đâđš Patrick Lawrence : Parlons un peu de Nahel
La mort de Nahel Merzouk raconte l'histoire de deux France, version frontale et nue de ce qui se passe ailleurs, de ce que nous cachons, dont nous nous dĂ©tournons & prĂ©tendons que cela nâexiste pas.

đâđš Parlons un peu de Nahel
Par Patrick Lawrence pour ScheerPost, le 6 juillet 2023
Que se passe-t-il en France ces jours-ci ? La République semble toujours sur le point d'exploser sur l'une ou l'autre question sociale. à deux reprises au cours des quatre derniers mois, les Français ont manifesté et, trop souvent, se sont livrés à des émeutes. En mars, ils sont descendus dans la rue, ont brûlé des bùtiments et des pneus, construit des barricades, allumé des feux de joie et fait des références passionnées à la guillotine en réaction au projet du gouvernement Macron de néolibéraliser le systÚme des retraites. Pendant une semaine à partir de mardi dernier, les villes de Lille à Marseille se sont embrasées aprÚs que la police a abattu un citoyen de 17 ans nommé Nahel, d'origine nord-africaine. L'incident s'est produit lors d'un contrÎle routier à Nanterre, l'une des banlieues les plus sinistres autour de Paris et d'autres grandes villes françaises.
Lorsque je regarde le dĂ©roulement de ces Ă©vĂ©nements, l'un aprĂšs l'autre, j'en arrive toujours Ă la mĂȘme conclusion : la France nous ressemble. Il est vrai que les Français ont hĂ©ritĂ© d'une certaine fragilitĂ© politique de leur rĂ©volution du XVIIIe siĂšcle. Mais les confrontations sociales et politiques rĂ©currentes en France ces temps-ci sont des manifestations visibles de confrontations sociales et politiques rĂ©primĂ©es ou sublimĂ©es ailleurs dans tout l'Occident. C'est pourquoi nous devons nous y intĂ©resser. Les Français ont le bon sens de dire ce qu'ils pensent plus facilement que le reste d'entre nous.
Il est intĂ©ressant d'examiner ces derniĂšres manifestations de prĂšs. Les manifestations prolongĂ©es contre la rĂ©forme des retraites du gouvernement, largement impopulaire et antidĂ©mocratique, Ă©taient une coalition arc-en-ciel, cela ne fait aucun doute : il n'y avait aucune rĂ©fĂ©rence apparente Ă la race ou Ă l'appartenance ethnique, et certainement pas Ă la croyance religieuse. Quiconque s'opposait aux rĂ©formes obsĂ©dantes du prĂ©sident Emmanuel Macron se serait joint Ă la manifestation sans hĂ©siter. Mais les manifestations d'avril Ă©taient essentiellement l'expression d'une France - la France salariĂ©e, visible, sur la carte sociale, oĂč les classes populaires et moyennes Ă majoritĂ© blanche sont dominantes.
L'éruption nationale de violence de la semaine derniÚre s'est limitée, selon toutes les sources, aux importantes populations musulmanes vivant à la périphérie de toutes les grandes villes françaises. Ayant observé du mieux que j'ai pu toute la semaine, j'ai vu quelques signes, mais rares, indiquant que des citoyens français non arabes et non musulmans y ont pris part. La plupart des Français semblent avoir regardé les événements de loin, comme si tous ceux qui ont explosé de colÚre de maniÚre incontrÎlable étaient un autre peuple, dans un autre pays.
Sur les photos de presse des manifestations de rue, on pouvait apercevoir un petit nombre de sympathisants d'origine europĂ©enne. Et de nombreux Français ont insistĂ© sur le fait qu'"il faut se pencher sur les origines des Ă©meutes", comme l'a dit Le Monde dans un Ă©ditorial de lundi. Mais il s'agissait avant tout d'un cas de violence communautaire. Et il n'a pas semblĂ© nĂ©cessaire d'examiner les fondements des Ă©meutes jusqu'Ă ce qu'un grand nombre de magasins, d'entreprises, de maires locaux et de mairies aient Ă©tĂ© attaquĂ©s et, dans certains cas, que des bĂątiments aient Ă©tĂ© incendiĂ©s. "Le temps de cet examen de conscience viendra. Câest impĂ©ratif", Ă©crivent les Ă©ditorialistes du Monde. "Mais la gravitĂ© de la situation, c'est-Ă -dire l'ampleur des destructions au-delĂ des banlieues, nous oblige tous, pour l'instant, Ă appeler au calme."
