đâđš Patrick Lawrence : "Criminalisation de la dissidence".
Biden : "Notre message est que le journalisme n'est pas un crime.â Qui s'est levĂ© pour dire : "Monsieur le PrĂ©sident, vous avez volĂ© le slogan de la dĂ©fense mondiale de Julian Assange." Personne.
đâđš "Criminalisation de la dissidence".
Avec complicité des journalistes.
Par Patrick Lawrence, le 1er mai 2023
30 AVRIL - Depuis que Fox News a dĂ©mis Tucker Carlson de ses fonctions de premier prĂ©sentateur du journal tĂ©lĂ©visĂ© du soir Ă la fin du mois dernier, j'ai lu beaucoup de calomnies. Comment aurais-je pu ne pas le faire ? Il y en avait partout, et de nouvelles dĂ©jections sont projetĂ©es sur Carlson Ă l'heure oĂč nous parlons. Mon article prĂ©fĂ©rĂ© dans ce domaine est celui de The American Prospect. L'article de la semaine derniĂšre s'intitulait "Adieu Ă un fanfaron nĂ©o-nazi". Carlson, voyez-vous, est un "nĂ©ofasciste", veut nous faire savoir la TAP.
Quelle hyperbole creuse ! Ces jours-ci, les mĂ©dias grand public ne comptent que bien peu de tĂȘtes pensantes. Avec quelle dĂ©sinvolture nos mĂ©dias libĂ©raux avilissent la langue anglaise. Il est difficile de prendre au sĂ©rieux des journalistes qui attaquent un autre journaliste parce que ses opinions ne correspondent pas aux leurs.
Que pouvons-nous apprendre de toutes ces dénonciations désordonnées publiées chaque jour ? Que nous apprennent-elles sur la situation difficile des esprits indépendants dans le journalisme - et quoi que vous pensiez de Carlson, il en est doté - et, par extension, sur le journalisme indépendant dans son ensemble?
Ă mon avis, les mĂ©dias indĂ©pendants subissent un Ă©tat de siĂšge qui s'est considĂ©rablement aggravĂ© ces derniers temps. Bien qu'il ait travaillĂ© pour une chaĂźne cĂąblĂ©e dĂ©tenue par une entreprise, je considĂšre que le sort de Carlson est symptomatique de l'intensification des attaques contre tous les mĂ©dias qui s'Ă©cartent de l'orthodoxie de plus en plus rigoureusement appliquĂ©e par l'Ătat de sĂ©curitĂ© nationale.
La semaine Ă©coulĂ©e a apportĂ© de sinistres nouvelles sur la dĂ©termination des Ă©lites politiques et des mĂ©dias grand public en proie Ă une profonde insĂ©curitĂ© Ă Ă©touffer la dissidence de toutes parts. Il convient d'ĂȘtre extrĂȘmement vigilant. Il ne s'agit plus seulement de la grogne de quelques journalistes indĂ©pendants comme votre chroniqueur. Tout est en jeu, jusqu'Ă notre façon de vivre et de penser.
Si l'on fait abstraction de toutes les saletés qui font de Carlson le Belzébuth de notre profession, les remarques que je garde à l'esprit sont d'un autre ordre. Diana Johnstone, l'éminente européiste qui correspond depuis Paris depuis des décennies, a envoyé un bref message aprÚs l'annonce de Fox, qualifiant Carlson de "derniÚre voix libre de la télévision grand public". Je me suis demandé si j'étais d'accord, puis j'ai décidé que je l'étais.
"L'animateur de tĂ©lĂ©vision a payĂ© le prix fort parce qu'il a tentĂ© l'impossible : faire le grand Ă©cart entre mĂ©dias d'entreprise et journalisme critique", a Ă©crit la semaine derniĂšre sur son blog Jonathan Cook, pour qui j'ai la mĂȘme estime que pour M. Johnstone. âIl a exposĂ© les AmĂ©ricains ordinaires Ă des points de vue critiques, en particulier sur la politique Ă©trangĂšre des Ătats-Unis, qu'ils n'avaient aucun espoir d'entendre ailleurs - et certainement pas dans les mĂ©dias d'entreprise dits "libĂ©raux" comme CNN et MSNBC. Et il l'a fait tout en ridiculisant constamment la collusion crapuleuse des mĂ©dias avec ceux qui sont au pouvoir".
