👁🗨 Pour faire éclater la vérité, deux journalistes libanais défient les menaces d'Israël
“Les Israéliens font des sondages en ligne, demandant s'ils doivent me tuer aujourd'hui ou demain. C'est dur, on sait qu'ils ne plaisantent pas. Il passeront sûrement à l'acte. Bonjour à mes ennemis”.
👁🗨 Pour faire éclater la vérité, deux journalistes libanais défient les menaces d'Israël
Par William Van Wagenen, le 31 octobre 2024
Malgré les menaces de mort incessantes et les frappes aériennes ciblées, les journalistes libanais Ali Mortada et Amal Khalil poursuivent leurs reportages depuis la ligne de front, déterminés à partager la réalité du champ de bataille, à dénoncer les crimes de Tel-Aviv et à remettre en question les récits établis par l'occupation.
“Si l'armée israélienne veut neutraliser mon travail et ma voix avec ses missiles, elle le fera. Mais je n'arrêterai pas parce que pour moi, cette guerre est une cause juste”. — Ali Mortada, journaliste libanais, le 24 septembre.
En reportage au Sud-Liban depuis un an, Ali Mortada a reçu de nombreuses menaces, notamment de la part du porte-parole en langue arabe de l'armée israélienne, Avichay Adraee.
“Il a publié un tweet sur son compte X disant que je ne suis pas un journaliste. Je serais un espion travaillant pour le Hezbollah à la frontière”,
explique M. Mortada, correspondant d'Al Mayadeen au Sud-Liban, où les combattants du Hezbollah résistent avec acharnement à l'invasion terrestre et à la campagne de bombardements massifs qu'Israël mène en ce moment.
“Les Israéliens ont commencé à faire des sondages en ligne, demandant aux gens s'ils doivent me tuer aujourd'hui ou demain. C'est dur, car on sait qu'ils ne plaisantent pas.
Il est très probable qu'ils passent à l'acte.
Bonjour à mes ennemis”.
Le charismatique correspondant d'Al Mayadeen s'est récemment fait connaître du public occidental grâce à son salut caractéristique et à ses vidéos informelles et satiriques sur les réseaux sociaux, qui s'adressent directement aux Israéliens, notamment au porte-parole de l'armée, Adraee.
“Bonjour, mes ennemis, puissiez-vous passer une très, très mauvaise journée”,
dit-il au début de chaque vidéo, parfois filmée en allumant un cigare ou en marchant sur les plages de la ville de Tyr (Sur), au sud du Liban, dévastée par la guerre.
Un jour seulement après avoir parlé à The Cradle, l'armée d'occupation a assassiné trois journalistes, dont deux collègues d'Al Mayadeen, lors d'une frappe aérienne alors qu'ils dormaient dans une maison d'hôtes réservée aux médias dans le sud-est du Liban.
“La frappe aérienne de 3 heures du matin a transformé le site - une suite de chalets nichés parmi les arbres loués par divers organes de presse couvrant la guerre - en un tas de gravats. Des voitures portant l'inscription ‘PRESS’ ont été renversées et recouvertes de poussière et de débris, et au moins une antenne satellite pour la diffusion en direct a été totalement détruite’, a rapporté AP.
Les frappes ont tué le caméraman Ghassan Najjar et le technicien de la diffusion Mohammed Rida d'Al Mayadeen TV, ainsi que le caméraman Wissam Qassim, qui travaillait pour Al Manar TV, une chaîne affiliée au Hezbollah.
Mohammad Farhat, journaliste à Al Jadeed TV, raconte que tout le monde s'est réveillé en panique et s'est précipité dehors en tenue de nuit. La première question que nous nous sommes posée était : “Tu es vivant ?”
“Les journalistes pensaient être en sécurité parce que cette région du Sud-Liban ne se trouve pas dans la zone d'évacuation d'Israël”,
a écrit Leila Molana-Allen, journaliste à PBS, sur le site de réseaux sociaux X.
Mme Molana-Allen, également en reportage au Liban, a déclaré que les journalistes avaient donné des précisions sur leurs déplacements aux forces de maintien de la paix de l'ONU pour qu'elles les transmettent à l'armée israélienne.
“Il s'avère que l'IDF [armée israélienne] a utilisé ces informations pour les faire sauter alors qu'ils étaient tous en train de dormir”, a rapporté M. Molana-Allen.
