đâđš Pepe Escobar : La gĂ©opolitique du dĂ©luge d'Al-Aqsa.
âLes armes marquĂ©es de l'Ukraine finissent entre les mains des Palestiniens. Question : qui paie pour cela. Une de mes sources m'a citĂ© le nom du pays - pas l'Iran - mais je ne peux pas le rĂ©vĂ©ler".
đâđš La gĂ©opolitique du dĂ©luge d'Al-Aqsa.
Par Pepe Escobar, le 12 octobre 2023
âLes armes marquĂ©es de l'Ukraine finissent entre les mains des Palestiniens. La question est de savoir qui paie pour cela. Une de mes sources m'a donnĂ© le nom du pays - pas par l'Iran, mais je ne peux pas le rĂ©vĂ©ler.â
Le débat mondial s'est déplacé de l'Ukraine à la Palestine. Ce nouveau terrain d'affrontement va exacerber la concurrence entre les blocs atlantiste et eurasien. Comme pour Ukraine, un seul pÎle peut en sortir renforcé et victorieux.
L'opération Al-Aqsa Flood du Hamas a été minutieusement planifiée. La date de lancement a été conditionnée par deux facteurs déclencheurs.
Tout d'abord, le Premier ministre israĂ©lien Benjamin Netanyahu a exhibĂ© sa carte du ânouveau Moyen-Orientâ lors de l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies en septembre, dans laquelle il a complĂštement effacĂ© la Palestine et tournĂ© en dĂ©rision toutes les rĂ©solutions de l'ONU sur le sujet.
DeuxiĂšmement, les provocations en sĂ©rie Ă la mosquĂ©e sacrĂ©e d'Al-Aqsa Ă JĂ©rusalem, y compris la goutte d'eau qui a fait dĂ©border le vase : deux jours avant la fĂȘte d'Al-Aqsa, le 5 octobre, au moins 800 colons israĂ©liens ont lancĂ© un assaut autour de la mosquĂ©e, frappant les pĂšlerins, dĂ©truisant les magasins palestiniens, le tout sous le regard des forces de sĂ©curitĂ© israĂ©liennes.
Toute personne dotée d'un cerveau en état de fonctionnement sait qu'Al-Aqsa est la ligne rouge absolue, non seulement pour les Palestiniens, mais aussi pour l'ensemble du monde arabe et musulman.
Et ce n'est pas tout. Les IsraĂ©liens ont maintenant invoquĂ© la rhĂ©torique d'un âPearl Harborâ. Il n'y a pas plus menaçant. Le premier Pearl Harbor Ă©tait l'excuse amĂ©ricaine pour entrer dans un conflit mondial et bombarder le Japon, et ce âPearl Harborâ pourrait ĂȘtre la justification de Tel-Aviv pour lancer un gĂ©nocide Ă Gaza.
Les secteurs de l'Occident qui applaudissent le nettoyage ethnique Ă venir - y compris les sionistes qui se font passer pour des âexpertsâ et affirment haut et fort que les âtransferts de populationâ entamĂ©s en 1948 âdoivent ĂȘtre achevĂ©sâ - pensent qu'avec un armement massif et une couverture mĂ©diatique imposante, ils peuvent renverser la situation en un rien de temps, anĂ©antir la rĂ©sistance palestinienne et affaiblir les alliĂ©s du Hamas tels que le Hezbollah et l'Iran.
Leur projet ukrainien a échoué, jetant non seulement le discrédit sur les puissants, mais ruinant aussi des économies européennes entiÚres. Pourtant, alors qu'une porte se ferme, une autre s'ouvre : passer de l'Ukraine, pays allié, à Israël, pays allié, et viser l'Iran, pays adversaire, au lieu de la Russie, pays adversaire.
Il existe d'autres bonnes raisons de faire feu de tout bois. Une Asie occidentale pacifique signifie
la reconstruction de la Syrie - dans laquelle la Chine est désormais officiellement impliquée
un redéveloppement actif de l'Irak et du Liban
l'Iran et l'Arabie saoudite dans le cadre des BRICS 11
le partenariat stratégique Russie-Chine pleinement respecté et
l'interaction avec tous les acteurs rĂ©gionaux, y compris les principaux alliĂ©s des Ătats-Unis dans le golfe Persique.
Incompétence. Stratégie délibérée. Voire les deux.
