddon correspond parfaitement à la psychopathie biblique du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Les vassaux seraient contraints de se conformer sans broncher. Les chefs d'État de l'OTAN se sont empressés de se rendre en Israël pour manifester leur soutien inconditionnel à Tel-Aviv, notamment le Grec Kyriakos Mitsotakis, l'Italienne Giorgia Meloni, le Britannique Rishi Sunak, l'Allemand Olaf Scholz, le locataire sénile de la Maison-Blanche, et le Français Emmanuel Macron.
Venger le “siècle d'humiliation” arabe
Jusqu'à présent, le mouvement de résistance libanais Hezbollah a fait preuve d'une extraordinaire retenue en ne mordant pas à l'hameçon. Le Hezbollah soutient la résistance palestinienne dans son ensemble et, jusqu'à il y a quelques années, rencontrait de sérieux problèmes avec le Hamas, avec lequel il s'est opposé en Syrie. Le Hamas, d'ailleurs, bien que partiellement financé par l'Iran, n'est pas dirigé par l'Iran. Même si Téhéran soutient la cause palestinienne, les groupes de résistance palestiniens prennent leurs propres décisions.
La grande nouvelle, c'est que tous ces problèmes sont en train de disparaître. Le Hamas et le Jihad islamique palestinien (PIJ) se sont rendus au Liban pour rendre visite en personne au secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, cette semaine. Il s'agit là du symbole de l'unité d'objectif, ou de ce que l'Axe de la résistance de la région appelle “l'unité des fronts”.
La visite du Hamas à Moscou cette semaine, accueillie par une fureur israélienne impuissante, a été encore plus révélatrice. La délégation du Hamas était dirigée par un membre de son Politburo, Abu Marzouk. Le vice-ministre iranien des affaires étrangères Ali Bagheri est venu spécialement de Téhéran et a rencontré deux des principaux adjoints du ministre russe des affaires étrangères Lavrov, Sergei Ryabkov et Mikhail Galuzin.
Ainsi, le Hamas, l'Iran et la Russie négocient à la même table.
Le Hamas a appelé les millions de Palestiniens de la diaspora à s'unir, ainsi que l'ensemble du monde arabe et toutes les terres d'Islam. Lentement mais sûrement, un scénario prend forme : le monde arabe - et de larges pans de l'Islam - seraient-ils sur le point de s'unir de manière significative pour venger leur propre “siècle d'humiliation”, comme les Chinois l'ont fait après la Seconde Guerre mondiale avec Mao Zedong et Deng Xiaoping ?
Pékin, par le biais de sa diplomatie sophistiquée, a certainement laissé entendre cette possibilité à des acteurs clés, avant même le rapprochement inédit entre l'Iran et l'Arabie saoudite, négocié par la Russie et la Chine en début d'année.
Cela ne suffira pas à contrecarrer l'obsession perpétuelle des néoconservateurs américains de bombarder les infrastructures essentielles en Iran. En matière de science militaire, ces néocons ignorent que les représailles iraniennes viseraient - avec précision - chacune des bases américaines en Irak et en Syrie, le golfe Persique n'étant pas exclu.
L'éminent analyste militaire russe Andrei Martyanov a évoqué ce qui pourrait arriver à ces coûteux vaisseaux d'acier américains en Méditerranée orientale en cas d'attaque de l'Iran déclenchée par Israël.
En outre, au moins 1 000 soldats américains se trouvent dans le nord de la Syrie et pillent le pétrole du pays, devenant ainsi une potentielle cible instantanée.
Ali Fadavi, commandant en chef adjoint du Corps des gardiens de la révolution islamique, est allé droit au but :
“Nous disposons de technologies dans le domaine militaire que personne ne connaît, et les Américains les découvriront lorsque nous les utiliserons”.
Les missiles hypersoniques iraniens Fattah - cousins du Khinzal et du DF-27 - se déplacent à Mach 15 et peuvent atteindre n'importe quelle cible en Israël en 400 secondes.
Ajoutez à cela la guerre électronique russe ultra-sophistiquée. Comme cela a été confirmé à Moscou il y a six mois, dans le domaine de l'interconnexion militaire, les Iraniens ont dit aux Russes assis à la même table : “Si vous avez besoin de quoi que ce soit, il suffit de le demander”. Il en va de même dans l'autre sens, car l'ennemi commun est le même.
