đâđš Pepe Escobar: Xi d'Arabie et la dynamique du pĂ©troyuan
La principale raison des tensions croissantes est l'obstination de l'Occident collectif à maintenir par tous les moyens une domination historiquement décroissante sur la scÚne internationale...
đâđš Xi d'Arabie et la dynamique du pĂ©troyuan
đ° Par Pepe Escobar, le 16 dĂ©cembre 2022
Xi Jinping a fait une offre difficile à refuser pour la péninsule arabique: la Chine sera l'acheteur garanti de votre pétrole et de votre gaz, il suffit de nous payer en yuan.
Il serait tellement tentant de qualifier le président chinois Xi Jinping débarquant à Riyad il y a une semaine, accueilli en grande pompe royale, de Xi d'Arabie proclamant l'aube de l'Úre du pétroyuan.
Mais c'est plus compliqué que cela. Bien que le changement sismique impliqué par le mouvement du pétroyuan s'applique, la diplomatie chinoise est bien trop sophistiquée pour s'engager dans une confrontation directe, surtout avec un Empire blessé et féroce. Beaucoup plus de choses se passent ici que ce que l'on peut voir là -bas (en Eurasie).
L'annonce de Xi d'Arabie Ă©tait un prodige de finesse: elle Ă©tait prĂ©sentĂ©e comme l'internationalisation du yuan. DĂ©sormais, a dĂ©clarĂ© Xi, la Chine utilisera le yuan pour le commerce du pĂ©trole, par l'intermĂ©diaire de la Bourse nationale du pĂ©trole et du gaz de Shanghai, et a invitĂ© les monarchies du golfe Persique Ă monter Ă bord. PrĂšs de 80 % des Ă©changes sur le marchĂ© mondial du pĂ©trole continuent d'ĂȘtre facturĂ©s en dollars amĂ©ricains.
Ostensiblement, Xi d'Arabie, et son importante dĂ©lĂ©gation chinoise composĂ©e de fonctionnaires et de chefs d'entreprise, ont rencontrĂ© les dirigeants du Conseil de coopĂ©ration du Golfe (CCG) pour promouvoir l'accroissement des Ă©changes. PĂ©kin a promis "d'importer du pĂ©trole brut de maniĂšre cohĂ©rente et en grandes quantitĂ©s du CCG." Et il en va de mĂȘme pour le gaz naturel.
Depuis cinq ans, la Chine est le plus grand importateur de brut de la planÚte - la moitié provenant de la péninsule arabique, et plus d'un quart de l'Arabie saoudite. Il n'est donc pas étonnant que le prélude à l'accueil somptueux de Xi d'Arabie à Riyad ait été un éditorial spécial élargissant le champ des échanges, et faisant l'éloge de partenariats stratégiques/commerciaux accrus à travers le CCG, complétés par "les communications 5G, les nouvelles énergies, l'espace et l'économie numérique."
Le ministre des affaires étrangÚres, Wang Yi, a insisté sur le "choix stratégique" de la Chine et de l'Arabie saoudite. Des accords commerciaux d'une valeur de plus de 30 milliards de dollars ont été dûment signés, dont un grand nombre sont liés aux ambitieux projets de l'initiative chinoise "Belt and Road Initiative" (BRI).
Et cela nous amÚne aux deux connexions clés établies par Xi d'Arabie: la BRI et l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS).
Les routes de la soie d'Arabie
La BRI recevra un sérieux coup de pouce de Pékin en 2023, avec le retour du Forum "Belt and Road". Les deux premiers forums biannuels ont eu lieu en 2017 et 2019. Il ne s'est rien passé en 2021 en raison de la politique chinoise stricte du "zéro-covid", désormais abandonnée à toutes fins utiles.
L'année 2023 sera lourde de sens, car la BRI a été lancée il y a dix ans par Xi, d'abord en Asie centrale (Astana), puis en Asie du Sud-Est (Jakarta).
L'IRB n'incarne pas seulement un mouvement complexe et multiforme de commerce et de connectivité transeurasien, mais elle constitue également le concept global de la politique étrangÚre chinoise, au moins jusqu'au milieu du 21e siÚcle. Le forum de 2023 devrait donc mettre en avant une série de projets nouveaux et repensés, adaptés à un monde post-covide et désendetté, et surtout à la sphÚre géopolitique et géoéconomique chargée de l'atlantisme contre l'eurasisme.
