👁🗨 Peurs & égarements de l'Empire au Moyen-Orient
L'une des faiblesses les plus fondamentales de Joe Biden est de croire qu'il peut vendre à l'étranger le genre d'inepties qu'il vend aux Américains depuis une cinquantaine d'années.
👁🗨 Peurs & égarements de l’Empire au Moyen-Orient
Le régime Biden déambule dans un asile de fous créé par ses soins.
Par Patrick Lawrence, Special Consortium News, le 7 février 2024
De tous les moments d'amateurisme dans la gestion de la politique étrangère du régime Biden, la déclaration officielle de la Maison Blanche lors du largage des bombardiers B1-B au-dessus de l'Irak et de la Syrie, vendredi dernier, est peut-être celle qui remporte la palme.
Alors que les munitions tombaient sur 85 cibles réparties sur sept sites, dont de nombreux avant-postes des Gardiens de la révolution iraniens, notre président, qui a perdu la tête, s'est senti obligé d'insister : “Les États-Unis ne cherchent pas le conflit au Moyen-Orient, ni nulle part ailleurs dans le monde”.
Combien de fois avons-nous entendu cela depuis le début de ces dernières opérations en Irak, en Syrie et au Yémen ? Antony Blinken, le secrétaire d'État, a dit la même chose dans les mêmes termes. Lloyd Austin, le secrétaire à la Défense, l'a fait aussi. Tout comme Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale. Et John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale.
Une fois que nous aurons fini de compter, nous pourrons nous pencher sur la stupéfiante bêtise qui a conduit le régime Biden à cette impossible contradiction. Reflétant le soutien compulsif du président à Israël tout au long de sa vie politique, les États-Unis ont imprudemment soutenu l'État sioniste alors qu'il cherchait à étendre la guerre jusqu'à l'Iran, en passant par le Liban et la Syrie.
Aujourd'hui, alors que la guerre s'étend jusqu'aux frontières de la République islamique, M. Biden et ses collaborateurs insistent sur le fait qu'ils ne veulent pas de cette guerre généralisée que les Israéliens s'acharnent à provoquer.
Honnêtement, je n'arrive pas à me remémorer d'autres occasions, dans l'histoire de la politique étrangère américaine, qui égalent celle-ci en termes de... quoi ? ... de cafouillage pur et simple. Il doit y en avoir quelques-unes, voire beaucoup au vu de la conduite de l'Amérique au cours des sept dernières décennies, mais elles ne me viennent pas spontanément à l'esprit.
La surenchère, pour parler de l'enjeu le plus évident, n'est pas la bonne méthode pour désamorcer une crise. Vous ne pouvez pas vous mettre à bombarder d'autres nations - illégalement, ne l'oublions pas - tout en tuant des non-combattants dans le processus ( ce que les Irakiens et les Syriens ont dénoncé), et leur dire dans des déclarations simultanées que vous ne souhaitez pas provoquer de conflit.
Vous pouvez le faire, mais ne vous attendez pas à être pris au sérieux.
L’effet de vérité illusoire
Je commence à me dire que l'administration Biden recourt désormais à l'une des règles cardinales du propagandiste : répétez suffisamment souvent une absurdité et les gens, même les plus intelligents, finiront par y croire. Les psychologues appellent cela l'effet de vérité illusoire depuis que des chercheurs des universités de Villanova et de Temple ont découvert ce point vulnérable commun à tous à la fin des années 1970.
L'effet répétitif fonctionne depuis longtemps sur les Américains, de manière assez diabolique. Mais l'une des faiblesses les plus fondamentales de Joe Biden est de croire qu'il peut vendre à l'étranger le genre d'inepties qu'il vend aux Américains depuis une cinquantaine d'années. Je n'exagère rien en affirmant que cette méprise est l'un des principaux défauts de la politique étrangère de l'homme de Scranton.
Un deuxième problème, connexe, vaut la peine d'être brièvement abordé. Insister sur l'absence d'intention des États-Unis de déclencher une guerre régionale tout en bombardant d'autres pays revient à demander à ces derniers de ne pas riposter. Cela revient à dire, en fait, “Nous voulons rétablir notre politique de dissuasion qui a échoué. Laissez-nous vous dissuader”. Alastair Crooke, dans un article bien étayé publié vendredi dernier, appelle cela “une forme de psychothérapie militarisée”.
Il s'agit là d'un pari que seule une nation en perte de vitesse oserait relever. Le régime Biden a toutes les chances de le gagner avec les Iraniens, qui continuent de respecter une politique de longue date de “patience stratégique”, comme l'a affirmé Muhammad Sahimi, éminent commentateur des affaires iraniennes, dans un article publié samedi dans The Floutist.