Le détroit d'Ormuz en ligne de mire
Le cœur de toute stratégie russo-iranienne est le détroit d'Ormuz, par lequel transitent au moins 20 % du pétrole mondial (près de 17 millions de barils par jour) et 18 % du gaz naturel liquéfié (GNL), soit au moins 1 milliard de m3 par jour.
L'Iran est capable de bloquer le détroit d'Ormuz en un clin d'œil. D'abord, cela constituerait une sorte de justice poétique en guise de représailles pour Israël qui cherche à s'emparer illégalement de tout le gaz naturel découvert au large de Gaza, qui vaut des milliards de dollars : c'est d'ailleurs l'une des raisons essentielles du nettoyage ethnique de la Palestine.
Cependant, le véritable enjeu consistera à démanteler la structure dérivée de 618 000 milliards de dollars mise au point par Wall Street, comme le confirment depuis des années les analystes de Goldman Sachs et de JP Morgan, ainsi que les négociants indépendants en énergie du golfe Persique.
Ainsi, en cas d'urgence - et bien au-delà du combat pour la Palestine et dans un scénario de guerre totale - non seulement la Russie et l'Iran, mais aussi les acteurs clés du monde arabe sur le point de devenir membres des BRICS 11 - tels que l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis - ont ce qu'il faut pour faire s'effondrer le système financier américain quand bon leur semblera.
Comme le souligne un vieux routier de l'État profond, aujourd'hui en activité en Europe centrale :
“Les nations islamiques ont l'avantage économique. Elles peuvent faire exploser le système financier international en fermant le robinet du pétrole. Elles n'ont pas besoin de tirer un seul coup de feu. L'Iran et l'Arabie saoudite vont faire front commun. Il a fallu 29 000 milliards de dollars pour résoudre la crise de 2008, mais celle-ci, si elle devait se produire, ne pourrait être résolue même avec 100 000 milliards de dollars d'instruments fiduciaires.”
Comme me l'ont confirmé des négociants du golfe Persique, l'un des scénarios possibles est que l'OPEP commence à sanctionner l'Europe, d'abord à partir du Koweït, puis en s'étendant d'un pays de l'OPEP à l'autre, et tous les pays qui traitent le monde musulman comme des ennemis et de la chair à canon.
Le Premier ministre irakien Mohammed Shia al-Sudani a déjà prévenu que l'acheminement du pétrole vers les marchés occidentaux pourrait être retardé en raison des actes perpétrés par Israël à Gaza. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a déjà appelé, officiellement, à un embargo total sur le pétrole et le gaz par les pays islamiques contre les nations - essentiellement des vassaux de l'OTAN - qui soutiennent Israël.
Ainsi, les sionistes chrétiens des États-Unis, alliés au néoconservateur Netanyahou, qui menacent d'attaquer l'Iran, ont le potentiel de faire s'écrouler l'ensemble du système financier mondial.
Un remix de la guerre éternelle contre la Syrie
Face à la poudrière ambiante, le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine s'est montré extrêmement prudent. Pour la communauté internationale, leur position officielle est de refuser de se ranger du côté de la Palestine ou d'Israël, d'appeler à un cessez-le-feu pour des raisons humanitaires, d'appeler à une solution à deux États et de respecter le droit international. Toutes leurs initiatives à l'ONU ont été dûment sabotées par l'hégémon.
En l'état actuel des choses, Washington s'est refusé à donner son feu vert à l'invasion terrestre israélienne de la bande de Gaza. La principale raison est la priorité immédiate des États-Unis : gagner du temps pour étendre la guerre à la Syrie, “accusée” d'être le principal point de transit des armes iraniennes destinées au Hezbollah. Ce qui revient également à réactiver le même ancien conflit contre la Russie.
Moscou ne se fait pas d'illusions. L'appareil de renseignement sait bien que des agents du Mossad israélien ont conseillé Kiev alors que Tel-Aviv fournissait des armes à l'Ukraine sous la pression des États-Unis. Cela a exaspéré les siloviki [représentants d'organismes étatiques chargés de veiller à l'application de la loi, d'organismes de renseignements, des forces armées et autres structures], et pourrait bien constituer l’erreur fatale d’Israël.
