đâđš Patrick Lawrence : EnquĂȘtez donc lĂ -dessus, Jim Jordan
Peut-ĂȘtre pouvons-nous espĂ©rer qu'une part de la boue dans laquelle les dĂ©mocrates nous ont tous plongĂ©s pendant les annĂ©es du Russiagate soit rendue publique. Pour commencer.
đâđš EnquĂȘtez donc lĂ -dessus, Jim Jordan
Par Patrick Lawrence / Original to ScheerPost, le 24 janvier 2023
Quelque part entre la premiĂšre et la deuxiĂšme fois que j'ai entendu quelqu'un dire âweaponizeâ/âarmerâ, ce terme et ses dĂ©rivĂ©s ("militariser", "arsenalisation", etc.) ont commencĂ© Ă me rebuter. C'Ă©tait sa cruditĂ©, ou la façon dont il servait de rejet accusateur, comme "thĂ©orie du complot". Affirmer que quelqu'un a militarisĂ© un point de vue ou un ensemble de faits donnĂ©s, ou traiter quelqu'un de thĂ©oricien de la conspiration, et il n'y a plus besoin de prendre cette personne au sĂ©rieux. Discours, dĂ©bat, argumentation : tout cela est exclu. Les libĂ©raux, dans leur illibĂ©ralisme, ont trouvĂ© ce type de rhĂ©torique particuliĂšrement utile ces six derniĂšres annĂ©es.
Et maintenant, nous assistons à l'institutionnalisation de ce terme odieux alors que la Chambre des représentants, à nouveau réunie et contrÎlée par les républicains, annonce son intention de créer un sous-comité spécial sur l'armement du gouvernement. à entendre les libéraux, il s'agira de la militarisation de la "militarisation". La Chambre aurait dû ignorer les termes à la mode et consacrer sa derniÚre commission aux "abus du gouvernement". Cela lui aurait donné l'équivalent de plusieurs vies de travail et aurait évité la militarisation du terme "militarisation" par les libéraux.
Que pensons-nous de cette nouvelle sous-commission ? Ses partisans - Ă ce jour, neuf rĂ©publicains et six dĂ©mocrates, dont aucun n'a encore Ă©tĂ© nommĂ© - l'assimilent Ă la commission Church du SĂ©nat, qui a enquĂȘtĂ© sur les abus de la Central Intelligence Agency en 1975-76 et a produit un rapport en six volumes Ă la fin de ses travaux. Les opposants Ă la nouvelle sous-commission - les dĂ©mocrates qui refusent d'en faire partie, et les libĂ©raux qui risquent de faire l'objet d'une enquĂȘte pour leurs diverses militarisations - affirment qu'elle ressemblera davantage Ă la tristement cĂ©lĂšbre HUAC de l'Ăšre McCarthy, la Commission des activitĂ©s anti-amĂ©ricaines de la Chambre des reprĂ©sentants. Qu'est-ce qui est le plus proche de la vĂ©ritĂ© ? Comment ce projet pourrait-il aboutir ?
Commençons par le commencement.
Les abus de pouvoir ne sont pas nouveaux dans le cirque de la politique amĂ©ricaine. Mais il est clair et net que les libĂ©raux et les dĂ©mocrates traditionnels se sont livrĂ©s Ă des abus extravagants, peut-ĂȘtre sans prĂ©cĂ©dent, des institutions gouvernementales en rĂ©ponse Ă la montĂ©e de Donald Trump dans la politique nationale, et Ă sa victoire sur Hillary Clinton - une âabuseuseâ de pouvoir s'il en est - lors des Ă©lections de novembre 2016. Il ne fait aucun doute que les conservateurs de diverses tendances ont Ă©tĂ© les objets de ces abus. De mĂȘme, il ne fait aucun doute qu'ils n'Ă©taient pas les seuls dans ce cas.
De nombreux commentateurs et journalistes ont Ă©crit, notamment mais pas seulement dans cette publication et dans Consortium News, sur l'effrayante corruption institutionnelle qui s'est ensuivie, aprĂšs que le Parti dĂ©mocrate ait allĂ©guĂ©, au cours de l'Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dant cette Ă©lection, que la Russie et la campagne Trump collaboraient avec un intĂ©rĂȘt commun Ă priver Clinton de la prĂ©sidence. Au cours de ce que nous appelons aujourd'hui le Russiagate, la Maison Blanche d'Obama, le ministĂšre de la Justice d'Obama, le Federal Bureau of Investigation, les agences nationales d'application de la loi, l'appareil de renseignement et, Ă l'occasion, le Pentagone ont tous - je vais suivre le courant ici - armĂ© leurs pouvoirs institutionnels au service de ce qui Ă©tait et reste manifeste comme un autoritarisme libĂ©ral.
