👁🗨 Patrick Lawrence : L'Europe de Macron
Je ne sais pas ce que Macron a l'intention de faire des positions louables exprimées en Chine pour parler à Xi, et jeter un coup d'œil à sa base industrielle. Si l'on se fie au passé: pas grand-chose.
👁🗨 L'Europe de Macron
Par Patrick Lawrence, Spécial Consortium News, le 17 avril 2023
Le président français s'est montré être une girouette bien huilée. Ce qu'il dit le lundi peut ne pas correspondre à ce qu'il dit ou fait le mercredi. Mais les remarques qu'il a faites lors de sa visite en Chine sont intéressantes à plusieurs égards.
Emmanuel Macron a reçu des critiques peu élogieuses dans les grands médias, de la part de quelques dirigeants européens particulièrement stupides, à son retour la semaine dernière de son sommet de trois jours avec le président chinois Xi Jinping. Mais allons-nous nous contenter de critiques sur la performance du président français, ou nous pencher sur le sujet ? Que savent les détracteurs, après tout ?
Je ne pense pas que les déplacements très médiatisés de M. Macron à Pékin et dans le sud de la Chine, propices au shooting photo, aient été un véritable gaspillage de kérosène. En m'aventurant prudemment sur une corde raide, j'irai même jusqu'à suggérer que ses entretiens inhabituellement longs avec Xi ont été positifs.
Et je tiens compte de la présence de l'inutile Ursula von der Leyen, chef de la Commission européenne, venue se faire pointer du doigt : les néoconservateurs européens peuvent traiter Xi de tous les noms qu'ils veulent, mais une rencontre avec le dictateur, l'autoritaire, le tyrannique, l'horrible-horrible dirigeant chinois semble faire monter d'un cran les sinophobes tels que von der Leyen.
Quoi qu'il en soit, Macron n'est ni sinophobe ni russophobe. Il trahit parfois une touche gaulliste d'américanophobie, en fait.
Je dois dire d'emblée que Manny Macron me semble être une bimbo politique à presque tous les égards. Il a semé la pagaille chez lui en imposant une réforme des retraites qui a fait descendre des millions de citoyens dans la rue pendant des mois. Mais il s'agit là là d'un autre débat.
Sur le plan des affaires étrangères, Macron s'est avéré être une girouette bien huilée, et par conséquent une grande déception au fil des ans. Ce qu'il dit le lundi peut ne pas correspondre à ce qu'il dit ou fait le mercredi.
Mais ce qu'il a dit les différents lundis de sa présidence comporte des idées très intéressantes : l'OTAN s'est égarée, les Européens partagent un destin commun avec la Russie, l'Europe doit retrouver son autonomie et s'occuper elle-même de sa sécurité.
Macron, en effet, me fait penser à Donald Trump sur ces questions. C'est une comparaison que Macron détesterait, et que Trump ne comprendrait pas, mais tous deux sont capables de formuler des initiatives audacieuses en matière de politique étrangère tout en manquant de caractère pour leur donner de la substance, les faire accepter et les mettre en pratique.
La presse et les cliques politiques transatlantiques ignorent ordinairement Macron lorsqu'il fait son numéro de Je-suis-le-prochain-de-Gaulle. Mais pas cette fois. Les enjeux entre l'Occident et la Chine sont trop importants en ce moment : l'influence de Pékin sur Moscou, réelle ou imaginaire, sur la question de l'Ukraine, le rôle de l'Europe alors que les États-Unis fomentent une crise à propos de Taïwan, l'indépendance ou non des relations de l'Europe avec la Chine, et le nouvel ordre mondial que Xi et ses principaux responsables de la politique étrangère ont déclaré être la priorité de la Chine continentale.
Dès son arrivée à Pékin le 6 avril, M. Macron s'est engouffré dans tout cela. Lors de son discours de circonstance au Grand Hall du Peuple, il a demandé directement à Xi d'exercer son influence à Moscou. "Je sais pouvoir compter sur vous pour ramener la Russie à la raison et tout le monde à la table des négociations", a déclaré M. Macron. Dans le but, a-t-il ajouté, d'obtenir "une paix durable qui respecte les frontières internationalement reconnues".
Ces remarques sont intéressantes à plusieurs égards.
