👁🗨 Pas de presse libre sans Assange libre
Assange et ce qu'il représente finiront par gagner, parce que la liberté, la démocratie et la transparence constitueront toujours des attentes de la part des êtres humains capables de réflexion.
👁🗨 Pas de presse libre sans Assange libre
Par David S. D'Amato, le 18 janvier 2024
En septembre 1918, Eugene V. Debs a été jugé pour plusieurs accusations portées à la suite d'un discours anti-guerre prononcé en juin, lors d'un rassemblement de socialistes, de travailleurs et d'amis sympathisants à Canton, dans l'Ohio. Pour avoir prononcé ce discours, qui critiquait l'entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale et annonçait “l'émancipation de l’espèce humaine”, Debs a été arrêté et qualifié de traître et de séditieux par le gouvernement américain. Les mots qu'il a prononcés ce jour-là rappellent la mission de vérité d'un autre champion de la liberté d'expression, le journaliste et activiste Julian Assange, emprisonné à tort. Debs a dit :
“Seule la vérité libérera le peuple. Et pour ces raisons, la vérité ne doit pas être autorisée à atteindre le peuple. La vérité a toujours été dangereuse pour le pouvoir des voyous, des exploiteurs et des voleurs. La vérité doit donc être impitoyablement réprimée.”
Comme Debs, Assange a été poursuivi et puni par le gouvernement américain pour avoir dit la vérité et attiré l'attention sur les méfaits du gouvernement. Lors de son intervention à la conférence TedGlobal 2010 à Oxford, M. Assange a défendu de la même manière la liberté de conscience et d'expression, affirmant que les citoyens ont le droit de savoir ce que nos gouvernements font en notre nom. M. Assange, comme M. Debs, a eu le courage d'interpeller les détenteurs du pouvoir, faisant remarquer que lorsque les citoyens sont confrontés à la vérité, ils “peuvent constater l'énorme disparité des forces” séparant les États-Unis de ceux qui résistent à leur empire.
Lorsque le téléphone de M. Assange a sonné pendant la conversation et que Chris Anderson, de TedGlobal, a plaisanté en disant que c'était la CIA qui appelait, tout le monde a ri poliment, peut-être nerveusement, à la plaisanterie. Mais 13 ans plus tard, il n'est plus question de plaisanter : Julian Assange a bel et bien été pris pour cible par l'appareil militaire et de renseignement des États-Unis pour avoir publié la vérité, comme c'est son droit et celui de tout un chacun. Au cours de l'entretien, Anderson a évoqué le cas de Chelsea Manning, inculpée cinq jours auparavant et dont la peine a été commuée par Barack Obama en janvier 2017. Assange, quant à lui, est toujours emprisonné et lutte contre l'extradition vers les États-Unis, où le journalisme est devenu un crime majeur. M. Assange a expliqué à M. Anderson ce qu'est le vrai journalisme :
“Les informations qu'une organisation s'efforce de dissimuler - voilà un très bon signal : lorsque l'information est diffusée, on peut espérer qu'elle sera utile, parce que les organisations qui la connaissent le mieux, qui la connaissent de l'intérieur, s'efforcent de la dissimuler. C'est ce que nous avons constaté dans la pratique et c'est ce qui ressort de l'histoire du journalisme.”
Les motivations de l'État terroriste américain sont claires depuis bien avant les révélations de Wikileaks en 2010, mais elles le sont toujours plus depuis : une presse libre ne peut être tolérée, car même un minimum de vérité et de transparence compromet la viabilité du système impérial. Comme dans l'affaire Debs, l'affaire Assange n'a jamais porté sur les prétendues accusations d'espionnage totalement infondées. Debs n'était pas un espion, et Assange non plus : tout un chacun dans le monde - et surtout ses bourreaux - le sait. Mais il défend l'idée que les gouvernements doivent rendre des comptes aux peuples qu'ils gouvernent, et c'est une chose que les États-Unis et leurs alliés, en particulier aux niveaux les plus élevés de la hiérarchie, ne croient tout simplement pas et ne toléreront pas. Même nos hommes politiques (des deux partis, soulignons-le), sont de plus en plus nombreux à s'en rendre compte. Ils savent qu'ils sont des représentants, et que ce ne sont pas des élus qui nous gouvernent, mais un bloc permanent de bureaucrates non-élus, isolés des résultats des élections, et ce à dessein.
Mais le vent est en train de tourner concernant les poursuites illégales de Julian Assange par le gouvernement américain. À l'automne dernier, les membres du Congrès James McGovern, démocrate représentant le Massachusetts, et Thomas Massie, républicain représentant le Kentucky, ont demandé à leurs collègues du Congrès de se joindre à eux dans un courrier appelant la Maison-Blanche de M. Biden à
" renoncer à la demande d'extradition des États-Unis actuellement en cours contre l'éditeur australien Julian Assange et à mettre fin à toutes les poursuites judiciaires à son encontre dans les plus brefs délais ".
