đâđš Pepe Escobar : Bienvenue au sein des BRICS 11
Rien dâĂ©tonnant que l'Occident collectif, sonnĂ© et dĂ©boussolĂ©, tremble aujourd'hui de sentir la terre - ou du moins 85 % de celle-ci - se dĂ©rober sous ses pieds.
đâđš Bienvenue au sein des BRICS 11
Par Pepe Escobar, le 25 août 2023
âNulle montagne ne peut endiguer le flot d'un grand fleuveâ. Avec l'arrivĂ©e de six nouveaux membres ajoutant un poids gĂ©ostratĂ©gique et une profondeur gĂ©ographique aux BRICS, l'institution multilatĂ©rale est en train de prendre l'Ă©lan nĂ©cessaire pour rĂ©initialiser les relations internationales.
En fin de compte, l'histoire s'est Ă©crite. DĂ©passant mĂȘme les plus grandes espĂ©rances, les nations BRICS ont fait un pas de gĂ©ant vers la multipolaritĂ© en Ă©largissant le groupe Ă BRICS 11.
Ă partir du 1er janvier 2024, les cinq membres initiaux des BRICS seront rejoints par l'Arabie saoudite, l'Argentine, l'Ăgypte, l'Ăthiopie, l'Iran et les Ămirats arabes unis (EAU).
Non, ils ne se transformeront pas en un BRIICSSEEUA imprononçable. Le ministre russe des affaires Ă©trangĂšres, SergueĂŻ Lavrov, a confirmĂ© le maintien du titre, avec l'acronyme familier BRICS pour dĂ©signer l'organisation multilatĂ©rale âGlobal Southâ, âGlobal Majorityâ ou âGlobal Globeâ, qui dessinera les contours d'un nouveau systĂšme de relations internationales.
Voici la dĂ©claration de Johannesburg II du 15e sommet des BRICS. Le sommet BRICS 11 n'est qu'un dĂ©but. Sans parler des dizaines de nations (et plus) qui ont dĂ©jĂ âexprimĂ© leur intĂ©rĂȘtâ, selon les Sud-Africains, la liste officielle compte Ă ce jour l'AlgĂ©rie, le Bangladesh, le BahreĂŻn, la BiĂ©lorussie, la Bolivie, le Venezuela, le ViĂȘt Nam, la GuinĂ©e, la GrĂšce, le Honduras, l'IndonĂ©sie, Cuba, le KoweĂŻt, le Maroc, le Mexique, le NigĂ©ria, le Tadjikistan, la ThaĂŻlande, la Tunisie, la Turquie et la Syrie.
D'ici l'annĂ©e prochaine, la plupart d'entre eux deviendront des partenaires des BRICS 11, ou feront partie de la deuxiĂšme et de la troisiĂšme vague de membres Ă part entiĂšre. Les Sud-Africains ont soulignĂ© que les BRICS âne se limiteront pas Ă une seule phase d'expansionâ.
Le rĂŽle moteur de la Russie et de la Chine, dans la pratique
La route menant aux BRICS 11, au cours des deux jours de discussions Ă Johannesburg, a Ă©tĂ© dure et cahoteuse, comme l'a admis le prĂ©sident russe Vladimir Poutine lui-mĂȘme. Le rĂ©sultat final s'est avĂ©rĂ© ĂȘtre un prodige d'inclusion transcontinentale. L'Asie occidentale a Ă©tĂ© agrĂ©gĂ©e en force. Le monde arabe compte trois membres Ă part entiĂšre, autant que l'Afrique. Le BrĂ©sil a exercĂ© des pressions stratĂ©giques pour intĂ©grer une Argentine en difficultĂ©.
Le PIB mondial à parité de pouvoir d'achat (PPA) des BRICS 11 s'élÚve aujourd'hui à 36 % (il est déjà supérieur à celui du G7), et l'institution englobe désormais 47 % de la population mondiale.
Plus encore qu'une percée géopolitique et géo-économique, les BRICS 11 réalisent une véritable percée dans le domaine de l'énergie. En signant avec Téhéran, Riyad et Abou Dhabi, les BRICS 11 deviennent instantanément une puissance pétroliÚre et gaziÚre, contrÎlant 39 % des exportations mondiales de pétrole, 45,9 % des réserves avérées et 47,6 % de tout le pétrole produit dans le monde, selon InfoTEK.
Une symbiose directe BRICS 11-OPEC+ est inĂ©vitable (sous la direction de la Russie et de l'Arabie saoudite), sans parler de l'OPEP elle-mĂȘme.
