đâđš Patrick Lawrence : La pathologie du nationalisme ukrainien
Prendre pour argent comptant ce que l'Ukraine donne d'elle-mĂȘme, et la reproduction qu'en font officiels et mĂ©dias amĂ©ricains n'est qu'une autre forme de soumission, rien de plus.

đâđš La pathologie du nationalisme ukrainien
Par Patrick Lawrence @thefloutist / Original to ScheerPost, le 1 février 2023
Mais de quel genre de personnes s'agit-il ? Je me suis demandé en pensant, dans mon dernier article, la corruption sans fond, et le vol cynique qui ont récemment fait surface en Ukraine. Quel genre de régime politique est-ce là ? Quel genre de pays est l'Ukraine ? Pour avancer dans cette voie, nous devons maintenant nous demander : de quoi parlons-nous lorsque nous parlons de nationalisme ukrainien et de nationalistes ukrainiens ?
Volodymyr Zelensky nous prĂ©sente une nation dont la fiertĂ© et la ferveur patriotiques sont admirables. Mais le prĂ©sident ukrainien reprĂ©sente-t-il les sentiments des Ukrainiens aussi fidĂšlement que nos mĂ©dias d'entreprise nous le font croire ? Trop de rapports font Ă©tat de la vulnĂ©rabilitĂ© politique de Zelensky, qui entraĂźne la nation dans ce qui s'apparente Ă une frĂ©nĂ©sie d'autodestruction - c'est-Ă -dire de destruction de la nation qu'il prĂ©tend sauver. Le New York Times et les autres grands quotidiens amĂ©ricains, qui impriment quand le Times imprime, et se taisent quand le Times se tait, ne se lassent pas de nous dire que Zelensky est arrivĂ© au pouvoir Ă la faveur d'une victoire Ă©lectorale Ă©crasante il y a quatre ans. J'aimerais qu'ils soient assez honnĂȘtes pour noter qu'une politique, plus que toute autre, a permis Ă Zelensky de remporter 71 % des voix. Il s'agissait d'un engagement Ă nĂ©gocier un rĂšglement pacifique avec le voisin russe de l'Ukraine, et Ă rĂ©parer la fracture qui traverse le centre du pays entre ses provinces occidentales et orientales.
Quel genre de leader national est cet homme qui a trahi ses électeurs, et qui se présente maintenant comme leur représentant ? Volodymyr Zelensky a gagné sa vie en tant qu'acteur, en tant que comédien, et il me semble qu'il continue à le faire. Quel intrigue joue-t-il ?
Le bataillon Azov, qui est devenu une composante essentielle des forces armées ukrainiennes, a abandonné le Wolfsangel nazi comme symbole régimentaire à la mi-2022. Cela s'est avéré problématique aprÚs le début des hostilités, il y a un an ce mois-ci. Lorsque, alors que la guerre était en cours et que l'Occident déversait des armes sur l'Ukraine, des membres du bataillon Azov se sont rendus à Washington, puis à Disney World - un itinéraire intéressant - leurs commanditaires leur ont demandé de porter des manches longues pour dissimuler leurs tatouages du Wolfsangel et des Schwarzen Sonnen, leurs soleils noirs, qui figuraient en bonne place comme symboles occultes des rituels SS nazis. Pourquoi ? Parce que nous vous aimons !
Les Azov et autres milices de ce type, dont lees ramifications de certaines sont profondĂ©ment enracinĂ©es dans la sociĂ©tĂ© civile et la politique, reprĂ©sentent-ils correctement les 44 millions d'habitants de l'Ukraine ? Ces 44 millions sont derriĂšre eux ? Et je ne suis pas en train de chercher des ponts pour BrooklynâŠ
Avant la guerre, le Times et ses poissons pilotes parmi les quotidiens amĂ©ricains ont assez souvent fait Ă©tat du caractĂšre nĂ©o-nazi du bataillon Azov et d'autres nationalistes ukrainiens. Maintenant, ils ne le font plus du tout. Des journalistes qui devraient ĂȘtre mieux informĂ©s, y compris d'estimables correspondants comme Roger Cohen, que je soupçonne d'ĂȘtre mieux informĂ©, Ă©crivent maintenant rĂ©guliĂšrement que l'identification des nationalistes ukrainiens Ă l'idĂ©ologie nazie et fasciste n'est rien d'autre que de la propagande russe.
