👁🗨 Palestine : Pourquoi une comparaison avec le ghetto juif s'impose
L'horreur du passé revient sous une nouvelle forme, et la comparaison entre le ghetto juif sous le nazisme & le ghetto de Gaza sous l'autorité fasciste actuelle d'Israël doit cesser d'être sacrilège.
👁🗨 Palestine : Pourquoi une comparaison avec le ghetto juif s'impose
Par Michelle Weinroth, le 7 janvier 2024
Les comparaisons ne portent pas sur des identités exactes. On peut toujours critiquer une comparaison et prétendre qu'elle est imparfaite. Mais un tel jugement est intrinsèquement erroné, car les comparaisons ne sont pas destinées à marquer l'identité, mais à souligner certains traits communs - des traits essentiels, bien sûr, et non des traits accessoires ou secondaires.
Comparer le ghetto juif sous le nazisme avec le ghetto de Gaza peut être profondément troublant, mais devons-nous nous détourner de cette similitude pour ne pas voir l'horreur qui se déroule actuellement sous nos yeux et qui, selon plusieurs commentateurs experts, est sans précédent dans l'histoire moderne ? Considérons l'énormité et la rapidité avec lesquelles le massacre de civils innocents est en train de se produire. Au-delà des horribles massacres perpétrés par des frappes aériennes incessantes, il y a l'acte prémédité de priver une population assiégée de ses besoins fondamentaux : nourriture, carburant, médicaments et eau. Il y a aussi l'humiliation d'hommes jeunes et vieux, quasiment dénudés et exécutés de manière extrajudiciaire. Ces actes intentionnels de génocide ne rappellent-ils pas le nazisme ? Gaza, comme certains l'ont appelé, n'est plus un camp de concentration, mais un camp d'extermination.
Une comparaison entre le ghetto de Gaza et le ghetto juif sous le nazisme pourrait bien donner lieu à un débat sur des agendas génocidaires distincts. Mais cette discussion s'éloigne du propos initial. Les différences et les variations mises à part, ce qui unit tous les types de génocides, c'est leur insondable cruauté, leur vertigineuse inhumanité. Ces actes d'anéantissement sont si aberrants qu'ils défient le langage. La parole et la raison sont bloquées, paralysées par le caractère apocalyptique de cet effacement massif de l'humanité.
Il est naturel de vouloir détourner les yeux de tout cela (et par “cela”, j'entends tout ce qui est trop obscène et répugnant pour être pris en considération plus d'un instant). Mais le désarroi provoqué par cette comparaison “sacrilège” n'est rien à côté de l'agonie des victimes actuelles - les Palestiniens assiégés. Leur agonie ne disparaîtra pas simplement parce que nous détournons le regard et refusons d'affronter la comparaison. Le malaise suscité par la comparaison ne pourrait-il pas être atténué si l'exprimer publiquement et avec force pouvait donner de l'espoir, contribuer à arrêter le carnage et à prévenir un génocide à part entière ?
En effet, la douleur viscérale qu'une telle analogie provoque peut devenir une forme salutaire d'auto-questionnement chez un public par ailleurs en conflit, complaisant ou indifférent. L'effet de choc résultant de cette comparaison a le pouvoir de secouer le public pour le sortir de sa complaisance, de son déni et de son simple sentiment de désespoir. En effet, rappeler le seuil de “l'indicible”, qui a marqué l'Holocauste des Juifs, et tracer une ligne de démarcation entre cet épisode du XXe siècle et le présent, c'est rappeler au monde que la guerre contre les Gazaouis d'aujourd'hui (et, en fait, contre les Palestiniens de Cisjordanie) a atteint ce terrible seuil de victimisation déclenchée par la violence nazie. Pendant des années, ce seuil a évoqué l'idée d'une victimisation absolue exclusivement réservée aux Juifs. Ce n'est plus le cas. L'horreur du passé est revenue sous une nouvelle forme : la victime de l'Ur n'est pas le Juif, mais le Palestinien.
