👁🗨 Patrick Lawrence : Le (mélo)drame russe
Le gouvernement Poutine vient de nous offrir une démonstration d'unité nationale remarquable, une pensée insupportable pour les médias américains et les cliques politiques qu'ils servent.
👁🗨 Le (mélo)drame russe
Par Patrick Lawrence pour ScheerPost, le 29 juin 2023
Après quelques heures de grand spectacle dans le sud-ouest de la Russie samedi dernier, impliquant un meneur paramilitaire, 4 000 à 6 000 partisans et une petite colonne de camions et autres véhicules militaires se sont dirigés vers le nord en direction de Moscou, gardons la tête froide alors que tout le monde perd la boule et rejette la faute sur... Vladimir Poutine. Essayons de comprendre ce qui s'est passé et pourquoi Evgeniy Prigozhin, un commandant sans expérience militaire mais néanmoins doté d'une certaine expérience du terrain, s'est retourné contre le haut commandement russe après des mois de querelles houleuses et très médiatisées.
Essayons d'abord de comprendre ce qui ne s'est pas passé samedi dernier. Personne n'a contesté le pouvoir de l'État. Les Russes ne sont pas sous le choc d'un coup d'État manqué. Les dirigeants de Moscou ne vacillent pas. Le Kremlin n'a pas perdu le contrôle. Il n'y a pas de guerre civile en vue.
En d'autres termes, laissons de côté les déluges médiatiques irresponsables qui voudraient nous faire croire qu'un commandant de milice paramilitaire manifestement hypermnésique a entrepris et réussi à déstabiliser la Fédération de Russie en remettant en cause l'autorité de son président. Le dictateur tout-puissant, l'Hitler impitoyable et brutal de notre époque, se serait soudainement montré affaibli face à quelques milliers de fantassins et à leur chef, qui ont rebroussé chemin dès qu'on leur a suggéré de le faire. Comme l'a demandé Jonathan Cook dans un tweet ce week-end, "Que faire du scénario de l'Occident ?"
Je réponds d'emblée : "l'ignorer". Si la tentative très éphémère de Prigozhin n'a été que farce, comme l'écrit le site indépendant Moon of Alabama, les comptes rendus de cette escapade par les médias occidentaux n'ont été que pure bouffonnerie. Certains éléments des événements du week-end dernier sont à prendre en compte et d'autres nous dépassent, du moins pour l'instant. Dans un cas comme dans l'autre, les journaux et chaînes de télévision privés ne nous sont d'aucune utilité. Ils sont tout simplement bien trop occupés à produire des distorsions destinées à convaincre les lecteurs et téléspectateurs que la Russie est désormais le théâtre d'un "chaos", d'une "confusion", d'une "instabilité", d"incertitudes", de "désunion" - autant de termes dont les médias ont fait leurs choux gras ces derniers jours.
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Evgeny Prigozhin, comme beaucoup d'hommes d'affaires post-soviétiques, n'est pas issu du monde de l'argent. Dans les premières années qui ont suivi l'effondrement de l'Union soviétique, il a tenu un stand de saucisses à Saint-Pétersbourg et l'a transformé en un réseau de restaurants et de contrats de restauration avec diverses institutions gouvernementales. L'un de ces contrats a été conclu avec le Kremlin, permettant à Prigozhin de se rapprocher du nouveau président et de se faire appeler "le chef cuisinier de Poutine". Un autre contrat a été conclu avec le ministère de la Défense.
Au fil des ans, Prigozhin a ajouté plus d'une corde à son arc, mais c'est à la tête du Groupe Wagner, une société militaire privée comme l'appellent les Russes, qu'il s'est fait connaître comme autre chose qu'un entrepreneur à succès et qu'un cuisinier. En tant que formation paramilitaire, le groupe Wagner a marqué des points en Syrie, en Libye et en Afrique centrale, mais c'est dans le conflit ukrainien que sa présence a été la plus remarquée, pour ne pas dire décisive. Pour autant que l'on puisse en juger, compte tenu du peu de couverture médiatique de cette guerre, ce sont les troupes de Wagner qui ont mené les Russes à la victoire ce printemps dans la longue bataille pour Bakhmut, la petite ville du Donbas que les deux parties considèrent comme un élément clé de l'orientation future du conflit.