Je me demande comme vous si la France n'est pas devenue, année aprÚs année, une France divisée en deux pays, différents et radicalement inégaux, depuis que l'afflux d'immigrés non occidentaux a commencé aprÚs la décolonisation des possessions impériales, il y a des dizaines d'années. Je me demande comme vous si le moment est venu de faire le bilan de la laïcité française, ce principe séculaire et plus ou moins sacré de la laïcité, cette idée brillante et nécessaire qui s'est volatilisée - au sens propre du terme, si je puis dire... - dans les flammes.
J'en conclus, sans trop m'Ă©tonner, que la France du XXIe siĂšcle est, dans le cas de Nahel, symptomatique d'une maladie qui nous affecte tous en Occident. La France est le théùtre d'un refus partagĂ© ou d'une incapacitĂ© des sociĂ©tĂ©s occidentales Ă accepter les non-Occidentaux comme des Ă©gaux en leur sein et, par extension, Ă accepter qu'un demi-millĂ©naire de supĂ©rioritĂ© prĂ©sumĂ©e de l'Occident s'achĂšve en ce moment mĂȘme, et que de nouvelles conceptions de ce que signifie l'ĂȘtre humain s'imposent Ă nous de toute urgence.
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Quelques jours aprĂšs que la police de Nanterre a abattu Nahel Ă bout portant lors d'un contrĂŽle routier, il a Ă©tĂ© dĂ©signĂ© publiquement comme Nahel M. Nous savons aujourd'hui qu'il s'agit de Nahel Merzouk. Nahel a grandi dans un foyer monoparental Ă Nanterre et est d'origine algĂ©ro-marocaine. Mardi dernier, dans la matinĂ©e, il Ă©tait au volant d'une Mercedes, une Classe A AMG, avec deux amis comme passagers, dans le centre de Nanterre. La voiture se trouvait dans un couloir de bus, selon le rĂ©cit TikTok du Monde, qui s'appuie sur la vidĂ©osurveillance, des vidĂ©os de passants, des entretiens avec des tĂ©moins et des dĂ©clarations d'officiers de police. La voiture avait des plaques d'immatriculation polonaises et le conducteur avait un comportement apparemment imprĂ©visible. Lorsque deux policiers Ă moto l'ont rattrapĂ©e Ă un feu rouge et ont demandĂ© au conducteur de s'arrĂȘter, la voiture a pris la fuite.
Nahel s'est retrouvĂ© coincĂ© dans la circulation Ă un autre feu rouge, et les deux policiers sont descendus de leur moto et se sont approchĂ©s de la voiture cĂŽtĂ© conducteur, arme au poing. Nahel a de nouveau tentĂ© de s'enfuir, et l'un des policiers a alors tirĂ© Ă bout portant, tuant Nahel et provoquant le crash de la voiture. L'un des passagers a dĂ©clarĂ© par la suite que les policiers avaient frappĂ© Nahel avec leur pistolet avant qu'il ne soit abattu. La vidĂ©o d'un passant a enregistrĂ© l'un des policiers disant : "Je vais te mettre une balle dans la tĂȘte".
Deux Ă©lĂ©ments de ce rĂ©cit doivent ĂȘtre examinĂ©s de prĂšs si l'on veut comprendre les Ă©vĂ©nements de la semaine derniĂšre dans le contexte exhaustif qu'ils requiĂšrent toujours. L'un concerne le comportement de Nahel Merzouk et l'autre celui de la police.
Il semble que Nahel Merzouk n'ait pas Ă©tĂ© un adolescent angĂ©lique, du moins en ce qui concerne ses habitudes sur les routes, mais d'aprĂšs ce qui a Ă©tĂ© rendu public, ce qui n'est pas grand-chose, il aurait pu ĂȘtre qualifiĂ© de "gentil garçon", comme l'a dĂ©crit sa grand-mĂšre. Sa mĂšre l'a Ă©levĂ©, avec sa grand-mĂšre apparemment Ă proximitĂ©, de sorte qu'il y avait une sorte de famille Ă©largie, comme on en trouve souvent dans les sociĂ©tĂ©s non occidentales. Nahel jouait au rugby, aimait les voitures et voulait devenir mĂ©canicien.
