👁🗨 Patrick Lawrence : Des néonazis en Ukraine? Non, Oui, Non-Oui
Le travail d'un journaliste du Times tente de nous montrer que ces soldats ukrainiens à insigne nazi défilant dans Kiev dans des parades aux flambeaux dignes du Klan ne sont pas ce que vous croyez.
👁🗨 Des néonazis en Ukraine ? Non, Oui, Non-Oui
Par Patrick Lawrence pour ScheerPost, le 7 juin 2023
Cette semaine, le travail d'un journaliste du New York Times consiste à nous persuader que tous ces soldats ukrainiens portant des insignes nazis, défilant à travers Kiev dans des parades aux flambeaux dignes du Klan ne sont pas ce que vous pensez.
Je vous le dis, il n'est pas facile d'être correspondant du New York Times de nos jours.
Vous devez transmettre des informations totalement absurdes à vos lecteurs, le visage impassible et avec grand sérieux.
Il vous faut suggérer que les Russes ont peut-être fait exploser un drone au-dessus du Kremlin, qu'ils ont peut-être fait sauter leur propre gazoduc, que leur président est un psychotique dépassé, que leurs soldats en Ukraine sont des ivrognes utilisant un équipement défectueux, qu'ils attaquent avec des "hordes humaines" (l'orientalisme, ça vous dit quelque chose ?) et ainsi de suite - tout en affectant la gravité autrefois associée au traditionnel "homme du Times". Essayez donc un jour.
Cela me rappelle ce passage lapidaire du livre malheureusement oublié de Daniel Boorstin, L'image [The Image]. "La tâche du journaliste, écrivait Boorstin en 1962, est de trouver le moyen de tisser ces fils d'irréalité en un tissu que le lecteur ne reconnaîtra pas comme étant entièrement irréel.'“
Boorstin a réfléchi au recours de l'Amérique à l'imagerie, à l'illusion et à la distorsion, alors que Washington préparait ses folies macabres au Viêt Nam. La tâche du journaliste est bien plus difficile aujourd'hui, car nous sommes allés beaucoup plus loin dans l'illusion et la distorsion depuis l'époque de Boorstin.
Et nous voici maintenant confrontés au cas de Thomas Gibbons-Neff, un ancien Marine à la mâchoire carrée qui couvre la guerre en Ukraine pour le Times - uniquement dans la mesure où le régime de Kiev l'autorise à le faire, comme il l'explique avec une honnêteté admirable. Ce type est dix fois plus sérieux que les autres, et lui et son journal veulent que nous le sachions.
Cette semaine, le travail de Tom consiste à nous persuader que tous ces soldats ukrainiens portant des insignes nazis, idolâtrant les assassins de juifs et les collaborateurs russophobes du Troisième Reich, se réunissant rituellement dans des cabales d'inspiration nazie, défilant à travers Kiev dans des parades aux flambeaux dignes du Klan, ne sont pas ce que vous imaginez.
Non, nous dit notre Tom. Ils ressemblent à des néo-nazis, ils agissent comme des néo-nazis, ils s'habillent comme des néo-nazis, ils professent des idéologies fascistes et néo-nazies, ils mènent cette guerre avec la haine viscérale de la Wehrmacht pour les Russes - d'accord, mais pourquoi pensez-vous que ce sont des néo-nazis ?
Ce sont des types ordinaires. Ils portent le Wolfsangel [Le crampon, figure héraldique allemande, reprise par des unités nazies, notamment la 2è division SS “Das Reich”], la Schwarze Sonne [Le soleil noir, symbole du mysticisme nazi créé par Karl Maria Wiligut] et le Totenkopf, ou tête de mort - tous des symboles nazis - parce qu'ils sont fiers de leur identité, et c'est le genre de choses que portent les gens sûrs d'eux. Je portais justement les miens l'autre jour.
Le dérapage commence tôt dans "Les symboles nazis sur les lignes de front de l'Ukraine mettent en évidence les questions épineuses de l'histoire", l'article que Gibbons-Neff a publié dans les éditions de lundi.
Il commence par trois photographies de soldats ukrainiens néonazis, dont les insignes SS sont clairement visibles, que le régime de Kiev a publiées sur les réseaux sociaux, "puis supprimées discrètement" depuis le début de l'intervention russe l'année dernière.
"Les photographies et leurs suppressions, écrit M. Gibbons-Neff, mettent en évidence la relation compliquée de l'armée ukrainienne avec l'imagerie nazie, une relation forgée sous l'occupation soviétique et allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.