Ce qui prĂ©cĂšde me vaut d'ĂȘtre accusĂ© d'ĂȘtre un thĂ©oricien de la conspiration. Je ne m'intĂ©resse absolument pas Ă ces styles de discours juvĂ©niles et "militarisĂ©s".
Lorsque Donald Trump a dévoilé ses objectifs de politique étrangÚre - mettre fin aux guerres d'aventure, réduire la présence des troupes à l'étranger, plier la tente de l'OTAN, une nouvelle détente avec la Russie - j'ai dit de lui qu'il était un drÎle de messager porteur de bonnes idées. Quoi que j'aie pu penser d'autre de Trump - ce qui n'a aucune importance - ces propositions en matiÚre de politique étrangÚre étaient largement préférables à celles de la belliciste Clinton, dont la pensée commence et se termine par la justification de l'imperium américain.
Il en va Ă peu prĂšs de mĂȘme avec le nouveau sous-comitĂ© restreint sur l'armement du gouvernement. Il sera truffĂ© de rĂ©publicains rĂ©sidant Ă droite du jardin du parti ; son prĂ©sident, Jim Jordan, fait partie, dit-on, des proches alliĂ©s de Trump. Mais ils n'ont qu'une chose Ă se mettre sous la dent : la corruption et les dissimulations des annĂ©es du Russiagate, menĂ©es et soutenues avec la connivence des mĂ©dias grand public, doivent ĂȘtre exposĂ©es et rĂ©parĂ©es si notre rĂ©publique veut un jour sortir du gouffre dans lequel elle est tombĂ©e pendant ces annĂ©es.
Les dĂ©mocrates objectent que la compĂ©tence de la sous-commission est trop Ă©tendue, et que ses droits d'enquĂȘte vont s'Ă©tendre exagĂ©rĂ©ment. Quelle esquive ! Cela reflĂšte la dĂ©termination sans faille des dĂ©mocrates Ă prĂ©tendre qu'il n'y a rien Ă enquĂȘter dans les annĂ©es du Russiagate et de l'hystĂ©rie anti-Trump qui l'a accompagnĂ©. Tout cela n'est qu'une simple thĂ©orie du complot, lit-on. Et c'est absurde. Ce qui s'est passĂ©, en rĂ©ponse Ă la montĂ©e en puissance de Trump sur la scĂšne politique, a essaimĂ©. Une grande partie de ces Ă©vĂ©nements reste cachĂ©e au public - notamment le mensonge dĂ©finitivement Ă©cartĂ© selon lequel la Russie aurait piratĂ© les courriels du parti dĂ©mocrate et la fabrication pure et simple des liens politiques de Trump avec le Kremlin. Ces opĂ©rations de propagande cynique, et bien d'autres encore, justifient des enquĂȘtes de grande envergure.
La presse grand public veut que nous percevions cette commission comme un projet partisan et droit dans ses bottes, centrĂ© sur les abus des intĂ©rĂȘts conservateurs. Jordan a dĂ©clarĂ© lors de discours Ă la Chambre qu'il Ă©tait effectivement prĂ©occupĂ© par le ciblage prĂ©sumĂ© des conservateurs et de leurs causes. J'espĂšre bien que les investigations de la sous-commission seront beaucoup plus larges que cela, car ceux qui se situent ailleurs dans le paysage politique ont subi tout autant d'abus de la part des dĂ©mocrates dominants et des mĂ©dias qui les servent. Je n'ai lu aucune dĂ©claration de Jordan ou d'un membre potentiel de la commission suggĂ©rant qu'il s'agit d'une vengeance et rien de plus. Et si Jordan et ses collaborateurs sont avisĂ©s, ça ne se fera pas.
Le New York Times décrit les compétences de la commission de la maniÚre suivante :
Le sous-comitĂ© aura une compĂ©tence illimitĂ©e pour examiner toute question liĂ©e aux libertĂ©s civiles ou pour examiner comment toute agence du gouvernement fĂ©dĂ©ral a collectĂ©, analysĂ© et utilisĂ© des informations sur les AmĂ©ricains. Elle a Ă©galement le pouvoir d'obtenir certains des secrets les plus sensibles du gouvernement, y compris des informations sur les actions secrĂštes qui sont habituellement le champ dâaction exclusif des commissions de renseignement du CongrĂšs.
