👁🗨 Patrick Lawrence: De nouvelles et fumeuses manœuvres du côté du Pacifique
Après un demi-millénaire de domination du monde atlantique, l'Occident se fait donner une leçon par les non-Occidentaux. Cela nous montre l'heure qu'il est sur l'horloge de l'histoire.
👁🗨 De nouvelles et fumeuses manœuvres du côté du Pacifique
📰 Par Patrick Lawrence*, Spécial Consortium News, le 16 novembre 2022
J'ai cessé de m'étonner de la stupidité avec laquelle l'administration Biden mène sa diplomatie avec la Chine et, par extension, avec l'Asie tout entière. Je passe maintenant mon temps à être sidéré par la bêtise dont ces gens font preuve à l'égard des Chinois et des autres Asiatiques.
Presque à mi-chemin de son mandat - et espérons qu'il n'y en aura pas d'autre - l'homme de Scranton a finalement rencontré le président chinois Xi Jinping lundi pour discuter de la nature de la relation la plus importante entre deux nations dans le monde.
Ce premier face à face depuis le début de la présidence de Joe Biden intervient après bientôt deux années de dérive diplomatique au cours desquelles les États-Unis ont intensifié la menace d'un conflit ouvert, provoqué sans cesse les Chinois sur la question de Taïwan, et où la brochette d'incompétents de l'administration multiplie les cafouillages. Pendant tout ce temps, Pékin a consolidé un large éventail de liens avec des nations non occidentales dans la cause déclarée d'un nouvel ordre mondial.
Je ne pense pas que quoi que ce soit d'important ait été réalisé lors de la rencontre entre Biden et Xi juste avant la session du Groupe des 20 à Bali cette semaine. Bien sûr, on aurait pu faire beaucoup mieux, compte tenu de la détérioration des relations bilatérales, mais Biden a prouvé une fois de plus qu'il n'était pas à la hauteur. Il semble avoir pensé que les Chinois seraient trop stupides pour remarquer que lui et son administration sont effectivement paralysés, comme un troupeau de cerfs pris dans la lumière des phares.
Notre époque exige des hommes et des femmes d'État américains qu'ils fassent preuve d'imagination, de créativité et même de courage pour réagir à une nouvelle ère et à de nouvelles perspectives géopolitiques. Mais ceux qui voguent sur le navire de l'État américain, du président au fond de cale, n'ont ni imagination, ni créativité, ni courage. Tout ce qu'ils savent faire, c'est réitérer leurs positions passéistes en attendant que l'autre camp réagisse.
C'est ce que Xi a obtenu à Bali lundi. Rien de plus. Rien n'a changé, rien de conséquent ne s'est produit.
Il était assez facile de voir venir cette insignifiance, ce détachement des réalités, lorsque Biden et ses collaborateurs ont annoncé le sommet de Bali la semaine dernière. L'Amérique propose de "construire un socle relationnel", ont déclaré les officiels. L'objet de la rencontre était de "fixer les attentes". Les deux parties doivent "tracer des lignes rouges", a déclaré M. Biden lors d'une conférence de presse mercredi dernier, "et déterminer si elles" - les lignes rouges de la Chine et de Washington - "entrent en conflit les unes avec les autres. Et si c'est le cas, comment les résoudre et les régler."
▪️ Une rhétorique à bout de souffle
Qu'y a-t-il de constructif dans ces différentes remarques, qu'est-ce que la partie américaine a proposé de réaliser à Bali ? Tout cela n'est que du vent, de la rhétorique à bout de souffle, et la volonté persistante d'éviter d'aborder sérieusement la relation sino-américaine.
C'est ce que je désigne par le terme “paralysie”. Les responsables américains n'ont rien à dire lorsqu'ils s'expriment de l'autre côté du Pacifique, et ne s'expriment donc que dans le langage ouaté de la dissimulation. La diplomatie de la non-diplomatie, comme je l'ai déjà appelée.
Le franc-parler - toujours couvrir un handicap en le revendiquant comme une force - était un autre thème récurrent dans la période précédant l'élection. Jake Sullivan, le conseiller de Biden pour la sécurité nationale, a déclaré lors d'un point presse jeudi dernier : "Le président pourra s'asseoir dans la même pièce que Xi Jinping, être direct et franc avec lui comme il l'a toujours fait, et attendre la même chose en retour de Xi." J'adore le "comme il l'a toujours fait".
Et puis le Big Guy, comme Hunter Biden appelait son “Pop” quand il distribuait les pots-de-vin pendant la vice-présidence de ce dernier, a dit : "Je connais Xi Jinping..... J'ai toujours eu des échanges directs avec lui..... Il n'y a guère de malentendus entre nous. Nous devons juste déterminer quelles sont les lignes rouges".
