đâđš Pourquoi la guerre Ă Gaza est vitale pour les Ătats-Unis
Au-delĂ du flou entourant les âprĂ©occupationsâ de Washington au sujet du carnage gĂ©nocidaire de Tel-Aviv, la rĂ©alitĂ© incontournable est que nous sommes en plein cĆur d'une guerre contre les BRICS 11.
đâđš Pourquoi la guerre Ă Gaza est vitale pour les Ătats-Unis
Washington doit gagner la guerre de Gaza face à l'Iran, parce que sa guerre contre la Russie en Ukraine a échoué.
Par Pepe Escobar, le 15 novembre 2023
Au-delĂ du flou entourant les âprĂ©occupationsâ de Washington au sujet du dĂ©chaĂźnement gĂ©nocidaire de Tel-Aviv, la rĂ©alitĂ© incontournable est que nous sommes en plein cĆur d'une guerre contre les BRICS 11.
Le Sud global s'attendait à l'aube d'une nouvelle réalité arabe.
En effet, la rue arabe, bien que réprimée dans ses nations respectives, s'est embrasée de manifestations exprimant une colÚre féroce contre le massacre à grande échelle des Palestiniens de la bande de Gaza par le gouvernement israélien.
Les dirigeants arabes ont Ă©tĂ© contraints de prendre des mesures, au-delĂ de la suspension de quelques ambassadeurs auprĂšs d'IsraĂ«l, et ont appelĂ© Ă un sommet spĂ©cial de l'Organisation de la coopĂ©ration islamique (OCI) pour dĂ©battre de la âguerre israĂ©lienne contre les enfants palestiniensâ.
Les reprĂ©sentants de 57 Ătats musulmans se sont rĂ©unis Ă Riyad le 11 novembre en vue de porter un coup sĂ©vĂšre et concret aux auteurs de gĂ©nocides et Ă ceux qui les encouragent. Mais en fin de compte, rien n'a Ă©tĂ© proposĂ©, pas mĂȘme le rĂ©confort.
La déclaration finale de l'OCI restera à jamais gravée dans le palais doré de la lùcheté. Les points forts du spectacle rhétorique sordide :
nous nous opposons Ă la âlĂ©gitime dĂ©fenseâ d'IsraĂ«l
nous condamnons l'attaque contre Gaza
nous demandons (à qui ?) de cesser les livraisons d'armes à Israël
nous demandons Ă la CPI fantoche dââenquĂȘterâ sur les crimes de guerre
nous demandons une résolution de l'ONU condamnant Israël.
Pour mémoire, voilà ce que les 57 pays à majorité musulmane ont pu faire de mieux en réponse à ce génocide du XXIe siÚcle.
L'histoire, mĂȘme lorsqu'elle est Ă©crite par des vainqueurs, a tendance Ă ne pas pardonner aux lĂąches.
Les quatre principaux lĂąches, en l'occurrence, sont l'Arabie saoudite, les Ămirats arabes unis, le BahreĂŻn et le Maroc - ces trois derniers ayant normalisĂ© leurs relations avec IsraĂ«l sous la fĂ©rule des Ătats-Unis en 2020. Ce sont eux qui ont systĂ©matiquement empĂȘchĂ© l'adoption de mesures concrĂštes lors du sommet de l'OCI, comme le projet de proposition algĂ©rienne visant Ă imposer un embargo pĂ©trolier contre IsraĂ«l et Ă interdire toute utilisation de l'espace aĂ©rien arabe pour livrer des armes Ă l'Ătat d'occupation.
L'Ăgypte et la Jordanie - vassaux arabes de longue date - n'ont pas non plus manifestĂ© leur soutien, de mĂȘme que le Soudan, en proie Ă la guerre civile. La Turquie, sous la direction du sultan Recep Tayyip Erdogan, a une fois de plus montrĂ© qu'elle parlait sans vraiment agir ; une parodie nĂ©o-ottomane de l'expression texane âall hat, no cattleâ [beaucoup de bruit pour rien].
BRICS, ou IMEC ?
Les quatre plus grands lùches méritent un examen approfondi. Le Bahreïn est un vassal sans envergure qui héberge une branche clé de l'empire des bases américaines. Le Maroc entretient des relations étroites avec Tel-Aviv - il s'est rapidement dégonflé aprÚs la promesse israélienne de reconnaßtre la revendication de Rabat sur le Sahara occidental. En outre, le Maroc dépend fortement du tourisme, principalement de l'Occident collectif.
Viennent ensuite les gros calibres, l'Arabie saoudite et les Ămirats arabes unis. Ces deux pays croulent sous les armes amĂ©ricaines et, Ă l'instar de BahreĂŻn, hĂ©bergent Ă©galement des bases militaires amĂ©ricaines. Le prince hĂ©ritier saoudien Mohammad bin Salman (MbS) et son grand mentor, le souverain Ă©mirati Mohammad bin Zayed (MbZ), ont bien pris conscience de la menace des rĂ©volutions de couleur qui dĂ©chirent leurs domaines rĂ©galiens lorsqu'ils s'Ă©cartent un peu trop du scĂ©nario impĂ©rial admis.