Le ministre libanais de l'Information, Ziad Makary, a qualifié l' attaque israélienne
d'“assassinat, après surveillance et repérage, avec préméditation et planification, car 18 journalistes étaient présents sur les lieux, représentant sept institutions médiatiques”.
Bombardement du siège d'Al Mayadeen
Juste un jour avant l'entretien de M. Mortada avec The Cradle, l'armée de l'air israélienne a bombardé le siège d'Al Mayadeen dans le quartier de Bir Hassan à Beyrouth.
“Dieu merci, personne n'était présent. Nous savions qu'il était très probable qu'ils frappent nos bureaux, nous avions donc mis en place une stratégie de sécurité et, heureusement, nous n'avons pas eu à déplorer de victimes lors de l'attaque”, explique M. Mortada.
Presque exactement un mois avant le bombardement de la maison d'hôtes des journalistes, Israël a tué un autre journaliste d'Al Mayadeen, Hadi al-Sayyed. Il a succombé à ses blessures le 24 septembre, un jour après une frappe aérienne israélienne sur sa maison à Srifa, dans le district de Tyr.
La maison de Sayyed a été touchée lors d'une importante offensive de bombardement terroriste lancée par Israël le 23 septembre.
Les avions de combat israéliens ont largué des bombes, tuant 492 personnes, dont 35 enfants et 58 femmes, et en blessant 1 645 autres en une seule journée.
Selon l'agence AP, il s'agit d'un “bilan stupéfiant pour un pays encore sous le choc” des attaques terroristes menées par Israël la semaine précédente contre des membres du Hezbollah, principalement de sa branche civile, au moyen de beepers et de talkies-walkies.
Les journalistes sous le feu israélien
Les journalistes libanais travaillaient déjà depuis près d'un an dans le climat tendu après l'assassinat par Israël du journaliste vidéo de Reuters Issam Abdullah, le 13 octobre 2023, et de la journaliste d'Al Mayadeen Farah Omar, de son caméraman Rabih al-Maamari et de leur assistant Hussein Akil, le 21 novembre 2023.
Tous les quatre ont été tués en reportage dans la zone frontalière entre le Liban et Israël après le début de la guerre entre le Hezbollah et Israël le 8 octobre, le lendemain du lancement de l'opération de résistance palestinienne Al-Aqsa Flood et de l'assaut israélien sur Gaza qui s'en est suivi.
Une enquête de Reuters a conclu qu'Abdullah a été tué et six autres blessés lorsque les troupes israéliennes ont tiré deux obus directement sur un groupe de journalistes de Reuters, de l'AFP et d'Al Jazeera qui filmaient dans un endroit dégagé à un kilomètre de la frontière.
Omar, Maamari et Akil, d'Al Mayadeen, ont été tués par une frappe aérienne israélienne alors qu'ils étaient en reportage à Tayr Harfa, une zone située à environ 1,6 kilomètre de la frontière israélienne.
“C'était une attaque directe, pas un hasard”, a déclaré le directeur de la chaîne, Ghassan bin Jiddo, soulignant que le gouvernement israélien avait empêché la chaîne d'émettre en Israël une semaine auparavant.
Un avion de combat israélien a tiré deux roquettes sur la position des journalistes juste après la fin d'une émission en direct faisant le point sur les derniers bombardements israéliens au Sud-Liban.
“J'ai pleuré de tristesse face à la trahison de l'ennemi car Farah, Rabih et Hussein se trouvaient dans une zone ouverte où j'avais fait des reportages au cours du mois et demi précédent”,
a déclaré la journaliste libanaise Amal Khalil au site The Cradle.
“Leur voiture était clairement identifiée comme étant de la presse et il n'y avait pas de combattants ou de militaires avec eux”,
explique Mme Khalil, qui travaille depuis 18 ans pour le journal libanais Al-Akhbar, en tant que correspondant sur le terrain dans le Sud-Liban.
