🚩 Patrick Lawrence: Un nouveau monde funèbre
La stratégie de sécurité nationale de Joe Biden, dont la diffusion a été longtemps différée, est le genre de poncif qui camoufle le danger, et qui a un prix.
🚩 Un nouveau monde funèbre
📰 Par Patrick Lawrence* 🐦@thefloutist, Spécial Consortium News, le 18 octobre 2022.
La stratégie de sécurité nationale de Joe Biden, dont la diffusion a été longtemps différée, est le genre de poncif qui camoufle le danger, et qui a un prix.
L'administration Biden - pardon, l'administration Biden-Harris, si vous voulez bien - a enfin publié sa stratégie de sécurité nationale, un document que chaque président est tenu de publier en vertu d'une loi adoptée il y a une quarantaine d'années.
Ce document est censé nous dire à nous, le peuple, quel est le plan, comment notre république se propose de se frayer un chemin dans le monde pendant les quatre années où un nouvel occupant de la Maison Blanche y résidera.
Il leur a fallu du temps : nous sommes presque à la moitié du mandat de Biden, et ses responsables politiques ont retardé à plusieurs reprises la publication de ces 48 pages. Maintenant qu'elles sont publiées, je ne peux pas dire que je leur en veuille. Je ne voudrais pas non plus écrire ce brouillard sur papier.
"Dès les premiers jours de ma présidence, j'ai fait valoir que notre monde se trouve à un point de bascule", débute le texte apparaissant au-dessus de la signature de Biden.
"La façon dont nous répondons aux énormes défis et aux opportunités sans précédent auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui déterminera la direction de notre monde, et aura un impact sur la sécurité et la prospérité du peuple américain pour les générations à venir."
Et il faut dire "Amen" à cela. C'est une description exacte de notre situation. Mais c'est le problème avec la nouvelle NSS [Stratégie de Sécurité nationale]. C'est un long clin d'œil à notre époque comme étant celle d'un changement capital, mais c'est l'œuvre d'une administration manifestement incapable de diriger les affaires de la nation à l'étranger, peu importe la manière.
Ces documents sont censés dire aux Américains et au monde entier où nous allons et nous rassurer sur le fait que des mains sûres sont à la barre. Je ne suis pas rassuré. Je suis effrayé.
Les dirigeants des États-Unis - et cela va au-delà des diverses inepties du régime Biden - sont tout simplement incapables de se débarrasser de leur dépendance à la primauté mondiale et de leur poursuite obsessionnelle de celle-ci alors même que la puissance de la nation décline.
▪️ Les deux grands thèmes
Les thèmes qui définissent cette SSN sont au nombre de deux.
Premièrement, le document reconnaît la nécessité de coopérer de manière multilatérale pour traiter des questions qui ont un caractère transnational. Le changement climatique en est le premier exemple ; d'autres incluent les défis de la santé mondiale, la criminalité internationale et le genre de crises économiques transfrontalières que nous voyons beaucoup de nos jours.
Bien. Ces appels sont faciles à comprendre. Aucun ne représente un défi pour la puissance américaine, mais c'est suffisant.
C'est le deuxième thème qui devrait nous préoccuper. Nous nous trouvons ici sur le terrain familier de l'antagonisme entre grandes puissances, de la "concurrence stratégique", et de l'obligation pour l'Amérique de diriger le monde dans une confrontation quasi biblique entre démocratie et autocratie. C'est tout ce que Biden et ses collaborateurs de la politique étrangère rabâchent à tout bout de champ, sans jamais parvenir à convaincre.
"L'ordre fondé sur des règles", comme on pouvait s'y attendre, fait une apparition remarquée:
"Nous nous associerons à toute nation adhérant à notre conviction fondamentale que l'ordre fondé sur des règles doit rester le fondement de la paix et de la prospérité mondiales."
Donc, un simulacre de coopération, mais même pas quand cela remet en cause le rôle traditionnel que l'Amérique s'assigne. C'est la tragédie que nous sommes tous destinés à partager, la forme de notre terrible nouveau monde, et j'espère que Biden a tort quand il dit que cette situation perdurera pour "les générations à venir".
Les deux thèmes de la SSN sont censés ressembler à des lignes parallèles, soigneusement tracées pour nous conduire vers un avenir sain. Ils ne le sont pas. Ils sont à la perpendiculaire l'un de l'autre, et ne peuvent mener qu'à une aggravation du désordre qui nous assaille actuellement.
Dans un excellent article paru dans Responsible Statecraft, Marcus Stanley propose un diagnostic sévère de la nouvelle SSN. "Elle est étonnamment schizophrène", écrit-il, "alternant - parfois presque phrase après phrase - des promesses ambitieuses de mener une coopération mondiale pour relever les défis transnationaux, et la description d'un monde de rivalités quasi inextricables".
Le Dr Lawrence a une opinion différente. Le surmoi collectif de Washington est conscient qu'une nouvelle étape de l'histoire de l'humanité est venue. Mais il reste bloqué au stade obsessionnel compulsif, s'accrochant de manière anale au pouvoir qu'il a exercé dans les décennies d'après 1945, comme un enfant avec une couverture de sécurité en lambeaux. Ce document est l'ego qui essaie de traduire l'irrationalité de son identité en une version de la raison présentable.
C'est infaisable.
▪️ Provoquer la Chine
L'administration Biden a tenté cette routine avec les Chinois quelques mois après l'inauguration. Le secrétaire d'État Antony Blinken et le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan ont déclaré aux Chinois que les États-Unis allaient coopérer avec eux sur certaines questions, leur faire concurrence sur d'autres, et les affronter en tant qu'adversaires stratégiques sur d'autres encore.