Dans cette lettre, plusieurs membres du Congrès, tant républicains que démocrates, se sont joints à McGovern et Massie pour réaffirmer le bon sens qui veut que la loi sur l'espionnage ne soit pas utilisée
“pour punir journalistes et lanceurs d'alerte qui tentent d'informer le public sur des questions graves que certains responsables du gouvernement américain pourraient préférer garder secrètes”.
La lutte pour une société libre et ouverte se poursuit. Le 19 décembre, un tribunal fédéral de district a décidé que quatre Américains (les avocates Margaret Ratner Kunstler et Deborah Hrbek, les journalistes John Goetz et Charles Glass) qui ont rendu visite à M. Assange à l'ambassade d'Équateur peuvent intenter une action en justice contre la CIA et ses collaborateurs pour violation de leurs droits constitutionnels. Les quatre plaignants affirment que dans son obsession pour Assange, le gouvernement a violé leur droit constitutionnel à la vie privée en les espionnant et en recueillant leurs informations. Parallèlement, grâce aux efforts inlassables de la journaliste italienne Stefania Maurizi, des documents récemment publiés ont également montré que le gouvernement américain a surveillé de près les manifestations pro-Assange en Australie à la suite des publications de Wikileaks en 2010. Au fur et à mesure que nous en apprenons davantage, la situation ne cesse de se compliquer pour les États-Unis et les gouvernements à leur solde.
Jusqu'à présent, le gouvernement des États-Unis a largement réussi à dépeindre une image de Julian Assange et de Wikileaks déformée au point d'en être méconnaissable, en maintenant une propagande concertée pour empêcher la vague naturelle de soutien que susciterait une meilleure compréhension du cas de Julian Assange de la part des Américains. La vérité est que, s'ils comprenaient l'affaire, la plupart des Américains désapprouveraient vivement l'utilisation d'une loi sur l'espionnage vieille de plus de cent ans - largement condamnée par les juristes et les spécialistes de la liberté d'expression depuis des générations - pour poursuivre des activités journalistiques auxquelles les publications les plus respectées au monde ont également participé avec ardeur. Les principaux journaux qui ont collaboré avec Wikileaks sont le New York Times, le Guardian, Le Monde, El Pais et Der Spiegel. Ils ont depuis publié une lettre ouverte appelant le gouvernement américain à abandonner toutes les poursuites contre M. Assange.
Le travail journalistique d'Assange représente un défi lancé au paradigme dominant du discours public, dans lequel les masses sont biberonnées avec les seuls éléments d'information sélectionnés qui n'ébranleront pas sérieusement les récits du pouvoir de l'État et de l'entreprise. Nous sommes autorisés à voir des images spécifiques, à entendre des voix individuelles, à lire des documents particuliers. Grâce à Wikileaks et aux informations qu'il a publiées, Assange a renversé ce paradigme, en présentant une transparence radicale fondée sur l'idée que le public a réellement le droit de savoir ce que prépare dans le monde le groupe extrêmement restreint de personnes qui se nomment elles-mêmes nos gouvernements. Pour Assange et ses partisans, les partisans de la liberté de la presse et, plus largement, de la liberté de conscience et d'expression, le simple bon sens veut que le public ait le droit de savoir. Pour les grandes puissances du monde, les États-Unis en particulier, il s'agit d'une remise en cause inacceptable d'un système dans lequel des crimes d'une ampleur inimaginable peuvent être perpétrés en secret, à l'abri des regards et donc de l'examen et du débat démocratique.
Pour le gouvernement américain, le changement radical incarné par Assange pourrait littéralement changer le monde - il pourrait rendre le monde démocratique et libre en éveillant sa conscience. L'élite américaine ne peut se maintenir dans un monde libre, démocratique et conscient, et elle est bien assez habile pour le comprendre. L'émergence d'un Julian Assange constitue une menace existentielle pour le système, le système de pouvoir et de pensée dont il dépend. Il existe un truisme selon lequel la politique est en aval de la culture, et le projet Wikileaks s'attaque à notre acculturation, ce qui le rend plus dangereux pour la classe dirigeante . Assange et Wikileaks illustrent l'idée selon laquelle une culture qui se contente d'accepter la vérité et les positions de ceux qui détiennent le pouvoir est dangereuse : cela signifie qu'à l'ère de l'information, nous croirions ce qui se trouve devant nos yeux plutôt que ce que dit notre gouvernement, que les grands crimes des puissants sont restés impunis, et cela signifie également un manque de compréhension de nous-mêmes et de notre psychologie de la hiérarchie sociale et de la guerre.
