đâđš PEGASUS
Sans rĂ©glementation, câest une sociĂ©tĂ© de surveillance gĂ©nĂ©ralisĂ©e qui peut se mettre en place, sur laquelle nous nâaurons plus aucun contrĂŽle. Il est urgent dâagir. Tant quâil est encore temps.
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RĂVĂLATIONS SUR UN SYSTĂME MONDIAL DE SURVEILLANCE
Le 17 juillet 2022, mis Ă jour le 18 juillet 2023
Pegasus, câest un scandale de cybersurveillance qui marquera Ă jamais lâhistoire. Deux ans aprĂšs les premiĂšres rĂ©vĂ©lations, les enquĂȘtes peinent Ă avancer. PlongĂ©e au cĆur dâun systĂšme mondial de surveillance.
18 juillet 2021, 17h59. Dans une minute, dix-sept mĂ©dias vont rĂ©vĂ©ler le plus gros scandale dâespionnage depuis lâaffaire Snowden. Nom de code "Pegasus", le logiciel espion de lâentreprise israĂ©lienne NSO group.
18h : la bombe est lancĂ©e. Certains Ătats sont des espions. Ils utilisent Pegasus comme une arme contre des militants, des journalistes. Les tĂ©lĂ©phones de chefs dâĂtats, dont Emmanuel Macron, sont Ă©galement sur la liste des cibles potentielles. En moins de 24 heures, lâenquĂȘte des 80 journalistes du consortium dâinvestigation rĂ©unis autour de Forbidden stories et du Security Lab dâAmnesty International fait la une de la presse internationale et irrigue les rĂ©seaux sociaux, les ondes et les Ă©crans du monde entier.Â
Il y aura un avant et un aprĂšs Pegasus. Et pour cause⊠Lâaffaire Pegasus câest une fuite de 50 000 numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone sĂ©lectionnĂ©s pour ĂȘtre potentiellement surveillĂ©s par des Ătats. Les journalistes ont eu accĂšs Ă cette liste et divulguĂ© les noms des victimes et des personnes ciblĂ©es.
LES VISAGES DES VICTIMESÂ
DerriĂšre ces attaques numĂ©riques, il y a des vies humaines. Le travail conjoint des journalistes et des experts du Security Lab d'Amnesty International a rĂ©vĂ©lĂ© leurs noms. Cecilio Pineda Brito, un journaliste mexicain, enquĂȘtait sur le narcotrafic dans la rĂ©gion de Tierra Caliente. Le 2 mars 2017, alors qu'il est couchĂ© dans un hamac prĂšs d'une laverie, dans sa ville de lâĂtat du Chiapas, il est criblĂ© de balles par un commando de deux hommes en moto. Le lien avec Pegasus ? Depuis plusieurs semaines, Cecilio figurait sur la liste des numĂ©ros potentiellement ciblĂ©s par le logiciel. Le Mexique est soupçonnĂ© dâĂȘtre le premier client du logiciel israĂ©lien.Â
COMMENT SâEST DĂROULĂE
LâENQUĂTE SUR PEGASUSÂ ?
Le projet Pegasus est le fruit d'un travail conjoint entre un consortium de journalistes coordonnĂ© par Forbidden Stories et nos Ă©quipes du Security Lab dâAmnesty International. 80 journalistes de 17 mĂ©dias internationaux ont eu accĂšs Ă une liste de plus de 50 000 numĂ©ros de tĂ©lĂ©phones, cibles potentielles de Pegasus. Leur travail : trouver l'identitĂ© cachĂ©e derriĂšre ces numĂ©ros, rĂ©vĂ©ler le nom des victimes de cette grande cyber attaque mondiale. Damien Leloup, journaliste au Monde fait partie des 80 journalistes Ă avoir enquĂȘtĂ© sur le sujet : âNous avons dĂ» prendre des mesures de sĂ©curitĂ© les plus draconiennes.â Pendant les six mois dâenquĂȘtes, il a fallu retracer, petit Ă petit, pas Ă pas, et mettre bout Ă bout chaque donnĂ©e rĂ©coltĂ©e. Reconstituer le puzzle pour trouver le nom des victimes et retrouver le contexte de l'attaque. Une fois le nom identifiĂ©, nos collĂšgues sdu Security Lab d'Amnesty International entrent en scĂšne. Ce sont eux qui analysent, par un systĂšme technologique de pointe, si oui ou non, Pegasus est effectivement installĂ© dans les tĂ©lĂ©phones identifiĂ©s. Les journalistes ont enquĂȘtĂ©, nous avons expertisĂ©. Ensemble, nous avons dĂ©voilĂ© un systĂšme mondial de cybersurveillance.