Ma question est la suivante : pourquoi un garçon de la trempe de Nahel Pourquoi un garçon de la trempe de Nahel appuierait-il sur l'accĂ©lĂ©rateur pour s'enfuir lorsqu'il est arrĂȘtĂ© par la police pour une ou plusieurs infractions au code de la route sans gravitĂ© ? En tant qu'AmĂ©ricains, nous pouvons penser - Ă tort ou Ă raison - que si un adolescent comme Nahel Ă©tait arrĂȘtĂ© dans une banlieue de Boston ou de Baltimore, par exemple, il serait trĂšs improbable qu'il tente de s'enfuir. Alors pourquoi Nahel a-t-il tentĂ© de s'enfuir ?
De nombreux jeunes Français d'origine musulmane, de couleur, ont rĂ©pondu Ă cette question au cours de la semaine Ă©coulĂ©e. Ils ont tous donnĂ© la mĂȘme explication. Nahel partageait avec la plupart des Français d'origine maghrĂ©bine ou africaine une peur panique de la police, mĂȘlĂ©e, dans cet amer cocktail, Ă de la colĂšre et de la rancĆur. Un article de Constant MĂ©heut, journaliste trĂšs compĂ©tent du bureau parisien du New York Times, l'a dĂ©crit aussi bien que n'importe qui d'autre dans les Ă©ditions de samedi. MĂ©heut avait passĂ© la nuit prĂ©cĂ©dente dans les rues du quartier Pablo-Picasso de Nanterre. (Les noms qu'on donne Ă ces lieux abandonnĂ©s sont tout Ă fait bizarres : il y a un autre quartier qui s'appelle Pablo-Neruda).
"Cela fait des annĂ©es que l'on dit que la police nous maltraite, nous tue. Pourtant, personne ne nous Ă©coute. Peut-ĂȘtre qu'avec les Ă©meutes, ils vont commencer Ă le faire". Mohamed Saly, un restaurateur de 35 ans, a dĂ©clarĂ© : "La colĂšre est aussi forte que la violence de cette tragĂ©dieâ. Brahim Rochdi, le mari de Saly : "Il faut se rendre Ă l'Ă©vidence : en France, si vous tirez sur un Noir, un musulman ou un Arabe, il n'y a aucune rĂ©percussion.â
C'est à cela que ressemblaient les banlieues parisiennes la semaine derniÚre. C'est pourquoi Nahel Merzouk s'est enfui lorsque deux policiers l'ont interpellé. Et les policiers n'auraient pas pu mieux confirmer ces peurs et ces attitudes s'ils avaient essayé.
Il y a toutes sortes de flics en France, mais il y en a suffisamment pour que les prĂ©jugĂ©s xĂ©nophobes et la brutalitĂ© crĂ©ent une culture policiĂšre malheureusement trĂšs rĂ©pandue. Beaucoup de ces policiers sont, pour dire les choses clairement, des campagnards des dĂ©partements les plus pauvres qui dĂ©bordent de ressentiments de classe, de racisme et de colĂšre bien Ă eux. Lorsque la violence a Ă©clatĂ© aprĂšs le meurtre de Nahel la semaine derniĂšre, deux syndicats de police ont publiĂ© des dĂ©clarations affirmant qu'ils Ă©taient "en guerre contre la vermine" et qu'ils "affronteraient ces hordes sauvages". D'aprĂšs mon expĂ©rience, certes ancienne, les CRS, la police anti-Ă©meute française, sont les plus violemment fascistes dans ce domaine. En toute justice pour la police, les banlieues françaises sont des endroits difficiles et dangereux. Mais il est impossible de trouver une explication rationnelle au fait qu'un adolescent en fuite ait Ă©tĂ© abattu d'une balle dans la tĂȘte en toute lĂ©gitimitĂ©.
Voici la rĂ©alitĂ© Ă laquelle nous venons d'ĂȘtre exposĂ©s : le Français de souche a peu de raisons de se plaindre du comportement de la police. Dans une mesure que peu se soucient de reconnaĂźtre, il est juste de dire que les diverses organisations policiĂšres du pays se trouvent effectivement sur la ligne de front qui divise les deux Frances susmentionnĂ©es. Le policier qui a tirĂ© sur Nahel est maintenant identifiĂ© comme Florian M. et fait face Ă des accusations d'homicide volontaire. Depuis lundi, 52 000 Français ont fait don de 1,1 million d'euros, soit environ le mĂȘme montant en dollars amĂ©ricains, au fonds de dĂ©fense juridique de l'agent.
