đâđš Patrick Lawrence: Les dĂ©mocrates Ă l'assaut de la diplomatie
L'instrument le plus essentiel Ă l'exercice de la dissidence, est en train de dĂ©cliner. C'est assurĂ©ment l'un des symptĂŽmes morbide d'une nation prĂȘte Ă s'autodĂ©truire au nom d'une suprĂ©matie perdue.
đâđš Les dĂ©mocrates Ă l'assaut de la diplomatie
đ° Par Patrick Lawrence đŠ@thefloutist, / Original Ă ScheerPost,le 30 octobre 2022
Les actions sont plus Ă©loquentes que les mots, et la stratĂ©gie "prioritĂ© Ă la diplomatieâ des DĂ©mocrates n'a fait qu'aboyer sans mordre.
Deux ans seulement se sont écoulés depuis que Joe Biden, lancé dans la course à la Maison-Blanche, a dû promettre de grands changements en matiÚre de politique étrangÚre. Les Américains étaient plus que lassés des guerres perpétuelles. Les gens commençaient à comprendre que le budget faramineux du Pentagone avait tout à voir avec les misérables programmes de protection sociale de l'Amérique, l'effondrement des infrastructures, la médiocrité de l'éducation publique, etc.
Pour l'équipe Biden, c'était "priorité à la diplomatie", et l'armée en dernier recours. Ses principaux responsables de la Sécurité nationale - Antony Blinken, Jake Sullivan, William Burns - ne cessaient de souligner le message. Beaucoup de gens - et je n'en faisais pas partie - pensaient que c'était formidable, un signe prometteur que le navire national allait enfin changer de cap, que Burns, un ancien diplomate et ambassadeur, ait été nommé directeur de la Central Intelligence Agency. Finies les opérations secrÚtes et les interventions.
Burns, je le rappelle aux lecteurs, Ă©tait parmi ceux qui, autrefois, conseillaient de ne pas Ă©tendre l'OTAN vers l'est vers les frontiĂšres de la Russie et de ne pas provoquer Moscou en armant les Ukrainiens.
"à maintes reprises, nous avons vu comment une dépendance excessive aux outils militaires peut nous entraßner dans des sables mouvants de la politique", a déclaré Burns dans une interview accordée à Foreign Policy au printemps 2020. "Nous sommes maintes et maintes fois tombés dans le panneau de l'utilisation excessive - ou prématurée - de la force. Cela tend à faire de la diplomatie une réflexion a posteriori déformée, et trop peu utilisée."
C'était le son de cloche de la campagne de Biden à l'époque. C'était ce que beaucoup, beaucoup d'Américains voulaient entendre. Mais les optimistes n'ont pas tout à fait compris que l'entendre était tout ce qu'ils allaient jamais faire. DÚs que Biden a remporté l'élection de novembre 2020 et a nommé les personnes susmentionnées à des postes de Sécurité nationale de haut niveau, tous les discours sur la diplomatie ont pris le chemin de "Mieux reconstruire", d'un salaire minimum plus élevé, de la non-utilisation préalable d'armes nucléaires et de toutes les autres promesses que Biden a faites, et trahies en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "Stop au soutien à la guerre au Yémen".
Burns - autre rappel - est maintenant plus belliciste que jamais dans son soutien à la guerre par procuration en Ukraine qui, ces derniers temps, fait craindre au monde entier un échange nucléaire.
Le récent fiasco consécutif à la lettre "Cher Monsieur le Président" que le soi-disant caucus progressiste a publiée, modifiée et carrément retirée en 24 heures nous renvoie à de nombreuses vérités amÚres. L'une d'entre elles est que la diplomatie n'est pas passée du premier au second, voire de dernier recours. Elle ne fait plus l'objet de la moindre attention de la part des cliques politiques et du Capitole. Il y a quelques années, ceux d'entre nous qui prÎnaient une néo-détente avec la Russie se demandaient, au milieu de toutes les attaques virulentes que nous subissions, si nos détracteurs ne criminalisaient pas la diplomatie. En effet, 29 des 30 membres du CongrÚs signataires de la fameuse lettre, qui proposait humblement l'ouverture de pourparlers avec Moscou, se terrent aujourd'hui piteusement dans leur coin.
