đ© Paolo Bonacini: 50 villes du monde entier se mobilisent pour demander la libĂ©ration de Julian Assange.
Julian Assange est une personne de chair et dâos; il n'est pas un symbole, ni une photographie sans relief. Il est plutĂŽt un exemple vertueux de ce que devrait ĂȘtre la dignitĂ© dans le travail.
đ© Julian Assange, 50 villes du monde entier se mobilisent pour demander sa libĂ©ration.
đ° Par Paolo Bonacini, le 14 octobre 2022
Samedi 15 octobre 2022, dans au moins 50 villes du monde, des milliers de personnes ont manifesté, manifesteront, en faveur de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks enfermé depuis trois ans dans une prison de haute sécurité en Angleterre.
PassĂ©, prĂ©sent et futur se confondent, selon le fuseau horaire, dans le cri intemporel : "LibĂ©rez Assange !". L'espoir est que toute personne honnĂȘte, consciente de la valeur de concepts tels que l'HumanitĂ©, le Droit, la Justice, se l'approprie, face Ă la persĂ©cution honteuse du journaliste. Coupable d'avoir publiĂ© et envoyĂ© aux principaux journaux du monde des documents confidentiels attestant de crimes de guerre commis en Afghanistan et en Irak. âCoupable de vĂ©ritĂ©" est le titre du mouvement Ă but non lucratif "Free Assange". Par exemple, la vĂ©ritĂ© sur le meurtre de civils en temps de guerre et la dissimulation de leurs cadavres, ou la vĂ©ritĂ© sur l'existence d'une unitĂ© secrĂšte amĂ©ricaine dont le mandat Ă©tait d'arrĂȘter et de tuer les talibans mĂȘme sans procĂšs.
C'est Assange qui risque dĂ©sormais la mort: dans cette prison londonienne de Belmarsh considĂ©rĂ©e comme le "Guantanamo" du Royaume-Uni, ou dans une prison amĂ©ricaine oĂč il pourrait passer les 175 prochaines annĂ©es selon la sentence hypothĂ©tique, s'il est extradĂ©.
Les manifestations et l'indignation publique sont peut-ĂȘtre la seule arme (qui ne tire pas) capable d'empĂȘcher cette issue dramatique. Tout a commencĂ© samedi dernier Ă Londres, avec une chaĂźne humaine de milliers de personnes entourant le Parlement le long des rives de la Tamise. Aux mĂȘmes heures, Ă Washington, de l'autre cĂŽtĂ© de l'Atlantique, une foule tout aussi nombreuse criait devant le ministĂšre de la Justice qu'"il n'y a pas de dĂ©mocratie sans libertĂ© de la presse, car seul un journalisme sans bĂąillon peut surveiller la conduite du gouvernement".
En Italie, oĂč de nombreux journaux et journalistes se sont bĂąillonnĂ©s, ce samedi se poursuit avec de nombreuses initiatives spontanĂ©es, une trentaine au moins, de Messine Ă Milan, de Florence Ă Bari, de Rome Ă Bologne, sous le slogan : "24 heures pour Assange". SimultanĂ©ment Ă l'Ă©tranger, il y aura des manifestations Ă Piccadilly Circus et devant la prison Ă Londres; Ă Sydney et Melbourne en Australie, le pays natal de Julian; Ă Taipei comme au Canada et au Chili; en Espagne, en France, en Belgique et en Allemagne pour se rapprocher de nous. Les grandes villes ne seront pas les seules Ă descendre dans la rue, et dans les petites villes, le cri "Assange Free" rĂ©sonnera avec la mĂȘme force. Comme Ă Pinerolo, dans la province de Turin, oĂč le maire a accordĂ© au journaliste la citoyennetĂ© d'honneur, ou comme dans le village de Puianello, dans la province de Reggio Emilia, oĂč le film documentaire "Julian Assange. Le prix de la vĂ©ritĂ©". Une production française signĂ©e par Vescovacci, Herman et Moreira qui aborde le thĂšme de la dichotomie libertĂ©/censure dans le journalisme. Deux journalistes Ă la pointe du travail d'investigation inconfortable introduiront la soirĂ©e au centre social "I Boschi", Ă partir de 20h15. OĂč incommode signifie "dĂ©rangeant pour les grandes puissances qui se livrent Ă de sales besognes". Il s'agit d'Alberto Nerazzini (SciusciĂ , Anno Zero, Report) et de Philip Di Salvo (chercheur Ă la Haute Ă©cole de journalisme de la Suisse mĂ©ridionale). Ils sont parmi les fondateurs de l'association culturelle DIG (Documentaires, EnquĂȘtes, Journalismes), qui propose chaque annĂ©e le Festival du journalisme d'investigation de ModĂšne, qui a conclu sa 2022e Ă©dition il y a quelques jours. Ce sont des journalistes libres qui savent quel lourd tribut il faut payer pour la dĂ©fense de cette libertĂ©.
Julian Assange est une personne de chair et dâos; il n'est pas un symbole, ni une photographie sans relief. Il est plutĂŽt un exemple vertueux de ce que devrait ĂȘtre la dignitĂ© dans le travail. Dans n'importe quel emploi. Par exemple, mĂȘme dans l'armĂ©e. Chelsea Elizabeth Manning, accusĂ©e d'ĂȘtre la source d'Assange et d'avoir volĂ©, lorsqu'elle travaillait pour les services de renseignement amĂ©ricains pendant les opĂ©rations en Irak, les milliers de documents qui sont arrivĂ©s Ă WikiLeaks, en sait quelque chose. En 2013, elle a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă 35 ans de prison pour espionnage. AprĂšs sept ans d'isolement et d'enchaĂźnement, au cours desquels elle a subi des traitements violents proches de la torture, elle a Ă©tĂ© libĂ©rĂ©e grĂące Ă l'intervention du prĂ©sident sortant Barack Obama. RĂ©incarcĂ©rĂ©e en 2019 pour avoir refusĂ© de tĂ©moigner sur l'affaire devant le grand jury, elle est finalement libĂ©rĂ©e de prison en 2020 aprĂšs une tentative de suicide.