Tout cela semble avoir été calculé pour donner l'impression qu'il existe une série de nouveaux problèmes entre Pékin et Washington, et que Biden est arrivé pour les résoudre.
Les résoudre ? Refuser de créer un terrain d'entente dans les relations sino-américaines a été l'élément constitutif de la politique américaine depuis l'arrivée au pouvoir du régime Biden en janvier 2021. Depuis ce jour, la Chine a clairement exprimé des attentes parfaitement raisonnables, et a tracé toutes les lignes rouges dont elle avait besoin, pour voir Washington ignorer ces attentes, ces lignes rouges et tout ce que les Chinois avaient à dire.
Quant au franc-parleur Biden, il vire au numéro de grand guignol. Pense-t-il, ainsi que ses collaborateurs, que les Chinois ne savent pas qu'ils ont affaire à un menteur invétéré, puisqu'ils ont été confrontés à de nombreuses faussetés et élucubrations de Biden - notamment, mais pas uniquement, sur la question de Taïwan?
Je ne vois pas très bien pourquoi cette campagne de relations publiques était nécessaire à ce stade. Lors de la conférence de presse de mercredi dernier, Biden a affirmé avec une droiture évidente qu'il ne ferait "aucune concession fondamentale" à la Chine sur la question de Taïwan. À part ça, Mme Lincoln...
Xi a été franc, comme toujours, lorsqu'il a été question de Taïwan. "La question de Taïwan est au cœur même des intérêts fondamentaux de la Chine, le socle de la fondation politique des relations sino-américaines, et la première ligne rouge à ne pas franchir dans les relations sino-américaines", a déclaré Xi selon un rapport de Xinhua. "La résolution de la question de Taïwan est une question qui concerne les Chinois et les affaires intérieures de la Chine".
On ne peut pas faire plus clair, n'est-ce pas ? Et Biden ?
"Biden a déclaré qu'il a souhaité assurer à Xi que la politique américaine à l'égard de Taïwan, qui a consisté pendant des décennies à soutenir à la fois la position d'"une Chine unique" de Pékin et l'armée taïwanaise, n'avait pas changé", rapporte Reuters depuis Nusa Dua, la ville balinaise où le G20 s'est réuni mardi. "Il a déclaré qu'il n'y avait pas besoin d'une nouvelle guerre froide".
On ne peut pas faire plus brumeux. Biden a déclaré à quatre reprises depuis son entrée en fonction que les États-Unis défendront militairement Taïwan en cas de conflit ouvert entre l'île et le continent - une répudiation pure et simple de l'engagement de longue date de Washington en faveur du principe d'une Chine unique. Et les États-Unis se lancent à présent dans un nouveau programme majeur visant à augmenter l'aide militaire à Taïwan.
▪️ Guerre froide sur deux fronts
En ce qui concerne une nouvelle guerre froide, nous avons les mêmes sons de cloche à propos de la Russie et du conflit en Ukraine. Il est évident depuis de nombreux mois que les États-Unis sont en bonne voie pour mener une guerre froide sur deux fronts, l'Ukraine et Taïwan étant les deux zones les plus sensibles.
Et puis il y a ce que les Chinois appellent le "salami-slicing", une série de petites agressions, dont aucune n'est très grave en soi, pour s'éloigner de la Chine unique et soutenir de facto l'indépendance de Taïwan. La visite grandiose de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, à Taipei l'été dernier en est un exemple, même s'il s'agissait d'une très grosse tranche de salami.
À ce propos, M. Sullivan, obsédé par l'idéologie, a pris sur lui d'annoncer, avant le sommet Biden-Xi, que l'administration avait l'intention d'informer les responsables taïwanais de ce qui avait été dit lors des discussions. Là, on comprend deux choses : un autre pas en avant vers la légitimation de Taïwan en tant qu'État indépendant et, comme l'a dit succinctement le ministère chinois des Affaires étrangères, une violation "flagrante" du protocole diplomatique.
Il est impossible d'imaginer que Sullivan ait parlé sans calcul préalable. C'est ainsi que Washington tranche son salami.
▪️ La patience de la Chine
À ce stade, il convient de saluer la patience de la Chine face à un tel enlisement. Ils restent assis là, une rencontre diplomatique après l'autre, écoutant courtoisement Washington les inviter à ne pas croire ce qui se déroule sous leurs yeux.
Le message de Biden à Xi, si tant est que l'on puisse parler de message, est désormais familier. Coopérons sur des questions non menaçantes telles que le changement climatique, rivalisons dans les domaines économique et technologique, et affrontons nous en ennemis sur les questions de sécurité nationale et de géopolitique - la mer de Chine méridionale, Taiwan, les stocks nucléaires, etc.