Si nous tenons à souligner la gravité de la crise actuelle, il faut lui conférer un caractère d'urgence. La comparaison troublante évoquée ci-dessus peut galvaniser le grand public et l'inciter à agir, à s'exprimer politiquement et à protester efficacement. Ne pas faire cette comparaison, c'est permettre au paysage apocalyptique de Gaza et au massacre de s'aggraver. Certains (notamment les défenseurs d'Israël) pourraient dire : ce n'est pas aussi grave qu'Auschwitz, et nous pouvons donc nous permettre (au moins moralement) de continuer à bombarder l'enfer de la bande de Gaza.
La dimension politique n'est pas le seul mérite de cette comparaison troublante. L'analogie dérangeante est également un moyen crucial d'exploser des mythes de longue date : en d'autres termes, que la victimisation juive est incomparable, exaltée et singulière dans sa gravité. En effet, c'est précisément l'exceptionnalisme dans lequel Israël se drape qui a permis à l'élite politique sioniste (où qu'elle se trouve - aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Europe ou en Israël) de bafouer le droit international à maintes reprises depuis plus de 75 ans. C'est ce sentiment cultivé de sublimité suprême (découlant de la militarisation de l'Holocauste et de l'utilisation manipulatrice de la Bible) qui élève le statut d'Israël au rang d'acteur arrogant sur la scène mondiale, indifférent à toutes les lignes rouges (c'est-à-dire à la quasi-totalité des conventions de Genève et des résolutions de l'ONU).
Avec cette identité supra-humaine qu'il s'attribue, l'expansionnisme d'Israël et sa politique de massacre de Palestiniens innocents sont étayés par le sentiment d'un pouvoir illimité conféré par Dieu. La mort de plus de 21 000 Palestiniens n'a pas calmé la soif vicieuse de vengeance d'Israël en réponse au 7 octobre. Pour Israël, les résolutions de l'ONU relèvent des “banales” affaires mondiales : il les rejette donc comme étant insignifiantes, en formulant ses revendications dans le langage de l'autorité divine. Avec cette posture rhétorique hautaine, il se moque du jugement moral et des critiques formulées à son égard par d'autres. Il bafoue le droit international avec un mépris honteux, parce qu'il sait qu'avec le soutien des États-Unis, il peut transgresser la raison et le droit avec une impunité sans bornes. Autrefois plaint en tant que victime collective d'un génocide, Israël en est aujourd'hui l'auteur, l'État qui, paradoxalement, fait de la victimisation sa quintessence.
Si nous voulons qu'Israël rende compte de ses crimes, nous devons exercer le droit démocratique de dire ouvertement et sans honte que les Juifs n'ont pas le monopole de la victimisation par le génocide. Les Juifs ne sont pas les éternelles victimes de l'histoire. Inversement, les Juifs progressistes ont le devoir moral d'aider à desserrer l'emprise sioniste de ce sentiment de victimisation singulière. Ce dernier est une prérogative auto-attribuée qui permet à Israël (ainsi qu'à ses partisans) d'exploiter ce privilège avec des conséquences dévastatrices - génocidaires. Il est impératif que nous contribuions à mettre un terme à ce carnage.
La comparaison entre le ghetto juif sous le nazisme et le ghetto de Gaza sous l'autorité fasciste (actuelle) d'Israël doit cesser d'être sacrilège. En fait, il est essentiel que la comparaison, aussi inconfortable soit-elle, soit exprimée ouvertement, ne serait-ce que pour forcer Israël et ses apologistes à voir le reflet de l'État “juif” dans le miroir du passé nazi et, espérons-le, à réfléchir avec dégoût à sa propre réalité fasciste. Si tel était le cas, l'histoire connaîtrait un tournant positif décisif.
https://mondoweiss.net/2024/01/why-we-have-to-make-the-jewish-ghetto-comparison/