Tuer pour mieux contrôler le récit
Une semaine avant que ses trois collègues ne soient tués, Mme Khalil a elle-même survécu à une attaque israélienne. Elle se trouvait dans un bâtiment réservé aux journalistes dans le village de Yaroun lorsqu'il a été la cible de deux roquettes tirées par un drone israélien. L'un de ses collègues a été blessé par une pluie de débris et de pierres provenant de l'explosion, comme l'explique Mme Khalil :
“Même si nous avons été ciblés ou si nous avons vu nos collègues Farah ou Issam se faire tuer, nous n'avons pas arrêté notre travail ni pris de congé. Nous considérons que c'est rendre hommage à Farah, Issam et Rabih et témoigner notre colère à Israël que de continuer notre travail. L'objectif d'Israël est de tuer des journalistes et de les forcer à quitter le Sud. Ils veulent le vider de ses journalistes pour qu'il n'y ait pas d'images et qu'ils puissent contrôler et manipuler le récit, comme ils l'ont fait après l'opération ‘Al-Aqsa Flood’ à Gaza.
“Bien sûr, Israël tue des journalistes au Liban pour dissimuler ses crimes contre les femmes, les enfants, les civils, la destruction de maisons et l'incendie des champs des fermiers. Ils ne veulent pas que leurs crimes soient corroborés par des mots et des images. Ils veulent que le monde croie qu'ils visent des sites militaires plutôt que des civils”, ajoute Mme Khalil.
Comme M. Mortada, Mme Khalil a reçu des menaces directes et personnelles de la part d'Israël pour l'intimider et l'obliger à cesser ses reportages.
Le 25 août de cette année, elle a reçu un message envoyé sur son téléphone par un numéro israélien disant
“Nous savons où tu es, où toi et ta famille vivez. Si tu veux garder la tête sur les épaules, quitte le Liban”.
Mme Khalil a déclaré au journal The Cradle :
“Israël m'a menacée parce que mon travail leur pose problème et constitue la preuve des crimes commis depuis le premier jour de l'attaque qui a commencé le 8 octobre sur le sud. L'année dernière, j'étais présente sur le terrain. J'ai continué à publier des histoires de résilience et de défis à l'ennemi israélien depuis les villages frontaliers et les lignes de front. J'ai publié des photos prises par moi-même montrant comment les Israéliens détruisaient et brûlaient les maisons et tuaient les enfants et les femmes”.
Parcours d'un reporter de guerre
Mme Khalil fait preuve d'un courage remarquable en réalisant des reportages dans la zone de combats, alors qu'elle n'a jamais voulu devenir journaliste de guerre.
Lorsque la Guerre de juin 2006 a éclaté entre le Hezbollah et Israël, elle menait une vie confortable dans la ville cosmopolite de Beyrouth, écrivant pour Al-Akhbar sur les femmes et les questions sociales.
“Dès le premier jour de la guerre, j'ai décidé à ce moment-là de retourner dans mon village au sud du Liban. Peu après, Israël a commencé à bombarder tous les ponts et toutes les autoroutes pour couper les liaisons dans la région. Mais j'avais décidé de rester dans le sud quoi qu'il arrive, à la fois pour être avec ma famille, et pour faire du travail humanitaire et de défense des droits de l'homme avec les personnes déplacées. Je faisais tout cela en plus de mon travail de journaliste”.
Lorsque le cessez-le-feu a été annoncé 33 jours plus tard, le rédacteur en chef d'Al-Akhbar a fait d'elle la correspondante du journal sur le terrain au Sud-Liban.
“C'est donc la guerre de juin 2006 qui a déterminé mon destin, à savoir devenir une correspondante de guerre. Je n'ai pas pris la décision de devenir correspondante sur le terrain au Sud-Liban. J'ai seulement pris la décision de devenir journaliste et écrivain à Beyrouth”,
explique-t-elle au journal The Cradle.
Elle est restée à ce poste depuis, et a acquis une connaissance approfondie de la géographie, de l'histoire et de la population de la région. Ses relations dans tout le sud du Liban l'aident à faire face au danger, à documenter les retombées des bombardements israéliens, et à trouver des sources pour les histoires les plus passionnantes.
Un engagement inébranlable pour le reportage
Ali Mortada, d'Al-Mayadeen, a également des années d'expérience en matière de reportage dans les zones de guerre.
Lorsque The Cradle lui demande ce qui le motive à poursuivre ses reportages même après l'assassinat de tant de collègues, M. Mortada répond :
“Tout d'abord, c'est mon travail. Je l'ai fait en Syrie, je l'ai fait en Irak, je l'ai fait dans la Beqaa lorsqu'on se battait contre les terroristes [l'État islamique, le Front Nusra]. Et je le fais aujourd'hui dans le cadre de cette mission face à Israël”.