Ce qui nous mĂšne au coĂ»t du lancement de cette nouvelle âguerre contre le terrorismeâ. La propagande bat son plein. Pour Netanyahou Ă Tel-Aviv, le Hamas est ISIS. Pour Volodymyr Zelensky Ă Kiev, le Hamas est la Russie. Le temps d'un week-end d'octobre, la guerre en Ukraine a Ă©tĂ© complĂštement occultĂ©e par les grands mĂ©dias occidentaux. La porte de Brandebourg, la tour Eiffel et le SĂ©nat brĂ©silien sont dĂ©sormais tous israĂ©liens.
Les services de renseignements Ă©gyptiens affirment avoir averti Tel-Aviv d'une attaque imminente du Hamas. Les IsraĂ©liens ont choisi de l'ignorer, comme ils ont choisi dâignorer les exercices d'entraĂźnement du Hamas observĂ©s les semaines prĂ©cĂ©dentes, forts de leur certitude que les Palestiniens n'auraient jamais l'audace de lancer une opĂ©ration de libĂ©ration.
Quoi qu'il en soit, le déluge d'Al-Aqsa a déjà , irrémédiablement, brisé le mythe populaire de l'invincibilité de Tsahal, du Mossad, du Shin Bet, des chars Merkava, du DÎme de fer et des forces de défense israéliennes.
Alors mĂȘme qu'il dĂ©laissait les communications Ă©lectroniques, le Hamas a profitĂ© de l'effondrement flagrant des systĂšmes Ă©lectroniques israĂ©liens, d'une valeur de plusieurs milliards de dollars, qui contrĂŽlaient la frontiĂšre la plus surveillĂ©e de la planĂšte.
Des drones palestiniens bon marchĂ© ont touchĂ© plusieurs tours de dĂ©tection, facilitĂ© l'avancĂ©e d'une infanterie en parapente et ouvert la voie Ă des Ă©quipes d'assaut en tee-shirt et brandissant des AK-47 pour ouvrir des brĂšches dans le mur et franchir une frontiĂšre que mĂȘme les chats errants n'osaient franchir.
IsraĂ«l s'est inĂ©vitablement tournĂ© vers la bande de Gaza, une cage de 365 kilomĂštres carrĂ©s peuplĂ©e de 2,3 millions d'habitants. Les bombardements aveugles de camps de rĂ©fugiĂ©s, d'Ă©coles, d'immeubles dâhabitation, de mosquĂ©es et de bidonvilles ont commencĂ©. Les Palestiniens n'ont pas de marine, pas d'armĂ©e de l'air, pas d'unitĂ©s d'artillerie, pas de vĂ©hicules de combat blindĂ©s et pas d'armĂ©e professionnelle. Ils n'ont que peu ou pas d'accĂšs Ă la surveillance de haute technologie, alors qu'IsraĂ«l peut consulter les donnĂ©es de l'OTAN s'il le souhaite.
Le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, a proclamé
âun siĂšge complet de la bande de Gaza. Il n'y aura ni Ă©lectricitĂ©, ni nourriture, ni carburant, tout est bouclĂ©. Nous combattons des âanimauxâ et nous agirons en consĂ©quenceâ.
Les Israéliens peuvent allÚgrement se livrer aux punitions collectives car, avec trois vetos garantis du Conseil de sécurité de l'ONU dans la poche, ils savent qu'ils peuvent s'en tirer à bon compte.
Peu importe que Haaretz, le journal israĂ©lien le plus respectĂ©, concĂšde carrĂ©ment que âle gouvernement israĂ©lien est en fait le seul responsable de ce qui s'est passĂ© (le dĂ©luge d'Al-Aqsa) pour avoir bafouĂ© les droits des Palestiniensâ.
Les Israéliens sont tout sauf incohérents. En 2007, Amos Yadlin, alors chef des services de renseignement de la défense israélienne, avait déclaré :
âIsraĂ«l serait heureux que le Hamas prenne le contrĂŽle de Gaza, car les forces de dĂ©fense israĂ©liennes pourraient alors traiter Gaza comme un Ătat hostileâ.
L'Ukraine fournit des armes aux Palestiniens
Il y a un an Ă peine, le comique en sweat-shirt de Kiev parlait de transformer l'Ukraine en un âgrand IsraĂ«lâ et Ă©tait dĂ»ment applaudi par une bande de robots du Conseil de l'Atlantique.
