🚩 Patrick Lawrence: Un vrai porno d'atrocités
⚠️ Nous ne savons rien de la situation à Izyum en termes de chronologie, de causalité ou de responsabilité. Et les mystères de ce genre sont légion.
Des experts médico-légaux ukrainiens creusent et exhument les restes d'une tombe non identifiée dans un charnier à Izyum. (Photo de Justin Yau/ Sipa USA)(Sipa via AP Images)
🚩 Un vrai porno d'atrocités
📰 Par Patrick Lawrence* / Original sur ScheerPost, le 18 septembre 2022
L'armée russe a bombardé son propre centre de détention dans l'est de l'Ukraine. L'armée russe a bombardé une centrale nucléaire qu'elle protège depuis qu'elle en a pris le contrôle en mars dernier. L'armée russe a bombardé sans raison une maternité, un théâtre et un centre artistique à Marioupol au printemps dernier. L'armée russe bombarde partout et au hasard des hôpitaux et des immeubles d'habitation. L'armée russe a massacré les habitants de Bucha, une banlieue de Kiev, alors qu'elle se retirait dans les derniers jours de mars.
Et vendredi dernier, nous avons appris que l'armée russe avait massacré des centaines de personnes à Izyum avant son récent retrait de la ville. Un charnier en est la preuve, tout comme la police ukrainienne a découvert un charnier à l'extérieur de Mariupol au printemps dernier.
"Les autorités ukrainiennes ont découvert un charnier contenant plus de 400 corps dans la ville orientale d'Izyum qui a été reprise aux forces russes, a déclaré jeudi un responsable de la police régionale…"
C'est ce que rapportait Reuters vendredi matin dernier. Dans son troisième paragraphe. Un enquêteur de la police est cité ainsi:
"Je peux dire que c'est l'un des plus grands sites d'enterrement dans une grande ville des [zones] libérées… 440 corps ont été enterrés au même endroit."
C'est du porno d'atrocités, et cela devient monotone. Comme quelques autres points.
"Les officiels ukrainiens disent", "selon les officiels ukrainiens", "les officiers supérieurs ukrainiens disent", "les troupes ukrainiennes rapportent", "le maire ukrainien dit dans une interview", "les officiers de police disent".
Cela devient également monotone, étant donné que tout ce que ces sources disent ou rapportent ou affirment est diffusé et rediffusé aux lecteurs et aux téléspectateurs comme étant factuel.
L'absence de preuves soutenant les récits ukrainiens sur la responsabilité de la Russie dans ces événements: ça aussi, ça devient monotone, tout comme les affirmations vigoureuses selon lesquelles il doit y avoir et il y aura des enquêtes complètes et impartiales sur ces questions, sinon que jamais aucun effort n'est fait pour que de telles enquêtes soient diligentées. Les enquêtes des Ukrainiens sont qualifiées, elles, de complètes et impartiales.
Et puis, il y a une autre chose qui devient monotone à la lecture des reportages des correspondants occidentaux basés en Ukraine, dont la plupart couvrent le conflit lors de visites guidées organisées par le régime de Kiev et en citant des sources ukrainiennes comme si elles étaient objectives et fiables. C'est l'habitude qu'ont les médias occidentaux de de s'autoproclamer juges dans les tribunaux pour crimes de guerre, et de condamner les forces russes sur toutes les accusations. Cette pratique ne se hisse même pas au niveau des anciens procès pour l'exemple.
Je me suis déjà penché sur les usages détournés que l'on fait des images et du langage quand l'objectif consiste à manipuler les perceptions du public. Ce que la presse et les radiodiffuseurs nous ont offert d'Izyum vendredi dernier est plus qu'un exemple. Il montre à quel point le régime de Kiev et ses soutiens occidentaux mènent deux guerres. Il y a la guerre sur le terrain, où l'Ukraine vient de réaliser des avancées considérables, bien que celles-ci aient été obtenues dans une région où il n'y avait pratiquement aucune résistance et qu'elles ne semblent pas avoir modifié le cours global de la guerre. Et il y a la guerre à coup de propagande - l'assaut lancé contre nos esprits dans le but de les investir. Cette dernière guerre est sans répit. Malheureusement, sa progression est en faveur de ceux qui la mènent.
"Guerre en Ukraine : Exhumations massives sur le site des tombes forestières d'Izyum": tel est le titre du reportage de la BBC, rédigé depuis Izyum par Orla Guerin. Le texte fait la part belle à l'atmosphère et donne la parole à un procureur du ministère de la Justice de Kiev:
L'exhumation s'est déroulée pratiquement en silence, sous le regard des policiers et des procureurs. Un officier a mis sa tête dans ses mains. Un autre s'est éloigné.
Le procureur régional de Kharkiv, Olexander Ilyenkov, affirme qu'il ne fait aucun doute que des crimes de guerre ont été commis ici.