Les Chinois ont fait savoir qu'ils ne voulaient rien entendre dès qu'ils en ont eu l'occasion, lors de cette rencontre grotesque mais significative à Anchorage en mars 2021. Rétrospectivement, c'est la décision la plus intelligente que Pékin ait pu prendre.
À quatre reprises, Biden a ouvertement déclaré que la politique imparfaite mais néanmoins utile d'"ambiguïté stratégique" sur Taïwan était caduque. Selon Biden, les États-Unis sont désormais engagés à défendre militairement Taïwan si la Chine exerce son droit légal de réintégrer l'île dans la nation chinoise.
Les provocations sur cette question - visites du Congrès, survols de l'armée de l'air, traversées du détroit de Taïwan au prétexte de la "liberté de navigation" - sont presque certainement plus nombreuses aujourd'hui qu'elles ne l'étaient pendant les années où Mike Pompeo était secrétaire d'État, et c'est Pompeo qui a fait de la provocation la mode à l'autre bout du Pacifique.
En ce qui concerne la concurrence sur le plan économique, la loi qui vient d'être promulguée concernant les exportations de haute technologie vers la Chine est un acte tout à fait honteux visant à empêcher les Chinois d'achever l'ascension classique de l'échelle de développement à laquelle aspirent toutes les nations.
Le rapport du New York Times sur ce sujet contenait quelques citations de choix des deux parties pour évaluer la situation.
Liu Pengyu, s'exprimant au nom de l'ambassade de Chine à Washington, a déclaré au Times que Washington cherche "à utiliser ses prouesses technologiques comme un avantage pour entraver et supprimer le développement des marchés émergents et des pays en développement. Les États-Unis espèrent probablement que la Chine et le reste du monde en développement resteront à jamais au bas de la chaîne industrielle."
Les Américains n'apportent aucun démenti à ce sujet, au cas où vous vous y attendriez. Personne à Washington n'éprouve la moindre honte. "Il s'agit d'une approche agressive de la part du gouvernement américain pour commencer à véritablement porter atteinte à la capacité de la Chine à développer elle-même certaines de ces technologies cruciales”, commente Emily Kilcrease, qui réfléchit à tout cela avec ces gens merveilleux du Center for a New American Security.
Si nous ne pouvons pas rivaliser avec eux, en d'autres termes, nous les tiendrons à distance. En ce qui concerne les politiques infradigues, celle-ci se classe parmi les pires.
A noter à ce propos: toute tentative de coopération sur les questions transnationales est annulée, et rendue irréalisable, par la pensée prétendument parallèle que les États-Unis doivent rester l'hégémon incontesté du monde. Le thème un et le thème deux ne peuvent coexister que sur le papier, pas sur le terrain.
▪️ Souvenez-vous de la rhétorique
Vous souvenez-vous de toute cette rhétorique, pendant la campagne de Biden pour la présidence en 2020 ? Il s'agira d'abord de diplomatie, disaient ses responsables politiques, le recours à l'armée n'étant qu'une ultime solution lorsque toutes les autres options sont épuisées. Ils ont promis de rétablir les États-Unis dans l'accord régissant les programmes nucléaires iraniens, et de cesser de fournir des armes aux Saoudiens qui font la guerre au Yémen. Comme nous le rappelle Marcus Stanley, l'homme qui a été chargé du dossier ukrainien en tant que veep de Barack Obama s'est engagé en faveur d'"une relation stable et prévisible avec la Russie".
Il est désormais évident que ce n'était que de la rhétorique. Et c'est tout ce dont est faite la nouvelle SSN. Elle s'appuie sur des généralités grossières et un manque de sincérité abject, du type de celles dont Biden a toujours espéré que les Américains les oublient en très peu de temps. Je ne trouve pas grand-chose d'autre dans ce document.
Oui, il y a eu le retrait d'Afghanistan l'année dernière, une bonne chose. Mais prenons-le pour ce qu'il était, et n'était pas. C'était le retrait d'un empire d'une guerre qui traînait depuis deux décennies et ne pouvait jamais être gagnée. Rien d'autre n'a changé, pas un seul principe des objectifs mondiaux de l'empire.
Quant à la routine des démocrates contre les autoritaires, le NSS a ceci à dire:
"Certaines parties du monde sont mal à l'aise avec la concurrence entre les États-Unis et les plus grandes autocraties du monde. Nous comprenons ces préoccupations. Nous voulons également éviter un monde dans lequel la concurrence se transforme en un monde de blocs rigides. Nous ne cherchons pas le conflit ou une nouvelle guerre froide".
Je suis désolé, sauf que je ne le suis pas: il faut se ranger du côté des Chinois et des autres pays non occidentaux lorsque - soyons francs - le pire menteur à avoir occupé la Maison Blanche dans l'après-guerre (et j'inclus Richard Nixon) persiste dans cette voie.
Cette administration a déjà consolidé la nouvelle guerre froide que l'État profond appelle de ses vœux depuis la chute du mur de Berlin. Biden et les amateurs qui l'entourent seraient perdus sans leurs blocs rigides, qui représentent le seul principe d'organisation suffisamment simple pour leur compréhension.
Je n'attendais pas grand-chose d'autre de cette SSN alors que nous attendions sa publication tardive. Mais il est néanmoins affligeant de voir tout cela couché sur le papier maintenant. C'est notre condamnation sous forme de discours enjoué. Nous apprendrons, si ce n'est déjà fait, que ce genre de balivernes cache un danger, dont le prix à payer sera très lourd.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, notamment pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, auteur et conférencier. Son dernier livre est Time No Longer : Americans After the American Century. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon.
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