Une erreur de calcul suggestive
D'une part, M. Macron a fait un mauvais calcul. La Chine a clairement fait savoir qu'elle était prête à jouer le rôle de médiateur entre la Russie et l'Ukraine (et les soutiens occidentaux de Kiev) si elle y était invitée, mais qu'elle n'interviendrait en aucun cas dans les affaires souveraines de la Fédération de Russie ou de toute autre nation. J'aimerais que Macron passe plus de temps à faire ses devoirs et moins à prendre la pose pour les historiens et les sculpteurs de bustes en bronze.
D'un autre côté, la formulation est subtilement suggestive. Une "paix durable" est une paix qui reconnaîtrait les préoccupations de la Russie en matière de sécurité, ce que Washington et ses poissons pilotes en Europe refusent de faire. Le respect des frontières internationalement reconnues est une bonne idée, tout le monde en conviendra, mais M. Macron semble laisser ouverte la question de savoir ce qu'elles seront lorsque les cartes seront tracées à l'issue des négociations.
D'autre part, Macron, - et ils sont trois dans ce cas -, a suggéré très explicitement que négocier avec la Russie était une entreprise aussi valable que celle de négocier avec la Chine.
Le "je sais que je peux compter sur vous" du président français était d'une imprudence folle : le dirigeant chinois a été "inflexible dans la réponse directe au chef de l'État français", comme l'a dit Le Monde. Dans le même temps, M. Macron a réussi à se mettre d'accord avec M. Xi sur un point essentiel : "Avec la France, nous appelons à la retenue et à la raison", a déclaré M. Xi lors de l'échange dans le Grand Hall, "dans le processus de recherche d'un règlement politique, et dans un processus de mise en place d'une architecture européenne de sécurité équilibrée et durable".
Un voyage en marge
Après des entretiens approfondis à Pékin, M. Xi a pris la décision inhabituelle d'escorter M. Macron à Guangdong, la province méridionale où se concentre une grande partie de la production manufacturière de la Chine. Il y a plusieurs choses à dire sur ce voyage parallèle. Trois, en fait.
Premièrement, M. Macron a indiqué qu'à son avis, les relations de l'Europe avec la République populaire devraient rester ouvertes, et se développer davantage sur le plan économique - un rejet implicite de la campagne de Washington visant à perturber la vaste interdépendance des liens économiques entre l'Occident et la Chine.
https://twitter.com/MarkAmesExiled/status/1647645610802044929
Deuxièmement, nous devons nous demander pourquoi Xi a consacré autant de temps à cette rencontre avec le dirigeant français. Si je sais que Macron est un poids plume inconstant et que vous en êtes conscient, nous pouvons nous attendre à ce que Xi cerne parfaitement la personnalité de Macron.
Ma réponse : l'intention de Xi était de démontrer que Pékin reste ouverte au développement d'un ensemble de relations avec l'Europe qui constituent une cause commune contre les efforts de l'Amérique pour dresser le monde atlantique contre la Chine et, par voie de conséquence, la Russie. "Xi a dénoncé la logique de la guerre froide et la confrontation des blocs”, a rapporté Claire Gatinous, correspondante du journal Le Monde à Pékin. Claire Gatinous a ensuite cité Xi déclarant : "La Chine considère toujours l'Europe comme un pôle indépendant dans un monde multipolaire".
French President Emmanuel Macron's visit to China has ended with tea in the governor of Guangdong's palace with Xi Jinping. Latest world news: https://trib.al/vaQok0Q
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Troisièmement, Mme von der Leyen n'a pas été invitée dans le Guangdong. On peut en déduire avec certitude que Xi veut traiter avec des nations européennes comme la France, et des dirigeants comme Macron plutôt qu'avec une Union européenne rigidement néolibérale, et des idéologues comme l'actuelle présidente de la Commission européenne.
Une démonstration d'autonomie européenne
Quoi qu'on puisse penser de Macron, il s'est rendu à Pékin pour défendre une Europe autonome qui détermine elle-même ses liens avec la première puissance du monde non occidental. Le bilan est positif, comme je l'ai dit. Les relations de l'Europe avec la Chine restent en suspens, et c'est suffisant pour l'instant.
Rappelons que Pedro Sanchez a précédé de quelques jours Macron à Pékin pour s'entretenir avec Xi. Ce sommet a beaucoup moins attiré l'attention, mais le premier ministre espagnol s'est efforcé d'affirmer que les Européens se devaient de rester ouverts à l'émergence récente de la Chine en tant que puissance diplomatique.
