đâđš Pepe Escobar: Exit le G20, place aux BRICS+ !
L'obsession du G7 d'isoler et/ou de contenir les principaux acteurs eurasiens se retourne contre lui-mĂȘme dans le cadre du G20, qui pourrait ĂȘtre isolĂ© par la dynamique irrĂ©sistible des BRICS+.
đâđš Exit le G20, place aux BRICS+ !
đ° Par Pepe Escobar, le 17 novembre 2022
Le sommet du G20, de moins en moins pertinent, s'est conclu sur des signes évidents que les BRICS+ seront la voie à suivre pour la coopération du Sud.
La valeur rédemptrice d'un G20 tendu qui s'est tenu à Bali - géré par ailleurs par une louable courtoisie indonésienne - a été de définir avec précision de quel cÎté soufflent les vents géopolitiques.
Cela s'est traduit par les deux temps forts du sommet : la trĂšs attendue rencontre prĂ©sidentielle entre la Chine et les Ătats-Unis, qui reprĂ©sente la relation bilatĂ©rale la plus importante du XXIe siĂšcle, et la dĂ©claration finale du G20.
La rencontre en tĂȘte-Ă -tĂȘte de 3 heures et 30 minutes entre le prĂ©sident chinois Xi Jinping et son homologue amĂ©ricain Joe Biden - sollicitĂ©e par la Maison Blanche - a eu lieu Ă la rĂ©sidence de la dĂ©lĂ©gation chinoise Ă Bali, et non sur le site du G20, dans le luxueux hĂŽtel Apurva Kempinski Ă Nusa Dua.
Le ministĂšre chinois des affaires Ă©trangĂšres a exposĂ© de maniĂšre concise ce qui comptait vraiment. Plus prĂ©cisĂ©ment, Xi a dit Ă Biden que l'indĂ©pendance de TaĂŻwan Ă©tait tout simplement hors de question. Xi a Ă©galement exprimĂ© l'espoir que l'OTAN, l'UE et les Ătats-Unis s'engagent dans un "dialogue global" avec la Russie. Au lieu de la confrontation, le prĂ©sident chinois a choisi de mettre en avant les niveaux d'intĂ©rĂȘt commun et de coopĂ©ration.
M. Biden, selon les Chinois, a fait valoir plusieurs points. Les Ătats-Unis ne cherchent pas une nouvelle guerre froide, ne soutiennent pas "l'indĂ©pendance de TaĂŻwan", ne sont pas favorables Ă "deux Chine" ou "une Chine, un TaĂŻwan", ne cherchent pas Ă se "dissocier" de la Chine ni Ă contrĂŽler PĂ©kin.
Toutefois, le bilan récent montre que Xi a peu de raisons de prendre Biden au pied de la lettre.
La déclaration finale du G20 est encore plus floue: elle est le fruit d'un compromis ardu.
Alors que le G20 se dĂ©crit lui-mĂȘme comme "le premier forum pour la coopĂ©ration Ă©conomique mondiale", engagĂ© Ă "relever les principaux dĂ©fis Ă©conomiques mondiaux", le G7 Ă l'intĂ©rieur du G20 Ă Bali a vu le sommet de facto dĂ©tournĂ© de son objet par la guerre. La "guerre" est en effet presque deux fois plus mentionnĂ©e dans la dĂ©claration que la "famine".
Le collectif occidental, y compris l'Ătat vassal japonais, s'est acharnĂ© Ă inclure la guerre en Ukraine et ses "impacts Ă©conomiques" - notamment la crise alimentaire et Ă©nergĂ©tique - dans la dĂ©claration. Sans pour autant offrir ne serait-ce qu'une ombre de contexte, liĂ© Ă l'expansion de l'OTAN. Ce qui importait, c'Ă©tait de blĂąmer la Russie - pour tout.