Eric Hobsbawm, le regrettĂ© et cĂ©lĂšbre historien britannique, a Ă©crit une sĂ©rie de livres donnant des noms aux Ă©poques historiques : l'Ăąge de la rĂ©volution, l'Ăąge du capital, l'Ăąge de l'empire, l'Ăąge des extrĂȘmes, qui ont constituĂ© une excellente chronologie des progrĂšs de l'Occident - est-ce de moi ? - depuis la fin du 18e siĂšcle. Devrions-nous appeler notre Ăšre "l'Ăąge cosmĂ©tique" ?
Ceux qui dirigent l'Ukraine, et les oligarques qui contrĂŽlent ceux qui dirigent l'Ukraine, sont trĂšs dĂ©pendants des nĂ©o-nazis portant les armes, et dâautres ultranationalistes. Ces groupes sont prĂ©sents dans les ministĂšres Ă Kiev, et dans les services de renseignement du rĂ©gime et, la fin justifiant tous les moyens, comptent lâassassinat entre autres mĂ©thodes. Maquiller tout ça n'y changera rien. La fraude est un mode de vie parmi les cliques dirigeantes, ainsi quâĂ la tĂȘte de l'armĂ©e. Le plus grand marchĂ© noir d'armes illicites du monde, un cloaque de trafic d'ĂȘtres humains, 122e sur 180 nations dans le classement de Transparency International sur la corruption : pas mĂȘme Vogue, avec des photographies d'Annie Liebovitz, ne peut rendre cela agrĂ©able autrement quâĂ ceux qui ont un besoin criant de croire Ă l'orthodoxie, par besoin criant de se soumettre Ă l'autoritĂ©.
Examinons d'aussi prĂšs que possible cette question de l'ardente croyance de l'Ukraine en elle-mĂȘme en tant que nation. Sans l'aide de nos mĂ©dias, voyons ce que nous pouvons voir.
Il y a quelque temps, j'ai parlĂ© d'une confĂ©rence qu'Ernest Renan, critique et historien du XIXe siĂšcle, a donnĂ©e Ă la Sorbonne en 1882. Qu'est-ce qu'une nation? (On se souvient de l'argument (contestable) de Renan sur la place de l'oubli collectif dans la construction d'une conscience nationale. Mais on s'en souvient encore plus, peut-ĂȘtre, pour la dĂ©finition sommaire que Renan donne d'une nation. Dont :
Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible: le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie.
Je suis prĂȘt Ă excuser la mĂ©taphore si vous l'ĂȘtes aussi. C'est une excellente mĂ©taphore. Le consentement est la notion centrale ici. "PlĂ©biscite de tous les jours" est l'expression que les Ă©tudiants de Renan ont cĂ©lĂ©brĂ©e au fil des dĂ©cennies.
Si on la considĂšre comme une idĂ©e civilisĂ©e de ce qui fait une nation, mĂȘme si la question est plus complexe, comment l'Ukraine se situe-t-elle par rapport Ă la pensĂ©e de Renan ? Il y a presque trop dâamertume Ă poser la question. Les Ukrainiens ont eu leur plĂ©biscite le dernier jour de mars 2019, lorsquâils ont donnĂ© leur consentement aux deux propositions sĂ©rieuses de Zelensky - Ă©liminer la corruption cancĂ©reuse de la nation, et Ă©tablir un accord pacifique avec Moscou. Et la rĂ©ponse a Ă©tĂ©, en gros, "PlĂ©biscite, shplebiscite, je ne suis pas sĂ©rieux Ă propos de la corruption, et je ne vous donnerai pas votre coexistence pacifique avec la Russie. Je vais suivre les AmĂ©ricains, qui n'ont pas votĂ©, qui ne respectent pas les vĂŽtres, qui vont continuer Ă diriger notre pays sans aucune volontĂ© de paix ni de coexistence entre nous et la Russie."
Je ne vois pas comment on peut prendre au sĂ©rieux tous les discours sur la fiertĂ© des Ukrainiens envers leur nation une fois prises en compte les implications de ce que Zelensky a fait de sa prĂ©sidence. Si l'on s'en tient Ă la simple dĂ©finition, ce pantin des cliques nĂ©olibĂ©rales amĂ©ricaines, ce clodo clownesque que Central Casting dĂ©guise en militaire, a privĂ© les Ukrainiens de leur nation alors mĂȘme qu'il prĂ©tend parler en son nom.