Mais dans quelques semaines, à compter du 1er janvier 2024, Riyad et Abou Dhabi élargiront considérablement leurs horizons en devenant officiellement membres des BRICS 11, et ce sous la présidence de la Russie.
L'Arabie saoudite et les Ămirats arabes unis n'ont Ă©tĂ© admis dans le groupe Ă©largi des BRICS qu'en raison de calculs gĂ©opolitiques et gĂ©oĂ©conomiques prudents du partenariat stratĂ©gique Russie-Chine.
Avec l'Iran - qui est lui-mĂȘme en partenariat stratĂ©gique avec la Russie et la Chine - Riyad et Abou Dhabi sont censĂ©s consolider le poids Ă©nergĂ©tique de la sphĂšre des BRICS et devenir des acteurs clĂ©s, Ă plus long terme, dans la campagne de dĂ©dollarisation dont l'objectif ultime est de contourner le pĂ©trodollar.
Pourtant, dans le mĂȘme temps, Riyad et Abou Dhabi devraient Ă©galement tirer d'immenses bĂ©nĂ©fices du plan pas si secret de 1963 visant Ă construire le canal Ben Gourion, du golfe d'Aqaba Ă la MĂ©diterranĂ©e orientale, arrivant - quelle coĂŻncidence - tout prĂšs du nord de la bande de Gaza, aujourd'hui dĂ©vastĂ©e.
Le canal fournirait Ă IsraĂ«l l'opportunitĂ© de devenir une plaque tournante du transit Ă©nergĂ©tique, en supplantant le canal de Suez Ă©gyptien, ce qui cadre parfaitement avec le rĂŽle d'IsraĂ«l comme point nĂ©vralgique de facto du dernier chapitre de la guerre des corridors Ă©conomiques : le corridor Inde-Moyen-Orient (IMEC) concoctĂ© par les Ătats-Unis.
IMEC est un acronyme assez pervers, comme l'est toute la logique de ce corridor fantasmĂ©, qui consiste Ă positionner IsraĂ«l, Ătat qui enfreint le droit international, comme plaque tournante du commerce et mĂȘme fournisseur d'Ă©nergie entre l'Europe, une partie du monde arabe, et l'Inde.
C'est cette logique qui sous-tend Ă©galement la mascarade du Premier ministre israĂ©lien Benjamin Netanyahu Ă l'ONU en septembre, lorsqu'il a exhibĂ© Ă l'ensemble de la âcommunautĂ© internationaleâ une carte du ânouveau Moyen-Orientâ sur laquelle la Palestine avait Ă©tĂ© totalement supprimĂ©e.
Tout ceci prĂ©suppose que l'IMEC et le canal Ben Gurion seront construits - ce qui est loin d'ĂȘtre acquis si l'on veut rester rĂ©aliste.
Pour en revenir au vote de l'OCI, l'Ăgypte et la Jordanie, deux pays situĂ©s aux frontiĂšres occidentale et orientale d'IsraĂ«l, se trouvent en posture plus dĂ©licate. Les autoritĂ©s d'occupation souhaitent refouler dĂ©finitivement quelque 4,5 millions de Palestiniens Ă l'intĂ©rieur de leurs frontiĂšres. Mais Le Caire et Amman, Ă©galement abreuvĂ©s d'armes amĂ©ricaines et financiĂšrement en faillite, ne survivraient jamais aux sanctions amĂ©ricaines s'ils prenaient position de façon trop ostensible en faveur de la Palestine.
Donc, en fin de compte, trop d'Ătats musulmans prĂ©fĂ©rant l'humiliation Ă la droiture ont pensĂ© de façon Ă©triquĂ©e, pragmatique, en termes d'intĂ©rĂȘt national. La gĂ©opolitique est impitoyable. Tout tourne autour des ressources naturelles et des marchĂ©s. Si vous n'avez pas l'un, vous avez besoin de l'autre, et si vous n'en avez pas, un hĂ©gĂ©mon vous dictera ce que vous avez le droit de faire.
La sociĂ©tĂ© arabe et musulmane - tout comme la majoritĂ© mondiale - peut Ă juste titre se sentir dĂ©couragĂ©e de voir que ces "dirigeants" ne sont pas prĂȘts Ă faire du monde islamique un vĂ©ritable pĂŽle de pouvoir au sein d'une multipolaritĂ© naissante.
Les choses ne pouvaient se dĂ©rouler autrement. De nombreux Ătats arabes clĂ©s ne sont pas des entitĂ©s souveraines. Ils sont tous coincĂ©s, victimes d'une mentalitĂ© vassale. Ils ne sont pas prĂȘts - pour l'instant - Ă affronter l'Histoire. Et malheureusement, ils sont toujours les otages de leur propre âsiĂšcle d'humiliationâ.