Johnstone et Cook partagent un point essentiel. Il ne s'agit pas d'ĂȘtre d'accord avec tout ce que Tucker Carlson a dit dans "Tucker Carlson Tonight", son Ă©mission du soir sur le cĂąble. Ils ne sont pas d'accord, et je ne le suis pas non plus. Il s'agit de la prĂ©sence de voix indĂ©pendantes dans le journalisme amĂ©ricain. Et câest la voix que Carlson a fait entendre depuis que Fox lui a donnĂ© un crĂ©neau en prime time en 2016.
Force est de constater que ceux qui célÚbrent le plus bruyamment le licenciement de Carlson sont d'autres journalistes. Ils le font en le qualifiant de néofasciste, de crypto-nazi ou autre. Et ceci a pour effet de transformer l'affaire Carlson en une question gauche-droite. Je ne connais pas Carlson, mais je connais des gens qui le connaissent. Les épithÚtes mentionnées n'appellent aucun commentaire. La seule façon de s'en tirer en le traitant de raciste - autre accusation courante - est d'adhérer à l'idée absurde que tous les Blancs sont racistes parce qu'ils sont Blancs.
Non, les innombrables larbins qui travaillent pour les mĂ©dias d'entreprise en veulent Ă Tucker Carlson dâavoir adoptĂ© des positions qui leur sont interdites. Parmi celles-ci, Carlson s'oppose Ă la guerre en Ukraine, au complexe militaro-industriel, aux opĂ©rations secrĂštes de coup d'Ătat Ă Cuba et ailleurs, aux subterfuges de Washington aux Nations unies, et au projet impĂ©rialiste amĂ©ricain dans son ensemble. Carlson a pris le rapport de Seymour Hersh sur l'opĂ©ration secrĂšte du rĂ©gime de Biden visant Ă dĂ©truire les gazoducs Nord Stream pour ce qu'il est : un tour de force rĂ©alisĂ© par le meilleur journaliste d'investigation de notre temps. Les journalistes payĂ©s par les entreprises dĂ©testent Carlson pour ce genre de choses. Et jj'imagine qu'il y a beaucoup d'envies subliminales liĂ©es aux performances professionnelles de Tucker Carlson au fil des ans.
Il ne s'agit pas d'une question gauche-droite. Il n'y a plus grand-chose qui le soit, principalement parce qu'il n'y a plus de gauche en Amérique pour permettre des questions droite-gauche . Je ne considÚre pas Carlson comme un idéologue. Je le vois comme un esprit indépendant qui fait son chemin, qui a raison sur beaucoup de choses, et tort sur beaucoup d'autres.
Jonathan Cook, Glenn Greenwald et d'autres ont dit tout ce qu'il y avait à dire sur le sort de Tucker Carlson à Fox News. Je m'y intéresse avant tout pour motif de crime entre journalistes. Il ne s'agit pas non plus d'une question droite-gauche. C'est une question de pensée indépendante et de perspectives dissidentes, et de ceux qui sont totalement responsables de leur suppression. Le cas de Tucker Carlson est trÚs médiatisé et rendu complexe par la place qu'occupe Fox News parmi les médias détenus par les entreprises. Observons d'autres développements pour une image plus complÚte de ce qui s'apparente à une guerre de plus en plus intense pour le contrÎle du "récit" et, plus avant, pour celui de nos esprits.
"Le licenciement de Tucker Carlson révÚle à quel point les médias ont peur des journalistes indépendants", a titré Jonathan Cook sur son blog la semaine derniÚre. EntiÚrement vrai, mais les médias (un nom pluriel, d'ailleurs) ne sont pas les seuls à avoir peur aujourd'hui.