C'est au cours de la campagne d'Ukraine que Prigozhin a commencé à reprocher au ministère de la Défense de mal gérer la guerre, à se plaindre que Wagner n'était pas suffisamment approvisionné en matériel et que son ministère à Moscou était indifférent aux pertes subies par Wagner. Prigozhin avait la réputation de faire preuve de bravoure au combat et de rester proche de ses troupes qui, selon l'estimation la plus répandue, comptaient environ 25 000 hommes. Selon un bilan flatteur, il aimait se faire photographier en uniforme avec ses hommes de troupe. Il a joué la carte du soldat au service des soldats en qualifiant, pendant une grande partie de l'année et très publiquement, Sergei Shoigu et Valery Gerasimov comme étant les "gros bonnets" mollassons et planqués, négligeant gravement les épreuves et les sacrifices des soldats du rang de Wagner. Ceux-ci sont respectivement le ministre de la Défense et le général en chef de l'avancée russe en Ukraine.
C'est dans ce contexte que Prigozhin a décidé, le week-end dernier, d'encercler le QG militaire de Rostov-sur-le-Don, une ville d'un million d'habitants située de l'autre côté de la frontière ukrainienne, depuis laquelle la Russie a géré la guerre. C'est à partir de Rostov qu'il a conduit sa colonne sur l'autoroute principale en direction de Moscou. Quelques heures plus tard, il a négocié un accord, par l'intermédiaire du président biélorusse Alexandre Loukachenko, pour mettre fin à sa progression et s'exiler de l'autre côté de la frontière biélorusse.
Moscou a fait face à ce revirement étrange sans violence - dans un souci des apparences, le Kremlin ne souhaitant en aucun cas y avoir recours. Prigozhin serait maintenant en partance pour l'Afrique, ce qui ferait de lui la variante russe mineure de l'exil napoléonien à l'île d'Elbe ou à Sainte-Hélène, en agitateur loin des yeux et de l'esprit.
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Maintenant, posons- nous les bonnes questions.
Prigozhin a-t-il fondé le groupe Wagner en 2014, comme il le prétend depuis l'automne dernier ? Il ne semble pas que ce soit le cas. Les meilleurs comptes rendus que j'ai pu lire indiquent qu'il s'agit d'une création du ministère de la Défense et d'une ou plusieurs agences de sécurité russes. Le GRU, le service de renseignement militaire russe, serait bien représenté dans les rangs de Wagner. Si ces informations sont exactes, elles suggèrent que l'objectif de Wagner est de mener des opérations clandestines, pour ainsi dire, des opérations pour lesquelles Moscou préfèrerait ne pas être officiellement identifiée. En guise de rappel, au printemps dernier, le Kremlin a accordé aux troupes de Wagner le statut d'anciens combattants officiels.
Il faut en conclure - et c'est mon cas - que Prigozhin s'adonne à une certaine forme d'auto-mythologisation, de fabrication de son image. Ce point est important pour comprendre au mieux ses actes. Il n'avait aucune expérience militaire préalable lorsqu'il a pris le commandement du groupe Wagner - ou, ce qui est plus probable, lorsque le ministère de la Défense à Moscou lui a confié le commandement. Si c'est le cas, reste à savoir pourquoi le ministère l'a choisi. John Helmer, correspondant de longue date à Moscou et éditeur de Dances with Bears, pense que c'est parce que le haut commandement avait besoin d'une personne déjà connue - rappelez-vous les gros contrats de restauration et les relations amicales - pour gérer le spectacle, voire l'orchestrer.