Et le coup de grĂące de l'humiliation a Ă©tĂ© portĂ© par nul autre que le maniaque gĂ©nocidaire de Tel-Aviv lui-mĂȘme : il vient de menacer tous les pays du monde arabe, s'ils ne se taisent pas - et ils ont obtempĂ©rĂ© !
Bien sĂ»r, on trouve encore des cĆurs courageux arabes et musulmans de premier plan en Iran, Syrie, Palestine, Irak, au Liban et au YĂ©men. Bien qu'ils ne constituent en aucun cas une majoritĂ©, ces acteurs de la rĂ©sistance reflĂštent comme nul autre le climat de l'opinion publique. Et avec la guerre d'IsraĂ«l qui prend de l'ampleur chaque jour, leur poids dans la rĂ©gion et dans le monde va augmenter de façon exponentielle, comme c'est le cas pour toutes les autres guerres de l'HĂ©gĂ©mon dans la rĂ©gion.
Une nouvelle Ăšre Ă©touffĂ©e dans lâoeuf
La débùcle catastrophique du projet Ukraine et la relance d'une guerre irréductible en Asie occidentale sont profondément liées.
Au-delĂ du flou entourant les âprĂ©occupationsâ de Washington au sujet du dĂ©chaĂźnement gĂ©nocidaire de Tel-Aviv, la rĂ©alitĂ© incontournable est que nous sommes en plein cĆur d'une guerre contre les BRICS 11.
L'Empire ne fait pas dans la stratégie : au mieux, il élabore des schémas tactiques à la volée. Deux d'entre eux sont actuellement en jeu : une armada américaine déployée en Méditerranée orientale - dans le cadre d'une tentative infructueuse d'intimidation des mastodontes de l'axe de la résistance que sont l'Iran et le Hezbollah - et une possible élection de Milei en Argentine, liée à sa promesse avouée de briser les relations entre Brésil et Argentine.
Les BRICS 11 font donc l'objet d'une attaque simultanĂ©e sur deux fronts : l'Asie occidentale et l'AmĂ©rique du Sud. Les Ătats-Unis ne mĂ©nageront pas leurs efforts pour empĂȘcher les BRICS 11 de se rapprocher de l'OPEP+. L'un des principaux objectifs est d'inspirer la peur Ă Riyad et Ă Abou Dhabi, comme l'ont confirmĂ© des sources dâaffaires du golfe Persique.
MĂȘme les dirigeants vassaux prĂ©sents au sommet de l'OCI sont conscients que l'Empire contre-attaque est en train de se dĂ©ployer. Ce qui explique en grande partie leur lĂąchetĂ©.
Ils savent que pour l'hĂ©gĂ©mon, multipolaritĂ© est synonyme de âchaosâ, unipolaritĂ© synonyme dââordreâ, et que les protagonistes malveillants sont des âautocratesâ - tels que le nouvel âaxe du malâ russo-chinois-iranien et tous ceux, en particulier les vassaux, qui s'opposent Ă lââordre international fondĂ© sur des rĂšglesâ.
Ce qui nous ramĂšne Ă l'histoire de deux cessez-le-feu. Des dizaines de millions de personnes au sein de la majoritĂ© mondiale se demandent pourquoi l'hĂ©gĂ©mon cherche dĂ©sespĂ©rĂ©ment Ă obtenir une trĂȘve en Ukraine tout en refusant catĂ©goriquement un cessez-le-feu en Palestine.
En gelant le projet Ukraine, on prĂ©serve encore quelques temps le fantĂŽme de l'hĂ©gĂ©monie. Supposons que Moscou morde Ă l'hameçon ( ce qu'elle ne fera pas). Mais pour paralyser l'Ukraine en Europe, l'hĂ©gĂ©mon a besoin d'une victoire israĂ©lienne Ă Gaza - peut-ĂȘtre Ă n'importe quel prix - pour conserver ne serait-ce qu'un vestige de sa gloire d'antan.
Mais IsraĂ«l peut-il, plus que l'Ukraine, remporter la victoire ? Tel-Aviv a peut-ĂȘtre dĂ©jĂ perdu la guerre le 7 octobre, car sa façade d'invincibilitĂ© ne sera jamais restaurĂ©e. Et si cela se transforme en une guerre rĂ©gionale perdue par IsraĂ«l, les Etats-Unis perdront du jour au lendemain leurs vassaux arabes, qui disposent aujourd'hui d'une option chinoise et russe qui les attend dans les coulisses.
Le grondement de la rue s'amplifie, exigeant que l'administration Biden, dĂ©sormais considĂ©rĂ©e comme complice de Tel-Aviv, mette un terme au gĂ©nocide israĂ©lien qui pourrait dĂ©boucher sur une guerre mondiale. Mais Washington s'y refuse. Les guerres dâEurope et dâAsie occidentale sont peut-ĂȘtre sa derniĂšre chance (qu'il perdra) d'empĂȘcher l'Ă©mergence d'un siĂšcle eurasien prospĂšre, connectĂ© et pacifique.
https://new.thecradle.co/articles/why-the-us-needs-this-war-in-gaza