👁🗨 Pour que Biden fasse un geste, il faut qu'Assange paie encore.
Si Biden libère Assange, il lui faudra une contrepartie pour la CIA & le DNC que la décision rendrait furieux, pour justifier ce geste. Quant à savoir si cela les contentera, c'est une autre affaire.
👁🗨 Pour que Biden fasse un geste, il faut qu’Assange paie encore.
Par Joe Lauria, Spécial Consortium News, le 21 juin 2023
Le président américain n'irait probablement pas de l'avant dans cette affaire sans avoir pris des mesures pour sauver la face, et éviter les pressions de la C.I.A. et de son propre parti, écrit Joe Lauria.
Si Biden libère Assange, il aura besoin d'une contrepartie vis à vis de la C.I.A. et le DNC qui prendraient très mal de cette décision, pour justifier son geste. La question de savoir si cela les satisfait est une autre affaire.
Les jours ou les semaines à venir pourraient être des plus déterminants dans le drame juridique de Julian Assange, l'éditeur de WikiLeaks emprisonné depuis quatre ans. Il y a cinq scénarios possibles :
Assange peut voir son appel contre l'extradition entendu par la Haute Cour
Il peut voir son appel rejeté et être mis dans un avion pour les États-Unis
Cet avion peut être arrêté par une injonction de la Cour européenne des droits de l'homme
Un accord de dernière minute peut être conclu pour garantir la liberté d'Assange ou, ce qui est le moins probable,
les États-Unis pourraient abandonner brusquement les charges retenues contre lui.
À la suite de la décision du juge de la High Court Sir Jonathan Swift, qui a rejeté ce mois-ci la demande de M. Assange de faire appel de son extradition vers les États-Unis pour y être jugé pour espionnage, l'équipe juridique de M. Assange a déposé un nouveau recours auprès de la High Court la semaine dernière. La décision concernant cette demande peut intervenir d'un jour à l'autre.
Si ce recours est rejeté, M. Assange n'aura plus d'options juridiques en Grande-Bretagne, et ne pourra être sauvé que par l'intervention de la Cour européenne. Il est également toujours possible qu'un accord soit conclu, dans lequel le président Joe Biden devrait imposer une punition à Assange pour couvrir ses artères politiques.
Compte tenu des nouvelles révélations dans l'affaire UC Global en Espagne concernant l'espionnage d'Assange par la CIA, il est même possible que l'administration Biden abandonne l'affaire pour éviter d'être exposée au cirque médiatique qui s'ensuivrait à Alexandria, en Virginie, si Assange était extradé pour être jugé dans cette ville.
Les montagnes russes
M. Assange et ses partisans ont été ballottés sur des montagnes russes depuis le début du mois de mai.
Le mois dernier, en Australie, on s'attendait à ce qu'un accord soit conclu en vue de sa libération. Les espoirs ont commencé avec les déclarations les plus claires jamais faites sur l'affaire par le Premier ministre australien, Anthony Albanese. Le 4 mai, il a déclaré pour la première fois qu'il s'était entretenu directement avec les autorités américaines au sujet de M. Assange, qu'il souhaitait que les poursuites judiciaires prennent fin, et qu'il s'inquiétait pour la santé d’Assange.
L'optimisme s'est encore accru lorsque, cinq jours plus tard, Caroline Kennedy, ambassadrice des États-Unis en Australie et fille du président assassiné John F. Kennedy, a accepté de rencontrer un groupe de six députés australiens favorables à Assange, issus de trois partis différents, ainsi qu'un indépendant.
Il est très peu probable que Mme Kennedy les ait invités à déjeuner à l'ambassade des États-Unis pour discuter du cas d'Assange sans l'approbation du département d'État, voire de la Maison-Blanche.
Quelques jours plus tard, M. Albanese a déclaré que M. Assange jouerait son rôle dans tout accord visant à sa libération. Cette déclaration a été largement interprétée comme signifiant que M. Assange devrait accepter une sorte d'accord de plaidoyer, dans lequel il accepterait de plaider coupable d'une accusation moins grave, peut-être de purger une courte peine en Australie, puis de sortir libre.