"Une partie du problÚme réside dans la relation de M. Macron avec la police", a écrit Harrison Stetler dans un excellent article analytique paru dans les éditions du samedi du New York Times. "Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, le président s'est appuyé sur les forces de police, consolidant leur rÎle central dans la vie politique française. La vague de manifestations rejetant les diverses réformes sociales de M. Macron - plus récemment du systÚme de retraite - a été contrée par un usage intensif de la police. Au plus fort de la pandémie, les policiers ont été en premiÚre ligne pour exécuter les fermetures et les couvre-feux stricts imposés par M. Macron".
M. Macron a en effet dĂ©ployĂ© 45 000 policiers en uniforme pour lutter contre la violence la semaine derniĂšre. Il va sans dire que les Ă©meutes, les pillages et les incendies devaient ĂȘtre contenus, mais il est Ă©vident qu'il Ă©tait inacceptable de faire dĂ©ployer des forces de police comme symbole de la RĂ©publique, comme la seule rĂ©ponse de la France Ă une population minoritaire pour qui le meurtre de l'un des leurs a Ă©tĂ© l'Ă©tincelle qui a propagĂ© lâincendie dans tout le pays. J'en reviens Ă l'Ă©ditorial du Monde citĂ© plus haut : Oui, il faut s'attaquer aux causes profondes, mais pas maintenant. C'est ce que dit la France dominante depuis des dĂ©cennies.
"Rien ne justifie la mort d'un jeune", a déclaré le président Macron le lendemain du meurtre de Nahel, alors que Nanterre et d'autres banlieues étaient en ébullition. Comme on l'a cité à maintes reprises, il a qualifié la fusillade d'"inexcusable". Mais il est apparu plus ou moins rapidement que cette réponse était inadéquate, un autre cas d'échec du leadership de Macron, parmi tant d'autres.
Toujours prĂ©occupĂ© par la prĂ©sentation et l'apparence, M. Macron a marchĂ© cette semaine sur la corde raide entre la police et les partis de droite les plus virulents de France d'un cĂŽtĂ©, et de l'autre les critiques de gauche comme Jean-Luc MĂ©lenchon, Ă la tĂȘte de La France Insoumise. Le prĂ©sident et son cabinet passent beaucoup de temps avec les maires des villes frappĂ©es par la violence, ainsi quâavec les propriĂ©taires des restaurants de ces mĂȘmes villes. Je n'ai rien vu qui indique que le prĂ©sident ou les membres de son cabinet aient passĂ© ne serait-ce qu'une heure dans les banlieues.
Est-ce Mélenchon qui l'a le mieux exprimé dans une interview passionnée diffusée cette semaine sur La Chaßne Info, une chaßne d'information télévisée ? Se référant à l'électorat de Macron parmi "les riches et les puissants", il a déclaré :
"Ils pensent pouvoir vivre Ă part, que cette faune, les 'nuisances', comme disent leurs policiers, sont un problĂšme ; qu'il faut les tenir Ă distance, qu'il faut les maĂźtriser."
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A bien des égards, la Manche est trÚs large, et notamment dans le cas de Nahel Merzouk.
Si vous arrivez en Grande-Bretagne par un vol en provenance d'un pays asiatique ou d'un autre pays non occidental, vous verrez probablement parmi les fonctionnaires de l'immigration des personnes de la race ou de l'ethnie du pays d'oĂč vous venez. Ils parleront la langue dominante des voyageurs, auxquels ils s'adresseront en toute bienveillance. Les insignes portĂ©s sur leurs uniformes seront libellĂ©s dans cette langue. Ces arrivants pourront ensuite se rendre dans les quartiers de Londres ou d'ailleurs peuplĂ©s par leur ethnie ou leur nationalitĂ©. Les panneaux de signalisation seront dans leur langue. Les commerçants la parleront. L'identitĂ© est honorĂ©e.
Pour les immigrants qui arrivent en France, la situation est radicalement opposée. Tout se passera en français, et il n'y aura pas de prise en compte d'une quelconque identité distincte. Si un immigrant souhaite devenir français, il doit parler français, et devenir français d'une maniÚre qui va bien au-delà de ce que lui confÚre un passeport ou n'importe quel bout de papier. Longtemps, les immigrants originaires, par exemple, d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient ont dû prendre des noms français. Mohammad devenait Pierre ou Jean-Charles. L'identité est gommée.