Aujourd'hui, les interrogations se multiplient, de plus en plus déroutantes.
Qu'est-ce que Prigozhin avait en tête lorsqu'il a demandé à ses troupes d'encercler le QG militaire de Rostov, puis de diriger un contingent minoritaire sur les routes qui mènent à Moscou ? Pensait-il qu'une part importante de l'armée russe se rallierait à son camp ? Sur les 25 000 soldats placés sous son commandement, environ un cinquième l'a suivi. Aucun de ses officiers ne l'a fait. Quel était son but, son objectif, son but ultime ? Où comptait-il se rendre à Moscou une fois sur place - à supposer qu'il ait vraiment envisagé de le faire ?
Prigozhin a annoncé ses intentions dans plusieurs déclarations vidéo enregistrées avant de prendre la tête de l'éphémère convoi de samedi. "Le conseil des commandants du PMC Wagner a pris une décision", a-t-il déclaré dans l'une de ces déclarations. "Il faut mettre un terme aux pratiques néfastes de la direction militaire du pays". Le conseil de commandement ? C'est tout simplement un récit trop grandiose pour être gobé - une piètre couverture pour dissimuler que la décision en question n'a été que personnelle, qu'elle ne regarde que lui. Et je n'arrive pas à croire que Prigozhin ait jamais pensé - ou même eu l'intention - d'atteindre la capitale russe. On se demande bien où est la vérité. Il y a l'auto-mythologisation, et il y a aussi le délire. Si nous trouvons des preuves de la première dans le comportement de Prigozhin, peut-on dire qu'il a souffert de la seconde ?
Nous restons donc dans le domaine de la pure spéculation en essayant de comprendre les intentions et les motivations de l'homme qui s'est engagé à éradiquer "le mal" du haut commandement russe.
Il est possible que Prigozhin, gardant à l'esprit ses liens particulièrement personnels avec Poutine, ait espéré que le président russe, suivi par une multitude d'officiers supérieurs, prenne sa défense au moment de vérité et écarte soit Shoigu, soit Gerasimov, soit les deux, en reconnaissance de la valeur patriotique et de l'efficacité tactique de Prigozhin sur les champs de bataille de l'Ukraine. C'est possible, mais très improbable.
On peut aussi imaginer, et c'est de plus en plus plausible, que les services de renseignement occidentaux - la CIA, le MI6 ou les deux, sans exclure le rôle du régime de Kiev - ont retourné Prigozhin, comme l'ont montré les événements du week-end dernier. CNN a rapporté dimanche que la CIA était au courant des plans de Prigozhin plus de deux semaines avant le week-end dernier. D'où sort cette révélation ? Les quotidiens britanniques, pas vraiment réputés pour leur indépendance vis-à-vis des Six, ont publié ces dernières semaines de nombreux articles suggérant que Prigozhin avait l'intention de s'en prendre à Moscou. Pourquoi, et quelles sont les sources de ces articles ?
Certaines preuves circonstancielles doivent être prises en compte à cet égard. Dans les vidéos rendues publiques avant son escapade du week-end, Prigozhin a fait une série de déclarations qui marquent un virage à 180 degrés dans son discours. Il a affirmé que l'intervention russe de février 2022 n'avait pas été provoquée, et que Kiev n'avait pas l'intention de lancer de nouvelle offensive. Il a également affirmé que Shoigu, en déclenchant et poursuivant l'intervention, cherchait à "tromper la société et le président" pour justifier la guerre, et que les oligarques russes spoliés étaient les bénéficiaires escomptés de cette tromperie.
Et tout cela, subitement, de la part du patriote précédemment et ostensiblement engagé en faveur de la cause russe en Ukraine ?