Mais les Houthis yéménites qui attaquent les navires en mer Rouge et dans le golfe d'Aden ont déjà fait savoir qu'ils n'avaient pas l'intention de changer de cap. D'autres groupes actifs en Irak et en Syrie sont susceptibles de suivre l'exemple des Houthis : selon moi, ils persisteront, et ne s'arrêteront pas.
Je crois l'administration sur parole lorsqu'elle insiste sur le fait qu'elle ne veut pas d'une nouvelle guerre, même si elle semble ne pas avoir la moindre idée de la manière d'éviter d'en déclencher une. Elle est tout simplement trop fortement exposée au Moyen-Orient - trop de bases, trop encombrée par une machine de guerre pesante, trop musclée, mais surtout trop vulnérable.
Toutes les attaques récentes contre les navires, les installations terrestres et le personnel américains ont révélé cette étonnante faiblesse. Et cela nous amène à ce qui motive le plus fondamentalement Biden et les pacifistes du moment qui répètent fidèlement ce qu'il dit. (Ou bien répète-t-il fidèlement ce qu'ils lui disent de dire ?)
Ce que nous avons entendu la semaine dernière est un aveu implicite des peurs au sommet des cliques de politique étrangère américaine. Si, comme nous l'avons suggéré plus haut, ces gens ont bousillé la politique dans une mesure sans précédent dans les décennies d'après-guerre, ils se retrouvent, en conséquence, complètement paumés et effrayés dans la foire d'empoigne qu'ils ont eux-mêmes générée.
L'horloge de l'histoire vient à nouveau de sonner, si je ne m’abuse.
Le contrôle d'Israël sur Washington
Biden est une épave en matière de politique étrangère, comme son bilan le montre clairement. Mais comme nous l'avons déjà souligné précédemment, il n'est pas certain que quelqu'un d'autre à la Maison Blanche ait pu faire beaucoup mieux au cours de ces derniers mois.
L'Amérique est dans sa phase impériale terminale, comme nous devrions toujours nous en souvenir, et Israël contrôle presque tous les élus à Washington à un degré ou à un autre. Il est impossible de mener une politique saine tant que les cliques de Washington s'obstinent à travailler dans ce contexte au lieu de le dépasser.
Les attaques de type “s'il vous plaît, ne ripostez pas” menées quotidiennement par les États-Unis ne sont que la première étape de la stratégie que l'administration souhaite mettre en œuvre au Moyen-Orient, lit-on à présent. Comme l'annoncent deux articles récents du New York Times, il s'agit d'une stratégie “Nouveau ! Mieux qu'avant”, à l'instar des traditionnelles poudres à lessive.
Dans ce cas (comme dans tant d'autres), nous pouvons considérer que le Times joue pleinement son rôle de messager en transmettant les informations des hautes sphères de Washington à la population d'en bas. Voici “ce que vous devez savoir”, comme le dit le Times dans tous ces titres détestables.
Patrick Kingsley, chef du bureau de Jérusalem, et Edward Wong, correspondant diplomatique, ont présenté ce nouveau concept il y a dix jours dans un article intitulé “Comment les dirigeants et les diplomates tentent de mettre fin à la guerre de Gaza”. Tel qu'il est envisagé, ce processus comporte trois volets : négocier un cessez-le-feu à Gaza, “remodeler l'Autorité palestinienne” pour qu'elle prenne le pouvoir dans la bande de Gaza post-Hamas et amener Israël à accepter un État palestinien en échange de relations formelles avec l'Arabie saoudite.
Quatre jours plus tard, Tom Friedman publiait “Une doctrine Biden pour le Moyen-Orient est en cours : et c’est énorme”. Kingsley et Wong auraient-ils évincé l'éditorialiste préféré du Times ? Sans se décourager, Friedman cite son propre article, tout en remâchouillant la substantifique moelle de celui de Kingsley et Wong.
Friedman propose également une stratégie à trois volets. La première est “Une position forte et résolue sur l'Iran, y compris des représailles militaires vigoureuses contre les mandataires de l'Iran”. C'est ce à quoi nous assistons aujourd'hui, même si l'expression “forte et résolue” est quelque peu excessive.
Viennent ensuite “Une initiative diplomatique américaine sans précédent pour promouvoir un État palestinien” et, enfin, “Une alliance de sécurité américaine considérablement élargie avec l'Arabie saoudite, qui impliquerait également la normalisation par l'Arabie saoudite de ses relations avec Israël”.