Au fil des investigations, un autre nom apparait : Jamal Khashoggi, lâun des rares journalistes Ă avoir osĂ© critiquer la monarchie saoudienne. En 2018, il est sauvagement assassinĂ© Ă l'intĂ©rieur du consulat d'Arabie saoudite Ă Istanbul. Une opĂ©ration commando orchestrĂ©e par les autoritĂ©s saoudiennes. Pegasus semble avoir jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant. Le Security Lab d'Amnesty International a pu analyser le tĂ©lĂ©phone de sa compagne, Hatice Cengize. RĂ©sultat : quatre jours aprĂšs la mort de Jamal Khashoggi, Pegasus Ă©tait installĂ© sur son tĂ©lĂ©phone. Les auteurs de lâattaque pouvaient donc suivre, en direct, chacun de ses Ă©changes et le moindre de ses dĂ©placements.
Les rĂ©vĂ©lations se poursuivent : les victimes sont aussi des journalistes français comme Edwy Plenel, directeur de Mediapart, ou LenaĂŻg Bredoux, une des journalistes du site dâinvestigation. Câest un choc. Leurs appareils ont Ă©tĂ© expertisĂ©s par le Security Lab d'Amnesty International. Il ne fait aucun doute : leurs tĂ©lĂ©phones ont bien Ă©tĂ© infectĂ©s par Pegasus.
Ă ces noms cĂ©lĂšbres sâajoutent ceux, moins connus, dâactivistes, de militants, de journalistes, de diplomates, etc.
PEGASUS, UN ESPION DANS VOTRE POCHEÂ
Pour vendre son redoutable logiciel espion Ă un Ătat, lâentreprise israĂ©lienne NSO doit obtenir lâaval des autoritĂ©s israĂ©liennes. Un scĂ©nario de film d'espionnage ? Nous y sommes presque, sauf que la rĂ©alitĂ© a pris le pas sur la fiction.
PĂ©gase, le cheval ailĂ© d'Hercule, est une crĂ©ature fantastique de la mythologie grecque. Et voilĂ que dĂ©barque Pegasus, l'arme d'Ătats, crĂ©ature numĂ©rique mais bien rĂ©elle du XXIe siĂšcle. Facile Ă installer, impossible Ă dĂ©tecter, Pegasus sâinfiltre dans les tĂ©lĂ©phones portables. Pas besoin de cliquer sur un lien piĂ©gĂ©, le logiciel espion peut s'introduire "ni vu, ni connu" dans votre tĂ©lĂ©phone. Pegasus peut alors rĂ©cupĂ©rer toutes les donnĂ©es : messages, emails, appels, photos, vidĂ©os, contacts, localisation, historique de navigation, codes bancaires, etc. Pegasus accĂšde Ă tout. Pire encore, il peut prendre le contrĂŽle, en temps rĂ©el, de la camĂ©ra et du micro de l'appareil.
NSO NIE EN BLOC
Comment un logiciel, qui reprĂ©sente une menace directe et rĂ©elle pour des milliers de personnes, a-t-il pu ĂȘtre conçu et si largement distribuĂ© ? Pour « Lutte contre le terrorisme », se dĂ©fend NSO Group. Un journaliste comme Edwy Plenel serait donc un terroriste ? Câest lĂ oĂč est le danger : Pegasus est une arme numĂ©rique qui, sous couvert de lutte contre le terrorisme, est utilisĂ©e illĂ©galement contre des membres de la sociĂ©tĂ© civile. Parce que leurs activitĂ©s professionnelles dĂ©rangent. Parce que leurs opinions politiques bousculent. Parce que leurs combats pour la dĂ©fense des droits humains embarrassent.