Entre parenthÚses, je me demande si nous pouvons utiliser le décompte des voix de 2019 comme une mesure approximative, trÚs approximative, du sentiment national concernant le soutien populaire aux néonazis et aux ultranationalistes ukrainiens, ainsi que la guerre dans laquelle ils jouent un rÎle si important, et l'influence qu'ils exercent dans la vie publique. Sans doute pas de quoi satisfaire un bon spécialiste des sciences sociales. Mais vous ne pouvez pas me dire que la majorité des Ukrainiens pensent que les néo-nazis les représentent, ou que les professions de foi nationalistes de ces personnes ont quelque chose à voir avec l'Ukraine en tant que nation dans un sens sérieux et civilisé.
Julia Kristeva, la psychanalyste franco-bulgare, a écrit un livre dans les premiÚres années de l'aprÚs-guerre froide intitulé Nations Without Nationalism, un plaidoyer pour la tolérance et l'acceptation de l'altérité des Autres parmi nous. D'aprÚs ma lecture de la majorité ukrainienne, c'est le genre de nation à laquelle ils aspirent, c'est la nation pour laquelle ils ont voté en 2019. Rien n'indique que les Ukrainiens étaient alors, ou sont aujourd'hui, favorables à un spectacle de monstres ultranationalistes mettant en scÚne des sympathisants nazis désabusés à des postes influents et sur les lignes de front d'une guerre dont ils ne voulaient pas.
Cela me pousse Ă penser que nous devons considĂ©rer les factions d'extrĂȘme droite ukrainiennes en termes de "nationalisme sans nation", car elles ne s'intĂ©ressent pas du tout Ă l'Ukraine en tant que nation Ă proprement parler, tout comme elles ne s'intĂ©ressent pas Ă la majoritĂ© des Ukrainiens. Leurs prĂ©occupations compulsives portent sur la puretĂ© idĂ©ologique, sur leurs notions dĂ©rivĂ©es d'un monde divisĂ© entre races de maĂźtres et d'esclaves, et sur la confrontation cosmique entre les deux.
Le nationalisme ukrainien est ancrĂ© dans l'histoire depuis des siĂšcles, mais dans sa manifestation moderne, il date des derniers mois de la PremiĂšre Guerre mondiale. L'Ukraine s'est dĂ©clarĂ©e indĂ©pendante en janvier 1918, 11 mois avant l'armistice, trois mois aprĂšs la rĂ©volution d'octobre, mais ce qui est aujourd'hui l'Ukraine a rapidement Ă©tĂ© divisĂ© entre la Pologne, qui a pris les provinces occidentales, et, les provinces orientales, la nouvelle Union soviĂ©tique. L'Organisation des nationalistes ukrainiens, l'OUN, le premier des nombreux groupes violents d'extrĂȘme droite, a Ă©tĂ© fondĂ©e en 1929. Comme on le sait, beaucoup d'histoires horribles ont suivi - la famine provoquĂ©e par Staline dans les annĂ©es 1930, le massacre des Juifs, la division parmi les Ukrainiens, entre ceux qui ont pris le parti de l'ArmĂ©e rouge contre le rĂ©gime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale, et ceux qui ont combattu avec les nazis contre l'ArmĂ©e rouge.
L'idéologie des nationalistes ukrainiens actuels remonte à l'entre-deux-guerres. Stepan Bandera, le meurtrier, l'antisémite, l'anti-russe et bien d'autres choses encore, est apparu au début des années 1940 à la suite d'une scission - que deviendrait ce types de mouvement sans scissions, encore des scissions, et des scissions dans des scissions - au sein de l'OUN. Bandera est, bien sûr, abondamment glorifié par les fanatiques ukrainiens d'aujourd'hui. Nous avons vu le portrait de Bandera accroché dans les bureaux de fonctionnaires du gouvernement, et sur des banniÚres brandies lors de cortÚges bizarres de type Klan à travers Kiev, tout comme nous avons vu le Wolfsangel et la Schwarze Sonne sur les épaulettes des troupes ukrainiennes.
Dmitry Plotnikov, un Russe qui Ă©crit sur l'histoire des anciennes rĂ©publiques soviĂ©tiques et publie de nombreux ouvrages dans son pays et Ă l'Ă©tranger, dĂ©signe un idĂ©ologue du 20e siĂšcle nommĂ© Dmitry Dontsov pour expliquer les origines spĂ©cifiques de la version 21Ăš siĂšcle du nationalisme ukrainien tel que nous le connaissons (mĂȘme si nous ne pouvons pas lire grand-chose Ă son sujet). Dontsov prĂȘchait une idĂ©ologie de "nationalisme intĂ©gral", s'inspirant fortement de Mussolini et d'autres fascistes italiens. Il a Ă©galement mis sur un pied d'Ă©galitĂ© la nation et la race - ce qui est inexact pour tout ĂȘtre humain civilisĂ© - et a transmis la pensĂ©e que les Ukrainiens sont une race supĂ©rieure en lutte contre les Russes, une race esclave. Bien entendu, ni les Ukrainiens ni les Russes ne sont une race, loin s'en faut.