Les choses se sont passĂ©es diffĂ©remment. Comme vient de m'en informer une source de l'Ătat profond de la vieille Ă©cole :
âLes armes marquĂ©es de l'Ukraine finissent entre les mains des Palestiniens. La question est de savoir qui paie pour cela. L'Iran vient de conclure un accord avec les Ătats-Unis pour six milliards de dollars et il est peu probable que l'Iran le mette en pĂ©ril. Une de mes sources m'a donnĂ© le nom du pays, mais je ne peux pas le rĂ©vĂ©ler. Le fait est que des armes ukrainiennes alimentent la bande de Gaza et qu'elles sont payĂ©es, mais pas par l'Iranâ.
AprĂšs son raid stupĂ©fiant du week-end dernier, un Hamas bien informĂ© s'est dĂ©jĂ assurĂ© un levier de nĂ©gociation plus important que les Palestiniens n'en ont eu depuis des dizaines d'annĂ©es. Fait significatif, alors que les pourparlers de paix sont soutenus par la Chine, la Russie, la Turquie, l'Arabie saoudite et l'Ăgypte, Tel-Aviv s'y refuse. Netanyahou est obsĂ©dĂ© par l'idĂ©e de raser Gaza, mais si cela se produit, une guerre plus Ă©tendue est presque inĂ©vitable dans cette partie du monde.
Le Hezbollah libanais, alliĂ© fidĂšle de la rĂ©sistance palestinienne au sein de l'axe de la rĂ©sistance, prĂ©fĂ©rerait ne pas ĂȘtre entraĂźnĂ© dans une guerre qui pourrait ĂȘtre dĂ©vastatrice de son cĂŽtĂ© de la frontiĂšre, mais cela pourrait changer si IsraĂ«l perpĂ©trait un gĂ©nocide de facto Ă Gaza.
Le Hezbollah détient au moins 100 000 missiles balistiques et roquettes, de Katyusha (portée : 40 km) à Fajr-5 (75 km), Khaibar-1 (100 km), Zelzal 2 (210 km), Fateh-110 (300 km) et Scud B-C (500 km). Tel-Aviv sait ce que cela signifie et frémit aux fréquents avertissements du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, selon lesquels la prochaine guerre avec Israël se déroulera à l'intérieur du pays.
Ce qui nous amĂšne Ă l'Iran.
Un déni géopolitique plausible
ConsĂ©quence immĂ©diate du dĂ©luge d'Al-Aqsa : la ânormalisationâ entre IsraĂ«l et le monde arabe, dont rĂȘvent les nĂ©oconservateurs de Washington, s'Ă©vanouira purement et simplement si le conflit dĂ©gĂ©nĂšre en une guerre durable.
En fait, de larges pans du monde arabe sont déjà en train de normaliser leurs liens avec Téhéran - et pas seulement au sein des BRICS 11 nouvellement élargis.
Dans le mouvement vers un monde multipolaire, reprĂ©sentĂ© par les BRICS 11, l'Organisation de coopĂ©ration de Shanghai (OCS), l'Union Ă©conomique eurasienne (UEE) et l'initiative chinoise Belt and Road (BRI), parmi d'autres institutions rĂ©volutionnaires de l'Eurasie et du Sud global, il n'y a tout simplement pas de place pour un Ătat d'apartheid ethnocentrique friand de punitions collectives.
Cette annĂ©e encore, IsraĂ«l a Ă©tĂ© exclu du sommet de l'Union africaine. Une dĂ©lĂ©gation israĂ©lienne s'est tout de mĂȘme prĂ©sentĂ©e et a Ă©tĂ© Ă©jectĂ©e sans mĂ©nagement de la grande salle de confĂ©rence, une image devenue virale. Le mois dernier, lors des sessions plĂ©niĂšres des Nations unies, un diplomate israĂ©lien isolĂ© a tentĂ© de perturber le discours du prĂ©sident iranien Ibrahim Raisi. Aucun alliĂ© occidental ne lui a offert son soutien, et il a lui aussi Ă©tĂ© expulsĂ© des lieux.
Comme le président chinois Xi Jinping l'a exprimé diplomatiquement en décembre 2022, Pékin
âsoutient fermement la crĂ©ation d'un Ătat palestinien indĂ©pendant jouissant d'une pleine souverainetĂ© sur la base des frontiĂšres de 1967 et ayant JĂ©rusalem-Est pour capitale. La Chine soutient la Palestine Ă devenir un membre Ă part entiĂšre des Nations Uniesâ.
La stratĂ©gie de TĂ©hĂ©ran est bien plus ambitieuse : offrir des conseils stratĂ©giques aux mouvements de rĂ©sistance d'Asie occidentale, du Levant au golfe Persique avec le Hezbollah, lâAnsarallah, lâHashd al-Shaabi, le Kataib Hezbollah, le Hamas, le Jihad islamique palestinien, et d'innombrables autres. C'est comme s'ils faisaient tous partie d'un nouveau grand Ă©chiquier supervisĂ© de facto par le grand maĂźtre iranien.