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Depuis qu'Elon Musk a commencĂ© Ă publier les Twitter Files en dĂ©cembre dernier, je me suis demandĂ© comment l'Ătat chargĂ© de la sĂ©curitĂ© nationale - et, par extension, la presse et les organismes de radiodiffusion grand public, Ă©tant donnĂ© que la frontiĂšre entre les deux est dĂ©sormais pratiquement inexistante - parviendrait Ă dĂ©tourner les rĂ©vĂ©lations extraordinaires que contiennent les Twitter Files. Nous avons maintenant une plateforme de rĂ©seaux sociaux de la Silicon Valley prise en flagrant dĂ©lit de collaboration avec le F.B.I., le dĂ©partement de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, et la C.I.A. pour faire taire les voix dissidentes dans le marĂ©cage putride qu'Ă©tait devenu Twitter. L'intervention secrĂšte du gouvernement constitue une violation flagrante du Premier Amendement, et je suis sĂ»r que ce soit la seule violation de la loi.
La National Public Radio a tenté de transformer l'affaire en une revanche de la droite de Musk sur les libéraux - une affaire gauche-droite, encore. Le New York Times a adopté une position par défaut et a ignoré la nouvelle du mieux qu'il a pu. D'autres médias lui ont emboßté le pas. Bien que j'aie de trÚs nombreux amis libéraux à ne pas avoir la moindre idée de l'existence des Twitter Files, ou qui n'ont qu'une vague idée de ce qu'ils contiennent, ces satanées choses continuent d'arriver.
à la mi-avril, c'est Mehdi Hassan qui est venu à la rescousse. Hassan, qui a l'habitude de ce genre de choses, a pris l'antenne sur MSNBC pour (1) déformer les reportages de Matt Taibbi sur les Twitter Files, nombreux à ce jour, et (2) dénoncer Taibbi sur la base de déformations, celles de Hassan. Puis une obscure députée des ßles Vierges américaines, Stacey Plaskett, reprend le (mauvais) reportage de Hassan, et demande que Taibbi soit jugé pour parjure, pour faux témoignage à propos des Twitter Files lors de sa comparution sous serment devant le CongrÚs le 9 mars dernier.
Certains dĂ©tails sont difficiles Ă croire. Mme Plaskett affirme que M. Taibbi s'est parjurĂ© sur la base d'une erreur mineure contenue dans un tweet envoyĂ© aprĂšs son tĂ©moignage. L'erreur ne se trouvait pas dans le tĂ©moignage lui-mĂȘme, mais peu importe : nous voulons que Taibbi soit accusĂ© de parjure, et nous l'aurons. Lee Fang, le journaliste perspicace qui a rĂ©cemment quittĂ© The Intercept (une sage dĂ©cision) pour lancer sa propre lettre d'information Substack, a depuis rĂ©vĂ©lĂ© que la lettre de Plaskett Ă Taibbi, dans laquelle elle le menaçait de passer jusqu'Ă cinq ans en prison, avait Ă©tĂ© rĂ©digĂ©e par du personnel travaillant pour Hakeem Jeffries, le chef de la minoritĂ© de la Chambre des reprĂ©sentants, et Jerry Nadler, un dĂ©mocrate de toujours qui a dĂ©jĂ prĂ©sidĂ© la commission judiciaire de la Chambre des reprĂ©sentants.
Il sâagit d'une affaire dâimportance, semble-til.
Le plus difficile Ă croire est le comportement de Mehdi Hassan lorsqu'il a dĂ©clenchĂ© cette mascarade. Un vrai voyou. Mais que peut-on attendre d'un jeune homme qui s'est frayĂ© un chemin dans le courant dominant, se prĂ©sentant comme le musulman mascotte des libĂ©raux orthodoxes, parfaitement prĂȘt Ă accomplir la sale besogne ? Le relais entre Hassan et Plaskett me pousse Ă croire que nous venons d'assister Ă une collusion Ă peine camouflĂ©e. J'aurais trois choses Ă dire Ă ce sujet. Non, quatre.