Une relation compliquée avec l'imagerie nazie ? Arrêtez-vous là, M. Semper fi. Le problème néonazi de l'Ukraine n'a rien à voir avec quelques images affichées de manière indiscrète. Désolé. La "relation compliquée" de l'armée ukrainienne est liée à un siècle d'idéologie d'ultra-droite tirée du fascisme de Mussolini, puis du Reich allemand.
Comme cela est bien connu et documenté, les néonazis qui infestent les Forces armées ukrainiennes (AFU) - parmi de nombreuses autres institutions nationales - ont fait de Stepan Bandera, le nationaliste monstrueusement meurtrier qui s'est allié au régime nazi pendant la guerre, leur idole.
Au-delà de l'histoire écrite
Cette histoire est connue, comme nous l'avons déjà brièvement souligné ici, mais Gibbons-Neff n'y fait aucune allusion. Il s'agit simplement d'une question de mauvaise image. À l'appui de ce blanchiment offensif, Gibbons-Neff a le culot de citer une source qui n'est autre que Bellingcat, exposé il y a très longtemps déjà comme une émanation de la C.I.A. et du MI6, maintenant soutenu par l’Atlantic Council, le Think tank financé par l'OTAN et infesté de fantômes, basé à Washington.
"Ce qui m'inquiète, dans le contexte ukrainien, c'est que les Ukrainiens qui occupent des postes de direction ne reconnaissent pas ou ne veulent pas comprendre comment ces symboles sont perçus en dehors de l'Ukraine", explique à Gibbons-Neff Michael Colborne, un "chercheur" de Bellingcat. "Je pense que les Ukrainiens doivent davantage se rendre compte que ces images sapent le soutien au pays.”
Pensez-y. La présence d'éléments nazis au sein de l'AFU n'est pas un problème. Il s'agit simplement de savoir si des signes clairs de sympathies nazies pourraient amener certains membres de l'alliance occidentale à décider qu'ils ne veulent plus soutenir les éléments nazis de l'AFU.
Cela me rappelle cette séquence d'information de Public Broadcasting de l'année dernière, dans laquelle un gouverneur de province est représenté en arrière-plan avec un portrait de Bandera. PBS a simplement flouté la photo, et a diffusé l'interview d'un autre des Ukrainiens courageux et admirables dont nous avons régulièrement l'occasion d'entendre parler.
Nul besoin de rappeler aux lecteurs attentifs que les néo-nazis qui ne sont pas des néo-nazis ont bien été longtemps présentés comme de simples néo-nazis, dans les années qui ont suivi le coup d'État fomenté par les États-Unis en 2014.
Le Times, le Washington Post, PBS, CNN - tout ce beau monde - ont publié des articles sur les éléments néonazis de l'AFU et d'ailleurs. En mars 2018, Reuters a publié un commentaire de Jeff Cohen sous le titre "Le problème néonazi de l'Ukraine".
Trois mois plus tard, The Atlantic Council, excusez du peu, a publié un document, également rédigé par Cohen, intitulé "L'Ukraine a un vrai problème avec la violence d'extrême droite." (et non, ce titre n’est pas de RT)
Je m'en souviens, car c'était très surprenant de la part d'Atlantic Council. Le titre original de ce document était "L'Ukraine a un problème néo-nazi", mais cette version semble maintenant perdue dans le flou de la révision furtive.
Puis vint l'intervention russe, et pouf ! Plus de néonazis en Ukraine.
Ne subsistent plus que ces images erratiques sans la moindre importance.
Et affirmer qu'il y a des néo-nazis en Ukraine - avoir un semblant de mémoire et de capacité à juger ce qui est sous les yeux - "fait le jeu de la propagande russe", nous prévient Gibbons-Neff.
Cela revient à "alimenter ses" - Vladimir Poutine - "fausses affirmations selon lesquelles l'Ukraine doit être dé-nazifiée". Pour faire bonne mesure, Gibbons-Neff sort le vieux couplet Volodymyr-Zelensky-est-juif, comme s'il s'agissait d'une preuve de... de je ne sais quoi.
Je pense à cette belle chanson de Donovan qui date de la phase d'illumination zen du chanteur écossais. Vous vous souvenez de "There Is a Mountain" ? Le célèbre vers disait : "D'abord une montagne/ Puis pas de montagne/ Puis une montagne". Il y a eu des néonazis en Ukraine, puis il n'y a plus eu de néonazis, et maintenant il y a des néonazis, mais ce ne sont pas des néonazis après tout.
Quelques réflexions
Quelques éléments sont à prendre en compte lorsque l'on examine l'histoire de Gibbons-Neff, outre le fait qu'il s'agit d'un article journalistique de pacotille. Tout d'abord, il ne cite ni ne fait référence à aucun membre de l'AFU - aucun ne porte d'uniforme, aucun n'arbore l'un de ces insignes troublants.
