👁🗨 Patrick Lawrence: "Ballons d'essai".
Les menaces sur le théâtre Pacifique sont la condition sine qua non de la prospérité perverse du complexe militaro-industriel - le lait maternel de General Dynamics, Raytheon, et tous les autres.
👁🗨 "Ballons d'essai".
Il semblerait que le Pentagone en ait lancé un autre.
Par Patrick Lawrence @thefloutist, le 3 février 2023
Réfléchissons un peu à l'annonce du Pentagone, rapportée dans les quotidiens de ce matin, selon laquelle un ballon de collecte de renseignements a été détecté dans l'atmosphère au-dessus du Montana, "très certainement en provenance de la République populaire de Chine", comme l'indique le communiqué du ministère de la Défense. Ce que nous savons ne peut nous conduire à des conclusions : il est prématuré d'en tirer la moindre déduction, et nous devons nous en abstenir précisément parce que la notion de responsabilité a pratiquement disparu de notre discours public, laissant des publications comme celle-ci parmi les rares gardiens de cette vertu.
Il n'est cependant pas trop tôt pour considérer les événements des dernières heures afin de nous préparer à ce qui nous sera dit dans les prochaines.
Cui bono ? se traduit par "A qui profite le crime ?". Ou, plus communément, "Qui en tire profit ? ". Cicéron a fameusement posé la question et l'a fait entrer dans notre lexique courant. Si vous y réfléchissez, il s'agit d'un artifice rhétorique utilisé lorsque les informations disponibles sur un événement donné sont limitées: le tout n'est pas visible. Il s'agit d'un exercice de remontée à la source en fonction du motif. Gardons cela à l'esprit. C'est une méthode d'enquête toute trouvée pour la situation qui nous occupe ce matin, car les informations dont nous disposons sur l'annonce du Pentagone ne peuvent en aucun cas être considérées comme exhaustives.
Si le Pentagone a proclamé sa certitude absolue quant à l'origine du ballon, son identification du ballon comme engin de surveillance s'apparentait à une affirmation, bien éloignée des certitudes. Une question déjà : pourquoi cette différenciation ? Ce point peut sembler subtil pour ceux qui ne savent pas comment écouter le gouvernement américain, mais il est significatif. La leçon à retenir ici est la suivante : analysez très soigneusement ce qui est dit.
Autres questions. Pourquoi, comme l'a rapporté le New York Times dans son article initial sur cet événement, le Pentagone a-t-il immédiatement cherché à minimiser la portée de sa propre annonce ? Cela m'est apparu comme un exercice d'endiguement délibéré, comme si l'intention de la Défense était de diffuser une nouvelle surprenante au public, tout en minimisant ses conséquences concrètes.
Voyons voir. Si le Pentagone a identifié un vaisseau espion au-dessus du Montana, où se trouvent 150 missiles balistiques intercontinentaux dans des silos - des missiles pointés vers le Pacifique - pourquoi ne l'a-t-il pas abattu ou appréhendé ? L'explication du Pentagone - et je vais en tirer une conclusion - est tout simplement trop bancale pour être valable.
Le Times a supprimé la citation du Pentagone de son reportage, mais la déclaration initiale était, pour paraphraser, la suivante : "Nous ne l'avons pas abattu parce que les débris auraient causé des dommages dans ‘ la zone des débris’", sans doute une référence à la zone où le ballon serait retombé sur terre. Les débris d'un ballon aérien présentaient un tel risque ? Cela ne tient pas la route. Un vaisseau espion a empiété sur la souveraineté des États-Unis et a survolé une vaste zone remplie de missiles balistiques intercontinentaux, et le Pentagone ne l'a pas intercepté ?
Non, désolé.
Résultat, nous ne verrons jamais le ballon et, selon toute vraisemblance, pas même une photo, un peu comme nous n'avons jamais vu de preuve des allégations hystériques et persistantes de cyber-sabotage russe pendant les années du Russiagate.
Ce sont là quelques-uns des faits dont nous disposons aujourd'hui et auxquels nous pouvons réfléchir.
Les informations les plus récentes, publiées à l'heure où j'écris, indiquent que l'armée de l'air a fait décoller des avions de chasse pour suivre le ballon dès mercredi, que la trajectoire du ballon a traversé les îles Aléoutiennes et traversé le Canada, que les Canadiens ont également détecté un ballon, qu'il y a peut-être eu plus d'un ballon, mais qu'il n'y a aucune menace, aucune, de part et d'autre de la frontière, pour la sécurité américaine ou canadienne.
J'ai été sidéré par la rapidité avec laquelle les choses se sont déroulées à Washington après l'annonce du Pentagone. Pour autant que je puisse en juger, ce n'est que quelques heures plus tard, et très probablement très peu de temps après, que le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy - sinophobe jusqu'au bout des ongles, qui prévoit maintenant de réitérer la visite imprudente de son prédécesseur à Taipei - a insisté publiquement pour que le président Biden réagisse à l'évolution de la situation.
Voyons les choses autrement. Si la Force aérienne disposait déjà mercredi d'avions en vol, il faut croire que la présence du ballon et la connaissance qu'en avait le Pentagone auraient été signalées aux gens du média de McCarthy bien avant les premiers reportages. Je suis enclin à suggérer, quoique prudemment, que l'appel de McCarthy à une action présidentielle a été soigneusement programmé pour coïncider avec les premiers titres du Times, du Washington Post et d'autres grands médias.