Il est Ă©galement significatif que Xi d'Arabie en dĂ©cembre ait suivi Xi de Samarcande en septembre - son premier voyage Ă l'Ă©tranger post-Covid, pour le sommet de l'OCS au cours duquel l'Iran a officiellement adhĂ©rĂ© en tant que membre Ă part entiĂšre. En 2021, la Chine et l'Iran ont conclu un accord de partenariat stratĂ©gique d'une durĂ©e de 25 ans, qui pourrait se traduire par des investissements de 400 milliards de dollars. C'est l'autre nĆud de la stratĂ©gie chinoise en Asie occidentale, qui comporte deux volets.
Les neuf membres permanents de l'OCS représentent désormais 40 % de la population mondiale. L'une de leurs principales décisions à Samarkand a été d'accroßtre le commerce bilatéral, et le commerce global, dans leurs propres monnaies.
Et cela nous renvoie Ă ce qui se passe Ă Bichkek, au Kirghizstan, en parfaite synchronisation avec Riyad : la rĂ©union du Conseil Ă©conomique suprĂȘme d'Eurasie, l'organe de mise en Ćuvre des politiques de l'Union Ă©conomique eurasiatique (UEEA).
Le prĂ©sident russe Vladimir Poutine, en visite au Kirghizstan, n'aurait pas pu ĂȘtre plus direct: "Les travaux se sont accĂ©lĂ©rĂ©s dans le cadre du passage aux monnaies nationales dans les rĂšglements mutuels... Le processus de crĂ©ation d'une infrastructure de paiement commune et d'intĂ©gration des systĂšmes nationaux de transmission des informations financiĂšres a commencĂ©."
Le prochain Conseil Ă©conomique suprĂȘme de l'Eurasie aura lieu en Russie en mai 2023, avant le Forum "Belt and Road". Si l'on rĂ©unit ces deux Ă©vĂ©nements, on obtient les grandes lignes de la feuille de route gĂ©oĂ©conomique Ă venir: la progression vers le pĂ©troyuan, parallĂšlement Ă la progression vers une "infrastructure de paiement commune" et, surtout, une nouvelle monnaie alternative qui contourne le dollar amĂ©ricain.
C'est exactement ce que le responsable de la politique macroéconomique de l'EAEU, Sergey Glazyev, a conçu, aux cÎtés de spécialistes chinois.
Une guerre financiĂšre totale
L'évolution vers le pétroyuan sera semée d'immenses périls.
Dans tout scénario de jeu géoéconomique sérieux, il est évident qu'un pétrodollar affaibli signifie la fin du déjeuner gratuit impérial en vigueur depuis plus de cinq décennies.
En rĂ©sumĂ©, en 1971, le prĂ©sident amĂ©ricain de l'Ă©poque, Richard Nixon "Le roublard", a retirĂ© les Ătats-Unis de l'Ă©talon-or ; trois ans plus tard, aprĂšs le choc pĂ©trolier de 1973, Washington a proposĂ© au ministre saoudien du pĂ©trole, le cĂ©lĂšbre cheikh Yamani, la proverbiale offre qu'on ne peut pas refuser : nous achetons votre pĂ©trole en dollars amĂ©ricains et, en Ă©change, vous achetez nos bons du TrĂ©sor, de nombreuses armes et vous recyclez ce qui reste dans nos banques.
Washington est maintenant soudainement capable de distribuer de l'argent par hélicoptÚre - soutenu par rien - à l'infini, et le dollar américain est l'arme hégémonique ultime, avec une série de sanctions contre 30 nations qui osent désobéir à l'"ordre international basé sur des rÚgles" imposé unilatéralement.
Faire tanguer impulsivement le bateau impĂ©rial est un anathĂšme. PĂ©kin et le CCG adopteront donc le petroyuan lentement mais sĂ»rement, et certainement sans fanfare. Le cĆur du problĂšme, une fois encore, est leur vulnĂ©rabilitĂ© mutuelle au casino financier occidental.
Dans le cas de la Chine, il s'agit de savoir ce qu'il faut faire, par exemple, de ces mille milliards de dollars d'obligations du TrĂ©sor amĂ©ricain. Dans le cas de l'Arabie saoudite, il est difficile de penser Ă une "autonomie stratĂ©gique" - comme celle dont jouit l'Iran - lorsque le pĂ©trodollar est un Ă©lĂ©ment essentiel du systĂšme financier occidental. Le menu des rĂ©actions impĂ©riales possibles va d'un coup d'Ătat ou d'un changement de rĂ©gime en douceur Ă un choc et une terreur sur Riyad, suivis d'un changement de rĂ©gime.
