đâđš Pepe Escobar - Raisi Ă PĂ©kin : Les objectifs stratĂ©giques de l'Iran et de la Chine tournent Ă plein rĂ©gime.
Ce que Raisi & Xi démontrent à Pékin est la voie souveraine à suivre. Les 3 leaders de l'intégration eurasiatique - Chine, Russie & Iran - sont en passe de consolider le noyau de la multipolarité.
đâđš Raisi Ă PĂ©kin : Les objectifs stratĂ©giques de l'Iran et de la Chine tournent Ă plein rĂ©gime.
Par Pepe Escobar, le 17 février 2023
La visite du président iranien Ebrahim Raisi à Pékin et son face-à -face avec son homologue Xi Jinping est une affaire inédite à plus d'un titre.
M. Raisi, premier prĂ©sident iranien Ă se rendre officiellement en Chine en 20 ans, Ă©tait Ă la tĂȘte d'une dĂ©lĂ©gation politique et Ă©conomique de trĂšs haut niveau, comprenant le nouveau gouverneur de la Banque centrale et les ministres de l'Ă©conomie, du pĂ©trole, des affaires Ă©trangĂšres et du commerce.
Le fait que M. Raisi et M. Xi aient supervisĂ© conjointement la signature de 20 accords de coopĂ©ration bilatĂ©rale allant de l'agriculture Ă la culture et aux sports en passant par le commerce, le tourisme, la protection de l'environnement, la santĂ©, les secours en cas de catastrophe n'est mĂȘme pas le principal Ă©lĂ©ment Ă retenir.
La cérémonie de scellement du partenariat stratégique global entre l'Iran et la Chine, qui a eu lieu cette semaine, marque une évolution majeure dans le domaine de la multipolarité : deux souverains - également liés par des partenariats stratégiques avec la Russie - transmettent à leurs publics nationaux, ainsi qu'au Sud, leur vision d'un XXIe siÚcle plus équitable, plus juste et plus durable, sans tenir compte des diktats occidentaux.
Pékin et Téhéran ont établi leur premier partenariat stratégique global lors de la visite de Xi en Iran en 2016 - un an seulement aprÚs la signature du plan d'action global conjoint (JCPOA), ou accord sur le nucléaire iranien.
En 2021, Pékin et Téhéran ont signé un accord de coopération de 25 ans qui a traduit le partenariat global en développements économiques et culturels concrets dans plusieurs domaines, notamment l'énergie, le commerce et les infrastructures. à cette date, non seulement l'Iran (depuis des décennies) mais aussi la Chine étaient visés par des sanctions unilatérales américaines.
Voici une analyse relativement indépendante des défis et des perspectives de l'accord de 25 ans. Et voici une perspective éclairante du Pakistan voisin, également partenaire stratégique de la Chine.
Iran : il faut tout moderniser
PĂ©kin et TĂ©hĂ©ran coopĂšrent dĂ©jĂ activement Ă la construction de certaines lignes du mĂ©tro de TĂ©hĂ©ran, de la ligne ferroviaire Ă grande vitesse TĂ©hĂ©ran-Isfahan et, bien sĂ»r, de projets Ă©nergĂ©tiques communs. Le gĂ©ant chinois de la technologie Huawei est prĂȘt Ă aider TĂ©hĂ©ran Ă mettre en place un cadre pour un rĂ©seau de tĂ©lĂ©communications 5G.
Comme on pouvait s'y attendre, M. Raisi et M. Xi ont mis l'accent sur le renforcement de la coordination conjointe au sein des Nations unies et de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), dont l'Iran est le membre le plus récent, ainsi que sur un nouvel élan de l'initiative "Belt and Road Initiative" (BRI: ensemble de liaisons maritimes et de voies ferroviaires entre la Chine, l'Europe et L'Afrique passant par le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la République de Djibouti et le Somaliland).