Alors qu'Israël a envahi le Liban à de nombreuses reprises auparavant et de manière frontale, notamment en 1978, 1982 et 2006, il a également indirectement agressé le Liban et le Hezbollah par le biais de mandataires, y compris des groupes militants liés à Al-Qaïda.
Dans le cadre de la guerre secrète menée par les États-Unis contre la Syrie à partir de 2011, Israël a soutenu de prétendus “rebelles” cherchant à renverser le gouvernement syrien, notamment l'Armée syrienne libre (ASL) et les ramifications d'Al-Qaïda, le Front Nusra et l'État islamique.
Nusra et l'État islamique ont cherché à s'infiltrer et à envahir le Liban en passant par des zones situées dans l'est de la vallée de la Bekaa, au Liban, mais ont été battus par le Hezbollah et l'armée libanaise.
M. Mortada précise que la deuxième raison pour laquelle il continue à faire des reportages depuis le Sud-Liban est la suivante :
“C'est mon pays, c'est mon peuple, ce sont les maisons de mes proches. J'ai vécu ici toute ma vie. Je suis libanais et j'ai donc le devoir de rendre compte de la situation jusqu'à mon dernier souffle. D'autant que nous avons un gros problème de diffusion de l'histoire dans le monde. Les journalistes et les chaînes qui rapportent la réalité telle qu'elle est sans propager la propagande israélienne sont si peu nombreux. C'est donc un devoir national. Cela fait partie du travail”.
Perdre la guerre de propagande, et sur le champ de bataille
Selon l 'évaluation de M. Mortada sur la guerre en cours entre le Hezbollah et Israël dans le sud, Tel Aviv n'a pas été en mesure d'atteindre l'un ou l'autre des objectifs annoncés par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, explique-t-il à The Cradle:
“Netanyahu s'est fixé pour objectif de prendre les villes situées au sud du fleuve Litani, et il veut faire revenir les colons dans le nord d'Israël. Mais le fait est qu'il se bat depuis 30 jours et qu'il est coincé sur la première ligne de défense établie par le Hezbollah dans le sud”.
M. Mortada explique que l'armée israélienne n'a plus d'options viables et qu'elle est aspirée dans les “sables mouvants du Liban”, alors que ses pertes en soldats, morts ou blessés, et en chars détruits, ne cessent de s'alourdir.
Israël n'a pas réussi à faire revenir les colons, tandis que les attaques de roquettes, de missiles et de drones du Hezbollah contre les bases militaires et les infrastructures israéliennes ont contraint encore plus de colons à évacuer, y compris jusqu'à Haïfa, au sud du pays.
“Et pour couronner le tout, le Liban a frappé la chambre à coucher de Netanyahu”,
dit M. Mortada, faisant référence à l'audacieuse attaque de drone du Hezbollah qui a réussi à toucher la résidence du Premier ministre à Césarée.
“Même Netanyahu ne peut plus dormir dans sa propre chambre à coucher depuis l'opération militaire au Liban”.
“Cela nous montre que malgré le coup porté à la tête du Hezbollah avec l'assassinat de son chef Hassan Nasrallah et d'autres hauts commandants, il est toujours debout, il riposte et sa situation est très, très bonne sur le champ de bataille”, conclut-il.
Mme Khalil se montre également optimiste quant à la guerre en cours, malgré les nombreuses et douloureuses pertes subies par le Liban.
Elle se souvient de ce qu'elle a vu de ses propres yeux en 2006, lorsque
“les combattants du Hezbollah ont remporté la victoire contre l'envahisseur et les forces d'occupation. Ce sont des enfants de cette terre qui connaissent le terrain et savent comment se battre et mener leurs opérations.
“Le Hezbollah est la résistance dans le sud du Liban. Il a une fois de plus réussi à vaincre Israël sur le terrain. Israël nous est supérieur dans les airs, il nous bombarde sans cesse avec son artillerie et ses frappes aériennes. Mais dans les confrontations directes, les soldats de l'ennemi israélien sont bien plus faibles que les hommes de la Résistance et le peuple de la région.
https://thecradle.co/articles/lebanese-journalists-defy-israeli-threats-to-expose-the-truth