Ce n'est pas tout. Samedi dernier, le Washington Post a publié une longue interview de Volodymyr Zelensky, dans laquelle le Post disait au président ukrainien qu'il détenait des documents indiquant que (1) le GUR, la direction du renseignement de Kiev, avait eu des contacts avec Prigozhin, et (2) que le renseignement américain surveillait les communications de Kiev et était donc au courant de ces contacts. Zelensky a versé dans le pétage de plombs lorsqu'il a été confronté à ces questions, et le Post a furtivement supprimé tout le passage de l'interview dans la nuit de samedi à dimanche, mais pas avant que RT n'ait pu récupérer les passages supprimés et ne les ait publiés. Les bribes restaurées, que l'on trouve ici, incitent à la réflexion.
Prigozhin a-t-il été retourné ? Bien des éléments indiquent que l'affaire Prigojine a comporté des dimensions secrètes complexes, y compris des loyautés variables, et nous n'avons vu que la partie émergée de l'iceberg. Je considère cette explication comme plausible, avec toutefois des pointillés pour signaler que l'implication des services de renseignement occidentaux n'en exclut sans doute pas d'autres.
Il arrive que des interprétations apparemment loufoques et farfelues des événements s'avèrent être les plus probables, et pour moi, c'est le cas de l'affaire Prigozhin pour la simple raison que l'homme au cœur de cette affaire est, ouvertement et sans ambages, une sorte de trouble-fête détraqué. Il doit bien l'être, pour avoir déclenché une opération aussi stupide que celle de samedi dernier - et c'est bien de cela qu'il s'agit, rien de plus - qui passe les bornes du donquichottisme. Sa colonne blindée a fait passer Rocinante pour un pur-sang.
Il s'agit d'un homme qui s'est fait beaucoup de relations et beaucoup d'argent - bien que rien de comparable à ce que les oligarques les plus importants ont accumulé - en partie en approvisionnant les cuisines des bases militaires russes. Je dirais qu'il y a là un problème de taille pour un homme de la prétendue envergure de Prigozhin. Il côtoie des hommes en uniforme et pourrait se permettre de les acheter, et de les vendre tous, mais il est néanmoins tenu d'utiliser l'entrée de service. Ensuite, le chef troque sa toque et ses habits blancs contre un casque et un gilet pare-balles, se faisant un nom en tant que commandant paramilitaire, avec un service de presse privé pour gérer vidéos et photos.
Je suis bien conscient des dangers liés à la pratique de la psychologie de comptoir, mais dans un cas comme celui de Prigozhin, des considérations psychologiques de ce type ne peuvent être écartées.
La gloire semble avoir été au rendez-vous un certain temps, mais les choses ont récemment tourné au vinaigre pour Prigozhin. Au début du mois, le ministère de la défense semble l'avoir informé qu'il devait faire appel à des fournisseurs agréés par le ministère pour son activité de restauration. Qui sait quel type de corruption cette règle peut refléter - et c'est une autre histoire -, mais Prigozhin s'est plaint que cela allait nuire à sa chaîne de production et donc aux bénéfices dont il était encore tributaire. Peu de temps après, une autre directive - émanant apparemment du Kremlin - a exigé que toutes les sociétés de prestations de services opérant de manière indépendante signent des contrats avant le 1er juillet, les plaçant ainsi sous l'autorité du ministère de la Défense.
Chacun à leur manière, ces changements administratifs laissaient présager la fin de la carrière de Prigozhin en tant que commandant paramilitaire. Et c'est dans les semaines et les mois qui ont précédé ces changements, lorsque l'on a compris que le groupe Wagner ne serait plus ce qu'il avait été, que les critiques hostiles de Prigozhin à l'égard des plus hauts fonctionnaires du ministère de la Défense sont devenues plus vulgaires, plus spectaculaires, et plus médiatisées.
"Les grandes ambitions et les intérêts personnels mènent à la trahison", a déclaré M. Poutine dans le bref discours qu'il a prononcé samedi devant la nation. Je plaide ici en faveur de cette évaluation : Prigozhin est un mégalomane frustré, et non le grand stratège d'une Russie nouvelle et réformée, parti de Rostov pour se rendre à Moscou le week-end dernier. Poutine a qualifié le comportement de Prigozhin de trahison, et de mutinerie. Il n'a pas parlé de coup d'État ou de quoi que ce soit d'approchant, ce qui impliquerait plus d'organisation, de conception et moins d'égocentrisme de la part d'un seul homme.