Comme on l'a déjà dit précédemment, Pékin a clairement indiqué, dès les premiers jours de l'administration Biden, qu'il ne prenait pas du tout au sérieux ce discours du "chat et de la souris".
Le secrétaire d'État Antony Blinken s'y est essayé quelques mois après l'investiture de Biden. Puis Wendy Sherman, le numéro deux de Blinken, s'y est également attelée. Puis John Kerry, en tant que principal diplomate de Biden pour le climat, a fait une très brève tentative. Tous avec le même résultat : une série d'échecs - certains spectaculaires (Blinken et Sullivan en Alaska en mars 2021), d'autres "désastres feutrés", comme l'a dit Foreign Policy après les entretiens de Sherman à Tianjin quelques mois plus tard.
Aujourd'hui, Biden vient de tenter la même chose, avec le soutien remarqué de Janet Yellen, la secrétaire au Trésor, qui l'a accompagné à Bali.
Comme on l'a noté il y a quelques semaines, les États-Unis viennent d'imposer une série de nouvelles restrictions sur les exportations de technologies américaines explicitement destinées - voir la secrétaire au commerce Gina Raimondo - à retarder, voire à bloquer complètement, le développement de la Chine dans les secteurs de haute technologie tels que les semi-conducteurs. Nous devons supposer que cet acte honteux de sabotage industriel est ce que Biden et les cliques politiques entendent par concurrence sur le plan économique.
Voici Yellen, dans une interview accordée au New York Times samedi dernier, à propos des nouvelles sanctions, et nous allons lui pardonner la non-phrase :
"Je pense qu'il faut stabiliser la relation et essayer de l'améliorer tout en reconnaissant que nous avons toute une série de préoccupations, que nous aimerions aborder..... Ils doivent comprendre, par exemple, pourquoi nous prenons certaines mesures. Je sais qu'ils s'inquiètent, par exemple, de nos politiques d'interdiction des ventes de semi-conducteurs avancés. Il est important pour nous d'expliquer pourquoi nous agissons, comment c'est délimité, et que ce n'est pas une tentative de paralyser complètement l'économie de la Chine et d'arrêter son développement."
Non, pas complètement, mais de manière critiquable voire globale.
Dans les remarques formulées à l'issue du sommet, M. Biden a déclaré avoir dit à M. Xi qu'il incombait à la Chine de contrôler les programmes d'armement de la Corée du Nord et que si Pékin ne le faisait pas, les États-Unis "devraient prendre certaines mesures plus défensives en leur nom propre". C'est une remarque tout à fait bizarre, mais j'y décèle une intention voilée - deux, en fait.
Premièrement, en attribuant à la Chine la responsabilité de la conduite de Pyongyang, ce qui est a priori absurde, Joe Biden, "la diplomatie d'abord", se soustrait à tout effort renouvelé pour ouvrir des négociations avec le Nord: Tout repose sur vous, M. Xi.
Deuxièmement, cette position peut être un écran - difficile à dire pour l'instant - pour ce qui est déjà un programme majeur du Pentagone visant à accroître la présence militaire américaine dans le Pacifique occidental. Les États-Unis se servent ainsi du prétexte de la Corée du Nord depuis de nombreuses années, ne l'oublions pas.
Je ne sais pas si ce désastre va être feutré, ou s'il va faire du bruit, mais je suis certain de l'aspect désastreux. La Chine a accepté de rouvrir les canaux de communication sur les questions climatiques et autres questions de ce type, qu'elle avait fermés en réponse à la visite de Mme Pelosi. Ce n'est pas rien, mais à peine plus.
Je ne sais pas à quel moment de la réunion cette remarque est intervenue, mais je considère que Xi a eu le dernier mot :
"L'histoire est le meilleur manuel scolaire. Nous devons la prendre comme un miroir et la laisser nous guider vers l'avenir..... Un homme d'État doit réfléchir et savoir dans quelle direction diriger son pays. Il doit également réfléchir, et savoir s'entendre avec les autres pays et le reste du monde."
Excellente remarque. Après un demi-millénaire de domination du monde atlantique, l'Occident se fait donner une leçon par les non-Occidentaux. Cela nous montre l'heure qu'il est sur l'horloge de l'histoire.
– Source : Cara Marianna.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, notamment pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, auteur et conférencier. Son dernier livre est Time No Longer : Americans After the American Century. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré.
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https://consortiumnews.com/2022/11/16/patrick-lawrence-more-futile-pacific-overtures/