👁🗨 Pepe Escobar - Pas de grain, pas de pain: retour de Poutine en Mer Noire
Après l'attaque militaire occidentale sur Sébastopol bloquant brièvement le transport de céréales russes, Moscou revient aux affaires avec de meilleures cartes en main & des conditions plus favorables
👁🗨 Pas de grain, pas de pain : retour de Poutine en Mer Noire
Après une attaque militaire occidentale sur Sébastopol interrompant brièvement le transports de céréales russes, Moscou revient aux affaires avec de meilleures cartes en main, et des conditions plus favorables.
📰 Par Pepe Escobar, le 2 novembre 2022
Donc, le président turc Recep Tayyip Erdogan décroche son téléphone et appelle son homologue russe Vladimir Poutine: Parlons de "l'accord sur les céréales." Poutine, froid, calme et posé, explique les faits au sultan:
Premièrement, pourquoi la Russie s'est retirée de l'accord d'exportation de céréales.
Deuxièmement, Moscou souhaite qu'une enquête sérieuse soit menée sur l'attaque - terroriste - de la flotte de la mer Noire, qui semble à toutes fins utiles avoir violé l'accord.
Enfin, Kiev doit garantir qu'il respectera l'accord négocié par la Turquie et les Nations unies.
Ce n'est qu'alors que la Russie envisagerait de revenir à la table des négociations.
Et puis - aujourd'hui, 2 novembre - coup de théâtre : Le ministère russe de la défense annonce que le pays revient sur l'accord sur les céréales de la mer Noire, après avoir reçu les garanties écrites nécessaires de Kiev.
Le ministère de la défense, de manière très diplomatique, a salué les "efforts" de la Turquie et de l'ONU: Kiev s'est engagé à ne pas utiliser le "couloir maritime humanitaire" pour des opérations de combat, et uniquement conformément aux dispositions de l'initiative de la mer Noire.
Moscou a déclaré que ces garanties étaient suffisantes "pour le moment". Ce qui implique que cela peut toujours changer.
▪️ La force de persuasion du Sultan
Erdogan a dû être extrêmement persuasif avec Kiev. Avant l'appel téléphonique à Poutine, le ministère russe de la défense avait déjà expliqué que l'attaque contre la flotte de la mer Noire avait été menée par 9 drones aériens et 7 drones navals, ainsi que par un drone d'observation américain RQ-4B Global Hawk guettant dans le ciel au-dessus des eaux neutres.
L'attaque s'est produite sous le couvert de navires civils et a visé les navires russes qui escortaient le corridor céréalier dans le périmètre de leur responsabilité, ainsi que l'infrastructure de la base russe de Sébastopol.
Le MoD a explicitement désigné les experts britanniques déployés sur la base d'Ochakov dans la région de Nikolaev comme les concepteurs de cette opération militaire.
Au Conseil de sécurité des Nations unies, le représentant permanent Vassily Nebenzya s'est déclaré "surpris" que les dirigeants de l'ONU "n'aient pas réussi non seulement à condamner les attaques terroristes, mais même à exprimer leur préoccupation à leur sujet."
Après avoir déclaré que l'opération de Kiev sur la flotte de la mer Noire, organisée par la Grande-Bretagne, "mettait fin à la dimension humanitaire des accords d'Istanbul", M. Nebenzya a également précisé:
"Nous comprenons que l'initiative sur le grain de la mer Noire, sur laquelle la Russie, la Turquie et l'Ukraine se sont mises d'accord sous la supervision de l'ONU le 22 juillet, ne doit pas être mise en œuvre sans la Russie, et nous ne considérons donc pas les décisions prises sans notre participation comme contraignantes."
Cela signifie, en pratique, que Moscou "ne peut pas autoriser le passage libre des navires sans inspection de notre part." La question cruciale est de savoir comment et où ces inspections seront effectuées - la Russie ayant averti l'ONU qu'elle inspecterait certainement les cargos de marchandises sèches en mer Noire.
De son côté, l'ONU a tenté de faire bonne figure, estimant que la suspension de la Russie est "temporaire", se réjouissant d'accueillir à nouveau "son équipe hautement professionnelle" au au Centre de coordination interarmées.
Selon le chef de l'action humanitaire, Martin Griffiths, l'ONU se déclare également "prête à répondre aux préoccupations". Et il faut que ce soit bientôt, car l'accord atteint son point de prolongation de 120 jours le 19 novembre.
Eh bien, "répondre aux préoccupations" est bien loin de la réalité. Le représentant permanent adjoint de la Russie, Dmitry Polyansky, a déclaré que, lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, les pays occidentaux ne pouvaient tout simplement pas nier leur implication dans l'attaque de Sébastopol ; en revanche, ils ont tout simplement accusé la Russie.
▪️ Jusqu'à Odessa
Avant son entretien téléphonique avec Erdogan, M. Poutine avait déjà souligné que "34 % des céréales exportées dans le cadre de l'accord vont à la Turquie, 35 % aux pays de l'UE et seulement 3 à 4 % aux pays les plus pauvres. Est-ce que c'est pour tout ça que nous nous sommes battus ?"
C'est exact. Par exemple, 1,8 million de tonnes de céréales sont allées en Espagne, 1,3 million de tonnes en Turquie et 0,86 million de tonnes en Italie. En revanche, seulement 0,067 tonne est allée au Yémen et 0,04 tonne à l'Afghanistan "affamés".