Et puis, coup de théâtre. Quelques heures après la prestation publique de McCarthy - un peu après 10 heures ce matin, heure de la côte Est - des responsables du département d'État ont annoncé qu'Antony Blinken avait annulé un voyage imminent à Pékin. Cette visite aurait été la première visite officielle d'un secrétaire d'État en Chine depuis quatre ans.
Dans une mise à jour datée de 11h01, le Times rapporte que Blinken a parlé de l'affaire du ballon à l'ambassade de Chine dès mercredi soir et que ce matin, heure de Washington, il a appelé Wang Yi, aprotesté contre la violation de la souveraineté américaine par la Chine, et annulé son projet de rencontrer Wang et d'autres hauts responsables chinois.
Hmmm. Le moment est-il venu de demander au plus haut diplomate américain de réagir ainsi ? L'intention déclarée de M. Blinken, lorsque ses plans ont été établis en novembre dernier, était d'apaiser les tensions. Maintenant, alors qu'un incident aérien exacerbe les tensions, il ne peut pas se rendre à Pékin parce que les tensions ont été exacerbées. Hmmm.
La Chine a réagi à l'annonce du Pentagone. Elle a d'abord été prudente, indiquant qu'elle ne savait pas encore ce qu'il en était de ce ballon, et a exhorté les Américains à éviter "la spéculation et le battage médiatique", et à aborder la question avec prudence. Cela a été rapporté dans le Times par Chris Buckley, un correspondant dont j'ai été le rédacteur en chef, et en qui je n'ai, je l'avoue, jamais eu confiance, et que j‘ai trouvé sournois.
Pékin, depuis, a conclu qu'il y avait bien un ballon d'origine chinoise au-dessus du Montana, et qu'il s'agissait d'un ballon météorologique qui avait dévié de sa trajectoire. Voici une partie de la déclaration officielle du ministère des Affaires étrangères vendredi en fin de matinée, heure de la côte Est :
Le dirigeable vient de Chine. Il s'agit d'un dirigeable civil utilisé à des fins de recherche, principalement météorologiques. Affecté par les vents d'ouest et avec une capacité d'autoguidage limitée, le dirigeable a dévié largement de sa trajectoire prévue. La Chine déplore l'entrée involontaire du dirigeable dans l'espace aérien américain pour cause de force majeure.
Tout simplement, si je peux me permettre. Digne, dûment excusé. Cela clarifie les incertitudes initiales du ministère des Affaires étrangères, à mon plus grand plaisir, mais pas à celui de Chris Buckley.
Le ballon surveillait-il simplement les conditions météorologiques, ou était-il en mission d'espionnage ? Il aurait pu s'agir de la seconde hypothèse. Je ne le sais pas, mais de nombreuses nations utilisent des ballons comme engins de surveillance à haute altitude : les États-Unis les utilisent, tout comme la France, une autre nation à la pointe de la technologie aéronautique.
Mais si tel était le cas, le Pentagone et les faucons de la Chine, si nombreux sur le terrain à Washington, n'auraient-ils pas fait beaucoup plus de vagues avec cet incident ? Pourquoi ce calme à Washington aujourd'hui ? L'U.S.A.F. n'aurait-elle pas fait plus que simplement observer la situation - plus ou moins passivement, semble-t-il ?
Maintenant il faut attendre la suite, dans l'espoir incertain que la suite viendra. Il se peut qu'il n'y en ait pas, dois-je ajouter. Il y a de fortes chances, à ce stade précoce, que l'incident fasse long feu et disparaisse comme tant d'autres de ce genre.
Pour l'instant, il nous reste la question du Cui bono. C'est une bonne question, et c'est peut-être la seule que nous pourrons jamais trancher.
Jusqu'à présent, le bilan final de cet incident est que le secrétaire d'État a annulé un sommet prévu à Pékin destiné à réduire les tensions. Il n'y aura donc pas de détente. Et M. Blinken n'a, semble-t-il, annoncé aucun nouveau projet de date. Le "reporté" du Département d'État est maintenant "annulé".
Le cui de ce bono va pour l'instant au Pentagone.
Il y a depuis longtemps des tensions entre généraux et diplomates sur toutes les questions relatives à la politique américaine vis-à-vis de la Chine et de l'ensemble du Pacifique. Il ne faut pas sous-estimer l'ampleur de ce conflit, ni l'importance que le Pentagone, en particulier, y accorde. La Défense et tous les entrepreneurs du secteur de la défense voient dans les tensions transpacifiques le filon mère de leur perpétuelle obsession des "menaces" pour l'Amérique. Les menaces sur le théâtre Pacifique sont la condition sine qua non de la prospérité perverse du complexe militaro-industriel - le lait maternel de General Dynamics, Raytheon, et tous les autres.
Dans ce contexte, le Pentagone semble avoir remporté une grande victoire, même si je n'arrive pas à imaginer pourquoi un diplomate inefficace comme Anthony Blindent serait une source d'inquiétude pour les cliques de la défense. Il a fait peu de choses dans le Pacifique, et rien du tout avec les Chinois.
Dans un premier temps, je ne peux pas dire mieux.