👁🗨 Pour les soldats criminels d'Israël, “nulle part où fuir, ni se cacher”
La loi ne devrait jamais être à la carte, elle devrait toujours être appliquée de manière cohérente, n'est-ce pas ? Si elle est appliquée à la carte, ce n'est pas une loi, mais un privilège.
👁🗨 Pour les soldats criminels d'Israël, “nulle part où fuir, ni se cacher”
Par Esteban Carrillo Lopez, le 4 février 2025
La Fondation Hind Rajab (HRF) mène une campagne juridique mondiale contre les soldats israéliens impliqués dans des crimes de guerre, obligeant de plus en plus ces soldats à éviter les voyages internationaux ou à risquer d'être arrêtés - et refusant à Israël l'impunité qu'il recherche désespérément.
Le 4 janvier, le réserviste israélien Yuval Vagdani et ses amis ont dû brusquement mettre fin à leurs “vacances de rêve” au Brésil et s'enfuir vers l'Argentine voisine à la faveur de la nuit. L'ambassade israélienne locale avait été informée que le tribunal fédéral de Brasilia préparait un mandat d'arrêt contre Vagdani pour des crimes de guerre commis pendant son service dans la brigade Givati au nord de Gaza.
Le ministère israélien des Affaires étrangères aurait joué un rôle essentiel en aidant Vagdani à échapper aux poursuites, violant la souveraineté brésilienne en organisant sa sortie clandestine de Morro de Sao Paulo, dans l'État de Bahia, vers l'Argentine, et de là vers Miami avant d'atterrir à nouveau en Israël.
Quelques jours avant son évasion nocturne, les autorités judiciaires brésiliennes ont reçu un rapport de 500 pages contenant les messages de Vagdani sur les réseaux sociaux comme preuve de ses crimes. Dans ces messages, le réserviste israélien se présente joyeusement en train de poser des explosifs et de faire exploser des immeubles résidentiels entiers dans le nord de Gaza, où l'armée israélienne a passé des mois à tuer des dizaines de milliers de Palestiniens et à détruire la quasi-totalité des infrastructures civiles.
Bien que ces crimes n'aient pas été commis au Brésil, qui est un État signataire de traités internationaux tels que la Convention de Genève et le Statut de Rome, le pays s'est acquitté de sa responsabilité légale d'enquêter et de prendre les mesures judiciaires qui s'imposent.
L'affaire judiciaire brésilienne a fait date dans la lutte mondiale contre l'impunité des soldats et des fonctionnaires israéliens responsables du premier génocide au monde retransmis en direct. Au cours des derniers mois, des dizaines de plaintes similaires ont été déposées dans de nombreux pays du monde. Du Sri Lanka à la Thaïlande, de la Suède à l'Équateur, des soldats israéliens se retrouvent dans la ligne de mire d'une bataille mondiale menée dans les tribunaux nationaux.
La Fondation Hind Rajab (HRF), une ONG basée en Belgique et lancée en septembre 2024 en tant qu'émanation du Mouvement du 30 mars, est à la tête de ce combat. Nommée d'après la fillette palestinienne Hind Rajab, âgée de six ans, qui a été sauvagement assassinée par les troupes israéliennes dans la ville de Gaza il y a un an, la HRF a provoqué une onde de choc dans l'appareil sécuritaire et politique israélien, obligeant les autorités à mettre en œuvre de nouvelles mesures pour dissimuler l'identité des membres des troupes de tous grades et à publier des directives officielles sur la manière d'éviter les arrestations lors de voyages à l'étranger.
Alors que les forces israéliennes se concentrent désormais sur la Cisjordanie occupée, HRF reste fidèle à sa mission, déposant des plaintes pour crimes de guerre devant des juridictions du monde entier, obligeant les soldats israéliens à éviter de voyager ou à prendre le risque d'être arrêtés.
