đâđš Pourquoi Julian Assange doit ĂȘtre libĂ©rĂ©
J'ai une confession à faire. Avant, comme beaucoup, je n'aimais pas Assange. Pas parce que Wikileaks révélait un scoop aprÚs l'autre. J'étais jaloux. Je n'avais aucune raison de le détester, j'en ai..
đâđš Pourquoi Julian Assange doit ĂȘtre libĂ©rĂ©
Par Matt Taibbi, le 24 juin 2023
Je n'avais aucune raison de détester Assange. J'en ai donc inventé une.
Samedi, sur la place du Parlement à Londres, une manifestation a eu lieu au nom de Julian Assange, le fondateur de Wikileaks emprisonné. La célÚbre représentation d'Assange, de Chelsea Manning et d'Edward Snowden, réalisée par le sculpteur Davide Domino, était au rendez-vous. La statue comporte une chaise vide pour accueillir un prochain lanceur d'alerte. J'ai eu l'honneur de monter sur cette chaise pour prononcer un bref discours :
J'ai une confession Ă faire. Autrefois, comme beaucoup de journalistes, je n'aimais pas Julian Assange. Ce n'Ă©tait pas seulement parce que Wikileaks rĂ©vĂ©lait une histoire Ă©norme aprĂšs l'autre. Il avait des cheveux fabuleux. Il portait des jeans moulants. Il a mĂȘme Ă©tĂ© mannequin Ă la semaine de la mode !
Que dire de plus ? J'Ă©tais jaloux. Nous sommes Ă Londres, alors je peux citer Shakespeare, n'est-ce pas ?
Prenez garde au monstre aux yeux verts, qui se moque de la chair dont il se nourrit.
La jalousie, ce monstre, nuit à la réflexion. Elle a altéré la mienne. Je n'avais aucune raison de détester Assange. J'en ai donc inventé une. J'ai décidé que je n'aimais pas le concept de "transparence radicale". J'ai pensé : "Vous ne pouvez pas déverser tous ces secrets au grand public. C'est irresponsable !"
J'ai subi un tel lavage de cerveau que j'ai oublié, comme beaucoup de gens, que les secrets n'appartiennent pas aux gouvernements. Ces informations nous appartiennent. Les gouvernements gouvernent avec notre consentement. S'ils veulent garder des secrets, ils ne doivent pouvoir le faire qu'avec notre permission. Ils n'ont en aucun cas le droit de garder des crimes secrets.
Je suis américain. Beaucoup d'entre vous viennent du Royaume-Uni. Dans nos pays, nous construisons des gratte-ciel et d'immenses complexes pour stocker nos secrets, parce que nous n'avons pas la place de les conserver tous tels quels!
Pourquoi avons-nous tant de secrets ? Julian Assange nous l'a expliqué. Extrait d'un essai qu'il a écrit :
Les régimes autoritaires donnent naissance à des forces qui s'opposent à eux en poussant contre la volonté individuelle et collective de liberté, de vérité et de réalisation de soi. Les plans qui soutiennent le régime autoritaire, une fois découverts, suscitent la résistance. C'est pourquoi ces plans sont dissimulés par les pouvoirs autoritaires prospÚres.
Lorsque les gouvernements deviennent autoritaires, ils suscitent la rĂ©sistance. Des techniques doivent alors ĂȘtre mises au point pour repousser cette rĂ©sistance. Ces techniques doivent ensuite ĂȘtre dissimulĂ©es.
En bref : plus une nation est mal en point, plus elle a de secrets. Or, nous détenons aujourd'hui beaucoup de secrets.
Julian Assange est devenu célÚbre alors que nous étions en train de créer un nouveau gouvernement au sein d'un gouvernement, un systÚme de prisons secrÚtes, de restitutions extraordinaires, de surveillance de masse et d'assassinats par drones. Beaucoup de ces faits ne sont connus que grùce à Wikileaks. Apparemment, tous ces secrets étaient nécessaires pour lutter contre le terrorisme étranger.
L'ironie du sort veut que les architectes de ce systÚme ne ressentent plus le besoin de cacher leurs sales tactiques. Mon gouvernement, ouvertement, veut mettre cet homme en prison pour 175 ans, principalement pour des violations de la loi sur l'espionnage (Espionage Act). Il s'agit notamment de crimes tels que "conspiration en vue de recevoir des informations relatives à la défense nationale" ou "obtention d'informations relatives à la défense nationale".
Qu'est-ce qu'une "information de dĂ©fense nationale" ? La rĂ©ponse est ce qui rend cette loi si dangereuse. Ces informations sont dĂ©finies en fonction de leurs critĂšres. Concernant toute information qu'ils ne veulent pas voir divulguĂ©e. Il n'est mĂȘme pas nĂ©cessaire qu'elles soient classifiĂ©es.
Qu'est-ce qu'un complot visant Ă obtenir des informations ? Nous avons un concept pour cela. Il s'agit du journalisme.
Mon gouvernement veut mettre Julian Assange en prison pendant 175 ans pour avoir pratiqué le journalisme. Le gouvernement de ce pays, le Royaume-Uni, va permettre que cela se produise.
S'ils avaient fait cela à Andrei Sakharov ou à Nelson Mandela, toutes les organisations de défense des droits de l'homme dans le monde auraient dénoncé un outrage intolérable. Toutes les ONG feraient la queue pour apporter leur soutien. Tous les journalistes rédigeraient des éditoriaux exigeant sa libération.
Mais parce que nos propres gouvernements agissent de la sorte, nous sommes réduits au silence.
Si vous approuvez ce qui arrive Ă un Julian Assange, vous feriez mieux de vous accommoder de ce qui arrivera Ă beaucoup d'autres. C'est pourquoi lâheure est si grave. Si Assange est extradĂ© et condamnĂ© par les autoritĂ©s, cela ne prendra pas dix minutes pour que cela se reproduise. Ensuite, ce genre de situation deviendra monnaie courante. Il n'y aura plus de manifestations dans les parcs, plus de reportages. Comme un simple fait divers, cela fera partie de notre vie.
Ne laissez pas cela se produire.
Libérez Julian Assange.