âȘïž L'effet Sud Global
Il appartenait à l'Indonésie, hÎte du G20 cette année, et à l'Inde, prochain hÎte, de faire preuve de la courtoisie et de la recherche du consensus propres à l'Asie. Jakarta et New Delhi ont travaillé d'arrache-pied pour trouver une formulation qui soit acceptable à la fois pour Moscou et pour Pékin. C'est ce qu'on appelle l'effet Sud Global.
Pourtant, la Chine souhaitait que des modifications soient apportĂ©es au texte. Les Ătats occidentaux s'y sont opposĂ©s, tandis que la Russie n'a pas examinĂ© la formulation de derniĂšre minute, le ministre des affaires Ă©trangĂšres Sergey Lavrov Ă©tant dĂ©jĂ parti.
Au point 3 sur 52, la déclaration "exprime son plus profond regret face à l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine et exige le retrait complet et inconditionnel des forces armées du territoire de l'Ukraine."
"L'agression russe" est le mantra standard de l'OTAN - qui n'est pas partagé par la quasi-totalité du Sud global.
La déclaration établit une corrélation directe entre la guerre et une "aggravation des problÚmes urgents de l'économie mondiale - ralentissement de la croissance économique, hausse de l'inflation, perturbation des chaßnes d'approvisionnement, détérioration de la sécurité énergétique et alimentaire, risques accrus pour la stabilité financiÚre".
Quant Ă ce passage, il ne pourrait pas ĂȘtre plus clair : "L'utilisation ou la menace d'utilisation d'armes nuclĂ©aires est inadmissible. La rĂ©solution pacifique des conflits, les efforts pour faire face aux crises, ainsi que la diplomatie et le dialogue, sont essentiels. L'Ăšre d'aujourd'hui ne doit pas ĂȘtre celle de la guerre."
C'est ironique, étant donné que l'OTAN et son département de relations publiques, l'UE, "représentée" par les eurocrates non élus de la Commission européenne, ne font pas de "diplomatie et de dialogue."
âȘïž Lâobsession de la guerre
Au lieu de cela, les Ătats-Unis, qui contrĂŽlent l'OTAN, ont armĂ© l'Ukraine, depuis mars, d'un montant Ă©norme de 91,3 milliards de dollars, y compris la derniĂšre demande prĂ©sidentielle, ce mois-ci, de 37,7 milliards de dollars. Cela reprĂ©sente 33 % de plus que les dĂ©penses militaires totales de la Russie (c'est moi qui souligne) pour 2022.
Une preuve supplĂ©mentaire que le sommet de Bali a Ă©tĂ© dĂ©tournĂ© par la "guerre" a Ă©tĂ© fournie par la rĂ©union d'urgence, convoquĂ©e par les Ătats-Unis, pour dĂ©battre de ce qui s'est avĂ©rĂ© ĂȘtre un missile S-300 ukrainien tombĂ© sur une ferme polonaise, et non le dĂ©but de la TroisiĂšme Guerre mondiale comme certains tabloĂŻds l'ont hystĂ©riquement suggĂ©rĂ©.
Fait révélateur, aucun représentant du Sud n'était présent à la réunion, la seule nation asiatique étant le vassal japonais, qui fait partie du G7.
Pour compliquer le tableau, le sinistre maßtre de Davos, Klaus Schwab, s'est une fois de plus fait passer pour un méchant de James Bond au forum des entreprises du B20, vendant son programme de "Grande Réinitialisation" consistant à "reconstruire le monde" par le biais de pandémies, de famines, du changement climatique, de cyberattaques et, bien sûr, de guerres.
Comme si cela n'était pas assez inquiétant, Davos et son Forum économique mondial ordonnent maintenant à l'Afrique - complÚtement exclue du G20 - de payer 2 800 milliards de dollars pour "remplir ses obligations" dans le cadre de l'accord de Paris visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
âȘïž La fin du G20 tel que nous le connaissons
La grave fracture entre le Nord et le Sud du monde, si évidente à Bali, avait déjà été suggérée à Phnom Penh, alors que le Cambodge accueillait le week-end dernier le sommet de l'Asie de l'Est.