Le président de la HRF, Dyab Abou Jahjah, spécialiste libano-belge du droit international, a récemment accordé une interview exclusive à The Cradle sur le travail de la fondation, le soutien qu'elle a reçu du monde entier et les menaces que les autorités israéliennes ont proférées publiquement à son encontre et à l'encontre de la fondation.
The Cradle : Qu'est-ce qui motive la stratégie de la HRF consistant à cibler des soldats israéliens individuels ? Quel est le but ultime de la fondation ?
M. Jahjah : Lorsqu'un génocide ou des crimes contre l'humanité sont commis, il existe un besoin global de justice et de reconnaissance des responsabilités, non seulement de la part des victimes, mais aussi de la part de ceux qui leur sont solidaires. Comme beaucoup d'autres, j'ai été profondément choqué par le degré d'impunité affiché par les Israéliens, qui non seulement commettent ces crimes, mais les enregistrent et les diffusent sur les réseaux sociaux, agissant comme s'ils étaient au-dessus des lois.
Ces provocations ont donné lieu à des échanges et à un accord avec mon entourage, il y a près de 15 mois, sur la nécessité de faire quelque chose. Notre objectif principal est de mettre fin à l'impunité, et de faire en sorte que ces criminels aient à répondre de leurs actes.
Nous avons commencé à déposer des plaintes en novembre 2023, un mois après le début du génocide, par l'intermédiaire du Mouvement du 30 mars. Nous avons remarqué que, bien que l'accent soit mis sur le droit international lorsque des crimes de guerre sont commis, ce type de législation est souvent limité par des considérations géopolitiques et soumis aux caprices des États et des individus puissants.
En outre, il a tendance à être assez lent à fonctionner. Nous avons donc décidé de contourner ce problème et de nous tourner directement vers le droit national, car les pays peuvent choisir d'appliquer ou non le droit international, mais aucune nation qui se respecte ne se désintéressera de son propre système judiciaire. Étant donné que le mouvement du 30 mars a une portée plus large, nous avons décidé de créer une organisation faisant partie du mouvement mais qui se concentre exclusivement sur les litiges. C'est ainsi qu'est née la Fondation Hind Rajab.
The Cradle : Quelles sont les juridictions qui, selon vous, seront les plus efficaces pour instruire ces affaires ? Avez-vous constaté des pressions exercées par les puissants alliés d'Israël sur les juridictions où des plaintes ont été déposées ?
M. Jahjah : Nous menons deux types d'affaires. Il y a les affaires contre les ressortissants à double nationalité qui ont participé au génocide dans la bande de Gaza. Et puis il y a les affaires contre les soldats de passage, dont nous ne savons pas s'ils ont d'autres nationalités, mais nous savons qu'ils ont commis des crimes de guerre et qu'ils voyagent à l'étranger principalement pour le tourisme.
Notre principale stratégie consiste à nous concentrer sur les binationaux car, contrairement aux soldats de passage, nous avons le temps de monter des dossiers approfondis contre eux.
Lorsqu'un soldat se rend dans un pays comme Chypre ou le Brésil, nous pouvons déposer des plaintes car ces pays sont signataires du Statut de Rome. Nous pensons que leur entrée active la juridiction du pays et lui permet d'agir.
Certains pays s'opposent à cette approche, car ils veulent éviter de rendre des comptes, comme l'exige le statut. Nous devons les pousser à accepter la juridiction, ce qui peut être difficile mais fonctionne parfois, comme à Chypre et au Brésil, où les autorités israéliennes ont été contraintes de faire sortir clandestinement leurs soldats.
Il existe toujours des différences entre les divers pays. Dans certains pays, il y a un désintérêt total ; ils nous disent “nous n'agirons pas”, en particulier en ce qui concerne les soldats en visite. Pour les binationaux, comme les Espagnols, l'Espagne ne peut pas se prévaloir d'un défaut de compétence.