Les barrières qui se dressent entre le peuple et une vision précise de l'empire américain sont en train de tomber. Elles tombent principalement parce que les barrières entre le peuple et l'information sur le monde sont tombées à des niveaux historiquement bas, avec l'avènement d'internet et l'environnement médiatique radicalement différent qu'il a engendré. Il est de plus en plus difficile de faire gober à la population le genre de mensonges qui pouvaient si facilement être acceptés à des époques révolues. Le gouvernement des États-Unis a dû recourir à des méthodes de manipulation psychologique plus astucieuses et plus sophistiquées, et il est d'ailleurs le premier au monde à développer et à mettre en œuvre ces moyens. Il est le leader mondial de la désinformation, et compte bien créer un récit culturel orwellien faisant de ses mensonges les seules vérités. Mais il n'y parviendra pas.
Il est impossible de comprendre correctement la façon dont les États-Unis traitent Julian Assange sans une théorie de classe et de pouvoir. Les mythes vivent en nous, notre immersion dans ces mythes nous oblige à recréer les hiérarchies de classe et de pouvoir dans lesquelles nous vivons nos vies. Dans le monde moderne, nous évoluons au sein d'institutions sociales et économiques d'une ampleur, de portée et de puissance inimaginables jusqu'à présent. Ces institutions et leurs comportements nous sont souvent incompréhensibles, et nous sommes soigneusement formés à ne pas les critiquer ni à remettre en question leur autorité. Mais considérez la perversité de la situation à laquelle cette attitude de déférence irréfléchie a conduit : les personnes responsables de guerres interminables et non déclarées, de la mort et de la destruction à des échelles que nous ne pouvons pas imaginer, échappent non seulement à toute responsabilité, mais voient leur carrière propulsée comme si leurs crimes représentaient de grandes avancées, tandis qu'un individu courageux a été puni pour avoir attiré l'attention sur ces crimes.
Le mois prochain, M. Assange comparaîtra une nouvelle fois devant la High Court, lors de sa dernière tentative pour contester l'ordre d'extradition de 2022 du gouvernement britannique. Lors d'une audience qui devrait durer deux jours, deux juges réexamineront la décision de la High Court de juin 2023 rejetant son dernier recours, et rouvrant ainsi la question de son appel. L'équipe juridique de M. Assange a exprimé l'espoir que la Cour européenne se saisisse de son dossier, mais cela est loin d'être acquis. Comme l'a récemment expliqué son avocate Jennifer Robinson, la vie de M. Assange est en jeu, car des années de persécution et de détention injustes ont fait des ravages dans son esprit et dans son corps. La déclaration de Mme Robinson rappelle la décision d'un tribunal britannique de 2021, qui a estimé à juste titre que “l'état mental de M. Assange est tel qu'il serait oppressif de l'extrader vers les États-Unis d'Amérique”. Le 15 janvier, dans son pays d'origine, l'Australie, une coalition multipartite d'hommes politiques a adressé une lettre au ministre de l'Intérieur britannique, James Cleverly, pour l’appeler à réexaminer le cas de M. Assange avant l'audience du mois prochain. Les députés affirment que
“le Royaume-Uni ne peut se contenter de s'appuyer sur les garanties données par un gouvernement étranger, il est tenu de procéder à une évaluation indépendante du risque de persécution avant de prendre une décision d'extradition du Royaume-Uni”.
Le gouvernement américain doit faire face à un défi de taille : la vérité contre la duplicité et le double langage. Julian Assange représente ce conflit. Comme l'a récemment fait remarquer Mme Maurizi, même 13 ans plus tard, les révélations de Wikileaks continuent d'informer le public de certains des crimes les plus graves commis par les États-Unis et les États sous leur emprise au niveau mondial. Il n'est pas certain qu'un fonctionnaire américain ait un jour à répondre de ces crimes. Cela semble peu probable. Les chefs militaires et des services de renseignement qui se sont succédé se sont parjurés pour tenter de couvrir ces actes répréhensibles, multipliant les tentatives de diversion contre les rares personnes qui, comme Assange, ont osé dire la vérité sur les meurtres et les destructions perpétrés dans le monde entier par les États-Unis et leurs vassaux.
La vérité, c'est qu'Assange et ce qu'il représente finiront par gagner, parce que la liberté, la démocratie et la transparence constitueront toujours des attentes de la part des êtres humains capables de réflexion. Si, en tant que collectivité internationale, nous autorisons l'extradition de Julian Assange vers les États-Unis, nous porterons un coup historique à la liberté de pensée, de conscience et d'expression. Ce sera une victoire pour les gouvernements et les entreprises abusifs et opaques du monde entier.
* David S. D'Amato est avocat, homme d'affaires et chercheur indépendant. Il est conseiller politique auprès de la Fondation Future of Freedom et contribue régulièrement à la rédaction de The Hill. Ses écrits ont été publiés dans Forbes, Newsweek, Investor's Business Daily, RealClearPolitics, The Washington Examiner et de nombreuses autres publications, tant populaires qu'universitaires. Son travail a été cité par l'ACLU et Human Rights Watch, entre autres.
https://www.counterpunch.org/2024/01/18/theres-no-free-press-without-a-free-assange/