Tout cela précédait la visite du président Joe Biden en Australie, prévue le 24 mai, afin de rencontrer M. Albanese. Les spéculations allaient bon train quant à l'annonce d'un accord sur la libération d'Assange.
Un rassemblement à Hyde Park, à Sydney, était prévu le jour de la visite de M. Biden. L'une de ses avocates londoniennes, Jennifer Robinson, et l'épouse de Julian Assange, Stella Assange, avaient prévu de se rendre en Australie, premier voyage de cette dernière dans le pays natal de son mari.
M. Biden a annulé son voyage à Sydney, en raison de la crise de la dette, et a rencontré M. Albanese lors d'une réunion bilatérale au Japon, en marge du sommet du G7. Rien n'indique qu'il ait été question d'Assange.
Stella Assange s'est tout de même rendue en Australie avec Robinson, et toutes deux se sont adressées au National Press Club de Canberra le 22 mai. Stella Assange a qualifié cette phase de "fin de partie, la fin du processus de libération de mon mari".
Robinson a déclaré pour la première fois au nom de l'équipe juridique d'Assange qu'ils envisageraient un accord de plaidoyer.
Elle a déclaré :
"Nous envisageons toutes les options. Le problème, c'est que notre position première est, bien sûr, que l'affaire devrait être abandonnée. Nous affirmons qu'aucun crime n'a été commis, et que les faits dans cette affaire ne révèlent aucun crime. Alors que plaiderait Julian ?".
Deux jours plus tard, Stella Assange, le frère et le père de Julian Assange ont rassemblé une foule de partisans de Julian Assange lors du rassemblement de Hyde Park.
Le plaidoyer Alford
Il est difficile d'imaginer qu'Assange admette avoir fait quoi que ce soit de mal, alors que le dossier d'accusation, tel qu'il a été présenté lors de l'audience d'extradition, ne semble prouver aucun acte répréhensible.
Le cas de David Hicks, un Australien emprisonné par les États-Unis à Guantanamo Bay, illustre bien cette approche. Hicks a finalement été libéré par les États-Unis, sous la pression du gouvernement australien, après avoir accepté ce que l'on appelle un plaidoyer Alford, dans lequel il a plaidé coupable d'un seul chef d'accusation, mais a été autorisé à clamer son innocence simultanément, au motif qu'il comprenait qu'il ne bénéficierait pas d'un procès équitable.
Un plaidoyer Alford peut-il être la solution pour permettre à M. Biden de sauver la face, et libérer M. Assange ? L'équipe d'Assange peut-elle envisager qu'Assange nie avoir participé à un quelconque crime tout en devant plaider coupable d'un chef d'accusation moins grave ?
Le FBI poursuit son enquête
Cet optimisme a été quelque peu douché le 31 mai lorsque le Sydney Morning Herald a rapporté que le FBI poursuivait son enquête sur M. Assange, trois ans après avoir émis son dernier acte d'accusation modifié.
Le Herald a rapporté que le F.B.I. avait cherché en mai à interviewer à Londres Andrew O'Hagan, rédacteur fantôme de l'autobiographie de M. Assange en 2011. Le commandement de la lutte contre le terrorisme de la police métropolitaine de Londres a envoyé un courrier à M. O'Hagan, dans lequel il était écrit : "Le FBI aimerait discuter de votre expérience avec Assange/WikiLeaks..."
M. O'Hagan a déclaré au Herald :
"Je ne témoignerais pas contre un collègue journaliste poursuivi pour avoir dit la vérité. J'irais volontiers en prison avant d'accepter de soutenir de quelque manière que ce soit l'establishment américain de la sécurité sur cette voie cynique".