La commission de M. Jordan a largement les moyens de faire du bon travail. La question de savoir si elle le fera reste ouverte. Les dĂ©mocrates accusent la commission de se livrer Ă une chasse aux sorciĂšres Ă la maniĂšre de ces horribles audiences de la HUAC, dont on peut encore voir des sĂ©quences. On pourrait en arriver lĂ , si Jordan s'avĂšre aussi stupide que beaucoup le disent, mais une telle situation n'a pas Ă ĂȘtre dĂ©noncĂ©e par les dĂ©mocrates avant qu'elle soit avĂ©rĂ©e. Balancer des expressions telles que "chasse aux sorciĂšres" revient Ă une sorte d'armement inversĂ© : Nous allons nous assurer que le public pense que vos enquĂȘtes sur l'armement ne sont rien d'autre que le renforcement de la puissance de feu d'une sous-commission de la Chambre.
Dans quel marasme de rhĂ©torique irresponsable sommes-nous tombĂ©s depuis l'Ă©poque du Russiagate. Et les dĂ©mocrates, pour clore ce point, ont un sacrĂ© culot de faire allusion aux annĂ©es McCarthy, Ă©tant donnĂ© toutes les annulations, censures, chasses aux sorciĂšres et destructions de rĂ©putation auxquelles ils se sont livrĂ©s lorsque leur autoritarisme latent est remontĂ© Ă la surface. EnquĂȘtez donc lĂ -dessus, monsieur le dĂ©putĂ© Jordan.
Les dĂ©fenseurs de la sous-commission, pour tourner la question autrement, ont pris l'habitude de l'appeler la Commission Church II. J'espĂšre vivement qu'il s'agit de plus que cela. Plusieurs personnes, dont mon collĂšgue John Kiriakou, respectĂ© Ă juste titre, ont rĂ©pondu en dĂ©fendant la place du ComitĂ© Church dans l'histoire. Je ne suis pas d'accord. Je considĂšre le ComitĂ© Church comme un Ă©chec presque abject, nĂ© d'un manque de courage, d'un souci de rĂ©putation politique et de nĂ©gociations tout Ă fait inappropriĂ©es avec la Central Intelligence Agency quant Ă ce que le comitĂ© allait enquĂȘter et rĂ©vĂ©ler.
Un peu d'histoire s'impose ici.
FormĂ©e dĂ©but 1975, la commission Church, ainsi nommĂ©e en raison de son prĂ©sident, le dĂ©mocrate de l'Idaho Frank Church, Ă©tait l'une des nombreuses commissions chargĂ©es d'enquĂȘter sur les multiples activitĂ©s illĂ©gales de la CIA - assassinats, coups d'Ătat, opĂ©rations de subversion et, non des moindres, son infiltration dans la presse et les radiodiffuseurs amĂ©ricains. Il s'agissait de la premiĂšre tentative concertĂ©e d'exercer un contrĂŽle politique sur une agence qui Ă©tait depuis longtemps, comme on dit maintenant, "partie en vrille". En cela, Church et son Ă©quipe d'enquĂȘteurs dĂ©tenaient le pouvoir d'Ă©crire l'histoire. lls auraient pu priver de leur droit de vote ceux qui affirmaient qu'il n'y avait pas d'autre solution. Ils auraient pu priver ceux qui affirment l'hĂ©gĂ©monie mondiale de l'AmĂ©rique d'une de leurs institutions les plus essentielles, et ils auraient coupĂ© de maniĂšre dĂ©cisive les liens avec les mĂ©dias.
En fait, c'est dans l'échec de la Commission Church que réside l'histoire. Les responsables du projet ont choisi de brouiller les pistes.
Les liens en tous genres avec des journalistes de toutes catĂ©gories faisaient partie des programmes dans lesquels la CIA Ă©tait le plus farouchement dĂ©terminĂ©e Ă rester dans l'ombre. Les dĂ©formations, contrevĂ©ritĂ©s et refus de coopĂ©rer avec les enquĂȘteurs du SĂ©nat doivent servir de modĂšle Ă tous les aspirants Ă l'obstruction. En temps voulu, la commission Church s'est retrouvĂ©e entraĂźnĂ©e dans des nĂ©gociations prolongĂ©es qu'elle n'aurait jamais dĂ» engager avec William Colby, alors directeur de la CIA, et d'autres hauts responsables de l'agence.
D'autres signes indiquent que l'Ă©chec est proche. La Commission avait passĂ© trop de temps sur les complots d'assassinat et les curiositĂ©s exotiques de l'agence pour accorder Ă la question de la complicitĂ© de la presse l'attention qu'elle mĂ©ritait. Church, qui a un temps rĂȘvĂ© d'ĂȘtre candidat Ă la prĂ©sidence, ne voulait pas que son nom soit associĂ© Ă une enquĂȘte qui aurait permis Ă une agence patriotique protĂ©geant la sĂ©curitĂ© nationale de se rĂ©vĂ©ler aussi condamnable qu'elle l'Ă©tait.