Divers responsables de la gestion de l'image lui parlent des néonazis qui ne sont pas des néonazis, mais aucun néonazi qui n'est pas néonazi ne s'exprime pour expliquer les choses en tant que source primaire, si l'on peut dire.
Je parie que Gibbons-Neff ne s'est jamais approché à moins de 30 km de l'un d'entre eux : il n'oserait pas en fait, car il devrait alors citer l'un de ces porteurs d'insignes pour dire qu'il est bien sûr un néo-nazi. Tu ne sais pas lire, mon garçon?
D'autre part, Gibbons-Neff évite résolument d'élargir son champ de vision de manière à mettre en évidence le phénomène dans son ensemble. Tout se résume à ces trois malheureux insignes sur ces trois photos supprimées.
Les défilés, les allées de drapeaux néo-nazis, les croix gammées omniprésentes, les reconstitutions de rituels SS nocturnes, la glorification des nazis et des collaborateurs nazis, la soif de sang russophobe : bien entendu, tout cela peut s'expliquer, sauf que notre homme du Times ne s'y attarde pas le moins du monde.
L'article de Gibbons-Neff suit de 10 jours un article encore plus tordu, comme un bretzel, publié dans The Kyiv Independent, un quotidien non indépendant soutenu par divers gouvernements occidentaux. Illia Ponomarenko, un journaliste très apprécié en Occident, l'a publié sous le titre "Pourquoi certains soldats ukrainiens utilisent des insignes nazis".
C'est le genre d'article tellement mauvais qu'il en devient amusant. “Non, l'Ukraine n'a pas de "problème nazi"", affirme Ponomarenko sans ambages, et c'est la dernière phrase sans nuances de cet article. "Comme dans de nombreux lieux du monde, les personnes ayant des opinions d'extrême droite et néonazies, poussées par leur idéologie, sont enclines à s'engager dans l'armée et à prendre part à des conflits", écrit-il. Et puis, il y a ceci, où s'amorce un déferlement d'irrationalité :
"Il est bien sûr exact que, par exemple, le bataillon Azov a été fondé à l'origine par des groupes néonazis et d'extrême droite (ainsi que par de nombreux supporters de football), qui ont adopté l'esthétique typique - non seulement des insignes néonazis, mais aussi des éléments tels que des rites païens ou des noms tels que "The Black Corps", journal officiel de la principale organisation paramilitaire de l'Allemagne nazie, la Schutzstaffel (SS)".
Mais ne vous inquiétez pas, chers lecteurs. Il s'agit simplement d'une esthétique, qui fait partie d'une "sous-culture" inoffensive et mal comprise :
"Dans la mémoire simpliste de certains de par le monde, en particulier au sein de diverses sous-cultures militaristes, les symboles représentant la Wehrmacht, les forces armées de l'Allemagne nazie, et les SS sont perçus comme reflétant une machine de guerre super efficace, et non les auteurs de l'un des plus grands crimes contre l'humanité de toute l'histoire de l'humanité".
Mais bien sûr. Les insignes SS, l'iconographie de la Wehrmacht : on en trouve partout où les gens admirent les machines de guerre super-efficaces. Souvenez-vous de cette logique la prochaine fois qu'un flambeur libéral proposera de persécuter un partisan de MAGA participant à cette "sous-culture".
Tom Gibbons-Neff nous aurait-il donné un coup de main pour réécrire l'histoire ? Ayant fait le tour de la question pendant un bon moment, j'ai vu ce genre de choses assez souvent - des correspondants quittant les quotidiens locaux pour se consacrer à des sujets profonds et pénétrants sur la scène étrangère.
Il est également possible, en supposant que les rédacteurs en chef de Gibbons-Neff lisent encore d'autres journaux, qu'ils lui aient précisément commandé un article de ce type après avoir vu celui de Ponomarenko. Quoi qu'il en soit, nous obtenons ceci dans le style clairement irrationnel de Ponomarenko :
"Les questions relatives à l'interprétation de ces symboles sont aussi conflictuelles que persistantes, et pas seulement en Ukraine. Dans le Sud des États-Unis, certains ont souligné qu'aujourd'hui, le drapeau confédéré symbolise la fierté, et non pas son histoire de racisme et de sécession. La croix gammée était un symbole hindou majeur avant d'être récupérée par les nazis".
Tant qu'à faire, Tom, autant cibler les étoiles.
Nous voici avec un correspondant du New York Times qui cite le ministère ukrainien de la Défense et Bellingcat, un service de renseignements intégré à un think tank de l'OTAN, et qui s'inspire un peu trop, dirais-je, d'un journal de Kiev soutenu par l'Occident. Oui, Virginia, je crois que nous nous sommes tous dotés d'une de ces chambres d'écho, comme l'État profond les aime.