Les journées de M. Macron à Pékin n'allaient pas lui assurer bonne presse à son retour à Paris. Mais il était certain de susciter des critiques lorsqu'il a accordé une interview très remarquée à Politico lors de son vol entre Pékin et Guangzhou. Le gaulliste Macron s'est exprimé sur l'indépendance européenne, la réduction de la dépendance de l'Europe vis-à-vis du dollar et le rôle du continent en tant que "troisième superpuissance" dans un monde multipolaire.
"Le grand risque auquel l'Europe est confrontée", a déclaré Macron selon Politico, "c'est qu'elle soit happée par des crises qui ne sont pas les nôtres, ce qui l'empêche de construire son autonomie stratégique".
Et ceci :
"Le paradoxe serait que, pris de panique, nous nous croyions les suiveurs de l'Amérique. La question à laquelle les Européens doivent répondre est la suivante : avons-nous intérêt à accélérer [une crise] à Taïwan ? Non. Le pire serait de penser que nous, Européens, devrions devenir des suiveurs sur ce sujet et nous inspirer de l'agenda américain et d'une réaction excessive de la part de la Chine.”
"Si les tensions entre les deux superpuissances se durcissent", a conclu M. Macron, "nous n'aurons ni le temps ni les moyens de financer notre autonomie stratégique, et nous deviendrons des vassaux".
Les responsables occidentaux du calibre de Macron sont bien mieux lotis en euphémismes et en mythologies de la supériorité inattaquable de l'Occident lorsqu'ils sont en public que lorsqu'ils s'expriment avec ce genre d'honnêteté crue. C'est ce qui s'est passé pour Macron lors de son retour à l'Élysée.
Roger Cohen, chef du bureau parisien du New York Times, a publié un article d'analyse sous le titre inestimable "Du tapis rouge à la niche" : Le retour de Macon de Chine au grand dam des Alliés". Inestimable à cause de ce titre minable, mais surtout parce que c'est, si vous me le permettez, de la foutaise.
Ces dernières semaines, j'ai voyagé en Europe et il me semble évident que l'opinion publique du continent penche fortement en faveur du type d'Europe dont Macron se fait le porte-parole. La niche de M. Cohen se trouve à Washington, pas en Europe. Le correspondant Cohen, qui jouit d'une réputation légitime, note ici le recours de Macron aux termes "multipolaire", "vassaux", "mentalité de guerre froide" et autres expressions de ce genre comme s'il s'agissait de transgressions choquantes. Sans doute est-ce ainsi que l'on gravite dans les niches de l'imperium. Pitoyable.
À propos de pitoyable, je ne peux conclure cette réflexion sans mentionner Liz Truss, le Premier ministre britannique qui a passé 44 jours l'année dernière à ne pas savoir ce qu'elle faisait. Après s'être éclipsée, apparemment gênée, après avoir été expulsée de la scène à coups de canne, Liz Truss est de retour pour reproduire son imitation de Margaret Thatcher.
"Les dirigeants occidentaux ont commis une erreur en rendant visite au président Xi et en lui demandant d'intervenir dans la recherche d'une solution au conflit en Ukraine", a déclaré Mme Truss la semaine dernière à la Heritage Foundation, qui semble être l'un des seuls endroits où Mme Truss soit encore prise au sérieux. "Je pense que c'était un signe de faiblesse. C'est aussi la raison pour laquelle le président Macron a tort de suggérer que Taïwan ne présente pas d'intérêt direct pour l'Europe".
Liz Truss. Non mais, franchement... On en est là. Ce sont des personnages de ce type et de ce niveau qui nous mènent de manière inquiétante vers un conflit mondial.
Je ne sais pas ce que Macron a l'intention de faire des positions louables qu'il a exprimées lorsqu'il était en Chine pour parler à Xi, et jeter un coup d'œil à sa base industrielle. Si l'on se fie au passé, la réponse est : pas grand-chose.
Mais on peut espérer qu'il en ressorte quelque chose.
Au XIXe siècle, c'est un anarchiste français qui a dit : "Pour diriger, je dois suivre." Oubliez ça, Manny. Suivez votre pensée sur ces questions, si telle est bien la vôtre.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, conférencier et auteur, plus récemment de Time No Longer : Americans After the American Century. Son nouveau livre Journalists and Their Shadows (Journalistes et leurs ombres) est à paraître chez Clarity Press. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon.
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