M. Poutine a précisé que Moscou ne se retirait pas de l'accord sur les céréales, mais qu'elle avait seulement suspendu sa participation.
Dans un autre geste de bonne volonté, Moscou a annoncé qu'elle était disposée à expédier gratuitement 500 000 tonnes de céréales aux nations les plus pauvres, afin de remplacer intégralement la quantité que l'Ukraine aurait dû être en mesure d'exporter.
Pendant ce temps-là, Erdogan a habilement manœuvré pour donner l'impression qu'il était en position de force : même si la Russie se comporte de manière "indécise", comme il l'a expliqué, nous poursuivrons le processus de livraison de céréales.
Il semble donc que Moscou ait été mis à l'épreuve - par l'ONU et par Ankara, qui se trouve être le principal bénéficiaire de l'accord sur les céréales et profite clairement de ce corridor économique. Des navires continuent de partir d'Odessa vers les ports turcs - principalement Istanbul - sans l'accord de Moscou. On s'attendait à ce qu'ils soient "filtrés" par la Russie à leur retour à Odessa.
Le principal moyen de pression russe a été déclenché en un rien de temps : empêcher Odessa de devenir un nœud d'infrastructures terroristes. Cela signifie des inspections permanentes par des missiles de croisière.
Or, les Russes ont déjà "inspecté" la base d'Ochakov occupée par Kiev et les experts britanniques. La base d'Ochakov, située entre Nikolaev et Odessa, a été construite en 2017, avec une contribution américaine importante.
Les unités britanniques qui ont participé au sabotage des Nord Streams - selon Moscou - sont les mêmes qui ont planifié l'opération Sébastopol. Ochakov est constamment espionné et parfois frappé depuis des positions que les Russes ont dégagées le mois dernier à seulement 8 km au sud, à l'extrémité de la péninsule de Kinburn. Et pourtant, la base n'a pas été totalement détruite.
Pour renforcer le "message", la véritable réponse à l'attaque de Sébastopol a été cette semaine des " descentes " incessantes sur l'infrastructure électrique de l'Ukraine ; si elles sont maintenues, la quasi-totalité de l'Ukraine sera bientôt plongée dans le noir.
▪️ Blocage de la mer Noire
L'attaque de Sébastopol a peut-être été le catalyseur d'une manœuvre russe visant à verrouiller la mer Noire - Odessa devenant une priorité absolue pour l'armée russe. Dans toute la Russie, on se demande sérieusement pourquoi Odessa, ville russophone, n'a pas fait l'objet d'une attaque ciblée auparavant.
L'infrastructure de pointe des forces spéciales ukrainiennes et des conseillers britanniques est basée à Odessa et Nikolaev. Il ne fait aucun doute qu'elles seront détruites.
Même si, en théorie, l'accord sur les céréales est à nouveau sur les rails, il est vain d'attendre de Kiev qu'il respecte un quelconque accord. Après tout, chaque décision importante est prise soit par Washington, soit par les Britanniques de l'OTAN. Tout comme le bombardement du pont de Crimée, puis des Nord Streams, l'attaque de la flotte de la mer Noire a été conçue comme une sérieuse provocation.
Les brillants concepteurs semblent toutefois avoir un QI inférieur à la température d'un frigo : chaque réponse russe plonge l'Ukraine plus profondément au fond d'un inévitable gouffre - à présent aussi noir que la réalité.
L'accord sur les céréales semblait être une sorte de gagnant-gagnant. Kiev ne contaminerait plus les ports de la mer Noire après leur déminage. La Turquie est devenue la plaque tournante du transport des céréales pour les nations les plus pauvres (en fait, ce n'est pas ce qui s'est passé : le principal bénéficiaire a été l'UE). Et les sanctions contre la Russie ont été allégées pour pouvoir exporter produits agricoles et engrais.
Il s'agissait, en principe, d'un coup de pouce pour les exportations russes. En fin de compte, cela n'a pas fonctionné car de nombreux acteurs s'inquiétaient d'éventuelles sanctions secondaires.
Il est important de rappeler que l'accord sur les céréales de la mer Noire est en fait constitué de deux accords distincts: Kiev a signé un accord avec la Turquie et l'ONU, et la Russie a signé un accord avec la Turquie.
Le couloir pour les transporteurs de céréales ne fait que 2 km de large. Les dragueurs de mines se déplacent en parallèle le long du couloir. Les navires sont inspectés par Ankara. Donc l'accord Kiev-Ankara-ONU reste en place. Il n'a rien à voir avec la Russie - qui, dans ce cas, n'escorte ni n'inspecte les cargaisons.
Ce qui change avec la Russie qui "suspend" son propre accord avec Ankara et l'ONU, c'est qu'à partir de maintenant, Moscou peut procéder comme bon lui semble pour neutraliser les menaces terroristes, et même envahir et prendre le contrôle des ports ukrainiens- sans être une violation de l'accord avec Ankara et l'ONU.
▪️Donc, la donne a changé.
Il semble qu'Erdogan ait parfaitement compris les enjeux et qu'il ait dit à Kiev, en termes très clairs, de bien se comporter. Mais rien ne garantit que les puissances occidentales ne se lanceront pas dans une nouvelle provocation en mer Noire. Ce qui signifie que, tôt ou tard - peut-être au printemps 2023 - le Général Armageddon devra se montrer à la hauteur. Ce qui signifie progresser jusqu'à Odessa.
Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de The Cradle.
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