Bien qu'il n'en ait pas été fait mention explicitement, la dédollarisation du commerce est sous-jacente à toutes ces initiatives, dans le cadre de l'OCS mais aussi du groupe multipolaire des BRICS. L'Iran devrait devenir l'un des nouveaux membres des BRICS+, un pas de géant qui sera décidé lors de leur prochain sommet en Afrique du Sud en août prochain.
Selon les estimations de Téhéran, les échanges commerciaux annuels entre l'Iran et la Chine pourraient atteindre plus de 70 milliards de dollars à moyen terme, ce qui représenterait le triple des chiffres actuels.
En ce qui concerne la construction d'infrastructures, l'Iran est un partenaire clé de la BRI. La géostratégie est bien sûr difficile à égaler : un littoral de 2 250 km englobant le golfe Persique, le détroit d'Ormuz, la mer d'Oman et la mer Caspienne - et d'immenses frontiÚres terrestres avec l'Iraq, la Turquie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Turkménistan, l'Afghanistan et le Pakistan. Tous les groupes de réflexion chinois voient à quel point l'Iran est irremplaçable, non seulement en termes de corridors terrestres de la BRI, mais aussi de la Route de la soie maritime.
Le port de Chabahar pourrait ĂȘtre une affaire irano-indienne de premier ordre, dans le cadre du corridor international de transport Nord-Sud (INSTC) - et donc directement liĂ© Ă la vision indienne d'une route de la soie s'Ă©tendant jusqu'en Asie centrale.
Mais les promoteurs portuaires chinois ont d'autres idées, axées sur des ports alternatifs le long du golfe Persique et dans la mer Caspienne. Cela permettra de renforcer les liaisons maritimes avec l'Asie centrale (Turkménistan et Kazakhstan), la Russie et le Caucase (Azerbaïdjan).
Et cela prend tout son sens si l'on combine le développement des terminaux portuaires avec la modernisation des chemins de fer iraniens - jusqu'au train à grande vitesse.
Une évolution encore plus révolutionnaire verrait la Chine coordonner la connexion BRI d'un corridor iranien avec le Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) de 3 200 km déjà en cours, de Kashgar dans le Xinjiang au port de Gwadar dans l'océan Indien.
Cela semblait parfaitement plausible lorsque le Premier ministre pakistanais Imran Khan Ă©tait encore au pouvoir, avant d'ĂȘtre Ă©vincĂ© par un coup d'Ătat. La clĂ© de toute cette entreprise est la construction d'infrastructures qui font cruellement dĂ©faut au Baloutchistan, des deux cĂŽtĂ©s de la frontiĂšre. Du cĂŽtĂ© pakistanais, cela permettrait d'Ă©craser les "insurgĂ©s" de l'ArmĂ©e de libĂ©ration du Baloutchistan, alimentĂ©s par la CIA, de rĂ©sorber le chĂŽmage et de confier le dĂ©veloppement Ă©conomique au commerce.
L'Afghanistan entre bien sûr dans l'équation - sous la forme d'un corridor Chine-Afghanistan-Iran lié au CPEC. Depuis septembre 2021, Pékin explique aux Talibans, en détail, comment ils peuvent profiter d'un corridor d'infrastructure - avec chemin de fer, autoroute et pipeline - partant du Xinjiang, traversant le corridor de Wakhan dans l'est de l'Afghanistan, passant par l'Hindu Kush, jusqu'à l'Iran.
Le cĆur de la multipolaritĂ©
L'Iran est parfaitement positionné pour bénéficier d'un essor du transport ferroviaire à grande vitesse sous l'impulsion de la Chine, qui le reliera à la majeure partie de l'Asie centrale (Kazakhstan, Turkménistan, Tadjikistan, Kirghizstan).
Cela signifie, en pratique, une connectivité cool avec un important pÎle logistique: la zone économique spéciale (ZES) de Khorgos, à seulement 330 km d'Almaty, à la frontiÚre entre le Kazakhstan et la Chine, et à quatre heures d'Urumqi, la capitale du Xinjiang.