Je reviens à l'idée que Prigozhin a peut-être agi avec le soutien ou l'encouragement d'agences de renseignement occidentales. Il est possible que la mission de Prigozhin n'ait jamais consisté à atteindre Moscou et à marcher dans les couloirs du ministère de la défense. La simple diffusion dans le monde de l'image d'une Russie instable, d'un Kremlin menacé, pourrait avoir été la mission de Prigozhin. Si tel était le cas, le succès a été au moins partiel : le gouvernement Poutine a subi un sérieux revers sur le plan des relations publiques cette semaine.
L'idée que l'égocentrisme aurait été le moteur de cet homme va dans ce sens. S'il ne s'agissait que de Prigozhin, le conflit ukrainien n'aurait été rien d'autre que le proscenium dont il avait besoin pour sa performance. Si nous acceptons cette hypothèse, il est facile de l'imaginer tombant dans le piège de prendre l'ennemi de son ennemi pour son ami. Soudain, on le voit établir des contacts avec Kiev et faire des pieds et des mains auprès des services de renseignement occidentaux. Prigozhin a-t-il pris le risque d'être accusé de trahison en opérant un virage à 180 degrés sur la cause du conflit ukrainien, parce qu'il y aurait vu une occasion de nuire au ministre de la défense et au reste du haut commandement ?
J'ai beaucoup réfléchi aux événements de ces derniers jours, puis aux nombreuses images de Prigozhin en uniforme, avec un visage de soldat déterminé sous son casque. Puis j'ai pensé à Elon Musk, Jeff Bezos, Richard Branson, et enfin Stockton Rush, qui vient de se tuer avec quatre autres personnes dans ce submersible cylindrique à la recherche du Titanic. Voilà des hommes riches en quête de grandes ambitions et de singularités exotiques - dans l'espace, au fond des océans. Ils veulent tous apparaître comme des héros aux yeux du grand public, après avoir fait fortune grâce à des entreprises peu héroïques. Ils veulent tous et toujours plus, tout simplement. D'une manière ou d'une autre, ils ont tous l'air fous tous autant qu'ils sont, lorsqu'ils se présentent à nous.
Yevgeny Prigozhin fait-il partie de cette liste, connaissant la même préoccupation pour l'image, les exploits, le statut d'Übermensch, malgré son apparente bêtise ? Est-il une variante particulière hors contexte d'Elon Musk ? Je ne peux pas répondre à cette question, pour autant, j'y réfléchis suffisamment pour la poser.
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J'ai su que la lecture de la presse occidentale sur l'affaire Prigozhin allait être amusante dès que j'ai lu le rapport de James Risen dans The Intercept. "Le coup d'État d'Evgueni Prigojine vise Poutine et son ‘clan oligarchique’", titrait le journal. Sans vouloir saturer les lecteurs, le sous-titre est tout aussi hallucinant : "La tentative de prise de contrôle du mercenaire pourrait constituer la plus grande menace pour Moscou depuis la tentative de coup d'État de 1991 contre Mikhaïl Gorbatchev.”
C'était un coup d'État. Sa cible était Poutine et son "clan oligarchique", quels qu'ils soient. Il s'agissait d'une tentative de prise de contrôle. Et en tant que menace pour le pouvoir de l'État, il rivalise avec le coup d'État (bien nommé) contre le défunt président Gorbatchev, il y a 32 ans.
Ce n'était pas une tentative de coup d'État, même selon la description de son auteur, car un tel clan n'existe pas, il ne s'agissait pas d'une tentative de prise de contrôle, et les événements de samedi dernier ne sont que de la poudre aux yeux à côté des événements de 1991. Quatre contrevérités ridiculement inventées avant même d'arriver au corps du texte, qui en contient bien d'autres. Est-ce que c'est tout simplement superbement imbécile, ou bien ?