"Dans la première tombe, il y a un civil qui a une corde autour du cou. Nous voyons donc des traces de torture", a-t-il déclaré à la BBC.
Selon lui, presque tout le monde est mort à cause des soldats russes.
"Certains d'entre eux ont été tués, d'autres ont été torturés, d'autres encore ont été tués par des frappes aériennes et d'artillerie de la Fédération de Russie."
Regardez les photos. L'une montre neuf hommes identifiés comme des secouristes, debout dans une forêt, portant des équipements de protection et tenant des pelles. Une autre montre une pierre tombale de fortune: un crucifix en bois numéroté "203" et indiquant la date du décès en caractères clairs et non défraîchis, "19.04.22". Il y a aussi la photo d'un homme au visage triste nommé Hryhorii, dont la femme, selon la BBC, a été tuée lors d'une frappe d'artillerie en mars dernier. Hryhorii l'a enterrée chez lui, mais l'a de nouveau enterrée en août pour des raisons inexpliquées.
Qu'avons-nous ici ? Une surcharge de descriptions mélodramatiques, présentées sans grande subtilité. Nous avons les remarques d'un fonctionnaire ukrainien dont la présence ou l'absence à Izyum pendant les événements en question n'est même pas précisée. Et puis les images. Elles nous montrent des hommes avec des pelles dans une forêt, une pierre tombale marquée, et un vieil homme triste.
Nous sommes invités, par pure déduction, à conclure que les forces russes ont commis davantage de crimes de guerre à Izyum pendant les mois où elles l'ont tenue. Les éléments montrés et racontés vont-ils dans ce sens ?
Non, et de loin. Nous ne savons rien de la situation à Izyum en termes de chronologie, de causalité ou de responsabilité. Et les mystères de ce genre sont légion.
Nous sommes amenés à nous interroger sur la date du crucifix, car les fosses communes, par définition, ne comportent pas de marqueurs honorant les morts individuellement. Nous nous demandons qui est responsable de la mort de la femme de Hryhorii : Elle a été tuée le 7 mars, et les forces russes n'ont pris Izyum que plus tard dans le mois. Mais ce n'est pas la BBC qui va nous aider sur ces points.
La BBC nous presse de condamner l'armée russe pour les nombreux meurtres qu'elle prétend nous montrer par le biais des tombes, des secouristes et d'un survivant en deuil. Mais la Beeb [BBC] a l'habitude de s'attarder sur les insinuations, les suggestions et les implications. Elle prend soin de mettre le jugement définitif dans la bouche d'un procureur et d'autres personnes qu'elle cite comme témoins.
Le New York Times a couvert l'histoire du charnier en même temps que la BBC. Pour une fois, les correspondants du Times ont reconnu que des responsables ukrainiens les ont conduits, ainsi que d'autres médias occidentaux, sur le site de la forêt d'Izyum. Et le Times est tout aussi prudent dans ses jugements, laissant les personnes qu'il présente comme témoins les formuler. Mais en matière d'images, il est plus extravagant que la Beeb, comme c'est la nouvelle tendance de la plupart de ses reportages à l'étranger.
Le reportage du Times a d'abord été publié dans son format "Live update" sous le titre "Invasion russe en Ukraine : Alors que les enquêteurs exhument les morts d'Izium, une ville en ruine se remet des pertes subies". J'ai lu la version disponible à 11 h 39 vendredi matin. Les lecteurs pourront constater que le lien que j'ai fourni mène à des versions ultérieures du rapport du Times.
"Les enquêteurs ukrainiens ont commencé vendredi à exhumer des centaines de corps retrouvés après que les forces russes ont fui la ville d'Izium dans le désarroi le week-end dernier." C'est ainsi qu'Andrew Kramer commence son reportage. Nous connaissons bien la citation qui suit lorsque Kramer décrit ce qui s'est passé: " Les officiels ukrainiens ont dit". Il écrit, même si ce n'est qu'à son huitième paragraphe, qu'il est témoin de ce que ces officiels "ont affirmé être la preuve de nouvelles atrocités commises par des soldats russes."
Kramer cite Dmytro Lubinets, le commissaire aux droits de l'homme de l'assemblée législative de Kiev, qui lui dit que les corps des soldats ukrainiens ont été "regroupés en tas et enterrés." Lubinets précise:
"Le monde devrait voir cet endroit. Pour nous, il montre que les Russes ont commis un crime, et pas seulement un crime, mais un génocide de la population ukrainienne. Nous y voyons des femmes et des enfants."