Une discipline de fer, le sacrifice sans limite, la violence comme purification, la suprématie d'une avant-garde choisie, le remodelage total de la personnalité individuelle, l'inutilité et l'inutilité de tous les non-croyants : tout cela s'est transposé dans l'Ukraine contemporaine, tout cela est traversé d'une ferveur fanatique à la limite de la croyance religieuse. Mais l'histoire, la xénophobie, la haine de l'autre, la politique, la stratégie militaire, la volonté de puissance ou d'autres facteurs perceptibles de ce type ne peuvent expliquer le phénomÚne du nationalisme ukrainien - pas à eux seuls. Il nous faut examiner plus en profondeur pour parvenir à une compréhension valable. Nous devons penser à une pathologie, une pathologie collective.
Il y a quelques mois, l'un de mes Ă©diteurs m'a conseillĂ© de lire Escape From Freedom d'Erich Fromm. Nous avions discutĂ© d'un phĂ©nomĂšne que j'ai dĂ©jĂ mentionnĂ©, l'extraordinaire tendance des AmĂ©ricains Ă croire tout ce que leur disent les autoritĂ©s, mĂȘme si c'est creux, absurde ou manifestement faux. Cela se rĂ©sume Ă un besoin de se soumettre, de rĂ©pudier la responsabilitĂ© individuelle. Il s'agit donc d'une question psychologique.
Le livre de Fromm est pertinent par rapport à cette tendance chez les Américains. Mais il l'est d'autant plus que nous essayons de comprendre le Bataillon Azov, Right Sektor, Svoboda, et tous leurs collÚgues idéologues extrémistes. Fromm, le psychanalyste allemand associé au début de sa carriÚre à l'école de Francfort, a écrit Escape from Freedom, en anglais en 1941, pour expliquer la montée du Reich nazi et du fascisme italien. Je ne saurais trop insister sur l'utilité de ce livre pour répondre à nos questions : Qui sont ces gens et qu'entendons-nous par "nationalisme ukrainien" ?
Le nazisme et le fascisme ont surgi dans un contexte d'effondrement de l'ordre social. De tels phĂ©nomĂšnes laissent les membres de ces sociĂ©tĂ©s dĂ©semparĂ©s, sans rien Ă quoi se raccrocher. Les structures sociales et politiques qui auparavant confĂ©raient un sens Ă la vie, et donnaient Ă chaque personne une place dans une communautĂ© plus large, n'en donnent plus. L'isolement social est la condition courante. Personne ne peut plus avoir de sentiment d'appartenance. Tout cela a donnĂ© aux gens ce que Fromm appelle la "libertĂ© par rapport Ă " - libertĂ© par rapport aux anciennes contraintes, coutumes, orthodoxies, formes d'oppression, etc. Mais ensuite est venue la nĂ©cessitĂ© d'agir, la "libertĂ© de" de Fromm, c'est-Ă -dire la libertĂ© de faire de nouvelles choses - en bref, d'ĂȘtre individuellement responsable. C'est cette libertĂ©, dans le cas trĂšs plausible de Fromm, qu'ont redoutĂ©e les Allemands et les Italiens des dĂ©cennies de l'aprĂšs-Grande Guerre.
La fuite devant cette libertĂ© peut prendre de nombreuses formes. D'une maniĂšre ou d'une autre, il y a toujours la recherche d'une nouvelle autoritĂ© Ă laquelle les personnes Ă la dĂ©rive peuvent se soumettre. Dans le cas de l'AmĂ©rique, un empire sur le dĂ©clin et un systĂšme social et politique en dĂ©composition avancĂ©e poussent les gens dans un Ă©tat de dĂ©ni, qui se manifeste par la soumission Ă des autoritĂ©s - politiques, administratives, informationnelles, celles qui Ă©manent d'un Ă©cran de tĂ©lĂ©vision ou d'une premiĂšre page - alors mĂȘme que la crĂ©dibilitĂ© de ces autoritĂ©s est en train de s'effondrer. C'est un sujet qui mĂ©rite d'ĂȘtre commentĂ© plus longuement, et que je vais laisser pour une prochaine fois.