Par exemple, les autorités de Barcelone ont d'abord rejeté notre plainte contre un soldat israélo-espagnol, mais en vertu du Statut de Rome, elles sont obligées d'agir. Si un ressortissant espagnol est impliqué, l'Espagne ne peut pas prétendre qu'elle n'est pas compétente, car il ne s'agit plus d'une affaire de compétence universelle, à laquelle de nombreux États résistent pour éviter les conflits diplomatiques.
Pour les binationaux, la compétence est clairement définie par le droit national, ce qui fait que leurs cas ont le plus de chances d'aboutir à des condamnations.
The Cradle : Comment la HRF suit-elle ces soldats, et agit-elle rapidement pour déposer des plaintes ?
M. Jahja : Bien que je ne puisse pas divulguer tous les détails - afin de ne pas fournir à l'autre partie des informations sur nos opérations - je peux dire que nous nous appuyons sur des renseignements de sources publiques, en particulier sur les réseaux sociaux. Nous ne travaillons pas pour les forces de l'ordre, et nous ne traquons pas les gens, mais nous analysons les données accessibles au public, c'est-à-dire ce que les soldats eux-mêmes publient en ligne. De nombreux soldats israéliens se vantent ouvertement de leurs crimes, en partageant des vidéos et des photos d'eux à Gaza.
Lorsqu'ils publient des messages sur des plateformes publiques, ils écrivent ou disent : “Oh, regardez, je suis en Espagne. Je suis au Brésil, je suis ici , je suis là”, nous le voyons.
Nous avons également recours au journalisme d'investigation pour étayer nos dossiers. Toutefois, à la différence des journalistes, notre travail est axé sur l'action en justice, ce qui signifie que chaque étape doit être conforme aux exigences médico-légales et judiciaires afin d'éviter de compromettre les affaires.
The Cradle : Les nouvelles tentatives d'Israël pour dissimuler l'identité des soldats ont-elles eu un impact sur votre travail ?
M. Jahja : Pas du tout. Lorsque vous vous filmez en train de commettre un crime, vous passez pour ainsi dire aux aveux. Ces images ont déjà été collectées. Elles ont été sauvegardées, téléchargées et comprennent leurs métadonnées. Elles sont prêtes à être présentées au tribunal. Il est donc trop tard pour qu'ils effacent quoique ce soit.
S'ils cessaient d'utiliser les réseaux sociaux, nous ne saurions pas quand ils partent en vacances, car nous n'avons aucun autre moyen de le savoir. Mais je ne vois personne de cette génération arrêter d'utiliser les réseaux sociaux, et je ne pense pas que cela se produira.
En outre, les mesures prises par les Israéliens sont restreintes et visent principalement les médias israéliens. Elles ne s'attaquent pas vraiment à ce que ces soldats publient. C'est étrange à deux égards. Tout d'abord, parce que les médias israéliens ne sont pas la première source d'information sur les soldats : ce sont leurs propres réseaux sociaux qui s'en chargent.
Deuxièmement, il est moralement curieux de dire aux soldats d'arrêter de publier leurs crimes sur les réseaux sociaux plutôt que de leur demander d'arrêter de commettre des crimes. Cela dit, je ne pense pas que les mesures prises par les Israéliens affecteront notre travail de quelque manière que ce soit.
The Cradle : Quel type de soutien la HRF a-t-elle reçu de la part d'associations juridiques internationales ?
M. Jahja : Il faut savoir que nous ne rendons généralement pas nos affaires publiques tant que cela n'est pas nécessaire. Pourquoi cette approche ? Parce que nous voulons avertir le suspect.
Notre rôle est strictement juridique, même si nous saluons ceux exerçant une pression publique lorsque c'est nécessaire. Nous ne faisons pas activement campagne pour obtenir un soutien, mais lorsque des organisations locales s'occupent d'une affaire, nous les encourageons. Par exemple, au Brésil, notre affaire a été rendue publique à la suite d'une fuite des autorités brésiliennes, ce qui nous a obligés à réagir.