Si la Chine y parvient, il s'agirait d'une sorte de Graal de l'IRB, qui relierait la Chine et l'Iran via le Kazakhstan, le Turkménistan, l'Afghanistan et le Pakistan. Rien de moins que plusieurs corridors en un.
Tout cela est sur le point de se produire alors que la révolution islamique en Iran célÚbre sa 44e année.
Ce qui se passe dĂ©jĂ maintenant, gĂ©opolitiquement, et pleinement reconnu par la Chine, pourrait ĂȘtre dĂ©fini comme le rejet total d'une absurditĂ© : l'Occident collectif traitant l'Iran comme un paria ou au mieux, une nĂ©o-colonie soumise.
Les divers courants de la RĂ©sistance inscrits dans la RĂ©volution islamique s'Ă©tant finalement consolidĂ©s, il semble que l'histoire propulse enfin l'Iran comme l'un des pĂŽles clĂ©s du processus le plus complexe Ă l'Ćuvre au XXIe siĂšcle : l'intĂ©gration de l'Eurasie.
Ainsi, 44 ans aprÚs la révolution islamique, l'Iran bénéficie de partenariats stratégiques avec les trois principaux BRICS : la Chine, la Russie et l'Inde.
Susceptible de devenir l'un des premiers nouveaux membres des BRICS+, l'Iran est le premier Ătat d'Asie occidentale Ă devenir membre Ă part entiĂšre de l'Organisation de coopĂ©ration de Shanghai (OCS) et il est en train de conclure un accord de libre-Ă©change (ALE) avec l'Union Ă©conomique eurasienne (UEE).
L'Iran est un partenaire stratégique majeur de la BRI, dirigée par la Chine, et de l'INSTC, aux cÎtés de la Russie et de l'Inde.
Alors que le JCPOA est pratiquement mort et que toutes les "promesses" occidentales tombent à l'eau, Téhéran consolide son pivot vers l'Est à une vitesse fulgurante.
Ce que Raisi et Xi ont scellé à Pékin annonce la prééminence de la Chine dans toute l'Asie occidentale, ce qui est perçu par Pékin comme une conséquence naturelle de la reconnaissance et du respect de la centralité régionale de l'Iran.
La stratĂ©gie iranienne de "regarder vers l'Est" ne pourrait ĂȘtre plus compatible avec la BRI, car une sĂ©rie de projets de la BRI accĂ©lĂ©rera le dĂ©veloppement Ă©conomique de l'Iran et consolidera son rĂŽle incontournable en matiĂšre de corridors commerciaux et de fourniture d'Ă©nergie.
Au cours des années 1980, Téhéran était gouverné par une stratégie "Ni Est ni Ouest", fidÚle aux principes de la révolution islamique. Cette stratégie a maintenant évolué, de maniÚre pragmatique, en "regardant vers l'Est". Téhéran a bien essayé de "regarder vers l'Ouest" en toute bonne foi, mais ce que le gouvernement américain a fait avec le JCPOA [accord de Vienne sur le nucléaire iranien signé à Vienne, en Autriche, le 14 juillet 2015, par les huit parties suivantes : l'Iran, les pays du P5+1, ainsi que l'Union européenne] - de son assassinat à la "pression maximale" en passant par sa réanimation avortée - a été une sacrée leçon d'histoire.
Ce que Raisi et Xi viennent de démontrer à Pékin est la voie souveraine à suivre. Les trois leaders de l'intégration eurasiatique - la Chine, la Russie et l'Iran - sont en passe de consolider le noyau de la multipolarité.
Les opinions exprimées dans cet article ne reflÚtent pas nécessairement celles de The Cradle.
https://thecradle.co/article-view/21548/raisi-in-beijing-iran-china-strategic-plans-go-full-throttle