Traduction : l'Occident collectif pourrait bientÎt perdre son pouvoir de contrÎler les prix mondiaux du pétrole et, par conséquent, les moyens d'appliquer ses sanctions unilatérales.
Une Arabie saoudite directement alignĂ©e sur la Russie, la Chine, l'Inde et l'Iran offre un contrepoint Ă©tonnant Ă la crise pĂ©troliĂšre provoquĂ©e par les Ătats-Unis au dĂ©but des annĂ©es 1970, lorsque Riyad a commencĂ© Ă se vautrer dans les pĂ©trodollars. Cela reprĂ©sente la prochaine Ă©tape du rapprochement entre Riyad et TĂ©hĂ©ran, initiĂ© par la Russie et finalisĂ© par la Chine, rĂ©cemment scellĂ© Ă PĂ©kin.
Et c'est exactement ce que les dirigeants stratĂ©giques de la Russie et de la Chine ont toujours eu Ă l'esprit. Ce coup de maĂźtre diplomatique est truffĂ© de dĂ©tails significatifs : les BRICS 11 entreront en lice exactement le mĂȘme jour, le 1er janvier 2024, oĂč la Russie prendra le relais de la prĂ©sidence annuelle des BRICS.
M. Poutine a annoncé que le sommet des BRICS 11 de l'année prochaine se tiendrait à Kazan, la capitale du Tatarstan russe, ce qui portera un nouveau coup aux politiques irrationnelles d'isolement et de sanctions de l'Occident. En janvier prochain, il faut s'attendre à une intégration plus poussée du Sud, des Global South/Global Majority/Global Globe, y compris des décisions encore plus radicales, menées par l'économie russe sanctionnée jusqu'à l'oubli - aujourd'hui, soit dit en passant, la cinquiÚme plus grande économie du monde avec une PPA de plus de 5 000 milliards de dollars.
Le G7 dans le coma
Le G7, Ă toutes fins utiles, est maintenant entrĂ© dans une unitĂ© de soins intensifs. Le G20 pourrait ĂȘtre le prochain. Le nouveau G20 "Global Globe" pourrait ĂȘtre le BRICS 11 - et plus tard le BRICS 20, ou mĂȘme le BRICS 40. D'ici lĂ , le pĂ©trodollar sera Ă©galement sous assistance respiratoire en soins intensifs.
L'apogée des BRICS 11 n'aurait pu avoir lieu sans une performance exceptionnelle des acteurs du sommet, Poutine et le président chinois Xi Jinping, soutenus par leurs équipes respectives. Le partenariat stratégique Russie-Chine a dominé à Johannesburg et fixé les grandes orientations.
âNous devons faire preuve d'audace et nous dĂ©velopper ; nous devons faire pression pour rĂ©former le cadre institutionnel actuel - du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies au FMI et Ă l'OMC ; et nous devons nous dĂ©barrasser des institutions qui sont assujetties Ă l'artificiel "ordre international fondĂ© sur des rĂšglesâ.
Il n'est pas Ă©tonnant que Xi ait qualifiĂ© ce moment d'âhistoriqueâ. Poutine est allĂ© jusqu'Ă demander publiquement Ă lâensemble des BRICS 11 d'abandonner le dollar amĂ©ricain, et de dĂ©velopper les rĂšglements commerciaux dans les monnaies nationales - soulignant que les BRICS âs'opposent aux hĂ©gĂ©monies de toutes sortesâ et âau statut exceptionnel auquel certains pays aspirentâ, sans parler d'une âpolitique de nĂ©ocolonialisme continuâ.
Il est important de noter qu'alors que l'initiative chinoise Belt and Road (BRI) fĂȘtera son 10e anniversaire le mois prochain, M. Poutine a insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ©
dââ...Ă©tablir une commission permanente des transports des BRICS, qui s'occuperait non seulement du projet Nord-Sud [en rĂ©fĂ©rence au corridor de transport INTSC, dont les principaux membres des BRICS sont la Russie, l'Iran et l'Inde], mais aussi, Ă plus grande Ă©chelle, du dĂ©veloppement de la logistique et des couloirs de transport, interrĂ©gionaux et mondiaux.â
Soyez attentifs. La Russie et la Chine sont en phase sur les couloirs de connectivité, et se préparent à relier encore davantage leurs projets de transport continental.