Les dix membres de l'ANASE avaient clairement fait savoir qu'ils n'Ă©taient pas disposĂ©s Ă suivre les Ătats-Unis et le G7 dans leur diabolisation collective de la Russie et, Ă bien des Ă©gards, de la Chine.
Les Asiatiques du Sud-Est ne sont pas non plus vraiment enthousiasmĂ©s par l'IPEF (Indo-Pacific Economic Framework) conçu par les Ătats-Unis, qui ne sera d'aucune utilitĂ© pour ralentir les Ă©changes commerciaux et la connectivitĂ© de la Chine Ă travers l'Asie du Sud-Est.
Et ce n'est pas tout. Celui qui se décrit comme le "leader du monde libre" évite le trÚs important sommet de l'APEC (Coopération économique Asie-Pacifique) qui se tiendra à Bangkok à la fin de cette semaine.
Pour les cultures asiatiques trĂšs sensibles et sophistiquĂ©es, câest perçu comme un affront. L'APEC, créée dans les annĂ©es 1990 pour promouvoir le commerce entre les pays du Pacifique, est une affaire sĂ©rieuse pour l'Asie-Pacifique, et non une militarisation amĂ©ricanisĂ©e de l'"Indo-Pacifique".
Cette rebuffade fait suite à la derniÚre gaffe de Biden, qui s'est adressé par erreur au Cambodgien Hun Sen en l'appelant "premier ministre de Colombie" lors du sommet de Phnom Penh.
âȘïž Une file d'attente pour rejoindre les BRICS
On peut affirmer sans risque dâerreur que le G20 s'est peut-ĂȘtre engagĂ© sur la voie irrĂ©mĂ©diable de l'insignifiance. Avant mĂȘme la vague actuelle de sommets en Asie du Sud-Est - Ă Phnom Penh, Bali et Bangkok -, M. Lavrov avait dĂ©jĂ annoncĂ© la suite des Ă©vĂ©nements lorsqu'il a indiquĂ© que "plus d'une douzaine de pays" avaient demandĂ© Ă rejoindre les BRICS (BrĂ©sil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).
L'Iran, l'Argentine et l'Algérie ont officiellement posé leur candidature: l'Iran, aux cÎtés de la Russie, de l'Inde et de la Chine, fait déjà partie du Quatuor eurasien qui compte vraiment.
La Turquie, l'Arabie saoudite, l'Ăgypte et l'Afghanistan sont extrĂȘmement intĂ©ressĂ©s Ă devenir membres. L'IndonĂ©sie vient de poser sa candidature, Ă Bali. Et puis il y a la prochaine vague: le Kazakhstan, les EAU, la ThaĂŻlande (qui pourrait poser sa candidature ce week-end Ă Bangkok), le Nigeria, le SĂ©nĂ©gal et le Nicaragua.
Il est essentiel de noter que tous ces pays ont envoyé leurs ministres des finances à un dialogue sur l'expansion des BRICS en mai. Une évaluation brÚve mais sérieuse des candidats révÚle une étonnante unité dans la diversité.
M. Lavrov lui-mĂȘme a notĂ© qu'il faudra du temps aux cinq BRICS actuels pour analyser les immenses implications gĂ©opolitiques et gĂ©oĂ©conomiques d'une expansion au point d'atteindre virtuellement la taille du G20 - et sans l'Occident collectif.
Ce qui unit avant tout les candidats, c'est la possession de ressources naturelles massives: pĂ©trole et gaz, mĂ©taux prĂ©cieux, terres rares, minĂ©raux rares, charbon, Ă©nergie solaire, bois, terres agricoles, pĂȘche et eau douce. C'est incontournable lorsqu'il s'agit de concevoir une nouvelle monnaie de rĂ©serve basĂ©e sur les ressources naturelles pour contourner le dollar amĂ©ricain.
Supposons qu'il faille attendre jusqu'en 2025 pour que cette nouvelle configuration BRICS+ soit opérationnelle. Cela représenterait environ 45 % des réserves mondiales confirmées de pétrole et plus de 60 % des réserves mondiales confirmées de gaz (et ce chiffre augmentera si la république gaziÚre du Turkménistan rejoint le groupe).