Qu'est-ce que cela pourrait bien vouloir dire dans le contexte de spéculation sur des négociations en vue d'un accord de plaidoyer ? Le F.B.I. voulait-il étayer son dossier afin qu'il soit plus facile pour Assange d'accepter un plaidoyer sur le chef d'accusation moins grave de complot en vue de commettre une intrusion informatique ? Ou essayait-il simplement de renforcer un dossier très mince contre lui ?
L'avocat australien d'Assange, Stephen Kenny, a déclaré au Herald :
"Je pense qu'il y a lieu de s'inquiéter, car nous nous sommes efforcés de trouver un arrangement qui permettrait à Julian de rentrer chez lui. Il serait très inhabituel que le FBI cherche à rassembler des preuves susceptibles de le blanchir".
Le juge rejette la demande d'appel
Les montagnes russes ont repris de plus belle lorsqu'on a appris qu'un unique juge de la High Court of England and Wales avait rejeté le recours en appel que Julian Assange avait déposé il y a 11 mois pour contester la décision du tribunal de première instance dans son affaire, ainsi que la décision du ministre de l'intérieur de l'extrader.
Le juge Swift, confronté à des conflits d'intérêts manifestes, a rejeté la demande d'appel de 150 pages concernant la décision du ministre de l'intérieur d'extrader M. Assange vers les États-Unis, ainsi que l'appel croisé du juge de première instance qui avait initialement refusé l'extradition en invoquant des raisons de santé et les conditions de détention dans les prisons américaines, mais qui s'était rangé à l'avis des États-Unis sur tous les autres points.
M. Swift n'a consacré que trois pages au rejet de la demande d'appel de 150 pages, se plaignant notamment du volume du dossier dans le cadre de la procédure. Il a qualifié l'appel de M. Assange de "nouveaux éléments de preuve", qu'il a rejetés, alors que le même tribunal a accepté les nouveaux éléments de preuve relatifs aux assurances données par les États-Unis de ne pas maltraiter M. Assange, afin d'annuler la décision du tribunal de première instance de le libérer pour des raisons de santé.
L'équipe juridique d'Assange dispose d'une dernière chance auprès du tribunal. Mardi dernier, elle a soumis à la High Court un document d'une vingtaine de pages exposant les raisons pour lesquelles elle devrait examiner l'appel contre l'extradition. Selon l'ancien diplomate britannique Craig Murray, l'équipe de M. Assange ne disposerait sans doute que d'un quart d'heure humiliant sur une audience de trente minutes pour plaider devant deux juges de la High Court.
Si cette demande est rejetée, il ne restera plus aucune possibilité d'action en justice pour M. Assange en Grande-Bretagne, et il pourrait théoriquement être embarqué dans un avion à destination des États-Unis le jour même.
Et à ce stade, seule une injonction de la Cour européenne des droits de l'homme peut empêcher l'avion de décoller jusqu'à ce que la Cour examine l'affaire. Les avocats de M. Assange ont déposé une requête auprès de la CEDH en décembre.
Mais il est également possible qu'un accord de dernière minute soit conclu, ou que les États-Unis abandonnent l'affaire.
Ce dont Biden a besoin
Cette avalanche de mauvaises nouvelles pour M. Assange, après des semaines de développements encourageants, a enterré la possibilité d'un accord de plaidoyer. Mais un accord de dernière minute n'est pas à exclure.
Le président Biden aurait besoin "d'une contrepartie" de la part de M. Assange s'il autorisait son administration à proposer un accord de plaidoyer. M. Assange devrait très probablement plaider coupable, et purger une peine plus longue, probablement en Australie, avant que M. Biden n'envisage de mettre un terme à l'affaire.
Bien qu'il n'ait jamais été inculpé pour les fuites du Comité national démocrate ou de la C.I.A., M. Assange reste en butte à leur colère et il est peu probable que M. Biden accepte de le relâcher, surtout à un an de l'élection présidentielle américaine. Biden sait qu'il a tort au sujet d'Assange, si tant est qu'il s'en souvienne. Il a clairement exprimé sa position sur Assange lors de l'émission Meet the Press en décembre 2010.