En mars dernier, Gibbons-Neff a été interviewé par le New York Times. Oui, ils font ce genre de choses sur la huitième avenue, où ils ne peuvent tout simplement pas se passer d'eux-mêmes.
C'est très instructif. Le malheureux journaliste du Times chargé de faire l'homme de paille a demandé, alors que notre intrépide correspondant se glorifiait, "Quels ont été les plus grands défis dans la couverture de la guerre ?" La réponse de Gibbons-Neff est d'une richesse inestimable :
"Les difficultés d'accès et l'autorisation d'aller dans certains lieux pour voir des choses pour lesquelles vous avez besoin de l'officier du service de presse ou de l'autorisation de l'unité militaire", explique l'intrépide ex-Marine. “Les Ukrainiens savent très bien comment gérer la presse. Il a donc toujours été difficile de naviguer entre ces paramètres et de ne pas froisser qui que ce soit".
Oubliez les bombes, les missiles, le sang, les brouillards de guerre, les sergents courageux, la puanteur des tranchées, les grenades et toutes les autres horreurs du combat. Les principaux problèmes de Gibbons-Neff, qui prétend couvrir la guerre en Ukraine, sont de maintenir l'accès, d'obtenir la permission des gardiens de Kiev d'aller quelque part et d'éviter d'ennuyer les autorités du régime.
Est-ce que cela vous dit tout ce que vous voulez savoir sur notre homme du Times ou non ?
Il est toujours intéressant de se demander pourquoi un article comme celui-ci est publié. Un silence absolu pendant des mois sur la question des néo-nazis, puis soudain un long article explicatif qui fait de son mieux pour éviter d'expliquer quoi que ce soit. Il est toujours intéressant de se poser la question, mais il n'est jamais facile d'y répondre.
Il est possible que beaucoup d'informations sur ces gens horribles soient en train de sortir de dessous le tapis. Ou peut-être que quelque chose d'important se profile à l'horizon et que cet article est une anticipation. Ou peut-être que Gibbons-Neff ou ses rédacteurs ont vu dans l'article publié sur Ponomarenko l'occasion de se débarrasser de l'un des aspects les plus embarrassants du régime de Kiev.
Ou alors, c'est le contexte général de cette affaire qui compte. Comme évoqué dans cet espace la semaine dernière, Steve Erlanger du Times a récemment suggéré depuis Bruxelles que l'OTAN pourrait faire un travail d'Allemagne d'après-guerre avec l'Ukraine : accueillir l'ouest du pays au sein de l'alliance, et laisser les provinces orientales de côté pour une durée indéterminée, l'unification étant l'objectif à long terme.
À la fin de la semaine dernière, Foreign Affairs a publié un article fantaisiste d'Andriy Zagorodnyuk, ancien ministre ukrainien de la Défense et aujourd'hui, eh oui, membre éminent de l'Atlantic Council. L'article a été publié sous le titre "Pour protéger l'Europe, il faut que l'Ukraine rejoigne l'OTAN dès maintenant".
L'argument de M. Zagorodnyuk est aussi farfelu que son sous-titre, "Aucun pays n'est plus à même d'arrêter la Russie". Mais ce genre d'affirmations, aussi rêveusement hyperboliques qu'elles soient, a une raison d'être. Elles servent à élargir le champ du discours acceptable. Elles nous rapprochent de la normalisation de l'idée selon laquelle l'Ukraine doit être acceptée dans l'Alliance de l'Atlantique Nord pour notre bien, le bien de l'Occident, quelle que soit l'ampleur de la provocation d'une telle démarche.
Cela suggère que l'article de Gibbons-Neff, ainsi que celui qu'il a fait suivre dans le journal de Kiev, sont le fruit d'un travail de nettoyage.
La presse occidentale, en étroite collaboration avec les agences de renseignement, a fait de son mieux pour enjoliver les djihadistes féroces qui tentent de renverser le gouvernement Assad à Damas, vous vous en souviendrez. Vous vous souvenez des "rebelles modérés" ? Peut-être que Gibbons-Neff est sur une voie tout aussi déshonorante.
Semper fi, hein ? Toujours fidèle à quoi ?
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, conférencier et auteur, plus récemment, de Time No Longer : Americans After the American Century. Son nouveau livre, Journalists and Their Shadows, est à paraître chez Clarity Press. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré.
Article paru dans ScheerPost
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https://consortiumnews.com/2023/06/07/patrick-lawrence-neo-nazis-in-ukraine-no-yes-no-yes/