Certaines affaires nécessitent une certaine communication publique, en particulier dans les pays qui n'ont pas signé ou ratifié le Statut de Rome, comme la Thaïlande ou le Sri Lanka. Dans ces pays, la pression peut être créée par l'opinion publique.
Au Chili, nous avons constaté que le suspect se déplaçait rapidement. Nos avocats locaux nous ont dit : “Rendez cela public”. Après que nous l'ayons fait, des associations se sont emparées de l'affaire et en ont ouvert une nouvelle, augmentant ainsi la pression. Néanmoins, je crois que le suspect avait déjà quitté le pays à ce moment-là.
Il est important de poursuivre le défi et de maintenir la pression. J'encourage tout groupe désireux de justice à passer à l'action. En déposant des dossiers et en discutant, nous incitons d'autres acteurs à se mobiliser, à déposer d'autres dossiers et à s'engager dans des dynamiques nationales.
The Cradle : La HRF a-t-elle reçu le soutien de pays arabes ou à majorité musulmane ou de la diaspora ?
M. Jahja : La fondation rejette toute offre d'aide de la part d'un État, qu'il soit arabe, européen, américain ou autre. C'est un choix de ne pas accepter de financement de quelque pays que ce soit, y compris de l'UE et de la Belgique, mon pays d'origine. Même si nous avons droit à des subventions belges, nous choisissons de ne pas les accepter parce que nous voulons conserver notre indépendance.
Nous n'acceptons pas non plus de financement de la part d'ONG, de fondations ou d'autres entités. Notre seul financement provient de petits dons de particuliers par l'intermédiaire de notre site web. Cela garantit l’indépendance de notre travail, et nous n'avons de comptes à rendre qu'aux citoyens, et non aux gouvernements ou aux ONG.
The Cradle : D'autres organisations poursuivent-elles des stratégies juridiques similaires ? Des procès ont-ils été intentés contre des organisations ayant contribué au génocide ?
M. Jahja : De nombreuses organisations souhaitent adopter notre approche et nous les encourageons à le faire. Cependant, la plupart d'entre elles se concentrent sur les hauts fonctionnaires ou la complicité des entreprises, ce qui est indispensable et utile. Nous estimons que cibler des soldats individuellement est plus tangible et a un impact direct sur leur vie. C'est pourquoi notre approche a touché un point sensible chez les Israéliens, les rendant quelque peu hystériques - ils se rendent compte que leurs soldats sont exposés à un risque personnel.
Cette action est plus concrète que le simple fait de dire “Je vais poursuivre l'État israélien” ou “Je vais poursuivre cet éminent leader”. Elle affecte directement la vie des soldats qui commettent le génocide sur le terrain. Je pense que c'est la raison pour laquelle nous sommes menacés. C'est également la raison pour laquelle nous faisons l'objet d'une forte répression et que de nombreuses organisations semblent hésiter à nous suivre en raison de ces menaces.
Je les invite cependant à agir, car si nous commençons tous à prendre des mesures, personne ne sera isolé ou acculé dans sa quête de justice. Malheureusement, je crains que nous ne fassions les frais de ce problème à l'heure actuelle parce qu'il n'y a pas assez d'organisations, voire aucune, qui soient prêtes à s'y attaquer.
The Cradle : Quelles menaces la HRF a-t-elle reçues de la part des autorités israéliennes ? Les prenez-vous au sérieux ?
M. Jahja : Je suis militant depuis des années et j'ai déjà reçu des menaces, mais cette fois-ci, c'est différent. Avant même que le ministre israélien des Affaires de la diaspora, Amichai Chikli, ne me menace publiquement, les autorités belges m'ont contacté pour me faire part de leurs préoccupations en matière de sécurité. Lorsque M. Chikli m'a dit sur X de “surveiller mon beeper” - une allusion aux actes de terrorisme israéliens au Liban - il était clair qu'il ne s'agissait pas de menaces en l'air.