Les "conclusions" finales n'ont pas trouvĂ© grand-chose Ă y redire. Aucun membre de la presse n'a Ă©tĂ© appelĂ© Ă tĂ©moigner - aucun correspondant, aucun rĂ©dacteur en chef, aucun des dirigeants des grands quotidiens ou des diffuseurs. Un an aprĂšs la publication des six volumes de la commission, Carl Bernstein, cĂ©lĂ©britĂ© du Watergate, a dit en huit mots tout ce qu'il fallait dire sur les 16 mois de drame au Capitole. Face Ă la perspective d'obliger la CIA Ă rompre tous les liens secrets avec la presse, un sĂ©nateur que Bernstein n'a pas nommĂ© a fait remarquer : "Nous n'Ă©tions tout simplement pas prĂȘts Ă franchir le pas."
Gary Hart, l'ancien sénateur et plus jeune membre de la Commission Church, a confirmé par inadvertance ces jugements dans une curieuse défense de la réputation de la Commission Church publiée la semaine derniÚre dans le New York Times.
Nous avions tous compris, mĂȘme moi, le plus jeune des membres, que les attaques contre les forces de l'ordre fĂ©dĂ©rales et la sĂ©curitĂ© nationale ne seraient pas bien accueillies par nos Ă©lecteurs...
Malgré l'inquiétude des conservateurs de l'époque, à ma connaissance, aucune activité clandestine importante n'a été exposée et aucune information classifiée n'a été divulguée à la suite de ces réformes depuis leur adoption il y a prÚs d'un demi-siÚcle.
Analysez cela attentivement. Dans le langage ouaté des libéraux, Hart reconnaßt que la politique a dominé au sein de la commission Church, et que l'intention n'a jamais été de réprimer les fautes graves de la CIA autrement qu'en apparence. Parmi les activités clandestines importantes de l'agence, comme on l'a vu, figure la compromission des médias américains, à commencer par les éditeurs et les cadres supérieurs, jusqu'aux salles de rédaction.
La Commission Church a laissĂ© diverses traces dans les archives. Certaines relations entre Langley et les mĂ©dias ont Ă©tĂ© rompues lorsque la Commission a fermĂ© boutique. Les choses n'Ă©taient pas aussi ouvertement et inconsidĂ©rĂ©ment corrompues qu'elles l'avaient Ă©tĂ© avant la sa crĂ©ation. C'est dans la dĂ©cennie qui a suivi les auditions de la Commission que la CIA a commencĂ© Ă transfĂ©rer la fonction de coup d'Ătat et diverses opĂ©rations de subversion Ă des organisations de façade telles que le dĂ©sormais tristement cĂ©lĂšbre National Endowment for Democracy.
Pour moi, ce n'est pas un nettoyage. Regardez au-delĂ . L'agence est moins soumise au contrĂŽle civil. L'agence est moins soumise au contrĂŽle civil ou Ă la surveillance politique qu'elle ne l'Ă©tait avant "l'annĂ©e du renseignement", comme on surnommait cette annĂ©e 1975 avant mĂȘme qu'elle ne soit terminĂ©e. En ce qui concerne la corruption de la presse, la CIA et les autres agences de renseignement ne prennent mĂȘme plus la peine d'acheter des journalistes ou de placer des agents dans les salles de rĂ©daction : Les mĂ©dias recrutent dĂ©sormais ouvertement d'anciens agents du renseignement en tant qu'"analystes". Les relations de la CIA avec les grands quotidiens sont moins flagrantes, mais croire que l'agence n'est pas prĂ©sente parmi les journalistes de la presse Ă©crite relĂšve tout simplement de la fiction.
En bref, l'agitation autour de l'objectif prĂ©tendument noble du ComitĂ© Church me semble sans fondement. Je ne suis pas convaincu que la Sous-commission spĂ©ciale sur l'armement du gouvernement puisse faire preuve de beaucoup plus d'intĂ©gritĂ© et de dĂ©sintĂ©rĂȘt. Le maximum que nous puissions espĂ©rer est peut-ĂȘtre qu'une part de la boue dans laquelle les dĂ©mocrates nous ont tous plongĂ©s pendant les annĂ©es du Russiagate soit rendue publique. Pour commencer.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, notamment pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son livre le plus récent est Time No Longer: Americans After the American Century. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré sans explication.
https://scheerpost.com/2023/01/24/patrick-lawrence-investigate-this-jim-jordan/