L'article de Risen a été publié à 13h29, heure de la côte Est, samedi dernier. On pourrait parler d'imprudence professionnelle compte tenu de la nature cinétique des événements, mais ce genre de choses n'a aucune importance pour des journalistes tels que Risen. Ce que l'article rapporte - et plutôt bien, je dois dire - c'est ce que Risen, qui n'a jamais été correspondant à l'étranger et cela se voit, voulait voir se dérouler au-delà d'un océan et d'un demi-continent. Il voulait une tentative de coup d'État. Il a réclamé l'instabilité soudaine. Il souhaitait le début de la fin de Poutine et de son "clan d'oligarques". (Si au moins Risen avait pris la peine d'identifier ce groupe, mais lorsque vous mettez "Poutine" et "oligarques" dans la même phrase, ce n'est pas nécessaire).
Voilà ce dont nous avons été informés tout au long du week-end et de la semaine, ainsi qu'au moment de la mise sous presse de cet article. La couverture de l'événement s'est résumée à des vœux pieux et, si j'ose dire, à de la masturbation. On pourrait décrire au scalpel l'empressement avec lequel la presse privée et les diffuseurs ont présenté Evgueni Prigojine comme le prochain héros de la Russie, un véritable révolutionnaire, l'homme qui fera tomber Poutine - l'homme pour lequel ces mêmes médias n'ont manifesté aucune sympathie alors qu'il menait ses troupes contre le régime de Kiev et qu'il a ensuite pris Bakhmout. Oui, ce Prigozhin. L'ennemi de votre ennemi devient soudain votre ami.
Je n'aurais pas pensé ce genre de rappel nécessaire, mais il semble que ce soit le cas lorsque nous passons en revue l'inventaire des articles de presse et des émissions de la semaine écoulée. La Russie compte 11 fuseaux horaires et 143 millions d'habitants. Son économie pèse environ 1 800 milliards de dollars. Elle compte des milliers de sociétés dans les secteurs de l'industrie lourde, de l'industrie manufacturière et de l'industrie de pointe. Elle compte un grand nombre de banques, d'universités, d'instituts de recherche, de petites entreprises, de chaînes de télévision, de marchés financiers, de raffineries de pétrole, de ports à conteneurs, de fermes, de musées et de salles de concert, tous peuplés de gens. Or, aucune proportion quantifiable de ces personnes ne s'est rangée aux côtés de Prigozhin le week-end dernier. Ni gouverneur de province, ni maire de grande ville, ni officier militaire de haut rang, ni oligarque, personne.
La conséquence logique ? Pour moi, c'est que le gouvernement Poutine, au lieu d'une crise politico-militaire, vient de nous offrir une démonstration d'unité nationale remarquable dans des circonstances difficiles. C'est une pensée insupportable pour les médias américains et les cliques politiques qu'ils servent. Il faut qu'il y ait désunion en Russie. Nous devons être désunis. Il a fallu attendre mercredi pour que le New York Times publie un article citant des sources de renseignement anonymes affirmant que Sergey Surovikin, un général russe de haut rang, était au courant des plans de Prigozhin et l'a peut-être aidé - ce qui indique, oui, une désunion au sommet à Moscou. Ainsi, Evgueni Prigojine, avec son casque, son gilet pare-balles, sa caméra vidéo, ses 6 000 recrues de base et son absence de projet ou d'intention politique manifeste, allait-il changer le cours de l'histoire de la Russie. Mais poursuivons.