PremiĂšrement, ce que font Hassan et Plaskett correspond au mĂȘme type de scĂ©nario que les fuites de courrier du Parti dĂ©mocrate en juillet 2016 : Traquer le messager, s'attarder sur lui sans relĂąche dans les articles, et ignorer au maximum ce que le messager rend public. Des fonctionnaires et des journalistes - de hauts fonctionnaires comme le secrĂ©taire d'Ătat Antony Blinken, des journalistes chevronnĂ©s comme David Sanger du Times - participent aujourd'hui Ă des jeux de rĂŽle Ă l'Institut Aspen, oĂč les premiers apprennent aux seconds Ă centrer leur couverture sur l'auteur de la fuite, et non sur ce qui a Ă©tĂ© divulguĂ©.
Le cas de Tucker Carlson s'inspire directement de ce modÚle. Vous ne verrez rien sur les opinions qu'il a exprimées à l'antenne, mais seulement qu'il est raciste. Avez-vous lu beaucoup de choses sur le contenu des Twitter Files ? Pas plus. Je m'interroge donc : lirons-nous bientÎt que Matt Taibbi a des penchants racistes ?
DeuxiÚmement, Hassan et Plaskett, ainsi que les cliques démocrates qui les soutiennent, en veulent aux fesses de Matt Taibbi pour avoir dénoncé la collusion entre réseaux sociaux et diverses composantes du gouvernement - et nous donnent ainsi un exemple éloquent, mais précis, de collusion entre un média et le gouvernement. Vous voulez savoir comment fonctionne la corruption révélée dans les Twitter Files ? (Hassan, Plaskett et l'establishment démocrate viennent de vous le montrer.
TroisiÚmement, Medhi Hassan travaille pour MSNBC, mais bon sang, j'aimerais bien savoir pour qui d'autre il travaille. Il est temps de leur poser ce genre de questions. Tous ceux qui savent comment les médias américains ont collaboré pendant la guerre froide avec le pouvoir politique et administratif apprécieront cette démarche.
QuatriÚmement, et le pire pour la fin. Le CongrÚs menace Matt Taibbi d'une peine de prison pour son travail parfaitement honorable : rien n'est plus grave si l'on considÚre les implications pour la liberté d'expression, la pratique d'un journalisme respectueux des principes, et l'avenir de notre débat public dans son ensemble. Voilà ce qui résulte du refus de la presse traditionnelle de défendre Julian Assange contre les accusations tout aussi bidon qui ont été portées contre lui.
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J'Ă©tais Ă l'Ă©tranger lorsque l'Ă©diteur de ScheerPost, Bob Scheer, m'a Ă©crit pour m'informer de "la croisade hystĂ©rique du New York Times contre ce lanceur dâalerte de l'armĂ©e de l'air", faisant rĂ©fĂ©rence Ă Jack Teixeira, le garde national de l'armĂ©e de l'air actuellement jugĂ© pour espionnage, pour avoir partagĂ© des documents classifiĂ©s du Pentagone avec un groupe d'accros aux jeux vidĂ©o dont il fait partie. "Câest la mĂȘme tactique que celle utilisĂ©e par les dĂ©tracteurs d'Ellsberg, que le Times a publiĂ© il y a un demi-siĂšcle, qui consiste Ă tirer sur le messager, Ă dĂ©nigrer un lanceur d'alerte tout en ignorant son message. Ils ont dĂ©raillĂ©".
Dérailler, façon de parler. Et la référence à Daniel Ellsberg illustre bien la distance à laquelle le journal de référence s'est éloigné de ce que l'on peut légitimement appeler le journalisme. L'infortuné Teixeira est apparemment un lanceur d'un genre particulier, d'accord. Mais alors qu'autrefois le Times (ainsi que le Washington Post) travaillait en secret avec l'homme qui a offert au monde les Pentagon Papers, ces deux quotidiens viennent d'affecter des journalistes non pas à la rédaction d'analyses exhaustives des documents qu'il a divulgués, mais à la recherche de l'auteur de la fuite, et à la collaboration effective avec la chasse à l'homme menée par le FBI.