Pourtant, l'objectif des Chinois - et des Russes - va bien au-delĂ de la situation difficile des Saoudiens (et des Ămiriens). PĂ©kin et Moscou ont clairement identifiĂ© comment tout - le marchĂ© du pĂ©trole, les marchĂ©s mondiaux des matiĂšres premiĂšres - est liĂ© au rĂŽle du dollar amĂ©ricain comme monnaie de rĂ©serve.
Et c'est exactement ce que les discussions de l'EAEU, de l'OCS, désormais des BRICS+, et la stratégie à deux volets de Pékin en Asie occidentale visent à miner.
Pékin et Moscou, dans le cadre des BRICS, et plus loin au sein de l'OCS et de l'UEE, ont étroitement coordonné leur stratégie depuis les premiÚres sanctions contre la Russie aprÚs le Maïdan de 2014, et la guerre commerciale de facto contre la Chine déclenchée en 2018.
Aujourd'hui, aprÚs que l'opération militaire spéciale lancée par Moscou en Ukraine en février 2022 et que l'OTAN s'est transformée, à toutes fins pratiques, en guerre contre la Russie, nous avons dépassé le territoire de la guerre hybride et nous sommes profondément engagés dans la guerre financiÚre totale.
La dérive du SWIFT
L'ensemble du Sud mondial a absorbé la "leçon" de l'Occident collectif (institutionnel) gelant, comme dans le vol, les réserves de change d'un membre du G20, en plus d'une superpuissance nucléaire. Si cela est arrivé à la Russie, cela peut arriver à n'importe qui. Il n'y a plus de "rÚgles".
Depuis 2014, la Russie amĂ©liore son systĂšme de paiement SPFS, en parallĂšle avec le CIPS de la Chine, tous deux contournant le systĂšme de messagerie bancaire SWIFT dirigĂ© par l'Occident, et de plus en plus utilisĂ©s par les banques centrales Ă travers l'Asie centrale, l'Iran et l'Inde. Dans toute l'Eurasie, de plus en plus de personnes abandonnent Visa et Mastercard et utilisent les cartes UnionPay et/ou Mir, sans parler d'Alipay et de WeChat Pay, tous deux extrĂȘmement populaires en Asie du Sud-Est.
Bien entendu, le pétrodollar - et le dollar américain, qui représente encore moins de 60 % des réserves de change mondiales - ne tombera pas dans l'oubli du jour au lendemain. Xi d'Arabie n'est que le dernier chapitre d'un changement sismique désormais piloté par un groupe restreint du Sud, et non plus par l'ancienne "hyperpuissance".
L'Ă©change de leur propre monnaie contre une nouvelle monnaie alternative mondiale figure en tĂȘte des prioritĂ©s de cette longue liste de nations - de l'AmĂ©rique du Sud Ă l'Afrique du Nord et Ă l'Asie occidentale - dĂ©sireuses de rejoindre les BRICS+ ou l'OCS, voire les deux dans certains cas.
Les enjeux ne pourraient pas ĂȘtre plus Ă©levĂ©s. Et tout est question d'assujettissement ou d'exercice de la pleine souverainetĂ©. Laissons donc les derniers mots essentiels au plus grand diplomate de notre Ă©poque troublĂ©e, le Russe Sergey Lavrov, lors de la confĂ©rence internationale interpartis âLe choix eurasien comme base du renforcement de la souverainetĂ©â:
"La principale raison des tensions croissantes d'aujourd'hui est l'obstination de l'Occident collectif Ă maintenir par tous les moyens une domination historiquement dĂ©croissante sur la scĂšne internationale... Il est impossible d'empĂȘcher le renforcement des centres indĂ©pendants de croissance Ă©conomique, de puissance financiĂšre et d'influence politique. Ils Ă©mergent sur notre continent commun d'Eurasie, en AmĂ©rique latine, au Moyen-Orient et en Afrique."
Bienvenue Ă bord du train souverain !
Les opinions exprimées dans cet article ne reflÚtent pas nécessairement celles de The Cradle.