Le vice-président Biden a déclaré lors de cette émission que M. Assange ne pourrait être inculpé que si l'on pouvait prouver qu'il avait conspiré pour voler les documents publiés. Mais ceci n'a pu être prouvé, et l'administration Obama-Biden n'a pas inculpé Assange. L'administration Trump l'a fait. Mais uniquement pour les accusations d'espionnage initiales de 2010.
L'acte d'accusation américain ne reproche pas à Assange d'avoir volé des documents du gouvernement américain, mais seulement de les avoir reçus. Si Joe Biden s'en tenait à ses principes initiaux, il ferait en sorte que ces accusations soient classées sans suite, et qu'Assange soit libéré. Mais cette affaire représente de la dynamite politique pour lui.
La C.I.A. et le DNC seraient probablement furieux contre Biden, qui aura donc besoin d'une contrepartie pour justifier la libération d'Assange. La question de savoir si cela les satisfait est une autre affaire.
Abandon des poursuites
La dernière possibilité, à long terme, est que les États-Unis abandonnent complètement l'affaire. C'est ce que réclament les partisans de M. Assange, les parlementaires du monde entier, les groupes de défense des droits de l'homme et de la liberté de la presse, les syndicats de journalistes, et même les cinq médias partenaires de WikiLeaks.
Mais jusqu'à présent, s’adresser à Washington, c'est comme parler à un mur. Pourtant, l'évolution de l'affaire UC Global en Espagne et les prochaines élections présidentielles américaines pourraient créer les conditions nécessaires pour que les États-Unis souhaitent mettre un terme à leur poursuite de M. Assange.
Un développement récent du procès au pénal à Madrid contre le directeur d'UC Global, David Morales, pour violation de la vie privée d'Assange en l'espionnant dans l'ambassade de l'Équateur à Londres avec une surveillance h24 et 7jours/7 pour la Central Intelligence Agency, ainsi que ses conversations privilégiées avec ses avocats, a définitivement confirmé le rôle de la C.I.A.
Des révélations à ce sujet seraient-elles souhaitées par Langley* lors du procès d'Assange devant le tribunal fédéral d'Alexandria, en Virginie, où les médias américains se montreraient particulièrement attentifs à cette affaire ?
Par ailleurs, comment le président Biden accueillerait-il, lors d'une campagne présidentielle, des manifestations sur l'esplanade du tribunal d'Alexandrie, soulignant les efforts de son administration pour faire condamner un journaliste pour avoir publié des informations avérées dénonçant des crimes commis par l'État américain, donnant ainsi à ses adversaires politiques une arme pour dénoncer son hypocrisie en matière de défense de la liberté de la presse ?
Il pourrait en effet être dans l'intérêt de Biden et de la C.I.A. de se débarrasser une fois pour toutes de cette affaire scabreuse.
Dans un sens ou un autre, les semaines à venir devraient aboutir au stade ultime de la phase d'extradition de ce qui est sans doute l'affaire de liberté de la presse la plus grave de l'histoire des États-Unis.
* Langley, en Virginie, est le nom du site du QG de la CIA, le George Bush Center for Intelligence créé le 18 septembre 1947 par le National Security Act, implanté dans la ville de McLean à une quarantaine de kilomètres de Washington en 1961. La CIA est chargée de l'acquisition du renseignement (notamment par l'espionnage), et de la plupart des opérations clandestines effectuées hors du sol américain - à l’inverse du FBI, le principal service fédéral de police judiciaire et de renseignement intérieur.
* Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant aux Nations unies pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et de nombreux autres journaux, dont The Montreal Gazette et The Star of Johannesburg. Il a été journaliste d'investigation pour le Sunday Times de Londres, journaliste financier pour Bloomberg News et a commencé sa carrière professionnelle à l'âge de 19 ans comme pigiste pour le New York Times. On peut le joindre à l'adresse joelauria@consortiumnews.com et le suivre sur Twitter @unjoe
https://consortiumnews.com/2023/06/21/biden-would-need-his-pound-of-flesh-from-assange/