Le Boston Globe nous donne un bon aperçu du rĂŽle du Times dans la chasse au messager dans cette affaire. Naturellement, nous lisons maintenant que Teixeira s'avĂšre ĂȘtre un raciste enclin Ă la violence. Mais bien sĂ»r. Que ferait le rĂ©gime Biden si des "extrĂ©mistes de droite" ne se cachaient pas sous chaque lit amĂ©ricain ?
Les documents que Teixeira a rendus publics concernaient la vision pessimiste du Pentagone sur la guerre en Ukraine et sur d'autres sujets. Nous n'en avons lu que des bribes et seulement des bribes, rien de plus. Des personnes qui ont analysé l'affaire m'ont dit que le Times avait pris soin de sélectionner tous les documents reflétant une image négative de la Chine, tout en laissant de cÎté beaucoup d'autres.
Le coupable dans cette affaire est la confĂ©rence de presse diffusĂ©e par PBS depuis le Pentagone aprĂšs l'arrestation de Teixeira. Un pur et simple show. Les journalistes prĂ©sents, qui s'adressaient au porte-parole du ministĂšre de la dĂ©fense, ne voulaient pas savoir grand-chose sur le contenu des documents de Teixeira, ni sur ce que le ministĂšre de la dĂ©fense avait Ă dire Ă leur sujet. Non, ils ont demandĂ© avec insistance ce que l'armĂ©e allait faire pour empĂȘcher de telles fuites Ă l'avenir.
Pensez-y. Les fuites doivent ĂȘtre stoppĂ©es, disent ces robots dans la salle. Qu'allez-vous faire pour les arrĂȘter ?
Glenn Greenwald met à disposition un montage soigné de l'enregistrement de la conférence de presse via son programme System Update. Vous pouvez le visionner ici.
Stacey Plaskett a eu le culot de qualifier Matt Taibbi de "soi-disant journaliste". Voilà ce que sont ces gens. Des crapules à deux balles qui peuplent les bas-fonds de la deuxiÚme guerre froide, à mesure que notre discours se réduit, pour s'adapter à une monoculture de l'information.
Les journalistes - c'est ce que jâen retiens ici - ont fondamentalement changĂ© la fonction de la profession. Ils n'ont mĂȘme plus la prĂ©tention d'ĂȘtre indĂ©pendants des pouvoirs qu'ils sont censĂ©s couvrir. Ils sont dĂ©sormais ouvertement les commis des cliques politiques et administratives dont ils "parlent". Ils donnent l'impression de penser que c'est lĂ leur rĂŽle propre.
Sachez-le, chers lecteurs. Réfléchissez à ce que cela signifie pour le monde dans lequel vous vivez, et vous vous déplacez.
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Et vous qui pensiez que le Russiagate avait enfin disparu.
C'est ce que j'ai écrit en août dernier, lorsque le Parti socialiste du peuple africain, l'APSP, s'est retrouvé pour la premiÚre fois en difficulté avec le ministÚre de la Justice pour avoir agi au nom de la Russie en tant qu'"agent étranger", ce qui est une prétention grotesque. à l'époque, le ministÚre de la Justice avait signalé un certain Aleksandr Viktorovich Ionov, un Russe de 32 ans, dont il semble qu'il ait rencontré des membres de l'APSP et de son organisation connexe, le "Uhuru Movement", basés en Floride et dans le Missouri et vivant trÚs modestement, pour ne pas dire pire. Aucun des deux groupes n'a été formellement inculpé l'été dernier, mais le ministÚre de la justice a néanmoins affirmé qu'ils étaient coupables de "semer la discorde", "d'exacerber les griefs" et "de créer dissensions et divisions".