Ma première pensée a été : “Ce type est fou” - peut-être un extrémiste, comme la plupart des membres de son gouvernement. Cependant, l'analyse du service de sécurité belge m'a conforté dans l'idée que cela reflétait bien le climat régnant au sein de l'actuel gouvernement israélien. Il est dangereux qu'un ministre fasse de telles déclarations.
Mon avocat a déclaré qu'il s'agit clairement d'une menace d'attentat terroriste. M. Chikli m'a menacé en tant que citoyen belge et a fait courir à la Belgique le risque d'attaques terroristes. Les services de sécurité belges prennent cela très au sérieux. Et nous n'allons pas nous contenter de pleurer en disant : “Nous sommes des victimes, regardez, nous sommes menacés”. En conséquence, nous avons déposé une plainte contre M. Chikli en vertu des lois belges sur le terrorisme.
Tout cela s'est produit avant la visite prévue du ministre israélien à Bruxelles pour un événement au Parlement européen. Malgré la discrétion de notre fondation, ils ont appris l'existence de ce dossier. Nous étions encore en pourparlers avec les autorités judiciaires, car l'introduction d'une affaire d'un tel niveau en Belgique nécessite de nombreuses étapes préliminaires, notamment des débats sur la recevabilité, la juridiction et l'immunité.
Juste avant son voyage, Israël a demandé si M. Chikli bénéficie d'une immunité, ce à quoi Bruxelles a répondu par la négative. Le pouvoir judiciaire s'est rangé à nos arguments et a déclaré : “Non, il ne bénéficie d'aucune immunité”. Sur cette base, il a annulé sa visite.
The Cradle : Que pensez-vous du fait que des pays comme la Pologne et la France accordent l'immunité à des responsables israéliens recherchés par la CPI ?
M. Jahja : Tout d'abord, les mandats d'arrêt de la CPI ont pris trop de temps, ils auraient dû être délivrés bien plus rapidement, mais ils l'ont finalement été. Il s'agit d'un développement important car il a créé davantage de marge de manœuvre pour nos actions. Cela a donné de la substance à nos arguments. C'était une étape cruciale.
Toutefois, la réaction contre la CPI s'est rapidement manifestée et se poursuit encore aujourd'hui aux États-Unis et dans certains pays européens. Tout signataire du statut de Rome est légalement lié à la convention qui a créé la Cour pénale internationale. Si un pays déclare qu'il n'adhérera pas aux décisions et aux mandats d'arrêt spécifiques de la CPI, il affirme essentiellement qu'il n'est pas gouverné par l'État de droit, et qu'il n'y a pas de séparation des pouvoirs.
Même si je n'aime pas ce terme, ces pays admettent qu'ils sont des républiques bananières. Lorsque vous signez une convention internationale, en particulier une convention concernant les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, et que vous déclarez ensuite “Non, nous ne respecterons pas ce mandat d'arrêt”, vous appliquez la loi à la carte. La loi ne devrait jamais être à la carte, elle devrait toujours être appliquée de manière cohérente, n'est-ce pas ? Si elle est appliquée à la carte, ce n'est pas une loi, mais un privilège.
En ce sens, je respecte la position des États-Unis, car ils ne sont pas signataires du Statut de Rome et n'ont jamais reconnu la CPI. Ils ont même une loi appelée “Hague Invasion Act”, qui stipule clairement que si un citoyen américain ou un allié est traduit devant la CPI, les États-Unis envahiront les Pays-Bas pour le libérer. Ils vont parfois vraiment très loin, mais ils restent cohérents avec leur position.
Cependant, je n'ai aucun respect pour tout pays européen, ou pour tout autre pays d'ailleurs, signataire du Statut de Rome et qui offre l'immunité aux dirigeants israéliens. Ces pays constituent un véritable scandale, et je pense que leurs citoyens devraient traiter ce problème en tant que tel.