Longtemps, je n'ai pas su décider si la maniÚre anglaise ou française d'accueillir les immigrants était la meilleure. Laisser les nouveaux citoyens conserver leur langue et leurs coutumes était-il juste et respectueux, ou était-il préférable d'opter pour une assimilation, disons, généralisée ?
La laĂŻcitĂ© a Ă©tĂ© mise au service de cette conception française de l'accueil des Ă©trangers pendant de nombreuses annĂ©es. En termes simples, la laĂŻcitĂ© est une notion de laĂŻcitĂ© rigoureusement dĂ©finie et imposĂ©e par la Constitution. Ce principe trouve son origine dans la RĂ©volution française, lorsque les nouveaux citoyens ont voulu Ă©carter l'Ăglise catholique de la politique et du pouvoir. La TroisiĂšme RĂ©publique, de 1870 Ă 1940, a fait grand cas de ce concept. L'Ăglise et l'Ătat doivent ĂȘtre sĂ©parĂ©s de maniĂšre dĂ©cisive. Il ne peut ĂȘtre question d'identification officielle ou d'action contre une religion. Il ne peut y avoir d'instruction religieuse dans l'enseignement public : on parle plutĂŽt d'instruction morale et civique.
Lorsque de Gaulle a proclamé la CinquiÚme République en 1958, il a inscrit ceci dans sa constitution :
"Nul ne doit ĂȘtre inquiĂ©tĂ© pour ses opinions, mĂȘme religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public Ă©tabli par la loi".
Et c'est là que la laïcité s'est trouvée en difficulté. Ces derniÚres années, ce principe a été utilisé pour interdire toutes sortes de manifestations de pratiques et de croyances religieuses en public. La plus remarquable de ces interdictions a été promulguée en 2011, lorsqu'on a interdit aux femmes de porter le voile intégral dans les lieux publics. Les filles qui pensent devoir porter le voile à l'école par respect de l'islam n'ont que deux possibilités : ne pas porter le voile, ou ne pas aller à l'école.
Depuis quelques annĂ©es, je me suis enfin fait une opinion sur les mĂ©thodes d'accueil des immigrĂ©s, britanniques ou françaises. Et les deux mĂ©thodes Ă©chouent. Les Anglais relĂšguent effectivement les immigrants dans des ghettos plus ou moins hermĂ©tiques par principe. Les Français Ă©chouent de maniĂšre plus abjecte. Nahel Mezouk Ă©tait français et vivait Ă Nanterre, mais la vie de Nahel n'avait pas grand-chose Ă voir avec la vie française, et Nanterre, si vous ĂȘtes dĂ©jĂ allĂ© dans ce genre d'endroit, n'a pas grand-chose Ă voir avec la France. Quant Ă la laĂŻcitĂ©, qu'on ne vienne pas me dire que les femmes voilĂ©es "troublent l'ordre public". Elles troublent l'esprit de ceux qui aspirent Ă une forme d'ordre. En effet, le principe du 18Ăšme siĂšcle n'est tout simplement pas adaptĂ© aux rĂ©alitĂ©s du 21Ăšme siĂšcle. Ce qui Ă©tait autrefois destinĂ© Ă encourager la libertĂ© de pensĂ©e et de religion est aujourd'hui invoquĂ© pour inhiber, voire interdire, ces deux notions.
Le titre de l'excellent article de Harrison Stetler paru dans le Times la semaine derniĂšre Ă©tait "La France est en feu". C'est ce qui s'est passĂ©, les choses s'Ă©tant quelque peu calmĂ©es depuis que Stetler a publiĂ© son article. MalgrĂ© toutes les particularitĂ©s du cas français, sommes-nous autorisĂ©s Ă secouer la tĂȘte d'un air dĂ©sapprobateur, comme pour dire : "Ah, ces Français et leurs conflits, leurs querelles, leurs manifestations..." ? Je ne vois aucune raison de le faire. La mort de Nahel Merzouk raconte l'histoire de deux France. Est-ce que nous, ailleurs en Occident, sommes si unis au-delĂ des clivages de race et de classe ? Ce qui s'est passĂ© en France ces derniers temps n'est que la version frontale et nue de ce qui se passe ailleurs, ou de ce que nous dissimulons, dont nous nous dĂ©tournons et prĂ©tendons que cela nâexiste pas.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son dernier ouvrage s'intitule Time No Longer : Americans After the American Century. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré sans explication.
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