Je pense qu'il n'est pas nécessaire de rappeler aux lecteurs que semer la discorde, accroßtre les griefs et créer dissensions et divisions sont des actes tout à fait légaux au regard de la Constitution. Pour ma part, je pense qu'il s'agit de trois excellentes initiatives - patriotiques, en fait - compte tenu de l'état de notre république délabrée. Quoi qu'il en soit, semer la discorde en Amérique en 2023, c'est comme transporter du sable au Sahara.
Ă la fin du mois dernier, le procureur gĂ©nĂ©ral Merrick Garland a Ă©tendu les accusations portĂ©es contre Ionov - une cible symbolique, aprĂšs tout - Ă quatre membres de l'APSP, dont Omali Yeshitela, le fondateur virulent du groupe. Ils sont accusĂ©s d'avoir "instrumentalisĂ© nos droits au Premier Amendement", selon les termes de l'assistant du procureur gĂ©nĂ©ral Matthew Olsen, "pour diviser les AmĂ©ricains et interfĂ©rer dans les Ă©lections aux Ătats-Unis ". Qu'en est-il ? Le Premier Amendement a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© pour servir d'arme, M. Olsen - et contre des gens comme vous.
Si vous n'ĂȘtes pas encore Ă©pouvantĂ©, lisez la suite. Vous allez y arriver.
Avant d'aller plus avant, une chose doit ĂȘtre clairement Ă©noncĂ©e. J'ai cru comprendre que l'APSP et le "Uhuru Movement" acceptaient de temps Ă autre de petites sommes de la part de Ionov et les investissaient - des centaines de dollars dans certains cas, des milliers dans d'autres - dans leurs divers programmes en faveur des Afro-AmĂ©ricains. Si tel est le cas, ces groupes ont commis une grave erreur. Aussi dĂ©sespĂ©rĂ© que l'on puisse ĂȘtre, aussi nettes que soient les interfĂ©rences dans les contributions, on ne les accepte pas si elles proviennent d'une puissance Ă©trangĂšre - et certainement pas de la Russie, Ă©tant donnĂ© la frĂ©nĂ©sie de russophobie qui s'empare actuellement de nous. Ce serait non seulement faire preuve de manque de discernement, mais cela fragiliserait Ă©galement ces groupes dans leur lutte contre le gouvernement.
Cette affaire empeste la rĂ©pression illĂ©gale, mais depuis quand cela signifie-t-il que le ministĂšre de la Justice n'obtiendra pas gain de cause ? "Le ministĂšre n'hĂ©sitera pas Ă dĂ©noncer et Ă poursuivre ceux qui sĂšment la discorde et corrompent les Ă©lections amĂ©ricaines au service d'intĂ©rĂȘts Ă©trangers hostiles", a dĂ©clarĂ© M. Olsen dans le communiquĂ© de presse du ministĂšre, "que les coupables soient citoyens amĂ©ricains, ou ressortissants Ă©trangers rĂ©sidant Ă l'Ă©tranger".
Les nouvelles accusations portĂ©es contre des citoyens amĂ©ricains sont passibles d'une peine maximale de 10 ans ; trois des membres de l'APAP inculpĂ©s pourraient Ă©coper de cinq ans supplĂ©mentaires s'ils sont reconnus coupables d'avoir agi en tant qu'"agents Ă©trangers" et de ne pas s'ĂȘtre dĂ©clarĂ©s en tant que tels.
Il y a plusieurs façons de considérer cette affaire. La premiÚre est de considérer le recours cynique de la Justice à un petit groupe d'activistes plus ou moins impuissants à se défendre contre une force aussi puissante que le gouvernement fédéral. Pour vous donner une idée de l'identité de ces personnes, voici un extrait de ce que j'ai écrit dans le commentaire de l'été dernier :
Le Parti socialiste populaire africain et le "Uhuru Movement" célÚbrent cette année [2022] leur demi-siÚcle d'existence et reflÚtent la pensée qui prévalait à l'époque de leur fondation : le panafricanisme, une perspective internationaliste sur la race et la géopolitique, le non-alignement, une ligne politique marxiste. Uhuru signifie liberté en swahili. ... Parmi les principaux représentants du socialisme africain figurait Julius Nyerere, l'ùme la plus tendre parmi les dirigeants imposants de l'"Úre de l'indépendance" - Nyerere, N'Krumah, Nasser et Nehru, ainsi que Sukarno, Lumumba et bien d'autres encore. ...