Le cas ukrainien - et notez encore une fois son origine dans le dĂ©sordre de l'entre-deux-guerres - me semble Ă©trangement similaire aux expĂ©riences allemandes et italiennes antĂ©rieures. Pour les croyants, il y a le mĂȘme dĂ©sir de crĂ©er et de se soumettre Ă un nouvel ordre fourni par une idĂ©ologie qui remplit toutes les fonctions, psychanalytiquement parlant, de l'ordre ancien : on y a sa place, on est Ă nouveau ancrĂ©, on dispose d'un systĂšme qui explique les Ă©vĂ©nements du monde de maniĂšre apparemment cohĂ©rente. En se soumettant de cette maniĂšre, l'individu redevient non-libre, il n'est pas responsable de lui-mĂȘme mais d'un nouveau systĂšme d'autoritĂ© qui lui dicte tout dans la vie - ce qu'il faut penser, ce qu'il faut croire, ce qu'il faut faire, qui il faut glorifier et mĂ©priser, etc.
Je suis trĂšs portĂ© sur les analyses socio-psychologiques de ce genre depuis l'Ă©poque oĂč j'Ă©tais correspondant en Asie du Sud-Est. Il Ă©tait impossible de comprendre ces sociĂ©tĂ©s sans saisir ce Ă quoi leurs habitants Ă©taient et n'Ă©taient pas psychologiquement prĂȘts. Mais le danger existe cependant, comme on me l'a parfois signalĂ© et qu'il faut maintenant souligner. On ne peut en effet en aucun cas minimiser l'importance de l'histoire et de la politique dans la direction que prend une sociĂ©tĂ© donnĂ©e. Mais tout en Ă©tant conscient de cette erreur, je rejoins Fromm : "L'homme ne se construit pas seulement au fil de l'histoire", Ă©crivait-il au dĂ©but de son livre. "L'histoire est faite par l'homme". Les blessures, les besoins et les pulsions psychologiques, en d'autres termes, ne peuvent ĂȘtre ignorĂ©s lorsque nous analysons les Ă©vĂ©nements politiques et sociaux qui donnent aux journaux leurs gros titres quotidiens - ou que les journaux refusent de rapporter, devrais-je dire.
C'est lĂ que je me situe concernant la prĂ©sence nĂ©onazie en Ukraine, et les discours nationalistes Ă©manant non seulement de l'extrĂȘme droite mais aussi, assez souvent, du rĂ©gime lui-mĂȘme. Je ne doute pas de leur volontĂ© de puissance, qu'ils sont dans leur guerre avec la Russie pour la gagner. Mais le projet n'est pas de construire une nation : Les Ă©lĂ©ments ultranationalistes ont diaboliquement bien rĂ©ussi Ă dĂ©chiqueter ce qu'il en reste. Lorsque, peu de temps aprĂšs son Ă©lection et avant qu'il n'ait cĂ©dĂ© aux AmĂ©ricains, Zelensky s'est rendu en premiĂšre ligne alors que les forces ukrainiennes bombardaient leurs compatriotes russophones dans les provinces orientales, des officiers ultras ont menacĂ© de le lyncher lorsqu'il leur a ordonnĂ© d'arrĂȘter les bombardements. Zelensky s'est alors retirĂ©, et les bombardements ont continuĂ© de nombreuses annĂ©es. Qu'est-ce que cela nous dit ? Ces gens n'ont aucun intĂ©rĂȘt Ă faire de l'Ukraine une nation, ni Ă servir une population dĂ©mocratique. Ils n'ont pas la moindre idĂ©e de ce qu'est une telle responsabilitĂ©, et ne pensent pas un instant Ă l'assumer. Leur projet est de se soumettre Ă une idĂ©ologie mettant en avant la violence et une haine dĂ©vorante des autres. La guerre devient le "devoir" parfait, la chose Ă faire, l'expression pure de l'autoritarisme dont ils se rĂ©clament.
Tels sont mes "nationalistes sans nation". Prendre pour argent comptant ce que l'Ukraine donne d'elle-mĂȘme, et la reproduction de cette prĂ©sentation par les officiels amĂ©ricains et dans les mĂ©dias amĂ©ricains, n'est qu'une autre forme de soumission, rien de plus.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, notamment pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son livre le plus récent est Time No Longer : Americans After the American Century. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré sans explication.
https://scheerpost.com/2023/02/01/patrick-lawrence-the-pathology-of-ukrainian-nationalism/