The Cradle : Suite à l'élection de Nawaf Salam au poste de Premier ministre libanais, la juge ougandaise Julia Sebutinde assure la présidence par intérim de la CIJ. Mme Sebutinde a été le seul juge permanent de la CIJ à voter contre l'une ou l'autre des mesures prises dans le cadre du procès pour génocide intenté par l'Afrique du Sud à l'encontre d'Israël. Pensez-vous que la nomination de Mme Sebutinde aura une incidence sur la procédure engagée contre Israël ou sur les actions en justice intentées par la fondation ?
M. Jahja : Je commencerai par le dernier point : cela ne nous affectera pas. Comme je vous l'ai dit, notre stratégie est axée sur le droit national. En ce qui concerne le dossier de l'Afrique du Sud devant la CIJ, qui est l'aspect le plus crucial de tout ce qui se passe actuellement - qu'il s'agisse de notre travail ou de la CPI - le dossier de la CIJ est celui qui aboutira à la reconnaissance du génocide en tant que tel.
Une fois que ce sera le cas, ce qui devrait se produire d'ici deux ans environ, les voies juridiques qui s'ouvriront, tant au niveau international que national, seront considérables et inéluctables.
En ce sens, il est regrettable qu'une personne perçue comme partiale et pro-israélienne occupe le poste de président de la CIJ. Toutefois, cela ne signifie pas qu'elle aura une influence significative, car en fin de compte, elle ne dispose que d'une seule voix, comme les autres juges. La présidence ne consiste qu'en un rôle protocolaire. Je ne pense pas qu'elle dispose de suffisamment d'outils pour perturber le travail de la Cour. Si elle tentait de le faire, elle se disqualifierait en tant que présidente.
Par conséquent, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une échappatoire pour Israël. Compte tenu du mode de fonctionnement de la Cour, s'il n'y a qu'une voix contre 14 ou même s'il y a trois voix contre 12, ces changements seront largement inefficaces pour interrompre les procédures.
The Cradle: Les preuves des crimes de guerre israéliens sont-elles encore collectées sur le terrain ?
M. Jahja : Je pense que le travail sur le terrain n’a jamais vraiment cessé, même pendant le génocide. Des organisations et des militants des droits de l'homme très courageux ont essayé de collecter ce qu'ils pouvaient, et nombre d'entre eux ont même été directement pris pour cible par les Israéliens. Je m'attends à ce que ce combat se développe.
Dans les semaines à venir, je rencontrerai des personnes liées à ce même travail sur le terrain pour voir comment elles peuvent appuyer nos dossiers et renforcer nos expertises, afin que nous ne dépendions pas uniquement des expertises en ligne, et que nous puissions aller plus en profondeur. Cela nous aidera à dresser un tableau complet de ce qui s'est passé. Pour nous, ce que les soldats publient sur les réseaux sociaux n'est pas toujours suffisant pour instruire les dossiers : nous devons reconstituer la scène complète du crime.
Nous ne considérons pas une vidéo comme un simple document vidéo. Pour nous, elle représente un crime. Nous nous demandons ce qui s'est passé là-bas. Quels crimes ont été commis ? Ensuite, nous devons toujours identifier le lieu. Où cela s'est-il passé ? Si c'était dans une maison, où se trouve cette maison ? Qui en est le propriétaire ? À quel moment cela s'est-il produit ? Que s'est-il passé dans cette zone ? Quelles unités israéliennes y étaient engagées ? Brigades, bataillons, etc. Ensuite, du côté de la victime, qui est le propriétaire et qui sont les voisins ? Que leur est-il arrivé ? Car s'ils ont fait cela dans leur maison, ils l'ont peut-être fait aussi dans la maison d'à côté. Pouvons-nous déterminer si le propriétaire de cette maison est mort ? Pouvons-nous identifier le propriétaire de la maison voisine ? La constitution d'un dossier autour de la scène de crime demande beaucoup de travail. Avoir des gens sur le terrain, qui ne se contentent pas de vidéos et d'analyses médico-légales en ligne, c'est certainement un grand plus pour notre mission.
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