Ces personnes agiraient-elles soudainement pour le compte des Russes ? Lùchez l'affaire. Ce cas relÚve de la cruauté pure et simple, quel que soit le nom qu'on veuille bien lui donner.
L'autre façon de réfléchir à la derniÚre décision du procureur général Garland est de prendre en compte les implications plus larges. Je ne pense pas que Garland et ses assistants se soucient de l'APSP ou du "Uhuru Movement". Ils ont choisi de s'en prendre à eux précisément parce qu'ils sont insignifiants. Le ministÚre de la Justice est à l'affût de toutes les implications, c'est-à -dire des précédents juridiques. Garland et Olsen utilisent ces deux groupes pour établir qu'il est possible de poursuivre en justice le fait de semer la discorde et tout le reste, une fois cette affaire terminée, en tant qu'acte illégal.
à premiÚre vue, il ne s'agit pas d'une affaire concernant les journalistes et leurs éditeurs. Mais ce que cela implique pour les journalistes indépendants et le journalisme indépendant est évident, aprÚs brÚve réflexion.
Je lis des articles sur cette affaire dans divers médias indépendants - sur le site web de Caitlin Johnstone, sur le site web de Monthly Review (ce bon vieux MR), et j'en entends parler sur le System Update de Glenn Greenwald. Greenwald, qui a suivi une formation de juriste constitutionnel, est trÚs compétent sur ce type de sujets.
Je ne lis rien à ce sujet dans la presse grand public, à l'exception d'un article du Washington Post qui se garde bien d'évoquer les conséquences de l'affaire pour la liberté d'expression et le journalisme. Ce silence est indéfendable. Il rend les médias détenus par des entreprises complices, rien de moins, alors que les autorités chargées de faire respecter le Premier Amendement le profanent au motif ridicule que semer la discorde dans notre nation discordante serait en quelque sorte un crime.
Est-ce que je sÚme la discorde dans ces paragraphes ? La question semble absurde, mais il y a maintenant des raisons de la poser - ce qui est également absurde.
Greenwald qualifie le procĂšs intentĂ© par le ministĂšre de la Justice contre l'APSP de "criminalisation de la dissidence". Câest ainsi que nous devrions le comprendre. Je suis toujours favorable Ă ce que les choses soient correctement identifiĂ©es, Ă ce que la nomenclature soit correcte, car c'est le premier pas vers une bonne comprĂ©hension. La dissidence pour le plaisir n'est pas l'objectif. La dissidence pour la nĂ©cessitĂ© de la dissidence est le but.
Note de bas de page : Joey Biden a du culot ces derniers temps. Lors du dĂźner des correspondants de la Maison Blanche, samedi soir dernier, le prĂ©sident a demandĂ© aux Russes de libĂ©rer Evan Gershkovich, le journaliste du Wall Street Journal arrĂȘtĂ© dans une ville industrielle de fabrication d'armes dans l'Oural, au dĂ©but du mois dernier. La chute de Biden : "Notre message est que le journalisme n'est pas un crime.â Comme me l'a demandĂ© quelqu'un qui m'est cher, "un seul de ces correspondants s'est-il levĂ© pour dire : 'Monsieur le PrĂ©sident, vous avez volĂ© le slogan de la dĂ©fense mondiale de Julian Assange, et qu'en est-il d'Assange'?â Pas mĂȘme un seul : les correspondants ne font plus ce genre de choses.
Recherches et informations complémentaires par Cara Marianna.