Avec Pegasus, des moyens dâespionnages sophistiquĂ©s, autrefois rĂ©servĂ©s Ă quelques Ătats, se dĂ©mocratisent pour le pireâŠ
LA CONTRE-ATTAQUE
Le scandale appelle une rĂ©ponse judiciaire dans diffĂ©rents pays. Ă ce jour, cinq enquĂȘtes ont Ă©tĂ© enregistrĂ©es dans le monde. Ă lâorigine des poursuites : des citoyens, des journalistes mais des entreprises aussi, comme Apple qui dĂ©pose plainte en novembre 2021 contre NSO Group. En France, le parquet de Paris ouvre une enquĂȘte en juillet 2021. La contre-attaque est politique, aussi. Le Parlement europĂ©en ne compte pas en rester lĂ et lance en mars 2022 une commission dâenquĂȘte.
AprĂšs le travail dâanalyse du Security Lab dâAmnesty International, notre ONG se met en ordre de bataille. Pegasus nâest que la partie Ă©mergĂ©e de lâiceberg. Face Ă des technologies de cybersurveillance toujours plus discrĂštes et invasives, que faire ? Amnesty International appelle Ă un moratoire mondial sur les transferts et lâutilisation des technologies de cybersurveillance, en attendant lâadoption dâun cadre rĂ©glementaire respectueux des droits humains. Les enjeux sont clairs : la protection de la vie privĂ©e, de lâintimitĂ© mais aussi et in fine des libertĂ©s d'expression, de rĂ©union, d'association et dâinformation. Chez Amnesty France, c'est Katia Roux qui est experte sur ces questions. Au quotidien, elle dĂ©fend nos droits. Comment ? En faisant du plaidoyer auprĂšs des dĂ©cideurs, c'est Ă dire en influant sur les lois qui sont votĂ©es pour qu'elles protĂšgent nos droits essentiels.
La France a un vrai rĂŽle Ă jouer pour que les pratiques de surveillance numĂ©rique changent et soient conformes aux exigences du droit international. Notre rĂŽle, câest de la pousser Ă agir et Ă prendre ses responsabilitĂ©s
â Katia Roux, chargĂ©e de plaidoyer LibertĂ©s Ă Amnesty International France
Lire aussi : L'action d'Amnesty International aux Nations-Unies sur la cybersurveillance
TOUS SURVEILLĂS, TOUS CONCERNĂS
La surveillance numĂ©rique nous concerne toutes et tous, parce que nous pouvons toutes et tous ĂȘtres ciblĂ©s.
La surveillance numĂ©rique ciblĂ©e est lâaffaire de tous parce quâelle vise celles et ceux qui dĂ©fendent nos droits, qui nous informent, qui nous alertent. Personne ne souhaite que ses donnĂ©es personnelles, intimes, ne tombent entre de mauvaises mains.Â
â Katia Roux
La vie numĂ©rique aujourd'hui, c'est aussi la vie rĂ©elle. Nos smartphones sont progressivement devenus nos assistants personnels Ă qui nous confions souvent nos secrets. « Je n'ai rien Ă cacher », direz-vous. Peut-ĂȘtre, mais vous avez une intimitĂ© Ă prĂ©server. Avec des logiciels espions tels que Pegasus, votre intimitĂ© ne vous appartient plus. Quid des militants, des journalistes, qui de fait, ont des choses Ă cacher ou plutĂŽt des informations Ă protĂ©ger ? Ce sont eux que les Ătats clients de Pegasus cherchent Ă tout prix Ă surveiller.Espionner des journalistes, câest vouloir les intimider, câest vouloir leur faire peur, câest vouloir les dissuader de publier certaines informations.
Il est clair quâun changement urgent et radical doit sâopĂ©rer dans le secteur de la surveillance numĂ©rique ciblĂ©e, secteur dangereux et opaque.
Sans rĂ©glementation, câest une sociĂ©tĂ© de surveillance gĂ©nĂ©ralisĂ©e qui peut se mettre en place, sur laquelle nous nâaurons plus aucun contrĂŽle. Parce que ces technologies sont devenues de vĂ©ritables armes numĂ©riques contre nos libertĂ©s individuelles, il est urgent dâagir. Tant quâil est encore temps.
Visuel - conception graphique © Ălise Desmars-Castillo
https://www.amnesty.fr/actualites/projet-pegasus-revelations-sur-un-systeme-mondial-de-surveillance