Kramer ne s'embarrasse pas des remarques de Lubinets, qui semble être l'un des officiels ayant formulé des allégations. Plus loin, nous avons Raisa Derevianko, une retraitée
"qui vivait en face du lieu de sépulture [et] a déclaré que les Russes apportaient les morts dans la forêt presque chaque nuit". Raisa Derevianko poursuit : "Nous n'avons pas vu qui ils enterraient. Un énorme trou qui empestait."
Et puis les photos du Times. L'une montre trois travailleurs en combinaison de protection plaçant un sac mortuaire blanc en rang avec de nombreux autres. Une autre montre des dizaines de secouristes munis de pelles, comme dans le reportage de la BBC. Plusieurs photos montrent des personnes en tenue blanche en train de creuser une longue et large tranchée. Une autre montre une zone délimitée par du ruban adhésif de la police, derrière laquelle se trouvent de nombreuses rangées de crucifix en bois du type de ceux que nous avons vus sur les photos de la BBC.
Que nous a dit et montré le Times ? Le Times ne nous apprend pas grand-chose de plus, voire rien de plus, que ce que nous avons appris dans le reportage de la BBC. Nous avons des images, et nous avons des mots et des citations utilisés pour créer d'autres images. C'est encore une fois désespérément peu concluant.
Mais nous pensons savoir que les Russes se sont une fois de plus comportés de manière cruelle et vicieuse. Et c'est ce que nous sommes censés penser savoir en vaquant à nos occupations.
Certains correspondants occidentaux ont fait des reportages sur Izyum comme s'ils arboraient la robe noire des juristes. Reuters a été particulièrement imprudent, selon toute vraisemblance parce qu'il travaille en étroite collaboration avec le M.I.6 pour diffuser de la propagande anti-russe, une relation bien documentée - tout comme celle de la BBC, d'ailleurs. Les informations de Reuters faisant état d'un charnier de 440 corps sont totalement fausses. Plus tard dans la journée de vendredi, l'agence a rapporté que de nombreux corps trouvés sur le "site d'enterrement collectif" - ce n'est plus un charnier - ont été déterrés avec des cordes autour du cou. Reuters a retiré cette information quelques heures plus tard.
Peu de temps après, le Telegraph a rapporté que son correspondant n'avait trouvé aucune preuve à l'appui des affirmations ukrainiennes concernant le nombre élevé de cadavres - un officiel a affirmé avoir trouvé 1 000 corps - et aucune preuve indiquant que les victimes avaient été torturées.
Le New York Times et la BBC ne sont généralement pas aussi prudents dans leurs affirmations et attributions de responsabilité qu'ils l'ont été jusqu'à présent à Izyum. Dans l'un de ses "reportages spéciaux", le Times affirme que la Russie a commis des crimes de guerre dans l'affaire Bucha, alors qu'il n'a rien fait de tel et qu'aucune enquête impartiale n'a été menée sur les événements survenus dans cette région au printemps dernier.
Il s'avère que le Times et la Beeb ont des raisons d'être prudents cette fois-ci. Ce qui semble s'être produit à Izyum pendant l'occupation russe et ce que l'on découvre maintenant sont en contradiction directe avec les affirmations des Ukrainiens qu'ils citent pour établir une version claire des événements sans y mettre leur nom.
Une vidéo d'Associated Press tournée à Izyum lors de la visite guidée des autorités ukrainiennes la semaine dernière rapporte qu'il y a une seule fosse commune contenant les corps de 17 soldats ukrainiens, pas de civils, ni de centaines ou de milliers. "Elle était entourée de centaines de tombes individuelles", note l'AP dans une légende surajoutée.
Cela commence à ressembler à l'escroquerie que les Ukrainiens ont tenté de faire passer lorsque, au printemps dernier, ils ont conduit les médias occidentaux vers une fosse commune située à l'extérieur de Mariupol et censée contenir 9 000 corps. Comme Eva Bartlett l'a habilement établi, le charnier n'était rien d'autre qu'un cimetière ordinaire et non dégradé.
Quant aux 17 soldats ukrainiens, les médias russes ont rapporté il y a plusieurs mois que les forces russes ont proposé à plusieurs reprises d'établir des couloirs de passage sûrs permettant aux Forces armées ukrainiennes de recueillir leurs morts et de leur donner une sépulture correcte. L'AFU a rejeté toutes ces offres et a refusé d'enlever les corps de ses soldats tombés au combat, selon ces médias. Les forces russes ont donc enterré les 17 soldats dans un cimetière comptant, selon les estimations les plus fiables, environ 200 tombes individuelles.
Ce rapport d'un site d'information russe comprend un texte en langue russe couvrant ces événements et une vidéo qui semble montrer des soldats russes préparant les 17 corps pour l'enterrement.
Comme je vous le disais: c'est monotone.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son dernier livre est Time No Longer : Americans After the American Century. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré sans explication.
📰 https://scheerpost.com/2022/09/18/patrick-lawrence-atrocity-porn/