Le nom de Ro Khanna mĂ©rite ici d'ĂȘtre mentionnĂ©. Le dĂ©mocrate californien est le seul signataire Ă s'en tenir Ă la lettre en dĂ©pit du tintamarre des bellicistes. Il a dĂ©clarĂ© la semaine derniĂšre Ă CNN que prĂ©coniser un canal diplomatique entre Washington et Moscou n'Ă©tait rien d'autre que du "bon sens". Ce qui est effectivement le cas, mais le bon sens n'est manifestement plus le bienvenu dans les allĂ©es du pouvoir.
Je me souviens parfaitement m'ĂȘtre dit, aprĂšs l'Ă©lection d'Alexandria Ocasio-Cortez, de Rashida Tlaib, d'Ilhan Omar et de leurs collĂšgues "progressistes" au CongrĂšs en 2018, que toute cette agitation et cette effervescence Ă©taient dĂ©placĂ©es. Je me suis dit que Washington allait soit les manger tout crus, soit les forcer Ă revoir leurs copies et Ă rentrer dans le rang. Nous avons maintenant la confirmation, s'il en Ă©tait besoin, que cette derniĂšre Ă©ventualitĂ© s'est concrĂ©tisĂ©e. "L'Escouade", quel que soit l'altruisme de la jeunesse de ses membres, est une bande de fainĂ©ants en compĂ©tition acharnĂ©e avec le prĂ©sident Biden pour voir qui violera le plus de promesses. Sans aucun intĂ©rĂȘt.
DeuxiÚme enseignement: pour le moment, et cela risque de durer, ce pays est dans l'incapacité de présenter des arguments en faveur d'une politique étrangÚre alternative. Dans les années qui ont précédé sa mort en 2020, Steve Cohen, le célÚbre russophile, avait l'habitude de dire qu'il n'y avait qu'un seul parti politique en Amérique, celui de la guerre. Ce que j'ai pris à l'époque pour une figure de style brillante est devenue la plus sinistre des réalités.
La lettre qui a dĂ©clenchĂ© une vĂ©ritable dĂ©flagration politique la semaine derniĂšre est l'Ćuvre de quelques souriceaux qui ne savent plus comment rugir, si tant est qu'ils l'aient jamais su. Les signataires ont pris grand soin de protĂ©ger leurs arriĂšres en commençant par faire l'Ă©loge sans rĂ©serve du soutien militaire prodigue de Biden au rĂ©gime de Kiev, tout en condamnant implicitement la Russie. Ce n'est que lorsque ces signaux ont Ă©tĂ© envoyĂ©s que la lettre a suggĂ©rĂ© Ă l'administration de "coupler le soutien militaire et Ă©conomique que les Ătats-Unis ont apportĂ© Ă l'Ukraine avec une poussĂ©e diplomatique volontariste."
Les signataires de la lettre ont Ă©tĂ© traitĂ©s de tous les noms possibles et imaginables. Face Ă une salle pleine de manifestants se sentant Ă juste titre trahis par leur position sur la guerre en Ukraine et la lettre rĂ©tractĂ©e, Ilhan Omar nous a fourni l'amorce Ă une autre leçon. "Je suis dĂ©solĂ©e, vous n'ĂȘtes pas des 'manifestants anti-guerre'", a-t-elle Ă©crit sur Twitter, "vous ĂȘtes de dangereux propagandistes qui se moquent littĂ©ralement du mouvement anti-guerre". Je n'ai jamais eu le plaisir de rĂ©pondre en personne Ă la dĂ©sinformation ridicule d'internet [de la Russie]. Merci pour cette opportunitĂ©."
Quel voyou. Et la punkitude d'Omar nous renvoie à une autre leçon.
En effet, lorsque le parti démocrate a pointé du doigt la Russie aprÚs la fuite du courrier embarrassant d'Hillary Clinton en 2016, il est vite devenu évident que pour servir la petite cause de la réputation politique de Clinton, l'élite démocrate était parfaitement disposée à déclencher une vague de russophobie paranoïaque aux vastes conséquences géopolitiques. Il y a une filiation directe entre cet épisode et la ligne "la diplomatie: jamais! " qui prévaut aujourd'hui à Washington. L'état d'hystérie qui s'empare des cliques politiques pour tout ce qui concerne la Russie est dans une large mesure l'héritage d'Hillary Clinton.