Les piÚces de l'échiquier ont été soigneusement positionnées par nul autre que feu le commandant de la Force Quds du Corps des gardiens de la révolution islamique, le général Qassem Soleimani, un génie militaire exceptionnel. Il a contribué à jeter les bases des succÚs cumulés des alliés iraniens au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen et en Palestine, ainsi qu'à créer les conditions d'une opération complexe telle que le déluge d'Al-Aqsa.
Ailleurs dans la région, la volonté atlantiste d'ouvrir des corridors stratégiques à travers les cinq mers - la mer Caspienne, la mer Noire, la mer Rouge, le golfe Persique et la Méditerranée orientale - se heurte à de graves difficultés.
La Russie et l'Iran sont déjà en train de faire échouer les projets américains dans la mer Caspienne - via le corridor international de transport nord-sud (INSTC) - et dans la mer Noire, en passe de devenir un plan d'eau russe. Téhéran suit de trÚs prÚs la stratégie de Moscou en Ukraine, tout en affinant sa propre stratégie sur la maniÚre de déstabiliser l'Hegemon sans implication directe : c'est ce que l'on appelle le déni géopolitique plausible.
Bye bye le corridor UE-Israël-Saoud-Inde
L'alliance Russie-Chine-Iran a Ă©tĂ© diabolisĂ©e comme Ă©tant le nouvel âaxe du malâ par les nĂ©oconservateurs occidentaux. Cette rage puĂ©rile trahit une impuissance cosmique. Ces pays sont de vĂ©ritables souverains avec lesquels on ne saurait jouer, et si cela devait se produire, le prix Ă payer serait inimaginable.
Un exemple significatif : si l'Iran, attaqué par un axe israélo-américain, décidait de bloquer le détroit d'Ormuz, la crise énergétique mondiale exploserait et l'effondrement de l'économie occidentale sous le poids de quadrillions de produits dérivés serait inévitable.
Ce qui veut dire, dans l'immĂ©diat, que le rĂȘve amĂ©ricain d'interfĂ©rer Ă travers les cinq mers ne relĂšve mĂȘme pas du mirage. Le dĂ©luge d'Al-Aqsa vient Ă©galement de faire capoter le corridor de circulation UE-IsraĂ«l-Arabie saoudite-Inde, rĂ©cemment dĂ©voilĂ© et qui avait fait l'objet d'un grand battage mĂ©diatique.
La Chine est parfaitement consciente de toute cette effervescence qui a lieu une semaine seulement avant son troisiĂšme Forum âBelt and Roadâ, qui se tiendra Ă PĂ©kin. Les enjeux concernent les corridors de connectivitĂ© de la BRI qui comptent - Ă travers le Heartland*, la Russie, la route de la soie maritime et la route de la soie arctique.
Ensuite, l'INSTC relie la Russie, l'Iran et l'Inde et, par extension, les monarchies du Golfe.
Les répercussions géopolitiques du déluge d'Al-Aqsa vont accélérer les connexions géoéconomiques et logistiques de la Russie, de la Chine et de l'Iran, en contournant l'hégémon et ses bases. Le développement du commerce et la circulation ininterrompue des denrées sont autant d'atouts pour les (bonnes) affaires. Sur un pied d'égalité, dans le respect mutuel - ce qui n'est pas précisément le scénario du parti de la guerre pour une Asie occidentale déstabilisée.
Ah, ce qu'une infanterie en parapente se dĂ©plaçant doucement en survolant un mur peut gĂ©nĂ©rer âŠ
* Heartland : nom donné à une analyse géopolitique de l'histoire du monde proposée par le géographe britannique Halford John Mackinder en 1904 dans son article The Geographical Pivot of History (Le pivot géographique de l'histoire).
Selon Mackinder, le monde est comparable Ă un ocĂ©an mondial oĂč se trouve l'Ăle Monde (« world island ») composĂ©e de l'Asie, de l'Europe et de l'Afrique. Autour d'elle se trouvent les grandes Ăźles (« outlying island ») : l'AmĂ©rique, l'Australie, le Japon et les Ăles britanniques. Celui qui contrĂŽle le pivot mondial (« heartland ») commande l'Ăle Monde ; celui qui tient l'Ăle Monde tient le monde. Source Wikipedia.
https://new.thecradle.co/articles/the-geopolitics-of-al-aqsa-flood