Cette semaine, deux de mes journalistes favoris parmi ceux qui couvrent ou écrivent sur la Russie ont passé un excellent moment. Le premier est Anton Troianovski, que je considère comme le pire chef de bureau à Moscou que le New York Times ait nommé depuis des décennies. (Et j'admets que c'est ce que j'ai dit à plusieurs reprises au fil des ans, chaque fois pire que son prédécesseur). "Ce week-end, la sécurité russe était inexistante", a rapporté Troianovski en fin de journée samedi ou en début de journée dimanche, "tout comme M. Poutine qui, après avoir fait une brève déclaration samedi matin, a disparu de la circulation lors de la remise en cause la plus spectaculaire de son autorité en 23 ans de règne".
J'adore l'idée qu'il n'y ait aucune stabilité nulle part, que la nation entière soit plongée dans un pandémonium fébrile, que les magasins aient fermé, qu'il n'y ait plus de trains ni de téléphones. Bien sûr, il ne peut en être autrement. Et ce "disparu de la circulation". Pour ceux qui ne sont pas habitués à lire notre Anton, cela signifie que le président était probablement dans son bureau, en train de travailler. Mais ce n'est pas faux : Troianovski ne pouvait pas le voir.
Lundi, Troianovski a enregistré un long message audio avec un interlocuteur du Times. "Cela nous montre à quel point le système édifié par Poutine s'est avéré incroyablement instable et vulnérable", explique-t-il dans cet enregistrement. "Le pouvoir de Poutine ne repose pas sur des institutions comme le Parlement ou le système judiciaire, ni même sur la police. Tout repose sur les relations personnelles et informelles qu'il a tissés avec les membres de son cercle intime et de l'élite."
Incroyablement instable et vulnérable. Plus d'institutions, uniquement des relations personnelles. Il s'agit là d'une banalité de mauvais goût parmi les correspondants à Moscou, Troianovski n'étant qu'un exemple de ce trope. Personnaliser, déshumaniser, diaboliser : c'est tout droit sorti des manuels de propagande de guerre. Il n'y a plus de Russie, Troianovski veut que nous l'admettions - c'est pourquoi, je suppose, il n'en fait jamais état chez nous. Il n'y a que Poutine et son "cercle intime" - le "clan des oligarques", jamais nommé, dans la copie de Risen.
C'est drôle un certain temps, mais même la rigolade a ses limites.
Et comme toujours, notre Anne Applebaum, la plus compulsive des russophobes compulsifs, a une fois de plus passé les bornes cette semaine.
Son article sur l'affaire Prigozhin - publié dans The Atlantic samedi après-midi - mais là encore, pourquoi en attendre davantage quand on sait ce qui va être dit indépendamment des événements - a été publié sous le titre "La Russie sombre dans la guerre civile". Si vous appréciez le titre, vous trouverez le sous-titre tout simplement irrésistible : "Poutine est-il confronté à son heure tsariste ?" Dites-moi que vous pouvez rivaliser avec ça en termes d'idiotie pure. Dans une mise à jour datée de 18 h 58 samedi soir, Mme Applebaum est revenue sur quelques-unes de ses affirmations les plus folles. Elle admet maintenant, même si c'est de manière implicite, qu'elle n'a aucune idée de ce dont elle parle : ce ne sont que des "théories", précise-t-elle, ce qui est déjà un progrès. Mais la thèse reste inchangée. Et pour preuve, elle cite les vidéos d'Evgeny Prigozhin. "Tous ceux qui essaieront de résister", dit celle que la journaliste cite en particulier, "seront considérés comme un danger et immédiatement éliminés, y compris aux postes de contrôle qui se trouveront sur notre route".
Essayez de me faire croire qu'il ne s'agit pas là de la preuve irréfutable que Poutine court le même danger que le dernier tsar lorsque les bolcheviks sont entrés en ville.
Dans l'audio que le Times vient de publier, Anton Trianovski promet que nous venons d'assister à "un événement incroyablement exceptionnel que nous allons tous tenter de décortiquer, de déchiffrer, durant les semaines, les mois, voire les années à venir".
Ou pas.
https://scheerpost.com/2023/06/29/patrick-lawrence-russian-melodrama/