J'ai toujours dĂ©testĂ© Clinton la dĂ©pravĂ©e et ses alliĂ©s pour cette imprudence. Et pour une autre raison, puisqu'elle s'est prĂ©sentĂ©e Ă la prĂ©sidence: les rĂ©publicains sont ce qu'ils sont et ne s'en cachent guĂšre; Clinton, elle, et ses insincĂ©ritĂ©s libĂ©rales ont escroquĂ© les aspirations lĂ©gitimes des AmĂ©ricains ordinaires pour leur vendre une politique Ă©trangĂšre impĂ©riale tardive diamĂ©tralement opposĂ©e Ă leurs intĂ©rĂȘts.
Je mets dĂ©sormais Omar et ses collĂšgues dans le mĂȘme panier.
Ce qui nous mÚne à la leçon n°3: la fraude absolue de la "politique identitaire" - un fléau pour nous tous - voit maintenant des personnes de couleur vendre aux Américains la guerre au nom de la paix, de la diversité, de la démocratie et d'une conscience anti-guerre. Ils sont en tous points les charlatans si souvent incarnés par Hillary Clinton.
L'administration a utilisé cette lettre pour confirmer que la ligne officielle veut que toute question de négociation en vue d'un rÚglement diplomatique relÚve de la décision de Kiev. Il s'agit d'une esquive manifestement risible. Pour autant qu'on puisse en juger, Kiev ne fait rien sans l'accord de Washington, malgré des excÚs de zÚle tels que l'appel du régime à l'OTAN à lancer une attaque nucléaire préventive contre la Russie
Leçon n°4: les Ătats-Unis sont incapables de parler franchement ou honnĂȘtement Ă ce stade de leur dĂ©clin impĂ©rial tardif. Tout se rĂ©sume Ă de la poudre aux yeux. Ceux qui prĂ©tendent diriger l'AmĂ©rique se sont livrĂ©s Ă lâutilisation de la force pure, et Ă uniquement Ă la force pour dĂ©fendre une hĂ©gĂ©monie passagĂšre finalement indĂ©fendable. Ils ne leur reste rien d'autre - une vĂ©ritĂ© qui ne peut, bien sĂ»r, ĂȘtre admise. Nous nous retrouvons avec la stratĂ©gie dâabsence de diplomatie, ainsi que j'en ai dĂ©jĂ fait Ă©tat ailleurs.
Dans le tumulte de la semaine derniÚre à Washington, un nombre croissant de voix appellent à une amorce de diplomatie entre Washington et Moscou, et ce des deux cÎtés de l'Atlantique. Vous pouvez les entendre dans The National Interest, comme nous l'avons noté il y a quelques semaines, dans Newsweek ou dans le Financial Times. Le Council on Foreign Relations est intervenu le 28 octobre, lorsque Foreign Affairs, son auguste organe interne, a publié un article intitulé "Ne pas exclure la diplomatie en Ukraine".
La leçon n°5 est Ă mon sens l'une des plus effrayantes. Dans cette situation sans prĂ©cĂ©dent, -Maman ne nous a jamais prĂ©venus qu'il y aurait des jours comme ceux-lĂ - la puissance du langage lui-mĂȘme, l'instrument le plus essentiel Ă l'exercice de la dissidence, est en train de dĂ©cliner. C'est certainement l'un des symptĂŽmes morbides - pour reprendre la cĂ©lĂšbre expression de Gramsci - d'une nation prĂȘte Ă s'autodĂ©truire au nom d'une suprĂ©matie perdue.
Il est désormais évident que le processus politique américain ignore les aspirations de ceux qui continuent à y participer. Et il est aujourd'hui tout aussi clair que les élites dirigeantes se sont immunisées contre la puissance du langage, et ce parce qu'elles sont immunisées contre la pensée rationnelle. Il faut donc se poser la question suivante : ce que nous disons compte-t-il pour ceux qui sont au plus prÚs du pouvoir ?
La réponse à cette question n'est ni réjouissante ni encourageante. Par conséquent - pardonnez le paradoxe - ceux qui s'en tiennent à l'impératif de la raison et du discours rationnel doivent continuer à dire, dire et dire encore, à l'instar des moines médiévaux qui noircissaient des pages et des pages pour préserver la civilisation de la barbarie ambiante.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, notamment pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son livre le plus récent est Time No Longer : Americans After the American Century. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré sans explication.
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