Les néoconservateurs, quant à eux, ne désarment pas. Ils avancent une menace parallèle : si le Hezbollah attaque Israël avec autre chose que quelques vagues roquettes - ce qui n'arrivera tout simplement pas - la base aérienne russe de Hmeimim à Lattaquié sera “éliminée” en guise d’“avertissement” à l'Iran.
Il ne s'agit pas d'un jeu d’enfants dans un bac à sable. Après les attaques israéliennes en série contre les aéroports civils de Damas et d'Alep, Moscou n'a même pas sourcillé avant d'offrir ses installations de Hmeimim à la Syrie - avec une autorisation pour les vols cargo du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) de l'Iran, selon certaines sources de renseignements russes. Netanyahou ne souhaitera pas vraiment commettre un suicide en bombardant une base aérienne russe entièrement A2/AD (“déni d'accès et interdiction de zone”).
Moscou perçoit aussi très clairement ce que ces dispendieux navires de guerre américains en Méditerranée orientale sont en train de mijoter. La réponse a été rapide : les Mig-31K patrouillent dans l'espace aérien neutre au-dessus de la mer Noire 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, équipés de Khinzal hypersoniques qui ne mettraient que six minutes pour se rendre en Méditerranée.
Au milieu de toute cette folie néoconservatrice, alors que le Pentagone déploie une formidable panoplie d'armes et de moyens “non divulgués” en Méditerranée orientale, que la cible soit le Hezbollah, la Syrie, l'Iran, la Russie ou tout ce qui est susmentionné, la Chine et la Corée du Nord - qui font partie du nouvel “axe du mal” tel que défini par les Américains - ont fait savoir qu'elles ne se contenteront pas de demeurer de simples observateurs.
La marine chinoise protège l'Iran à distance. Mais la déclaration du Premier ministre Li Qiang a été encore plus percutante, chose inhabituelle et rare en diplomatie chinoise :
“La Chine continuera à soutenir fermement l'Iran dans la protection de sa souveraineté nationale, de son intégrité territoriale et de sa dignité nationale, et s'opposera catégoriquement à toute force extérieure susceptible d'interférer dans les affaires intérieures de l'Iran”.
N'oubliez jamais que la Chine et l'Iran sont liés par un partenariat stratégique global. Par ailleurs, le premier ministre russe, Mikhail Mishustin, a renforcé le partenariat stratégique Russie-Iran lors d'une rencontre avec le premier vice-président iranien, Mohammad Mokhber.
Les mangeurs de riz coréens, ça vous rappelle quelque chose ?
Les milices pro-iraniennes de l'axe de la résistance maintiennent un niveau de confrontation soigneusement dosé avec Israël, à la limite de la guérilla. Elles ne s'engagent pas encore dans des attaques massives. Mais les paris sont ouverts si Israël envahit Gaza. Il est clair que le monde arabe, malgré ses énormes contradictions internes, ne tolérera tout simplement pas le massacre des civils.
En clair, dans la conjoncture explosive actuelle, l'hégémon a trouvé une porte de sortie à son humiliation en Ukraine. Ils croient à tort que la même vieille guerre éternelle ravivée en Asie occidentale peut être “modulée” à envi. Et si deux guerres se transforment en un immense boulet politique, comme ce sera le cas, qu'y aura-t-il d'autre ? Ils déclencheront simplement une nouvelle guerre dans l’“Indo-Pacifique”.
Rien de tout cela n'échappe à la Russie et à l'Iran, qui surveillent de très près l'hégémon à chaque étape du processus. Rappelons à toutes fins utiles ce que Malcolm X prédisait déjà en 1964 :
“Des mangeurs de riz les ont chassés de Corée. Ils les ont bien chassés de Corée. Des mangeurs de riz qui n'avaient que des baskets, un fusil et un bol de riz les ont chassés avec leurs tanks, leur napalm et toutes leurs panoplie, et leur ont fait traverser le Yalu*. Pourquoi ? Parce que le jour où ils peuvent gagner sur le terrain est révolu”.
* Yalu : fleuve qui marque la frontière entre la Chine et la Corée du Nord
Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de The Cradle.
https://new.thecradle.co/articles/iran-russia-set-a-western-trap-in-palestine