Le PIB combinĂ© - en chiffres d'aujourd'hui - s'Ă©lĂšverait Ă environ 29 350 milliards de dollars, soit beaucoup plus que celui des Ătats-Unis (23 000 milliards de dollars), et au moins le double de celui de l'UE (14 500 milliards de dollars, en baisse).
à l'heure actuelle, les BRICS représentent 40 % de la population mondiale et 25 % du PIB. Les BRICS+ regrouperaient 4,257 milliards de personnes, soit plus de 50 % de la population mondiale totale actuelle.
âȘïž L'IRB englobe les BRICS+
Les BRICS+ s'efforceront de s'interconnecter avec un dĂ©dale d'institutions : les plus importantes sont l'Organisation de coopĂ©ration de Shanghai (OCS), qui compte elle-mĂȘme une liste d'acteurs dĂ©sireux de devenir membres Ă part entiĂšre; l'OPEP+ stratĂ©gique, dirigĂ©e de facto par la Russie et l'Arabie saoudite; et l'initiative "Belt and Road" (BRI), le cadre gĂ©nĂ©ral de la politique commerciale et Ă©trangĂšre de la Chine pour le XXIe siĂšcle. Il convient de souligner qu'au dĂ©but, tous les acteurs asiatiques cruciaux ont rejoint la BRI.
Ensuite, il y a les liens étroits des BRICS avec une pléthore de blocs commerciaux régionaux : l'ANASE, le Mercosur, le CCG (Conseil de coopération du Golfe), l'Union économique eurasienne (UEEA), la zone commerciale arabe, la zone de libre-échange continentale africaine, l'ALBA, l'ASACR, et enfin le Partenariat économique global régional (RCEP), le plus grand accord commercial de la planÚte, qui inclut une majorité de partenaires de la BRI.
Les BRICS+ et la BRI se rejoignent partout oĂč l'on regarde - de l'Asie occidentale et de l'Asie centrale aux Asiatiques du Sud-Est (en particulier l'IndonĂ©sie et la ThaĂŻlande). L'effet multiplicateur sera dĂ©terminant, car les membres de la BRI attireront inĂ©vitablement davantage de candidats pour les BRICS+.
Cela conduira inĂ©vitablement Ă une deuxiĂšme vague de candidats aux BRICS+, dont, trĂšs certainement, l'AzerbaĂŻdjan, la Mongolie, trois autres pays d'Asie centrale (OuzbĂ©kistan, Tadjikistan et la rĂ©publique gaziĂšre du TurkmĂ©nistan), le Pakistan, le Vietnam et le Sri Lanka, et, en AmĂ©rique latine, un contingent important composĂ© du Chili, de Cuba, de l'Ăquateur, du PĂ©rou, de l'Uruguay, de la Bolivie et du Venezuela.
Dans le mĂȘme temps, le rĂŽle de la Nouvelle banque de dĂ©veloppement (NDB) des BRICS et de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (AIIB) dirigĂ©e par la Chine sera renforcĂ©, afin de coordonner les prĂȘts pour les infrastructures dans tous les domaines, car les BRICS+ Ă©viteront de plus en plus les diktats imposĂ©s par le FMI et la Banque mondiale dominĂ©s par les Ătats-Unis.
Tout ce qui prĂ©cĂšde ne fait qu'esquisser l'ampleur et la profondeur des rĂ©alignements gĂ©opolitiques et gĂ©oĂ©conomiques Ă venir, qui affecteront chaque recoin des rĂ©seaux mondiaux de commerce et d'approvisionnement. L'obsession du G7 d'isoler et/ou de contenir les principaux acteurs eurasiens se retourne contre lui-mĂȘme dans le cadre du G20. En fin de compte, c'est le G7 qui pourrait ĂȘtre isolĂ© par la dynamique irrĂ©sistible des BRICS+.
Les opinions exprimées dans cet article ne reflÚtent pas nécessairement celles de The Cradle.