Il y a plus de “si” et de réserves dans ces deux articles que vous n'avez pris de dîners chauds. Si l'administration peut mener à bien ce projet, c'est un énorme “si”, écrit Friedman. Il y a tellement d'“obstacles majeurs”, de “questions qui divisent” et de “plans à long terme” que l'on se demande pourquoi ces articles ont été écrits et publiés.
La “doctrine Biden”
Tout d'abord, quiconque continue à prôner une solution à deux États avec une Palestine indépendante est à ce stade incapable de faire face à la réalité, et dissuade les autres de le faire.
Une telle entité n'est plus possible et, à mon avis, n'a jamais été souhaitable. En tout état de cause, les Israéliens n'accepteront jamais une Palestine indépendante : le régime de Netanyahou le fait savoir à chaque fois qu'il en a l'occasion.
Qu'est-ce que ce “remodelage de l'Autorité palestinienne” ? Que signifie un tel projet ? Qui se chargera de cette refonte ? En quoi ? Et à partir de quoi ? À ce stade, l'AP croule sous sa propre sclérose et sa propre corruption. Qui va lui confier la responsabilité de Gaza - et par quel moyen ? Comment un “État palestinien démilitarisé” - selon l'expression de Friedman - peut-il assumer la responsabilité de sa sécurité nationale ?
Quant aux Saoudiens, il me semble que rien parmi ces trois pistes n'a la moindre chance de les amener à nouer des relations formelles avec Israël. Il y a eu trop de profanations et de meurtres au cours des quatre derniers mois pour que Washington - “la puissance qui essaie de recoller les morceaux” - soit près de parvenir à l'amorce de cette “piste”.
Le nom donné par Tom Friedman à la “pensée stratégique” ébauchée ici est “la doctrine Biden”. Réprimons nos cris, et laissons notre Tom à la grandiloquence qu'il affectionne. Plusieurs réalités doivent être prises en compte pour évaluer ces propositions.
Tout d'abord, l'enjeu de ces différentes pistes est la gestion du pouvoir géopolitique et de l'empire, rien de moins. Quelle est l'intention de ces politiques prétendument en cours d'élaboration ? Dites-moi qu'il s'agit d'autre chose que de la création d'un régime fantoche composé de compradors malléables dans une “Palestine” désespérément atomisée. Dites-moi que l'exécution des politiques esquissées par le Times n'entraînera pas un festival de pots-de-vin et de coercition dans toute la région.
Deuxièmement, et en lien avec le premier point, il n'y a pas plus de place dans cette “pensée stratégique” pour une quelconque démocratie ou liberté palestinienne qu'il n'y en a à Tel-Aviv ou à Jérusalem.
Lisez l'article du Times, écoutez les sources citées : à quel moment les Palestiniens respirent-ils, se promènent-ils ou ont-ils quelque chose à dire ? Honte à ces deux journalistes, à leur collègue chroniqueur, à leurs rédacteurs en chef et à toutes les sources qu'ils citent : ils participent à la même déshumanisation qui définit la politique américaine sur la question palestinienne depuis des décennies.
Pensez-vous que les Palestiniens et ceux qui soutiennent leur cause ne perçoivent pas ce genre de pratiques ? Croyez-vous qu'ils ne lisent pas ces politiques dans leurs grandes lignes comme étant par essence dénuées de tout sérieux ?
Je suis convaincu que les articles du Times reflètent fidèlement les efforts déployés à Washington pour trouver une issue au gâchis absolu que Biden et les siens se sont eux-mêmes infligé. Mais appeler ce qui se prépare la “doctrine Biden”, c’est mettre du rouge à lèvres à un cochon.
Ces gens ne semblent pas avoir la moindre idée de la manière de concevoir une politique véritablement efficace. La peur, après tout, inhibe toute velléité d'innovation.
La crise de Gaza est l'occasion de constater qu'une diplomatie authentique, fondée sur la connaissance des points de vue des autres, définira notre siècle bien au-delà de la simple notion de puissance. Elle nous dit aussi que Washington, à ce jour, n'a ni l'intention ni la capacité de se montrer à la hauteur de cette nouvelle époque.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, conférencier et auteur, plus récemment de “Journalists and Their Shadows”, disponible auprès de Clarity Press. Parmi ses autres ouvrages, citons “Time No Longer : Americans After the American Century”. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré.
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https://consortiumnews.com/2024/02/07/patrick-lawrence-lost-fearful-in-the-middle-east/