Ătre "coupable de vĂ©ritĂ© " appelle deux fois Ă la vengeance: la premiĂšre parce que dire la vĂ©ritĂ© n'est pas un crime, mais un honneur. La seconde parce que cette "vĂ©ritĂ©" racontĂ©e par WikiLeaks et Assange/Manning fait le procĂšs d'autres manquements et d'autres coupables, qui restent pourtant impunis Ă ce jour. Il convient de rappeler ce qu'a dit non pas un journaliste mais un magistrat Ă ce sujet. Il s'agit d'Enrico Zucca, procureur adjoint de la Cour d'appel de GĂȘnes, qui a engagĂ©, en tant que procureur, les poursuites pour les violences commises par des policiers lors des journĂ©es enflammĂ©es du G8 en 2001. Sur l'histoire d'Assange, qu'il a soigneusement analysĂ©e sous l'angle jurisprudentiel, il Ă©crit, entre autres, sans mĂȘme tenir compte d'Obama :
"Il ne peut Ă©chapper Ă personne que, dans la totalitĂ© des informations rĂ©vĂ©lĂ©es par les publications via Wikileaks, sont exposĂ©s des abus et des violations qui auraient non seulement mĂ©ritĂ©, mais forcĂ© l'inculpation des responsables. Les documents concernant le traitement des dĂ©tenus Ă Guantanamo et les opĂ©rations de guerre en Afghanistan et en Irak sont particuliĂšrement intĂ©ressants. Il ressort de la premiĂšre qu'il n'y avait pas de motif sĂ©rieux pour la dĂ©tention de la plupart des prisonniers, soumis encore plus gratuitement Ă des traitements assimilables Ă de la torture. Des autres documents ressortent la commission de crimes de guerre, de meurtres de civils et de tortures. Ce qui ressort, c'est la volontĂ© de dissimuler la mĂȘme proportion de dommages collatĂ©raux, les centaines de morts civiles, en n'enregistrant pas les incidents ou en les justifiant. Dans de tels cas, ce sont les conventions internationales qui exigent l'Ă©tablissement des faits et des responsabilitĂ©s ainsi que la sanction sĂ©vĂšre des responsables. Pourtant, alors que l'enquĂȘte contre Assange Ă©tait entretenue, mĂȘme aprĂšs la publication du rapport du SĂ©nat amĂ©ricain en dĂ©cembre 2014, c'est-Ă -dire l'aveu officiel de la torture, derriĂšre la mystification juridique des techniques d'interrogatoire renforcĂ©es sur les prisonniers Ă Guantanamo, Abou Grahib, Fallouja, et dans des sites secrets gĂ©rĂ©s par la CIA dans plusieurs pays, la rĂ©ponse est condensĂ©e dans la dĂ©claration du prĂ©sident Obama sur la nĂ©cessitĂ© de regarder vers l'avant et non vers l'arriĂšre : rien de plus qu'un euphĂ©misme pour proclamer le choix de laisser les tortionnaires impunis.
La rĂ©action consĂ©cutive au traumatisme des attentats du 11 septembre 2001 entraĂźne un changement dans le discours sur les dĂ©mocraties occidentales, et en particulier sur les Ătats-Unis dans leur prĂ©tendu rĂŽle de leader dans l'expansion de l'Ătat de droit. Il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que lorsque l'Etat se sent attaquĂ©, il n'hĂ©site pas Ă renier ses principes fondateurs, revenant de plus en plus Ă une conception proto-libĂ©rale de la dĂ©mocratie, oĂč la garantie des droits est limitĂ©e Ă un cercle restreint de citoyens. Nous n'avons plus vu, ou pas seulement, le soutien aux dictatures et la violation constante des droits de l'homme d'autrui, mais l'utilisation directe et gĂ©nĂ©ralisĂ©e de la torture Ă la premiĂšre personne. Les documents filtrĂ©s et divulguĂ©s par Assange nous ouvrent les yeux sur la rĂ©alitĂ© des guerres, sur leur coĂ»t rĂ©el en termes de tueries, sur l'extraordinaire habiletĂ© et la facilitĂ© avec lesquelles a Ă©tĂ© perpĂ©trĂ© le crime obscĂšne de la torture que les nations ont jugĂ© incompatible avec l'Ătat de droit et la dignitĂ© humaine inviolable inscrite dans les chartes et conventions constitutionnelles".
La conclusion amĂšre est que, trop souvent, les chartes et conventions institutionnelles sont rĂ©duites Ă des papiers sans valeur, ignorĂ©s et remplacĂ©s par la charte des intĂ©rĂȘts privĂ©s, partisans, tacites et non ratifiĂ©s, et illĂ©gaux.
Mais pour ceux qui y croient encore, il est bon de se rappeler, le jour oĂč nous manifestons pour Julian Assange, ce que dit l'article 2 de la loi 69 du 3 fĂ©vrier 1963.
Une loi toujours en vigueur, si nous ne nous trompons pas, du moins en Italie:
"Le droit inaliénable des journalistes à la liberté d'information et de critique, et leur obligation impérative de respecter la vérité substantielle des faits ".