Sur le plan financier, les banques centrales des BRICS actuels ont reçu pour instruction d'étudier sérieusement et d'accroßtre les échanges en monnaies locales.
Poutine a tenu Ă ĂȘtre trĂšs rĂ©aliste sur la dĂ©dollarisation :
âLa question de la monnaie unique de rĂšglement est une question complexe, mais nous progresserons vers la rĂ©solution de ces problĂšmes d'une maniĂšre ou d'une autre.â
Ces propos complÚtent ceux du président brésilien Luiz Inacio Lula Da Silva, qui a expliqué que les BRICS avaient créé un groupe de travail chargé d'étudier la viabilité d'une monnaie de référence.
ParallĂšlement, la New Development Bank (NDB) des BRICS a accueilli trois nouveaux membres : le Bangladesh, l'Ăgypte et les Ămirats arabes unis. Cependant, leur route vers la notoriĂ©tĂ© va ĂȘtre encore plus ardue Ă partir d'aujourd'hui.
Le prĂ©sident sud-africain Cyril Ramaphosa a publiquement fait l'Ă©loge du rapport de la prĂ©sidente de la NDB, Dilma Rousseff, sur cette institution vieille de neuf ans ; mais Dilma elle-mĂȘme a soulignĂ© Ă nouveau que la banque vise Ă atteindre seulement 30 % du total des prĂȘts dans des monnaies hors dollar amĂ©ricain.
C'est loin d'ĂȘtre suffisant. Pourquoi ? C'est Ă Sergey Glazyev, ministre de la macroĂ©conomie Ă la Commission Ă©conomique eurasienne, qui travaille sous l'Ă©gide de l'UEEA dirigĂ©e par la Russie, qu'il revient de rĂ©pondre Ă cette question clĂ© :
"Il est nĂ©cessaire de modifier les documents statutaires de cette banque. Lors de sa crĂ©ation, j'ai tentĂ© d'expliquer Ă nos autoritĂ©s financiĂšres que le capital de la banque devait ĂȘtre rĂ©parti entre les monnaies nationales des pays fondateurs. Mais les agents amĂ©ricains ont follement misĂ© sur le dollar amĂ©ricain. RĂ©sultat, cette banque a aujourd'hui peur des sanctions et se trouve semi-paralysĂ©e".
Nulle montagne ne peut endiguer le flot dâun grand fleuve.
Alors oui, les défis à relever sont immenses. Mais la volonté de réussir est contagieuse, comme en témoigne le remarquable discours de Xi lors de la cérémonie de clÎture du Forum des affaires des BRICS, lu par le ministre chinois du commerce Wang Wentao.
C'est comme si Xi avait invoquĂ© une version mandarin du classique pop amĂ©ricain de 1967 âAin't No Mountain High Enoughâ. Il a citĂ© un proverbe chinois : âNulle montagne ne peut arrĂȘter le flot dĂ©ferlant d'un puissant fleuveâ. Et il a rappelĂ© Ă son auditoire que le combat Ă©tait Ă la fois noble et nĂ©cessaire :
"Quelles que soient les résistances, les BRICS, force positive et stable au service du bien, continueront à se développer. Nous allons renforcer le partenariat stratégique des BRICS, développer le modÚle "BRICS Plus", faire progresser activement l'augmentation du nombre de membres, approfondir la solidarité et la coopération avec d'autres EMDC [pays émergents en développement], promouvoir la multipolarité mondiale & une plus grande démocratie dans les relations internationales, et contribuer à rendre l'ordre international plus juste et plus équitable".
Ajoutez maintenant cette profession de foi en l'humanitĂ© Ă la perception de la Russie par le âGlobal Globeâ. MĂȘme si la paritĂ© du pouvoir d'achat de l'Ă©conomie russe est dĂ©sormais supĂ©rieure Ă celle des vassaux europĂ©ens impĂ©riaux qui cherchent Ă l'Ă©craser, le Sud global perçoit Moscou comme âl'un des nĂŽtresâ. Ce qui s'est passĂ© en Afrique du Sud illustre encore plus nettement cette perception, et l'accession de la Russie Ă la prĂ©sidence des BRICS dans quatre mois ne fera que la conforter.
Rien dâĂ©tonnant que l'Occident collectif, sonnĂ© et dĂ©boussolĂ©, tremble aujourd'hui de sentir la terre - ou du moins 85 % de celle-ci - se dĂ©rober sous ses pieds.
Les opinions exprimées dans cet article ne reflÚtent pas nécessairement celles de The Cradle.